Coulisses d’une crise diplomatique qui a failli tourner à la guerre avec l'Espagne
Que savons-nous vraiment 4 ans après, de l'aventure de l'îlot Leila ? Pas grand-chose, si ce n'est que nous avons subi une sévère déculottée, que le gouvernement Aznar a agi avec mépris et brutalité, et… que c'était nous qui avions “commencé” en envoyant des soldats planter, sans crier gare, un drapeau marocain sur un rocher démilitarisé et plus ou moins apatride.
Que cet îlot nous appartienne ou pas, là n'est pas la question. La vraie, la bonne question est : pourquoi autant de fureur et une crise diplomatique majeure, à cause d'un “petit rocher stupide”, selon l'expression de l'ancien secrétaire d'Etat américain Colin Powell ? À cette question, le livre d'Ignacio Cembrero apporte une foule de réponses - et pour tout dire, une foule de révélations. Son enquête fouillée nous permet de mieux comprendre l'arrogance (frisant parfois la bouffonnerie) des Espagnols, mais aussi l'incroyable amateurisme et l'atterrante mauvaise foi des Marocains.
En plus des dessous d'une crise politique qui a été à deux doigts de tourner à l'affrontement militaire, l'enquête de Cembrero, dont TelQuel présente les bonnes feuilles, lève le voile sur le fonctionnement réel de notre diplomatie, à son plus haut niveau. Au début, on est partagé entre le fou rire et la consternation. Mais assez vite, c'est l'inquiétude qui prend le dessus. C'est donc ainsi, que nous gérons nos relations internationales ? Alors n'importe quoi peut nous arriver n'importe quand… Que Dieu - à défaut de nos dirigeants - nous protège.
“Là-bas, les gens n'ont pas à savoir que vous êtes de la Guardia Civil. Si vous approchez, ils tireront”. L'homme, un officier de la Marine Royale du Maroc habillé en civil, lance cet avertissement, dans un mauvais espagnol, à l'équipage d'un patrouilleur espagnol. Il imite le geste de tirer, comme s'il avait une arme à la main. Nous sommes le jeudi 11 juillet 2002, à midi, et la crise de Perejil vient de se déclencher. La nouvelle selon laquelle une poignée de Marocains (mokhaznis ou agents des Forces Auxiliaires) ont dressé une tente de campagne et hissé le drapeau de leur pays sur l'îlot se répand comme une traînée de poudre à travers les bureaux du gouvernement espagnol. Même si personne ne sait où se trouve exactement cet îlot,
et que beaucoup n'en ont même jamais entendu parler. Perejil, que les villageois marocains appellent Leila ou Tourah*, a une superficie de 13 hectares, et il est situé à 147 mètres de la côte marocaine et à 11 kilomètres à l'ouest de Sebta.
Tandis que leurs soldats occupent l'îlot, les responsables marocains se défilent
(…) Informé de l'incident quelques minutes après quinze heures, José María Aznar ne perd pas de temps. A dix huit heures, il convoque à la salle à manger de La Moncloa (NDLR : siège du gouvernement espagnol), une réunion d'urgence en présence de presque la moitié du gouvernement - qu'il vient juste de remanier - et d'une pléthore de conseillers. Ana Palacio, la nouvelle ministre des Affaires étrangères qui fait ses adieux à Bruxelles (son poste précédent), manque à l'appel. Vers 21h, Aznar réussit enfin à entrer en contact, par téléphone, avec le premier ministre marocain Abderrahman Youssoufi (…). “Ce que vous avez fait est un coup de force intolérable. J'exige une explication et le retrait de vos forces”, décroche le président du gouvernement, tout à trac, à son interlocuteur marocain. Youssoufi lui répond, en espagnol, qu'il ne sait pas de quoi il lui parle. (Mais il finit par lâcher Smiling Smiley “Le gouvernement n'a rien ordonné. Le fait, je le connais au même titre que toi, mais je n'ai pas plus d'explications à te donner”. “L'affaire est grave, et elle l'est d'autant plus que vous êtes incapables de réagir, juge Aznar, sentencieux. J'exige, d'ici demain, une explication et une rectification. Si vous le faites, nous oublierons l'incident. Mais croyez-moi, c'est une situation que le gouvernement espagnol ne saurait accepter”. Sur ce, il met fin à la conversation. Dans des déclarations ultérieures à l'auteur, Aznar rappellera que son interlocuteur prend alors congé, en promettant de lui donner une réponse le lendemain. Des années plus tard, “J'attends encore l'appel de Youssoufi”, assure Aznar…
Le même soir, le directeur du Centre national d'intelligence (CNI), Jorge Dezcallar, a deux conversations avec son homologue marocain le général Ahmed Harchi, chef de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service d'espionnage du Maroc. Répondant au premier appel de Madrid, Harchi assure qu'il ne sait rien de l'affaire. Mais au deuxième appel, il admet que ce qui arrive à Perejil est “quelque peu intentionnel” et que le ministère des Affaires Etrangères marocain est au courant. “Ahmed, si ce que tu me dis est la vérité, nous avons une crise sérieuse sur les bras”, lui répond Dezcallar, atterré.
Les réactions à la dérobée de Youssoufi et (encore plus) de Harchi réduisent à néant, ou presque, l'explication officielle marocaine qui parviendra dans la matinée du lendemain à travers l'agence de presse MAP : “Le Maroc a installé un poste de surveillance dans l'îlot de Leila”, dit la dépêche. Une initiative qui, d'après des sources du ministère des Affaires étrangères, “s'inscrit dans la cadre de la campagne antiterroriste et contre l'émigration clandestine menée par les autorités marocaines”. “Leila, poursuit la dépêche, est située à l'intérieur des eaux territoriales du royaume […]. L'îlot a été libéré en 1956, à l'occasion de la fin du protectorat espagnol sur la zone nord du royaume. Depuis lors, des forces de sécurité se déploient [dessus] à chaque fois que nécessaire”.
Quand Ana Palacio réussit enfin à parler avec Benaïssa, ce dernier lui assure que les autorités marocaines sont en train de poursuivre des terroristes islamistes dans le détroit de Gibraltar, et finit par comparer l'intervention marocaine à Leila à l'opération nord-américaine “Liberté Durable” en Afghanistan, en 2001. Palacio n'accorde aucun crédit à ce que lui dit son homologue. “Ne me répétez plus ce que vous venez de me dire”, lui lance-t-elle au téléphone, d'après le souvenir de l'un de ses collaborateurs. Et d'ajouter : “Dites-moi des choses sérieuses”. Un silence s'installe, puis la ministre conclut : “Si quelque chose de grave se passe à Perejil, dites-le nous, nous nous en chargerons”. A l'issue de ce premier contact téléphonique, Palacio a déjà perdu tout respect pour Benaïssa. Désormais, elle essayera d'entrer en contact avec le secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères Taïeb Fassi-Fihri.
Les historiens sont formels : Tourah n'a rien d'espagnol. Pourtant, Madrid évoque la “légitime défense”…
Malgré la première réaction tranchante d'Aznar, Leila est une affaire juridiquement gênante pour la diplomatie espagnole. L'Espagne, en effet, manque de titres pour démontrer sa souveraineté sur l'îlot. Après avoir passé en revue tous les traités entre l'Espagne et le Maroc ou entre d'autres puissances, l'historienne Maria Rosa de Madariaga affirme : “Il s'avère évident que l'île de Perejil ne faisait pas partie des places de souveraineté espagnoles, mais du protectorat - de telle sorte que lorsque le Maroc obtint l'indépendance en 1956, l'îlot devint une partie du nouvel Etat” (…). Le 5 janvier 1987, alors que le statut d'autonomie de Sebta était en cours de préparation, Rabat a remis une note au gouvernement socialiste espagnol demandant que Leila, ainsi que le rocher de Badis, soient exclus de la municipalité de la ville. Huit ans plus tard, en mars 1995, les statuts ont été approuvés avec l'accord du Parti Populaire (qui était alors dans l'opposition) sans que les deux rochers n'y figurent (…). Et pour terminer, deux cartes du service géographique de l'armée, éditées en 1988 et en 1994, attribuaient l'îlot au Maroc, sous deux noms : Marsa Tourah et Yezina Mâadnus (El País, 20 juin 2002).
Toutes ces ambiguïtés expliquent que, dans la note de protestation remise par les Affaires étrangères espagnoles à l'ambassade du Maroc à Madrid, le jeudi même dans la nuit, la diplomatie espagnole ne revendique pas la souveraineté sur Leila, mais réclame uniquement “le rétablissement de la situation antérieure à ces faits”, suivi du départ de la petite force marocaine installée sur place. “Le gouvernement espagnol refuse ces faits, qui impliquent une modification du statut quo actuel”. A savoir : l'utilisation conjointe de l'îlot, sans présence permanente des forces d'aucun des deux Etats. Autrement dit, l'Espagne ne revendique, à aucun moment, sa souveraineté. D'où la surprise quand elle invoquera, plus tard, la “légitime défense” pour justifier l'usage de la force contre les occupants de l'îlot.
Le lundi suivant, Benaïssa et Fassi-Fihri convoqueront l'ambassadeur d'Espagne à Rabat, Fernando Arias-Salgado, et lui demanderont de prendre note de leur réponse au message espagnol. Le recevant conjointement, ils lui expliqueront que l'installation de sentinelles à Leila n'a aucun rapport avec la revendication sur Sebta et Melilia - que le Maroc, du reste, maintient. Ils insisteront sur le fait qu'il ne s'agit que d'une opération contre la contrebande. “Vous, vous affirmez qu'il n'y a aucune relation, leur répondra l'ambassadeur. Mais politiquement, c'est difficile à croire”. La réponse marocaine parlera de “villes occupées” par l'Espagne, ce qui poussera certains diplomates espagnols à proposer de la rejeter. Mais Ana Palacio l'acceptera.
Aznar pense tout de suite à une riposte armée et torpille toutes les solutions diplomatiques
Bien avant ces péripéties diplomatiques, jeudi 11 juillet vers 22 heures, Aznar reçoit en aparté dans son bureau, à l'issue de la réunion de la Moncloa, le ministre de la Défense Federico Trillo. Il lui demande d'activer le “point deux”, qui figure dans un document que le ministre lui avait remis en arrivant au siège de la présidence du gouvernement. Ce point consiste à préparer une opération militaire pour déloger les Marocains de l'îlot. Trillo revient à son ministère, où l'attend le comité des chefs de la défense ainsi que de nombreux hauts responsables. À l'aube du vendredi, les contours de la future opération sont déjà dessinés : l'usage des scaphandriers de combat étant écarté à cause du relief accidenté de Leila, ce sont des groupes des opérations spéciales de l'armée de terre qui prendront par surprise l'îlot, à bord d'hélicoptères équipés de mitrailleuses lourdes. L'opération est baptisée Romeo Sierra. La même nuit, les patrouilleurs Izaro, Candido Pérez et (plus tard) Laya, les frégates Numancia et Navara ainsi que le sous-marin Tramontana, commencent à se concentrer aux alentours de l'îlot. Près du port de Melilia, on exhibe aussi le patrouilleur Dragonera et la corvette Cazadora.
A Suivre ...
Que savons-nous vraiment 4 ans après, de l'aventure de l'îlot Leila ? Pas grand-chose, si ce n'est que nous avons subi une sévère déculottée, que le gouvernement Aznar a agi avec mépris et brutalité, et… que c'était nous qui avions “commencé” en envoyant des soldats planter, sans crier gare, un drapeau marocain sur un rocher démilitarisé et plus ou moins apatride.
Que cet îlot nous appartienne ou pas, là n'est pas la question. La vraie, la bonne question est : pourquoi autant de fureur et une crise diplomatique majeure, à cause d'un “petit rocher stupide”, selon l'expression de l'ancien secrétaire d'Etat américain Colin Powell ? À cette question, le livre d'Ignacio Cembrero apporte une foule de réponses - et pour tout dire, une foule de révélations. Son enquête fouillée nous permet de mieux comprendre l'arrogance (frisant parfois la bouffonnerie) des Espagnols, mais aussi l'incroyable amateurisme et l'atterrante mauvaise foi des Marocains.
En plus des dessous d'une crise politique qui a été à deux doigts de tourner à l'affrontement militaire, l'enquête de Cembrero, dont TelQuel présente les bonnes feuilles, lève le voile sur le fonctionnement réel de notre diplomatie, à son plus haut niveau. Au début, on est partagé entre le fou rire et la consternation. Mais assez vite, c'est l'inquiétude qui prend le dessus. C'est donc ainsi, que nous gérons nos relations internationales ? Alors n'importe quoi peut nous arriver n'importe quand… Que Dieu - à défaut de nos dirigeants - nous protège.
“Là-bas, les gens n'ont pas à savoir que vous êtes de la Guardia Civil. Si vous approchez, ils tireront”. L'homme, un officier de la Marine Royale du Maroc habillé en civil, lance cet avertissement, dans un mauvais espagnol, à l'équipage d'un patrouilleur espagnol. Il imite le geste de tirer, comme s'il avait une arme à la main. Nous sommes le jeudi 11 juillet 2002, à midi, et la crise de Perejil vient de se déclencher. La nouvelle selon laquelle une poignée de Marocains (mokhaznis ou agents des Forces Auxiliaires) ont dressé une tente de campagne et hissé le drapeau de leur pays sur l'îlot se répand comme une traînée de poudre à travers les bureaux du gouvernement espagnol. Même si personne ne sait où se trouve exactement cet îlot,
et que beaucoup n'en ont même jamais entendu parler. Perejil, que les villageois marocains appellent Leila ou Tourah*, a une superficie de 13 hectares, et il est situé à 147 mètres de la côte marocaine et à 11 kilomètres à l'ouest de Sebta.
Tandis que leurs soldats occupent l'îlot, les responsables marocains se défilent
(…) Informé de l'incident quelques minutes après quinze heures, José María Aznar ne perd pas de temps. A dix huit heures, il convoque à la salle à manger de La Moncloa (NDLR : siège du gouvernement espagnol), une réunion d'urgence en présence de presque la moitié du gouvernement - qu'il vient juste de remanier - et d'une pléthore de conseillers. Ana Palacio, la nouvelle ministre des Affaires étrangères qui fait ses adieux à Bruxelles (son poste précédent), manque à l'appel. Vers 21h, Aznar réussit enfin à entrer en contact, par téléphone, avec le premier ministre marocain Abderrahman Youssoufi (…). “Ce que vous avez fait est un coup de force intolérable. J'exige une explication et le retrait de vos forces”, décroche le président du gouvernement, tout à trac, à son interlocuteur marocain. Youssoufi lui répond, en espagnol, qu'il ne sait pas de quoi il lui parle. (Mais il finit par lâcher Smiling Smiley “Le gouvernement n'a rien ordonné. Le fait, je le connais au même titre que toi, mais je n'ai pas plus d'explications à te donner”. “L'affaire est grave, et elle l'est d'autant plus que vous êtes incapables de réagir, juge Aznar, sentencieux. J'exige, d'ici demain, une explication et une rectification. Si vous le faites, nous oublierons l'incident. Mais croyez-moi, c'est une situation que le gouvernement espagnol ne saurait accepter”. Sur ce, il met fin à la conversation. Dans des déclarations ultérieures à l'auteur, Aznar rappellera que son interlocuteur prend alors congé, en promettant de lui donner une réponse le lendemain. Des années plus tard, “J'attends encore l'appel de Youssoufi”, assure Aznar…
Le même soir, le directeur du Centre national d'intelligence (CNI), Jorge Dezcallar, a deux conversations avec son homologue marocain le général Ahmed Harchi, chef de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service d'espionnage du Maroc. Répondant au premier appel de Madrid, Harchi assure qu'il ne sait rien de l'affaire. Mais au deuxième appel, il admet que ce qui arrive à Perejil est “quelque peu intentionnel” et que le ministère des Affaires Etrangères marocain est au courant. “Ahmed, si ce que tu me dis est la vérité, nous avons une crise sérieuse sur les bras”, lui répond Dezcallar, atterré.
Les réactions à la dérobée de Youssoufi et (encore plus) de Harchi réduisent à néant, ou presque, l'explication officielle marocaine qui parviendra dans la matinée du lendemain à travers l'agence de presse MAP : “Le Maroc a installé un poste de surveillance dans l'îlot de Leila”, dit la dépêche. Une initiative qui, d'après des sources du ministère des Affaires étrangères, “s'inscrit dans la cadre de la campagne antiterroriste et contre l'émigration clandestine menée par les autorités marocaines”. “Leila, poursuit la dépêche, est située à l'intérieur des eaux territoriales du royaume […]. L'îlot a été libéré en 1956, à l'occasion de la fin du protectorat espagnol sur la zone nord du royaume. Depuis lors, des forces de sécurité se déploient [dessus] à chaque fois que nécessaire”.
Quand Ana Palacio réussit enfin à parler avec Benaïssa, ce dernier lui assure que les autorités marocaines sont en train de poursuivre des terroristes islamistes dans le détroit de Gibraltar, et finit par comparer l'intervention marocaine à Leila à l'opération nord-américaine “Liberté Durable” en Afghanistan, en 2001. Palacio n'accorde aucun crédit à ce que lui dit son homologue. “Ne me répétez plus ce que vous venez de me dire”, lui lance-t-elle au téléphone, d'après le souvenir de l'un de ses collaborateurs. Et d'ajouter : “Dites-moi des choses sérieuses”. Un silence s'installe, puis la ministre conclut : “Si quelque chose de grave se passe à Perejil, dites-le nous, nous nous en chargerons”. A l'issue de ce premier contact téléphonique, Palacio a déjà perdu tout respect pour Benaïssa. Désormais, elle essayera d'entrer en contact avec le secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères Taïeb Fassi-Fihri.
Les historiens sont formels : Tourah n'a rien d'espagnol. Pourtant, Madrid évoque la “légitime défense”…
Malgré la première réaction tranchante d'Aznar, Leila est une affaire juridiquement gênante pour la diplomatie espagnole. L'Espagne, en effet, manque de titres pour démontrer sa souveraineté sur l'îlot. Après avoir passé en revue tous les traités entre l'Espagne et le Maroc ou entre d'autres puissances, l'historienne Maria Rosa de Madariaga affirme : “Il s'avère évident que l'île de Perejil ne faisait pas partie des places de souveraineté espagnoles, mais du protectorat - de telle sorte que lorsque le Maroc obtint l'indépendance en 1956, l'îlot devint une partie du nouvel Etat” (…). Le 5 janvier 1987, alors que le statut d'autonomie de Sebta était en cours de préparation, Rabat a remis une note au gouvernement socialiste espagnol demandant que Leila, ainsi que le rocher de Badis, soient exclus de la municipalité de la ville. Huit ans plus tard, en mars 1995, les statuts ont été approuvés avec l'accord du Parti Populaire (qui était alors dans l'opposition) sans que les deux rochers n'y figurent (…). Et pour terminer, deux cartes du service géographique de l'armée, éditées en 1988 et en 1994, attribuaient l'îlot au Maroc, sous deux noms : Marsa Tourah et Yezina Mâadnus (El País, 20 juin 2002).
Toutes ces ambiguïtés expliquent que, dans la note de protestation remise par les Affaires étrangères espagnoles à l'ambassade du Maroc à Madrid, le jeudi même dans la nuit, la diplomatie espagnole ne revendique pas la souveraineté sur Leila, mais réclame uniquement “le rétablissement de la situation antérieure à ces faits”, suivi du départ de la petite force marocaine installée sur place. “Le gouvernement espagnol refuse ces faits, qui impliquent une modification du statut quo actuel”. A savoir : l'utilisation conjointe de l'îlot, sans présence permanente des forces d'aucun des deux Etats. Autrement dit, l'Espagne ne revendique, à aucun moment, sa souveraineté. D'où la surprise quand elle invoquera, plus tard, la “légitime défense” pour justifier l'usage de la force contre les occupants de l'îlot.
Le lundi suivant, Benaïssa et Fassi-Fihri convoqueront l'ambassadeur d'Espagne à Rabat, Fernando Arias-Salgado, et lui demanderont de prendre note de leur réponse au message espagnol. Le recevant conjointement, ils lui expliqueront que l'installation de sentinelles à Leila n'a aucun rapport avec la revendication sur Sebta et Melilia - que le Maroc, du reste, maintient. Ils insisteront sur le fait qu'il ne s'agit que d'une opération contre la contrebande. “Vous, vous affirmez qu'il n'y a aucune relation, leur répondra l'ambassadeur. Mais politiquement, c'est difficile à croire”. La réponse marocaine parlera de “villes occupées” par l'Espagne, ce qui poussera certains diplomates espagnols à proposer de la rejeter. Mais Ana Palacio l'acceptera.
Aznar pense tout de suite à une riposte armée et torpille toutes les solutions diplomatiques
Bien avant ces péripéties diplomatiques, jeudi 11 juillet vers 22 heures, Aznar reçoit en aparté dans son bureau, à l'issue de la réunion de la Moncloa, le ministre de la Défense Federico Trillo. Il lui demande d'activer le “point deux”, qui figure dans un document que le ministre lui avait remis en arrivant au siège de la présidence du gouvernement. Ce point consiste à préparer une opération militaire pour déloger les Marocains de l'îlot. Trillo revient à son ministère, où l'attend le comité des chefs de la défense ainsi que de nombreux hauts responsables. À l'aube du vendredi, les contours de la future opération sont déjà dessinés : l'usage des scaphandriers de combat étant écarté à cause du relief accidenté de Leila, ce sont des groupes des opérations spéciales de l'armée de terre qui prendront par surprise l'îlot, à bord d'hélicoptères équipés de mitrailleuses lourdes. L'opération est baptisée Romeo Sierra. La même nuit, les patrouilleurs Izaro, Candido Pérez et (plus tard) Laya, les frégates Numancia et Navara ainsi que le sous-marin Tramontana, commencent à se concentrer aux alentours de l'îlot. Près du port de Melilia, on exhibe aussi le patrouilleur Dragonera et la corvette Cazadora.
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