Initialement outil des dirigeants pour contrôler le comportement des mouvements sociaux, Psychologie des foules, est aujourd’hui devenu un ouvrage de référence en sociologie de l’action collective.
Gustave Le Bon rédige cet ouvrage (1895) alors que la population française, comprenant qu’elle s’impose comme une force politique non négligeable, fait naître des craintes parmi les gouvernants. Souhaitant fournir les clefs d’interprétation des pensées qui meuvent une foule, Gustave le Bon a ainsi ouvert le champ de la sociologie à l’étude du mouvement social.
Ce qu’il faut retenir :
Une foule psychologique se crée lorsqu’il y a convergence d’activités, de perspectives d’action, de mentalités ou d’idées. La foule permet alors aux individus d’acquérir une âme collective. Par ce mécanisme, les individus s’oublient au profit du groupe, et perdent leur personnalité consciente pour emprunter momentanément celle de la foule.
Ce faisant, les individus se placent dans un état psychique de semi-inconscience, et deviennent incapables de réfléchir de manière raisonnable. Ils sont seulement en mesure de répondre par réflexe à des stimulants ou suggestions émotionnelles. Les individus ne réagissent qu’à la charge émotionnelle des mots et formules utilisés : les images évoquées.
Par instinct, les foules recherchent un meneur qui va les séduire par la force de ses convictions. Le meneur le plus brillant n’est pas forcément le plus raisonnable, mais celui sachant manier les ruses de l’art oratoire, amadouer ses auditeurs et réorienter leur pensée. Il est capable de détourner la foule de ses revendications ou de ses perspectives d’action.
Un peuple est uni par des croyances fondamentales (par exemple : la démocratie, la liberté, l’égalité…) qui sont la matrice de ses institutions politiques et sociales et de ses traditions. Elles sont très stables dans le temps, car elles naissent et s’érodent difficilement. Au-dessus de cette fondation affleurent les innombrables opinions éphémères et conjoncturelles (des courants d’idées politiques, artistiques, musicales, vestimentaires, etc.).
Les revendications d’une foule, si elles portent sur des questions de l’ordre de l’opinion, ne sont pas durables. À l’inverse, il est inutile de s’opposer aux principes appartenant aux croyances fondamentales de la foule ; la politique n’a pas de prise sur elles, seul le temps peut éventuellement les affaiblir.
Biographie de l’auteur
Gustave Le Bon (1841-1931) est un intellectuel et un écrivain français prolifique. Il écrit, au cours de sa vie, 43 ouvrages sur des thématiques diverses – anthropologie, psychologie, sociologie ou médecine. Ayant suivi des études de médecine, sans toutefois obtenir de diplôme, il publie plusieurs travaux d’ordre scientifique (sur le choléra, l’asphyxie, l’hygiène du soldat, etc.), découlant d’observations faites lors de ses voyages en Afrique et aux Indes.
À partir des années 1880, Gustave Le Bon s’intéresse davantage aux questions sociales. Parce qu’il n’était pas spécialiste, un manque de rigueur académique lui a été reproché. Pourtant, ses œuvres maintes et maintes fois rééditées, aussi bien de son vivant qu’après sa mort, sont aujourd’hui considérées comme témoignant d’une réflexion intuitive exceptionnelle.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Synthèse de l’ouvrage
Livre I. L’âme des foules
Chapitre 1. Caractéristiques générales des foules
Il faut distinguer les foules ordinaires, rassemblées au même endroit, par hasard, et les foules psychologiques. Ces dernières sont unies par la convergence des mentalités vers un même horizon (une idée, une perspective d’action, etc.). Ce type configuration est typique des associations caritatives, des manifestations populaires, des assemblées parlementaires ou de la « sphère dirigeante » qui, contre toute attente, forme un groupe régi par les mêmes règles que celles qui régissent une foule psychologique.
La proximité en un même lieu n’est pas nécessaire pour qu’il existe une foule psychologique, cependant, si tel est le cas, les caractéristiques de cette foule sont décuplées.
La foule psychologique (que l’on surnommera « foule » pour la suite) présente des caractéristiques propres, différentes de celles des individus qui la composent. La communion d’esprit entraîne, de manière transitoire, l’émergence d’une âme collective. En effet, dans une foule, l’intérêt personnel est sacrifié au profit de l’intérêt collectif. Ce phénomène, renforcé par le processus d’anonymisation dans un groupe, fait diminuer le sentiment de responsabilité et la personnalité consciente de chacun.
Dans cet état de semi-inconscience, presque d’hypnose, les individus répondent aux « suggestions » qu’on leur présente. Les individus se retrouvent alors dans un état instinctif, caractérisé par l’inconscience et l’imitation. Impressionnable, car chaque individu voit sa raison bloquée (inconscience), la foule est capable d’accomplir des actes que chacun pris individuellement désapprouverait (par exemple : voter une loi inique dans une assemblée parlementaire), ou alors des actes héroïques (par exemple lors d’une campagne militaire). L’imitation étant également une réaction instinctive, la contagion mentale de toute pensée ou tout acte devient alors très forte au sein d’une foule.
Cependant, en raison de ce blocage des facultés de raisonner, le niveau intellectuel d’une foule est également toujours inférieur au niveau intellectuel des individus qui la composent. La foule psychologique est une réduction de toute chose au niveau commun à tous.
Chapitre 2. Sentiments et moralités des foules
Une foule est gouvernée par l’inconscient. Elle réagit par réflexe, ou impulsion, selon le stimulant qu’on lui présente. Elle est par conséquent très instable et peut passer de la joie à la fureur sitôt que la suggestion change. Ces réactions sont toujours peu durables, car la foule fonctionne selon l’hérédité servile qui l’engageait à toujours retourner sous le joug de son maître.
La foule ne raisonne pas ; elle pense par image évoquée. Selon ce qu’un terme évoque comme image pour une foule, on observe des réactions semblables chez tous les individus qui la composent, qu’ils soient ou non, réunis au même endroit. Par ailleurs, du fait de son état psychique favorable à la suggestion, la première image que l’individu dans la foule reçoit est considérée par lui comme « la bonne ». C’est pourquoi la crédulité est très développée dans une foule ; par contagion, elle peut même conduire à une hallucination collective.
Parce que la foule est incapable de raisonner, il n’y a pas de demi-mesure dans son action et ses réactions. Tout sentiment, réduit à sa forme la plus simple, est exagéré. Le caractère extrême des sentiments et leur simplification exacerbent l’intolérance de la foule vis-à-vis de tout avis contraire ou simple doute émis à l’encontre des idées portées par cette foule. Malgré cela, la foule était encore trop influencée par son hérédité servile pour que ses instincts révolutionnaires durent très longtemps. Par nature conservatrice, la foule préférait la tradition à la nouveauté et retournait toujours, à terme, au confort de la servitude…
La moralité de la foule devrait être faible, celle-ci étant incapable de contenir ses pulsions. Cependant, la foule libère également de grandes valeurs morales, parfois supérieures à celles dont seraient capables les individus en son sein, par exemple l’abnégation, le désintéressement, l’héroïsme, le dévouement, l’équité… Mais, à l’inverse, elle peut également manifester une cruauté sanguinaire. En somme, la nature des valeurs morales exprimées par la foule dépend des stimulants qui lui sont suggérés.
Chapitre 3. Idées, raisonnements et imagination des foules
L’évolution d’un peuple ne dépend pas de choix politiques qui se succèdent, mais de l’évolution des idées fondamentales de ce peuple, de ses croyances. Ces idées fondamentales sont différentes des idées accidentelles ou éphémères (effet de mode, courant de pensée conjoncturel…) parce qu’elles procèdent d’un processus très lent d’assimilation de certaines grandes idées dans l’inconscient des individus. Ces grandes idées doivent être simplifiées à l’extrême avant de pouvoir être assimilées.
La foule est par conséquent toujours en retard par rapport à l’évolution des idées des intellectuels. « Tous les Hommes d’État savent aujourd’hui [en 1895] ce que contiennent d’erroné les idées fondamentales citées à l’instant [idées démocratiques et sociales], mais leur influence étant très puissante encore, ils sont obligés de gouverner suivant des principes à la vérité desquels ils ont cessé de croire. »
Les foules sont influençables. Ces dernières sont capables de suivre un raisonnement complexe, mais en usant d’arguments « inférieurs », erronés. D’ailleurs, ce ne sont pas les raisonnements qui les séduisent, mais les images évoquées. Elles n’ont pas d’esprit critique et tiennent pour certain tout jugement qu’elles reçoivent.
Ainsi, l’imaginaire est très actif au sein d’une foule. Il est conseillé aux gouvernants d’apprendre à agir selon cet imaginaire des foules (par exemple, une taxe de quelques centimes sur tous les produits rapporte plus et est plus facilement acceptée, qu’une seule importante taxe effrayante qui rapporterait en outre beaucoup moins à l’État).
Chapitre 4. Formes religieuses que revêtent toutes les convictions des foules
Le comportement d’une foule psychologique est similaire à celui de la dévotion religieuse. Les individus qui composent cette foule mobilisent toutes leurs ressources physiques et mentales au service d’une cause qu’ils soutiennent.
À cette fin, ils suivent un meneur, ou un guide spirituel (comme Robespierre ou Napoléon), et font preuve d’un certain fanatisme, rejetant ceux qui expriment des sentiments contraires. Au nom des idées que la foule défend, le meneur, par la suggestion, peut la conduire à toutes sortes d’action – des plus héroïques (campagnes militaires avec Napoléon) aux plus atroces (massacres avec Robespierre).
Livre II. Les opinions et les croyances des foules
Chapitre 1. Facteurs lointains des croyances et opinions des foules
Le comportement et les pensées d’une foule sont influencés par plusieurs facteurs. Le premier d’entre eux est la « race ». Cette dernière influence les caractéristiques propres d’une civilisation (ses institutions, croyances, arts…), c’est-à-dire ce qui constitue l’âme d’un peuple. Si certains facteurs (milieu, événements…) influencent de manière momentanée les idées d’une foule, ces facteurs ne peuvent influencer les caractères fondamentaux de ce peuple, lesquels in fine reprennent toujours le dessus.
La tradition, deuxième facteur, consiste dans l’ensemble des idées, besoins et sentiments du passé. Les traditions subissent une corrosion et un renouvellement lent à travers le temps. Elles ne disparaissent jamais. Sans tradition, il ne peut y avoir de société. Contrairement aux idées des Lumières, il est impossible de faire table rase du passé pour reconstruire une civilisation sans religion, fondée uniquement sur la raison.
Seul le temps permet l’évolution d’un peuple. Un temps long permettra l’émergence et le déclin de ses croyances. Les institutions politiques et sociales sont elles-mêmes issues de cette évolution des idées. Par conséquent, la modification d’un régime doit être nécessairement mise en œuvre progressivement.
Le dernier facteur sur lequel repose l’évolution des croyances des foules semble lié à l’instruction et l’éducation qui permettent l’égalité et l’amélioration de la valeur des Hommes. Cependant, l’influence de ce principe doit être largement diminuée. L’instruction, à l’époque, ne développait ni l’esprit critique ni la faculté de raisonner. Elle favorisait simplement la récitation.
Par ailleurs, l’éducation dans son principe nuisait grandement à la société. Chaque catégorie (paysan, ouvrier, bourgeois…) se prenait à rêver d’ascension sociale à l’issue de leur examen. De nombreux individus étaient alors déçus de ne pas pouvoir accéder aux emplois qualifiés, trop peu nombreux. Les nouvelles générations de lettrés nourrissaient les cercles socialistes et anarchistes, tandis que les jeunes ouvriers, encadrés jadis par le patronat, sombraient dans la criminalité.

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