Le mouvement amazigh est entré dans une épreuve de force avec l’Etat marocain. Déçus par l’attitude du régime, les Berbères se radicalisent. Radioscopie d’un mouvement aux idées novatrices.
ImageLe mouvement amazigh a-t-il été anesthésié par le régime ? La lune de miel engagée avec le Palais depuis l’avènement de Mohammed VI est-elle consommée ? Il semblerait bien que les relations ne soient plus au beau fixe entre un mouvement, laminé par l’Etat depuis 3 ans, et le Palais . Depuis quelques semaines, la diffusion d’un texte proposant une révision du texte constitutionnel et paraphé par plusieurs centaines d’associations nationales et celles de la diaspora sonne comme la consécration d’un divorce attendu. Le régime a toujours une attitude teintée de méfiance à l’égard d’un mouvement qui a su profiter du contexte international pour se renforcer. Depuis Hassan II, l’Etat a une attitude réactive liée essentiellement à l’attitude du pouvoir algérien avec « ses Berbères ». Les Amazighs du Maroc n’ont pu exprimer leurs revendications de manière formelle que depuis une dizaine d’années. A partir du début des années 90, le mouvement berbère gagnera en lisibilité de manière croissante jusqu’à ce texte de révision engageant la rupture. Auparavant, le Roi Hassan II, qui se méfiait des Berbères, ne faisait des concessions que contraint et forcé….
Le péche originel
« Derrière les coups d’Etat de 71 et 72, la présence des Berbères est indiscutable ». Cette phrase résume le sentiment régnant du Palais au début des années 70 vis-à-vis des Amazighs. Une appréhension reposant essentiellement sur la présence massive des Berbéres dans le corps de l’armée, sur l’origine ethnique des principaux mutins, et sur l’afflux massif de militants soussis au sein de l’UNFP. Cette lecture ethnocentriste, quelque peu simpliste, conduira au recentrage de la politique identitaire du Maroc qui optera pour une « vision » arabe plus prononcée entre 1972 et 1974. Ceci se traduira aussi par une « purge » dans les rangs de l’administration.
Concomitamment à cette option, le régime réagira de manière réactive aux circonvolutions berbères dans le Maghreb. Les événements de Tizi Ouzou en Algérie en 1980, qui constituent ce que les historiens qualifieront de « Printemps berbère », seront suivis d’un regain de tension entre le Maroc et l’Algérie. Le Roi Hassan II réagira immédiatement en organisant un colloque à Ifrane sur la berbérité au Maroc qui abordera pour la première fois la possibilité d’enseigner le tamazight au Maroc. Des effets d’annonce sans lendemain. L’année suivante, le poète Ali Azeykou, dit « Dda Ali », exigera dans un article « une approche démocratique de notre culture et une réécriture plus juste de l’histoire du Maroc ». Emprisonné pendant un an pour cette phrase jugée attentatoire à la sécurité de l’Etat, le premier prisonnier d’opinion berbère engagera le mouvement berbère (le Mouvement berbère doit être entendu comme l’ensemble des faits qui s’inscrivent dans une démarche tendant à la reconnaissance par les autorités marocaines de la chose berbère) auto-cantonné jusque-là dans une diffusion de la culture, vers un engagement politique plus clair. La berbérité entrera alors en dissidence et les partis du mouvement national profiteront de la situation pour régler de vieux conflits.
Le mouvement entre en hibernation
Au Palais, Abdelwahab Ben Mansour soutiendra cette croisade avec la complicité sécuritaire d’un Dlimi qui fera preuve d’un zèle soutenu. Les arrestations se succèdent. Jusqu’en 1988, le mouvement entrera dans une hibernation contrôlée et certaines de ses figures sont volontairement marginalisées. Le chercheur Mohamed Chafiq, l’une des figures de proue du mouvement sera limogé du Collège royal, où il prenait en charge l’éducation du futur Roi du Maroc et de ses principaux conseillers. Pendant cette période, même la production intellectuelle, base de repli du mouvement, sera extrêmement limitée si l’on excepte le dictionnaire arabe-berbère de Chafiq ou la pièce de théâtre « Oussen Samidden » ( les jours froids) de Safi Moumen. L’Etat marocain est alors au faîte de sa puissance. Le panarabisme baathien, qui trouve une écoute confortable au sein de l’USFP et l’Istiqlal, place au firmament « l’arabité unificatrice des Marocains ». Les mouvances populaires ( voir encadré) continuent d’être des conglomérats de notables qui n’assument pas la revendication amazighe. Ces corporations chargées de fabriquer des élites politiques ne seront d’aucun soutien pour le mouvement.
L’influence du contexte international
Il faudra encore une fois attendre des événements internationaux pour que le mouvement amazigh retrouve un second souffle. Plus précisément la troisième vague de démocratisation en Europe de l’Est. Les revendications, les reconnaissances des diversités, culturelles en Hongrie, Tchéquoslovaquie et bientôt en URSS trouveront un écho considérable dans le Maghreb. Le régime est obligé de lâcher du lest et le mouvement associatif culturel amazigh connaîtra alors un essor considérable. Un développement fulgurant couronné en 1991 par la charte d’Agadir. Six associations de la mouvance rendront public ce texte qui réclame la reconnaissance des langue et culture amazighes. Le train est lancé et le cahier revendicatif ira crescendo. Deux ans plus tard, en 1993, des associations amazighes rendent public un mémorandum à travers lequel elles soulignent « la politique d’assimilation forcée pratiquée à l’égard des Imazighen ainsi que leurs identité, culture et langue ». C’était à l’occasion de la Conférence Internationale sur les Droits de l’Homme tenue à Genève. Mais le point d’inclinaison dans la radicalité aura sans conteste pour cadre la ville de Goulmima en 1994. Sept militants de l’association Tilelli (Liberté) sont arrêtés. Ils défilaient le 1er mai avec des banderoles écrites en tifinagh (écriture berbère) et demandaient l’enseignement de tamazight (langue berbère). Cet acte va être considéré par les autorités comme une atteinte aux valeurs de l’Etat ainsi qu’à l’ordre public. Ils devaient en effet répondre des chefs d’inculpation suivants : « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », « incitation au dépassement des institutions » et « atteinte à la Constitution ». Le 9 mai 1994, ils sont présentés devant la Cour d’Errachida. Le collectif de 74 avocats qui s’est spontanément formé demande leur libération sous caution. La demande est refusée, le procès reporté au 17 mai 1994. Les sept détenus entament avec succès une grève de la faim afin que leur soit accordé le statut de prisonniers politiques. Durant l’instance, les détenus refusent catégoriquement de s’exprimer en arabe. Le verdict, prononcé le 27 mai, est lourd. Il suscite une grande mobilisation à travers le Maroc, mais aussi en France et en Kabylie. Les associations rassemblées autour d’une structure de coordination appelée Conseil national de coordination (CNC) feront pression sur le régime qui les libérera le 3 juillet (amnistiés par la grâce royale). Le journal "Al ittihad al Ichtiraki", hostile à la berbérité se fendra alors, d’un éditorial accusateur assimilant ces événements à la manifestation de Tan-Tan en 1971 qui accouchera du Polisario.
Premières concessions de Hassan II
Le Roi se veut plus conciliant et, lors du discours du 20 aôut de la même année ( commémorant la révolution du Roi et du peuple), il annoncera que la berbérité fait partie intégrante de notre culture, mais ajoutera que ce qui rassemble les Marocains, c’est « loughatou dad » ( l’arabe). Il confirmait de manière formelle le rapport hiérarchique entre les deux langues. L’année suivante, la TVM diffusera les premiers journaux télévisés en amazigh, mais pour les militants, ces signes annonciateurs d’espoir ne seront que des effets de manche du Pouvoir. Il faut dire que le contexte algérien y était pour beaucoup. En France, le mouvement kabyle lobbyait ardemment pour obliger le pouvoir algérien à accéder à ses demandes et rencontrait beaucoup de sympathies dans les médias et groupes de pression. Hassan II, qui avait un œil rivé sur les Amazighs du Maroc, l’autre rivé sur les circonvolutions des Kabyles en Algérie cherchait comme à son habitude à gagner du temps. Et ce, d’autant plus que le mouvement devient structurellement transnational. Le Premier congrès mondial amazigh tenu en octobre 95 en France( dans la petite localité de Saint Rome de Dolan) connaîtra la représentation de délégués marocains, lybiens, algériens, nigériens). Un congrès dont la sémantique fait peur aux partis marocains pétris de panarabisme. L’utilisation des mots, « congrès », « diaspora » résonne négativement dans des imaginaires traumatisés par le congrès de Bâle (initié par Hertzl, fondateur du sionisme). Le journaliste Ahmed Bahi (d’origine mauritanienne, il choisira d’être marocain. Il fut même pressenti pour être président de la RASD) couvrira ce congrès de manière remarquable dans un numéro « d’al Ittihad al Ichtiraki ». L’article suivant sera censuré par les dirigeants du journal qui craignent de participer à la diffusion d’un mouvement aux velléités séparatistes.
ImageLe mouvement amazigh a-t-il été anesthésié par le régime ? La lune de miel engagée avec le Palais depuis l’avènement de Mohammed VI est-elle consommée ? Il semblerait bien que les relations ne soient plus au beau fixe entre un mouvement, laminé par l’Etat depuis 3 ans, et le Palais . Depuis quelques semaines, la diffusion d’un texte proposant une révision du texte constitutionnel et paraphé par plusieurs centaines d’associations nationales et celles de la diaspora sonne comme la consécration d’un divorce attendu. Le régime a toujours une attitude teintée de méfiance à l’égard d’un mouvement qui a su profiter du contexte international pour se renforcer. Depuis Hassan II, l’Etat a une attitude réactive liée essentiellement à l’attitude du pouvoir algérien avec « ses Berbères ». Les Amazighs du Maroc n’ont pu exprimer leurs revendications de manière formelle que depuis une dizaine d’années. A partir du début des années 90, le mouvement berbère gagnera en lisibilité de manière croissante jusqu’à ce texte de révision engageant la rupture. Auparavant, le Roi Hassan II, qui se méfiait des Berbères, ne faisait des concessions que contraint et forcé….
Le péche originel
« Derrière les coups d’Etat de 71 et 72, la présence des Berbères est indiscutable ». Cette phrase résume le sentiment régnant du Palais au début des années 70 vis-à-vis des Amazighs. Une appréhension reposant essentiellement sur la présence massive des Berbéres dans le corps de l’armée, sur l’origine ethnique des principaux mutins, et sur l’afflux massif de militants soussis au sein de l’UNFP. Cette lecture ethnocentriste, quelque peu simpliste, conduira au recentrage de la politique identitaire du Maroc qui optera pour une « vision » arabe plus prononcée entre 1972 et 1974. Ceci se traduira aussi par une « purge » dans les rangs de l’administration.
Concomitamment à cette option, le régime réagira de manière réactive aux circonvolutions berbères dans le Maghreb. Les événements de Tizi Ouzou en Algérie en 1980, qui constituent ce que les historiens qualifieront de « Printemps berbère », seront suivis d’un regain de tension entre le Maroc et l’Algérie. Le Roi Hassan II réagira immédiatement en organisant un colloque à Ifrane sur la berbérité au Maroc qui abordera pour la première fois la possibilité d’enseigner le tamazight au Maroc. Des effets d’annonce sans lendemain. L’année suivante, le poète Ali Azeykou, dit « Dda Ali », exigera dans un article « une approche démocratique de notre culture et une réécriture plus juste de l’histoire du Maroc ». Emprisonné pendant un an pour cette phrase jugée attentatoire à la sécurité de l’Etat, le premier prisonnier d’opinion berbère engagera le mouvement berbère (le Mouvement berbère doit être entendu comme l’ensemble des faits qui s’inscrivent dans une démarche tendant à la reconnaissance par les autorités marocaines de la chose berbère) auto-cantonné jusque-là dans une diffusion de la culture, vers un engagement politique plus clair. La berbérité entrera alors en dissidence et les partis du mouvement national profiteront de la situation pour régler de vieux conflits.
Le mouvement entre en hibernation
Au Palais, Abdelwahab Ben Mansour soutiendra cette croisade avec la complicité sécuritaire d’un Dlimi qui fera preuve d’un zèle soutenu. Les arrestations se succèdent. Jusqu’en 1988, le mouvement entrera dans une hibernation contrôlée et certaines de ses figures sont volontairement marginalisées. Le chercheur Mohamed Chafiq, l’une des figures de proue du mouvement sera limogé du Collège royal, où il prenait en charge l’éducation du futur Roi du Maroc et de ses principaux conseillers. Pendant cette période, même la production intellectuelle, base de repli du mouvement, sera extrêmement limitée si l’on excepte le dictionnaire arabe-berbère de Chafiq ou la pièce de théâtre « Oussen Samidden » ( les jours froids) de Safi Moumen. L’Etat marocain est alors au faîte de sa puissance. Le panarabisme baathien, qui trouve une écoute confortable au sein de l’USFP et l’Istiqlal, place au firmament « l’arabité unificatrice des Marocains ». Les mouvances populaires ( voir encadré) continuent d’être des conglomérats de notables qui n’assument pas la revendication amazighe. Ces corporations chargées de fabriquer des élites politiques ne seront d’aucun soutien pour le mouvement.
L’influence du contexte international
Il faudra encore une fois attendre des événements internationaux pour que le mouvement amazigh retrouve un second souffle. Plus précisément la troisième vague de démocratisation en Europe de l’Est. Les revendications, les reconnaissances des diversités, culturelles en Hongrie, Tchéquoslovaquie et bientôt en URSS trouveront un écho considérable dans le Maghreb. Le régime est obligé de lâcher du lest et le mouvement associatif culturel amazigh connaîtra alors un essor considérable. Un développement fulgurant couronné en 1991 par la charte d’Agadir. Six associations de la mouvance rendront public ce texte qui réclame la reconnaissance des langue et culture amazighes. Le train est lancé et le cahier revendicatif ira crescendo. Deux ans plus tard, en 1993, des associations amazighes rendent public un mémorandum à travers lequel elles soulignent « la politique d’assimilation forcée pratiquée à l’égard des Imazighen ainsi que leurs identité, culture et langue ». C’était à l’occasion de la Conférence Internationale sur les Droits de l’Homme tenue à Genève. Mais le point d’inclinaison dans la radicalité aura sans conteste pour cadre la ville de Goulmima en 1994. Sept militants de l’association Tilelli (Liberté) sont arrêtés. Ils défilaient le 1er mai avec des banderoles écrites en tifinagh (écriture berbère) et demandaient l’enseignement de tamazight (langue berbère). Cet acte va être considéré par les autorités comme une atteinte aux valeurs de l’Etat ainsi qu’à l’ordre public. Ils devaient en effet répondre des chefs d’inculpation suivants : « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », « incitation au dépassement des institutions » et « atteinte à la Constitution ». Le 9 mai 1994, ils sont présentés devant la Cour d’Errachida. Le collectif de 74 avocats qui s’est spontanément formé demande leur libération sous caution. La demande est refusée, le procès reporté au 17 mai 1994. Les sept détenus entament avec succès une grève de la faim afin que leur soit accordé le statut de prisonniers politiques. Durant l’instance, les détenus refusent catégoriquement de s’exprimer en arabe. Le verdict, prononcé le 27 mai, est lourd. Il suscite une grande mobilisation à travers le Maroc, mais aussi en France et en Kabylie. Les associations rassemblées autour d’une structure de coordination appelée Conseil national de coordination (CNC) feront pression sur le régime qui les libérera le 3 juillet (amnistiés par la grâce royale). Le journal "Al ittihad al Ichtiraki", hostile à la berbérité se fendra alors, d’un éditorial accusateur assimilant ces événements à la manifestation de Tan-Tan en 1971 qui accouchera du Polisario.
Premières concessions de Hassan II
Le Roi se veut plus conciliant et, lors du discours du 20 aôut de la même année ( commémorant la révolution du Roi et du peuple), il annoncera que la berbérité fait partie intégrante de notre culture, mais ajoutera que ce qui rassemble les Marocains, c’est « loughatou dad » ( l’arabe). Il confirmait de manière formelle le rapport hiérarchique entre les deux langues. L’année suivante, la TVM diffusera les premiers journaux télévisés en amazigh, mais pour les militants, ces signes annonciateurs d’espoir ne seront que des effets de manche du Pouvoir. Il faut dire que le contexte algérien y était pour beaucoup. En France, le mouvement kabyle lobbyait ardemment pour obliger le pouvoir algérien à accéder à ses demandes et rencontrait beaucoup de sympathies dans les médias et groupes de pression. Hassan II, qui avait un œil rivé sur les Amazighs du Maroc, l’autre rivé sur les circonvolutions des Kabyles en Algérie cherchait comme à son habitude à gagner du temps. Et ce, d’autant plus que le mouvement devient structurellement transnational. Le Premier congrès mondial amazigh tenu en octobre 95 en France( dans la petite localité de Saint Rome de Dolan) connaîtra la représentation de délégués marocains, lybiens, algériens, nigériens). Un congrès dont la sémantique fait peur aux partis marocains pétris de panarabisme. L’utilisation des mots, « congrès », « diaspora » résonne négativement dans des imaginaires traumatisés par le congrès de Bâle (initié par Hertzl, fondateur du sionisme). Le journaliste Ahmed Bahi (d’origine mauritanienne, il choisira d’être marocain. Il fut même pressenti pour être président de la RASD) couvrira ce congrès de manière remarquable dans un numéro « d’al Ittihad al Ichtiraki ». L’article suivant sera censuré par les dirigeants du journal qui craignent de participer à la diffusion d’un mouvement aux velléités séparatistes.
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