Le " Joint Strike Fighter " américain : concurrent de l’Eurofighter.
LA STRATEGIE JSF : Motivations, logique de mise en œuvre et "failles" envisageables
Au terme de nombreux développements, le besoin se fait sentir d’analyser en détail le phénomène JSF. Le présent mémorandum, fruit du travail commun de la DGA/DRI et de la CEIS, a pour objet de présenter la "stratégie JSF", théorisée puis pratiquée par les Etats-Unis, avec un incontestable succès à ce jour. Après en avoir rappelé les motivations, domestiques et internationales, puis la logique de mise en œuvre, il en identifie les "failles" envisageables, à court et moyen termes.
Dès l'origine du programme "Joint Strike Fighter" (JSF), en 1994, les Américains ont tout fait pour convaincre un maximum de pays de participer d'abord au financement du développement du JSF, puis d'acquérir à terme cet avion pour satisfaire leurs propres besoins. Le JSF fut rebaptisé "F-35" le 26 octobre 2001, lorsque Lockheed Martin fut sélectionné comme maître d'oeuvre industriel du programme (avec Northrop Grumman et BAE Systems comme coopérants principaux), à l'issue d'une phase d'évaluation compétitive de deux démonstrateurs, le Lockheed Martin X-35 et le Boeing X-32.
Cette stratégie a donc rencontré, jusqu'à présent, un succès indiscutable, puisque huit pays sont désormais partenaires des Américains dans la phase de développement et de démonstration (System Development and Demonstration, SDD) du programme. Le Royaume-Uni s'est engagé dans cette phase dès janvier 2001 et, au premier semestre 2002, le Canada, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, l'Italie, la Turquie et enfin l'Australie, ont suivi.
Cependant, à l'exception de ce dernier pays, tous les autres n'ont fait, en somme, que prolonger leur engagement antérieur sur le JSF. A noter que la porte de ce que l'on pourrait appeler le "club SDD" (pays participant au développement du F-35/JSF et dont les industries de défense sont ainsi rendues éligibles à concourir dans l'espoir d'obtenir une part de travail sur le programme) s'est fermée en 2002 et les nouveaux pays, tels qu'Israël et Singapour, qui voudraient dorénavant entrer sur le programme ne seraient théoriquement considérés - en gros - que comme des clients "FMS" potentiels du JSF.
Forts de ce succès, les Américains pourraient maintenant essayer d'appliquer cette "stratégie JSF" à d'autres segments d'armement, avec des modalités sans doute différentes selon le cas mais poursuivant des objectifs probablement similaires. On en sent les prémices sur les futurs drones de combat, ou "UCAV" (Unmanned Combat Air Vehicle). Le Pentagone envisage, comme pour le JSF, la création d'un "Joint Program" associant l'US Air Force et l'US Navy.
Dans un premier temps, la "Jointness" ne devrait concerner que le niveau "briques technologiques", la possibilité ultérieure de développer une plate-forme commune, même si déclinée, à l'instar du JSF, en plusieurs versions pour satisfaire des besoins et répondre à des contraintes spécifiques à chaque utilisateur, n'étant pas acquise. En tant qu'échelon précurseur international, le Royaume-Uni, qui manifeste déjà son intérêt pour le démonstrateur UCAV X-45 de Boeing, pourrait un jour rejoindre le nouveau programme interarmes "UCAV" américain, imitant ainsi son engagement pionnier dans le JSF.
Par ailleurs, les Américains pourraient être tentés de faire du nouveau programme de frégates côtières de l'US Navy (le "Littoral Combat Ship" ou LCS), lancé en octobre 2002, le "JSF naval" des années futures. Enfin, le programme de Missile Defense pourrait reprendre la matrice du JSF : les industriels et les pays se recoupent en effet. Ces programmes reflètent la géopolitique profonde des Etats dans le domaine de la sécurité.
Le mot "clé" du programme F-35/JSF est "l'affordability"
Dès le lancement du JSF, en 1994, l'Administration Clinton (c'est-à-dire Clinton lui-même, son secrétaire à la défense, Bill Cohen, et son directeur national d'armement, Jacques Gansler) a décidé que le mot "clé" du programme serait "l'affordability" de l'avion, selon les postulats "COPT" (Cost Operational Performance Trade, c'est-à-dire "design to cost") et "CAIV" (Cost as An Independent Variable).
Cette exigence résultait d'une considération domestique d'une part et d'une considération export d'autre part.
Au plan domestique, l'aviation de combat tactique, vieillissante et disparate, existant dans les trois services (US Air Force, US Navy et US Marine Corps), devait être renouvelée, pour éviter un "creux capacitaire" à terme, par un avion capable d'être produit à un rythme élevé (à terme 170 avions par an) calquant celui adopté dans les années 1980 (années "Reagan") sur les programmes F-16 et F/A-18, mais cela dans un contexte budgétaire plus défavorable (en tout cas avant l'année fiscale 2003).
Il fallait donc un avion "bas coût" mais aussi unique, interarmes, pour disposer du volume critique de production nécessaire à la tenue du pari économique engagé. Les trois services furent donc sommés d'harmoniser leurs besoins afin de se satisfaire du même type d'avion, même si décliné en trois versions dont le taux de standardisation serait compris (selon les sources et...selon les jours) entre 70 et 90 %. On aura ainsi le F-35A/CTOL (décollage et atterrissage conventionnels) pour l'US Air Force, le F-35B/STOVL (décollage court et atterrissage vertical) pour l'US Marine Corps et le F-35C/CV (version "navalisée") pour l'US Navy.
Remarque : le concept "jointness", appliqué à un avion de combat tactique américain, avait déjà été promu, sans succès, dans les années 60, sur le programme General Dynamics F-111, alias "TFX" (Tactical Fighter-X). Son "chantre" de l'époque, Robert S. McNamara, secrétaire à la défense de l'Administration Kennedy puis de l'Administration Johnson (1961-1968), n'avait pas su ou pu faire passer l'idée auprès d'utilisateurs exprimant des besoins trop divergents mais aussi bataillant pour sauvegarder, voire accroître, leurs rôles et missions respectifs. Sur le JSF, le "consensus" Administration/services semble mieux établi et plus solide mais l'US Navy reste néanmoins très attaché à son F/A-18E/F "Super Hornet" et l'US Air Force tient absolument à sauvegarder son F/A-22A "Raptor"...
Au plan export, un avion à la fois "bas coût" et représentatif de la toute dernière génération technologique serait particulièrement attractif et permettrait de pérenniser (après le F-16) la domination américaine, voire d'atteindre l'hégémonie, sur le marché mondial des avions de combat au seuil d'une nouvelle phase d'expansion. Le F-35/JSF, qui pourrait arriver sur le marché international en 2012, devrait être proposé à un prix "fly away" (dollars 2002) compris entre 37 M US $ (version conventionnelle F-35A/CTOL) et 48 M US $ (version embarquée F-35C/CV).
Ces prix sont considérés par "Pete" Aldridge, l'actuel directeur national d'armement américain, comme des "affordability numbers" intangibles. Ils ont été établis sur la base d'une production initiale de 3002 avions, soit 2852 pour les Etats-Unis et 150 pour le Royaume-Uni.
Cependant, avant même d'attendre que l'avion soit développé, le gouvernement américain a entrepris de capturer un maximum de "prospects" futurs au profit du JSF, en mettant en oeuvre une habile stratégie d'association/participation de partenaires internationaux au programme, la "stratégie JSF", donc.
La stratégie JSF
Remarque liminaire : cette stratégie est, au départ, l'œuvre de l'Administration Clinton (poursuivie ensuite, avec une nouvelle "vigueur", par l'Administration Bush) ; elle a été imposée aux services (US Air Force, US Navy et US Marine Corps) par le Pentagone et est accompagnée, en arrière plan, par l'industrie de défense américaine. Sur ce programme, en effet, le gouvernement américain ne vient plus en soutien de son industrie mais se positionne en première ligne.
C'est lui qui décide (seul et souverainement) du choix des pays partenaires ; c'est lui qui signe avec chacun d'eux un accord bilatéral de coopération sur le programme ; c'est lui enfin qui impose à ces pays une nouvelle règle du jeu, diamétralement opposée aux usages actuels accompagnant l'exportation d'armements et, en l'occurrence, d'avions de combat. Le langage tenu pourrait être, en substance, le suivant : "Puisque vous êtes partenaire du club, et non pas un simple client, vous ne pouvez prétendre (en cas d'acquisition du JSF) à des compensations ("offsets") et nous ne garantissons, dans le MoU, aucun retour de charge de travail à votre industrie.
Celle-ci pourra simplement concourir sur des appels d'offres lancés par la maîtrise d'oeuvre et ne sera retenue que si elle est capable, face à la concurrence exercée par les autres pays du club, de présenter le meilleur produit au meilleur prix ; l'affordability impose en effet la mise en concurrence systématique à tous les étages."
La suite...
LA STRATEGIE JSF : Motivations, logique de mise en œuvre et "failles" envisageables
Au terme de nombreux développements, le besoin se fait sentir d’analyser en détail le phénomène JSF. Le présent mémorandum, fruit du travail commun de la DGA/DRI et de la CEIS, a pour objet de présenter la "stratégie JSF", théorisée puis pratiquée par les Etats-Unis, avec un incontestable succès à ce jour. Après en avoir rappelé les motivations, domestiques et internationales, puis la logique de mise en œuvre, il en identifie les "failles" envisageables, à court et moyen termes.
Dès l'origine du programme "Joint Strike Fighter" (JSF), en 1994, les Américains ont tout fait pour convaincre un maximum de pays de participer d'abord au financement du développement du JSF, puis d'acquérir à terme cet avion pour satisfaire leurs propres besoins. Le JSF fut rebaptisé "F-35" le 26 octobre 2001, lorsque Lockheed Martin fut sélectionné comme maître d'oeuvre industriel du programme (avec Northrop Grumman et BAE Systems comme coopérants principaux), à l'issue d'une phase d'évaluation compétitive de deux démonstrateurs, le Lockheed Martin X-35 et le Boeing X-32.
Cette stratégie a donc rencontré, jusqu'à présent, un succès indiscutable, puisque huit pays sont désormais partenaires des Américains dans la phase de développement et de démonstration (System Development and Demonstration, SDD) du programme. Le Royaume-Uni s'est engagé dans cette phase dès janvier 2001 et, au premier semestre 2002, le Canada, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, l'Italie, la Turquie et enfin l'Australie, ont suivi.
Cependant, à l'exception de ce dernier pays, tous les autres n'ont fait, en somme, que prolonger leur engagement antérieur sur le JSF. A noter que la porte de ce que l'on pourrait appeler le "club SDD" (pays participant au développement du F-35/JSF et dont les industries de défense sont ainsi rendues éligibles à concourir dans l'espoir d'obtenir une part de travail sur le programme) s'est fermée en 2002 et les nouveaux pays, tels qu'Israël et Singapour, qui voudraient dorénavant entrer sur le programme ne seraient théoriquement considérés - en gros - que comme des clients "FMS" potentiels du JSF.
Forts de ce succès, les Américains pourraient maintenant essayer d'appliquer cette "stratégie JSF" à d'autres segments d'armement, avec des modalités sans doute différentes selon le cas mais poursuivant des objectifs probablement similaires. On en sent les prémices sur les futurs drones de combat, ou "UCAV" (Unmanned Combat Air Vehicle). Le Pentagone envisage, comme pour le JSF, la création d'un "Joint Program" associant l'US Air Force et l'US Navy.
Dans un premier temps, la "Jointness" ne devrait concerner que le niveau "briques technologiques", la possibilité ultérieure de développer une plate-forme commune, même si déclinée, à l'instar du JSF, en plusieurs versions pour satisfaire des besoins et répondre à des contraintes spécifiques à chaque utilisateur, n'étant pas acquise. En tant qu'échelon précurseur international, le Royaume-Uni, qui manifeste déjà son intérêt pour le démonstrateur UCAV X-45 de Boeing, pourrait un jour rejoindre le nouveau programme interarmes "UCAV" américain, imitant ainsi son engagement pionnier dans le JSF.
Par ailleurs, les Américains pourraient être tentés de faire du nouveau programme de frégates côtières de l'US Navy (le "Littoral Combat Ship" ou LCS), lancé en octobre 2002, le "JSF naval" des années futures. Enfin, le programme de Missile Defense pourrait reprendre la matrice du JSF : les industriels et les pays se recoupent en effet. Ces programmes reflètent la géopolitique profonde des Etats dans le domaine de la sécurité.
Le mot "clé" du programme F-35/JSF est "l'affordability"
Dès le lancement du JSF, en 1994, l'Administration Clinton (c'est-à-dire Clinton lui-même, son secrétaire à la défense, Bill Cohen, et son directeur national d'armement, Jacques Gansler) a décidé que le mot "clé" du programme serait "l'affordability" de l'avion, selon les postulats "COPT" (Cost Operational Performance Trade, c'est-à-dire "design to cost") et "CAIV" (Cost as An Independent Variable).
Cette exigence résultait d'une considération domestique d'une part et d'une considération export d'autre part.
Au plan domestique, l'aviation de combat tactique, vieillissante et disparate, existant dans les trois services (US Air Force, US Navy et US Marine Corps), devait être renouvelée, pour éviter un "creux capacitaire" à terme, par un avion capable d'être produit à un rythme élevé (à terme 170 avions par an) calquant celui adopté dans les années 1980 (années "Reagan") sur les programmes F-16 et F/A-18, mais cela dans un contexte budgétaire plus défavorable (en tout cas avant l'année fiscale 2003).
Il fallait donc un avion "bas coût" mais aussi unique, interarmes, pour disposer du volume critique de production nécessaire à la tenue du pari économique engagé. Les trois services furent donc sommés d'harmoniser leurs besoins afin de se satisfaire du même type d'avion, même si décliné en trois versions dont le taux de standardisation serait compris (selon les sources et...selon les jours) entre 70 et 90 %. On aura ainsi le F-35A/CTOL (décollage et atterrissage conventionnels) pour l'US Air Force, le F-35B/STOVL (décollage court et atterrissage vertical) pour l'US Marine Corps et le F-35C/CV (version "navalisée") pour l'US Navy.
Remarque : le concept "jointness", appliqué à un avion de combat tactique américain, avait déjà été promu, sans succès, dans les années 60, sur le programme General Dynamics F-111, alias "TFX" (Tactical Fighter-X). Son "chantre" de l'époque, Robert S. McNamara, secrétaire à la défense de l'Administration Kennedy puis de l'Administration Johnson (1961-1968), n'avait pas su ou pu faire passer l'idée auprès d'utilisateurs exprimant des besoins trop divergents mais aussi bataillant pour sauvegarder, voire accroître, leurs rôles et missions respectifs. Sur le JSF, le "consensus" Administration/services semble mieux établi et plus solide mais l'US Navy reste néanmoins très attaché à son F/A-18E/F "Super Hornet" et l'US Air Force tient absolument à sauvegarder son F/A-22A "Raptor"...
Au plan export, un avion à la fois "bas coût" et représentatif de la toute dernière génération technologique serait particulièrement attractif et permettrait de pérenniser (après le F-16) la domination américaine, voire d'atteindre l'hégémonie, sur le marché mondial des avions de combat au seuil d'une nouvelle phase d'expansion. Le F-35/JSF, qui pourrait arriver sur le marché international en 2012, devrait être proposé à un prix "fly away" (dollars 2002) compris entre 37 M US $ (version conventionnelle F-35A/CTOL) et 48 M US $ (version embarquée F-35C/CV).
Ces prix sont considérés par "Pete" Aldridge, l'actuel directeur national d'armement américain, comme des "affordability numbers" intangibles. Ils ont été établis sur la base d'une production initiale de 3002 avions, soit 2852 pour les Etats-Unis et 150 pour le Royaume-Uni.
Cependant, avant même d'attendre que l'avion soit développé, le gouvernement américain a entrepris de capturer un maximum de "prospects" futurs au profit du JSF, en mettant en oeuvre une habile stratégie d'association/participation de partenaires internationaux au programme, la "stratégie JSF", donc.
La stratégie JSF
Remarque liminaire : cette stratégie est, au départ, l'œuvre de l'Administration Clinton (poursuivie ensuite, avec une nouvelle "vigueur", par l'Administration Bush) ; elle a été imposée aux services (US Air Force, US Navy et US Marine Corps) par le Pentagone et est accompagnée, en arrière plan, par l'industrie de défense américaine. Sur ce programme, en effet, le gouvernement américain ne vient plus en soutien de son industrie mais se positionne en première ligne.
C'est lui qui décide (seul et souverainement) du choix des pays partenaires ; c'est lui qui signe avec chacun d'eux un accord bilatéral de coopération sur le programme ; c'est lui enfin qui impose à ces pays une nouvelle règle du jeu, diamétralement opposée aux usages actuels accompagnant l'exportation d'armements et, en l'occurrence, d'avions de combat. Le langage tenu pourrait être, en substance, le suivant : "Puisque vous êtes partenaire du club, et non pas un simple client, vous ne pouvez prétendre (en cas d'acquisition du JSF) à des compensations ("offsets") et nous ne garantissons, dans le MoU, aucun retour de charge de travail à votre industrie.
Celle-ci pourra simplement concourir sur des appels d'offres lancés par la maîtrise d'oeuvre et ne sera retenue que si elle est capable, face à la concurrence exercée par les autres pays du club, de présenter le meilleur produit au meilleur prix ; l'affordability impose en effet la mise en concurrence systématique à tous les étages."
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