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Ahmed Bensaada à ****************** : «Kamel Daoud est un écrivain néocolonisé qui s’évertue à diaboliser sa communauté»
L’écrivain Ahmed Bensaada voit dans l’attitude du chroniqueur controversé Kamel Daoud un «amour du colonisateur» et une «haine de soi», ce dernier épousant «automatiquement les idées les plus réactionnaires de l’ex-colonisateur» et «se métamorphosant à l’image du colonisateur dans le but ultime d’être finalement accepté par son modèle». Interview.
****************** : Votre livre Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête, paru cette semaine aux éditions Frantz-Fanon est une analyse exhaustive des écrits de Daoud. Qu’est-ce qui vous a décidé à l’écrire ?
Ahmed Bensaada : Cela fait plusieurs années que je lis les chroniques de Kamel Daoud, d’autant plus que j’ai longtemps écrit dans le même journal que lui, c’est-à-dire le Quotidien d’Oran. J’ai remarqué qu’avec le temps, ses propos ont inexorablement glissé de la critique à l’injure de sa communauté et son impertinence intellectuelle s’est métamorphosée en un chapelet d’offenses aussi dégradantes les unes que les autres. Tout cela s’est accompagné d’un processus de «mimétisation» de l’ancien colonisateur que j’ai amplement expliqué dans mon essai, processus qui l’a mené tout droit au statut d’écrivain «néocolonisé». Le paroxysme de ce processus de «mimétisation» a été atteint par le chroniqueur oranais dans son analyse simpliste et erronée de l’affaire des viols de Cologne qui s’est déroulée dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2015. En usant de stéréotypes éculés et abusant de clichés offensants sans attendre la fin de l’enquête, il a démontré qu’il utilisait le même vocabulaire que les commentateurs les plus réactionnaires et les plus xénophobes de l’Hexagone. Outré par cette attitude méprisante, j’ai décidé d’analyser avec soin les prises de position de Kamel Daoud depuis un certain nombre d’années pour montrer la constance de son attitude envers sa communauté.
Vous qualifiez les intellectuels maghrébins «qui jouent un rôle de supplétifs» d’écrivains «néocolonisés ». Vous citez Kamel Daoud, Boualem Sansal et Djemila Benhabib. Qu’est-ce qu’un écrivain «néocolonisé», au juste ?
Ce concept d’écrivain «néocolonisé» est amplement discuté dans mon essai. Pour cela, j’ai utilisé une grille d’analyse empruntée à Albert Memmi et tirée de son livre «Portrait du colonisé» (Payot – Paris, 1973). En résumé, un écrivain «néocolonisé» est celui qui se fond dans la littérature de l’ex-colonisateur, en épouse automatiquement les idées les plus réactionnaires, use et abuse des stéréotypes et s’évertue à diaboliser sa communauté d’origine. Intronisé dans le temple de la science infuse, complètement phagocyté par la bien-pensance occidentale, il s’extirpe du terroir qui l’a enfanté et tend un énorme doigt accusateur par-delà la Méditerranée en toisant ses compatriotes d’antan. C’est ce que Memmi a appelé «l’amour du colonisateur et la haine de soi».
Kamel Daoud a consacré deux articles dans Le Monde et The New York Times sur l’affaire de Cologne, où il est tombé dans l’invective et l’insulte contre les réfugiés maghrébins, sans attendre les résultats de l’enquête. Sont-ce des articles commandés, selon vous ?
Je ne sais pas s’il s’agit d’articles commandés. Il faudrait pour cela s’enquérir auprès de l’auteur. Cependant, commandés ou non, ces articles sont dans le prolongement de ce qu’il écrit depuis quelques années. Sa cible préférée est une espèce humaine ( ?) qu’il a baptisée «Arabo-musulman» et à qui il fait porter tous les maux et toutes les tares de la Terre. Dans sa pseudo-analyse de l’affaire de Cologne, il porte son dénigrement de cette «espèce» à des niveaux jamais atteints.
Quel sens donnez-vous à sa manière de décrire toujours l’Arabe, le musulman ou le réfugié par «l’autre» et leur stigmatisation par la «marque du pluriel». Est-ce une forme de négation de soi ?
Memmi nous explique que le colonisé (et par extension, le «néocolonisé») est toujours tenté de «changer de peau» par mimétisme. Il se métamorphose à l’image du colonisateur dans le but ultime d’être finalement accepté par son modèle. Ce colonisateur vénéré qui «ne souffre d’aucune carence» et qui «bénéficie de tous les prestiges». Cet «amour du colonisateur est sous-tendu d’un complexe de sentiments qui vont de la honte à la haine de soi». D’autre part, contrairement à l’Occidental qui a le droit à un traitement différencié, l’«Arabo-musulman» ne peut prétendre «qu’à la noyade dans le collectif anonyme». Cette «marque du pluriel», signe explicite de dépersonnalisation, a pour conséquence d’attribuer les crimes d’une personne ou d’un groupe de personnes à toute une communauté, voire une nation, une religion. Ce traitement collectif n’est évidemment pas utilisé lorsqu’il s’agit d’agissements répréhensibles perpétrés par des Occidentaux. Les actes d’un Occidental n’engagent que sa seule personne.
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Ahmed Bensaada à ****************** : «Kamel Daoud est un écrivain néocolonisé qui s’évertue à diaboliser sa communauté»
L’écrivain Ahmed Bensaada voit dans l’attitude du chroniqueur controversé Kamel Daoud un «amour du colonisateur» et une «haine de soi», ce dernier épousant «automatiquement les idées les plus réactionnaires de l’ex-colonisateur» et «se métamorphosant à l’image du colonisateur dans le but ultime d’être finalement accepté par son modèle». Interview.
****************** : Votre livre Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête, paru cette semaine aux éditions Frantz-Fanon est une analyse exhaustive des écrits de Daoud. Qu’est-ce qui vous a décidé à l’écrire ?
Ahmed Bensaada : Cela fait plusieurs années que je lis les chroniques de Kamel Daoud, d’autant plus que j’ai longtemps écrit dans le même journal que lui, c’est-à-dire le Quotidien d’Oran. J’ai remarqué qu’avec le temps, ses propos ont inexorablement glissé de la critique à l’injure de sa communauté et son impertinence intellectuelle s’est métamorphosée en un chapelet d’offenses aussi dégradantes les unes que les autres. Tout cela s’est accompagné d’un processus de «mimétisation» de l’ancien colonisateur que j’ai amplement expliqué dans mon essai, processus qui l’a mené tout droit au statut d’écrivain «néocolonisé». Le paroxysme de ce processus de «mimétisation» a été atteint par le chroniqueur oranais dans son analyse simpliste et erronée de l’affaire des viols de Cologne qui s’est déroulée dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2015. En usant de stéréotypes éculés et abusant de clichés offensants sans attendre la fin de l’enquête, il a démontré qu’il utilisait le même vocabulaire que les commentateurs les plus réactionnaires et les plus xénophobes de l’Hexagone. Outré par cette attitude méprisante, j’ai décidé d’analyser avec soin les prises de position de Kamel Daoud depuis un certain nombre d’années pour montrer la constance de son attitude envers sa communauté.
Vous qualifiez les intellectuels maghrébins «qui jouent un rôle de supplétifs» d’écrivains «néocolonisés ». Vous citez Kamel Daoud, Boualem Sansal et Djemila Benhabib. Qu’est-ce qu’un écrivain «néocolonisé», au juste ?
Ce concept d’écrivain «néocolonisé» est amplement discuté dans mon essai. Pour cela, j’ai utilisé une grille d’analyse empruntée à Albert Memmi et tirée de son livre «Portrait du colonisé» (Payot – Paris, 1973). En résumé, un écrivain «néocolonisé» est celui qui se fond dans la littérature de l’ex-colonisateur, en épouse automatiquement les idées les plus réactionnaires, use et abuse des stéréotypes et s’évertue à diaboliser sa communauté d’origine. Intronisé dans le temple de la science infuse, complètement phagocyté par la bien-pensance occidentale, il s’extirpe du terroir qui l’a enfanté et tend un énorme doigt accusateur par-delà la Méditerranée en toisant ses compatriotes d’antan. C’est ce que Memmi a appelé «l’amour du colonisateur et la haine de soi».
Kamel Daoud a consacré deux articles dans Le Monde et The New York Times sur l’affaire de Cologne, où il est tombé dans l’invective et l’insulte contre les réfugiés maghrébins, sans attendre les résultats de l’enquête. Sont-ce des articles commandés, selon vous ?
Je ne sais pas s’il s’agit d’articles commandés. Il faudrait pour cela s’enquérir auprès de l’auteur. Cependant, commandés ou non, ces articles sont dans le prolongement de ce qu’il écrit depuis quelques années. Sa cible préférée est une espèce humaine ( ?) qu’il a baptisée «Arabo-musulman» et à qui il fait porter tous les maux et toutes les tares de la Terre. Dans sa pseudo-analyse de l’affaire de Cologne, il porte son dénigrement de cette «espèce» à des niveaux jamais atteints.
Quel sens donnez-vous à sa manière de décrire toujours l’Arabe, le musulman ou le réfugié par «l’autre» et leur stigmatisation par la «marque du pluriel». Est-ce une forme de négation de soi ?
Memmi nous explique que le colonisé (et par extension, le «néocolonisé») est toujours tenté de «changer de peau» par mimétisme. Il se métamorphose à l’image du colonisateur dans le but ultime d’être finalement accepté par son modèle. Ce colonisateur vénéré qui «ne souffre d’aucune carence» et qui «bénéficie de tous les prestiges». Cet «amour du colonisateur est sous-tendu d’un complexe de sentiments qui vont de la honte à la haine de soi». D’autre part, contrairement à l’Occidental qui a le droit à un traitement différencié, l’«Arabo-musulman» ne peut prétendre «qu’à la noyade dans le collectif anonyme». Cette «marque du pluriel», signe explicite de dépersonnalisation, a pour conséquence d’attribuer les crimes d’une personne ou d’un groupe de personnes à toute une communauté, voire une nation, une religion. Ce traitement collectif n’est évidemment pas utilisé lorsqu’il s’agit d’agissements répréhensibles perpétrés par des Occidentaux. Les actes d’un Occidental n’engagent que sa seule personne.
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