Thierry Portes, Mélanie Matarese
ENTRETIEN EXCLUSIF - Abdelmadjid Tebboune a accordé au Figaro sa toute première interview. Il dévoile sa feuille de route pour sortir de la profonde crise qui secoue le pays depuis un an.
Propos recueillis à Alger
Le président algérien a accordé, en exclusivité au Figaro, son premier entretien depuis son entrée en fonction le 19 décembre.
LE FIGARO.- Il y a un an, le Hirak, un mouvement de protestation inédit, a poussé l’armée à demander la démission d’Abdelaziz Bouteflika. Malgré vos propositions de dialogue, les manifestations se poursuivent. Comment instaurer un apaisement durable?
Abdelmadjid TEBBOUNE.- Bien qu’il y ait encore, tous les vendredis, une présence citoyenne dans la rue, les choses commencent à s’apaiser. De nombreux Algériens ont compris qu’on ne peut pas réformer, réparer, restaurer ce qui a été détruit pendant une décennie en deux mois. J’ai prêté serment le 19 décembre! Mais, j’accepte qu’on me demande d’aller plus vite, cela prouve que les gens ont l’espoir de changement. Le Hirak a obtenu pratiquement tout ce qu’il voulait: il n’y a pas eu de cinquième mandat, ni de prolongation du quatrième mandat, puis le président a démissionné. Les têtes les plus visibles de l’ancien système sont également parties, et la lutte a été engagée contre ceux qui ont mis l’économie à genoux. Reste les réformes politiques, j’en ai fait ma priorité, et je suis décidé à aller loin dans le changement radical pour rompre avec les mauvaises pratiques, moraliser la vie politique, et changer de mode de gouvernance.
Vous parlez de la révision de la Constitution…
C’est la priorité des priorités. J’ai donné à des spécialistes des orientations et formulé des limites, celles qui touchent notamment à l’identité nationale et à l’unité nationale. Tout le reste est négociable. Un premier document va être remis à près de 600 partis, associations, syndicats, corporations, etc. Ils auront un mois pour en débattre librement, et il reviendra ensuite vers le comité de rédaction. La mouture finale sera soumise aux deux chambres du Parlement, puis à un référendum populaire. Ce dernier est déterminant pour obtenir une Constitution de consensus, car je ne veux pas imprimer ma propre vision au changement constitutionnel. Nous aurons notre Constitution au plus tard d’ici le début de l’été, et nous ferons en sorte que le référendum se tienne le plus tôt possible.
Le deuxième chantier sera celui de la loi électorale, qui est censée parfaire nos institutions élues. Le nouveau Parlement sera amené à jouer un plus grand rôle, mais pour cela, il a besoin d’être assez crédible et ne souffrir d’aucun déficit de légitimité pour sa représentativité. Une des conditions sine qua none pour cela, c’est la séparation de l’argent de la politique.
Moi, je ne me sens redevable qu’envers le peuple qui m’a élu en toute liberté et transparence. L’armée a soutenu et accompagné le processus électoral, mais n’a jamais déterminé qui allait être le président
Le Hirak veut aussi «un État civil, non militaire». Quel est, selon vous, le véritable rôle de l’armée algérienne, et vous sentez-vous redevable envers elle?
Ce slogan date du 19 juin 1965! (arrivée au pouvoir du président Boumédiène). L’armée accomplit ses missions constitutionnelles, elle ne s’occupe ni de politique, ni d’investissement, ni d’économie. Elle est là pour sauvegarder l’unité nationale, protéger la Constitution et les Algériens contre toute infiltration terroriste et toute tentative de déstabilisation du pays. Vous ne trouverez aucune trace de son immixtion dans la vie du citoyen si ce n’est lors du service national.
Moi, je ne me sens redevable qu’envers le peuple qui m’a élu en toute liberté et transparence. L’armée a soutenu et accompagné le processus électoral, mais n’a jamais déterminé qui allait être le président. Si je me suis engagé dans la présidentielle, c’est parce que j’avais un arrière-goût de travail inachevé. Vous savez dans quelles circonstances j’ai quitté la primature (il a été démis de ses fonctions moins de trois mois après sa nomination comme premier ministre pour être parti en guerre contre les forces de l’argent, NDLR). Mon pays étant en difficulté, j’ai pensé pouvoir apporter un plus même si je savais que c’était un sacrifice pour ma famille et moi-même. C’est un devoir.
La «mafia politico-financière», dont de nombreuses figures sont aujourd’hui en prison, est-elle pour autant neutralisée?
La corruption et l’accumulation d’argent sale ne s’effacent pas avec du correcteur. La tête de la mafia a été coupée mais pas le corps. De l’argent sale circule encore. Chaque jour de nouveaux responsables, des pseudos hommes d’affaires se retrouvent devant la justice. Les fondements de l’État algérien doivent être sains. Ce qui nous attend est bien plus grand que les travaux de Sisyphe. Nous sommes en train de reconstruire, mais ça va prendre du temps. Aucun État moderne ne s’est bâti en une génération. La Ve République en France a commencé en 1958 du siècle passé! Commençons par tracer les contours de notre nouvel État sur le plan constitutionnel, puis institutionnel, puis économique.
Nos maux viennent de l’importation débridée, génératrice de surfacturation, une des sources de la corruption favorisée par de nombreux pays européens où se faisait la bancarisation, la surfacturation, les investissements de l’argent transféré illicitement
ENTRETIEN EXCLUSIF - Abdelmadjid Tebboune a accordé au Figaro sa toute première interview. Il dévoile sa feuille de route pour sortir de la profonde crise qui secoue le pays depuis un an.
Propos recueillis à Alger
Le président algérien a accordé, en exclusivité au Figaro, son premier entretien depuis son entrée en fonction le 19 décembre.
LE FIGARO.- Il y a un an, le Hirak, un mouvement de protestation inédit, a poussé l’armée à demander la démission d’Abdelaziz Bouteflika. Malgré vos propositions de dialogue, les manifestations se poursuivent. Comment instaurer un apaisement durable?
Abdelmadjid TEBBOUNE.- Bien qu’il y ait encore, tous les vendredis, une présence citoyenne dans la rue, les choses commencent à s’apaiser. De nombreux Algériens ont compris qu’on ne peut pas réformer, réparer, restaurer ce qui a été détruit pendant une décennie en deux mois. J’ai prêté serment le 19 décembre! Mais, j’accepte qu’on me demande d’aller plus vite, cela prouve que les gens ont l’espoir de changement. Le Hirak a obtenu pratiquement tout ce qu’il voulait: il n’y a pas eu de cinquième mandat, ni de prolongation du quatrième mandat, puis le président a démissionné. Les têtes les plus visibles de l’ancien système sont également parties, et la lutte a été engagée contre ceux qui ont mis l’économie à genoux. Reste les réformes politiques, j’en ai fait ma priorité, et je suis décidé à aller loin dans le changement radical pour rompre avec les mauvaises pratiques, moraliser la vie politique, et changer de mode de gouvernance.
Vous parlez de la révision de la Constitution…
C’est la priorité des priorités. J’ai donné à des spécialistes des orientations et formulé des limites, celles qui touchent notamment à l’identité nationale et à l’unité nationale. Tout le reste est négociable. Un premier document va être remis à près de 600 partis, associations, syndicats, corporations, etc. Ils auront un mois pour en débattre librement, et il reviendra ensuite vers le comité de rédaction. La mouture finale sera soumise aux deux chambres du Parlement, puis à un référendum populaire. Ce dernier est déterminant pour obtenir une Constitution de consensus, car je ne veux pas imprimer ma propre vision au changement constitutionnel. Nous aurons notre Constitution au plus tard d’ici le début de l’été, et nous ferons en sorte que le référendum se tienne le plus tôt possible.
Le deuxième chantier sera celui de la loi électorale, qui est censée parfaire nos institutions élues. Le nouveau Parlement sera amené à jouer un plus grand rôle, mais pour cela, il a besoin d’être assez crédible et ne souffrir d’aucun déficit de légitimité pour sa représentativité. Une des conditions sine qua none pour cela, c’est la séparation de l’argent de la politique.
Moi, je ne me sens redevable qu’envers le peuple qui m’a élu en toute liberté et transparence. L’armée a soutenu et accompagné le processus électoral, mais n’a jamais déterminé qui allait être le président
Le Hirak veut aussi «un État civil, non militaire». Quel est, selon vous, le véritable rôle de l’armée algérienne, et vous sentez-vous redevable envers elle?
Ce slogan date du 19 juin 1965! (arrivée au pouvoir du président Boumédiène). L’armée accomplit ses missions constitutionnelles, elle ne s’occupe ni de politique, ni d’investissement, ni d’économie. Elle est là pour sauvegarder l’unité nationale, protéger la Constitution et les Algériens contre toute infiltration terroriste et toute tentative de déstabilisation du pays. Vous ne trouverez aucune trace de son immixtion dans la vie du citoyen si ce n’est lors du service national.
Moi, je ne me sens redevable qu’envers le peuple qui m’a élu en toute liberté et transparence. L’armée a soutenu et accompagné le processus électoral, mais n’a jamais déterminé qui allait être le président. Si je me suis engagé dans la présidentielle, c’est parce que j’avais un arrière-goût de travail inachevé. Vous savez dans quelles circonstances j’ai quitté la primature (il a été démis de ses fonctions moins de trois mois après sa nomination comme premier ministre pour être parti en guerre contre les forces de l’argent, NDLR). Mon pays étant en difficulté, j’ai pensé pouvoir apporter un plus même si je savais que c’était un sacrifice pour ma famille et moi-même. C’est un devoir.
La «mafia politico-financière», dont de nombreuses figures sont aujourd’hui en prison, est-elle pour autant neutralisée?
La corruption et l’accumulation d’argent sale ne s’effacent pas avec du correcteur. La tête de la mafia a été coupée mais pas le corps. De l’argent sale circule encore. Chaque jour de nouveaux responsables, des pseudos hommes d’affaires se retrouvent devant la justice. Les fondements de l’État algérien doivent être sains. Ce qui nous attend est bien plus grand que les travaux de Sisyphe. Nous sommes en train de reconstruire, mais ça va prendre du temps. Aucun État moderne ne s’est bâti en une génération. La Ve République en France a commencé en 1958 du siècle passé! Commençons par tracer les contours de notre nouvel État sur le plan constitutionnel, puis institutionnel, puis économique.
Nos maux viennent de l’importation débridée, génératrice de surfacturation, une des sources de la corruption favorisée par de nombreux pays européens où se faisait la bancarisation, la surfacturation, les investissements de l’argent transféré illicitement
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