La Syrie, le plus grand FIASCO de la CIA ?
Récemment, le Washington Post a annoncé la fin du soutien de la CIA en faveur des rebelles « modérés », confirmant qu’ils menaçaient de renverser Bachar el-Assad en 2015, mais que cette issue chaotique fut empêchée par l’intervention militaire directe de la Russie cette même année. Chaotique, car le chroniqueur du Post David Ignatus vient de souligner dans ce même journal que Washington et ses alliés ne pouvaient proposer d’alternative politique viable, démocrate et modérée face au gouvernement syrien. D’après le spécialiste de la Syrie Charles Lister, qui regrette ouvertement la fin de cette guerre secrète coordonnée par la CIA, l’Agence aurait constitué une force de 45 000 combattants à travers cette opération, dont nous savons depuis janvier 2016 qu’elle a pour nom de code Timber Sycamore. Or, comme le rappelle l’universitaire américain Joshua Landis, ces rebelles « modérés » appuyés par la CIA et ses partenaires ont combattu jusqu’en janvier 2014 aux côtés de la milice terroriste qui allait devenir l’« État Islamique » (EI) six mois plus tard, lors de la proclamation du « califat » par Abou Bakr al-Baghdadi. Cet argument est confirmé par l’expert de la Syrie Fabrice Balanche, qui souligne que « les rebelles n’ont combattu Daech qu’à partir de l’hiver 2013-2014. Avant cette période, ils étaient main dans la main avec cette organisation. »
Depuis qu’ils ont rompu avec l’EI, ces groupes soutenus par la CIA et ses alliés se sont majoritairement coordonnés avec la branche d’al-Qaïda en Syrie, qui s’est appelée le Front al-Nosra jusqu’en juillet 2016, avant de changer de nom et de rompre superficiellement son allégeance au réseau de feu Oussama ben Laden. Comme le New York Times le soulignait en octobre dernier, lors de la bataille finale pour la reprise d’Alep-Est, « onze parmi la vingtaine de groupes rebelles menant l’offensive ont été approuvés par la CIA et ont reçu des armes de l’Agence, d’après Charles Lister, un chercheur et spécialiste de la Syrie au Middle East Institute, à Washington. (...) Monsieur Lister et d’autres experts ont déclaré que la vaste majorité des factions rebelles approuvées par les États-Unis à Alep combattaient en pleine ville, et qu’ils pilonnaient massivement les troupes du gouvernement syrien en appui des combattants affiliés à al-Qaïda, qui se chargeaient de l’essentiel des combats sur la ligne de front. “La triste vérité, cependant, est que ces groupes soutenus par les États-Unis [et leurs alliés] restent d’une manière ou d’une autre dépendants des factions affiliées à al-Qaïda dans ces opérations, en termes d’organisation et de puissance de feu”, selon l’experte Genevieve Casagrande, une spécialiste de la Syrie au sein de l’Institute for the Study of War à Washington. »
Plusieurs éléments troublants sont à relever dans cette opération. Tout d’abord, sachant que les États-Unis se revendiquent en guerre contre le terrorisme depuis septembre 2001, appuyer pendant près de 5 ans des groupes qui combattent aux côtés d’al-Qaïda n’a pas semblé poser problème aux décideurs américains et à leurs alliés occidentaux – ce qui est pour le moins déroutant. Et comme l’a pertinemment souligné Joshua Landis, le gouvernement des États-Unis savait depuis le milieu de l’année 2012 que les armes livrées massivement par la CIA et une quinzaine de services spéciaux depuis la Turquie et la Jordanie équipaient principalement des groupes jihadistes, un processus dévoilé par le New York Times en octobre 2012. Comme l’auteur de ces lignes avait eu l’occasion de le défendre, le réseau qui a majoritairement bénéficié de ces milliers de tonnes d’armements a été le Front al-Nosra ; ce fut d’ailleurs le cas jusqu’à récemment dans le gouvernorat d’Idleb, dont la capitale vient d’être prise par cette organisation, aujourd’hui rebaptisée Hayat Tahrir al-Cham. Ces graves dérives ont été notamment confirmées par le journaliste spécialisé Gareth Porter, dans un article explicitement intitulé « Comment les États-Unis ont armé des terroristes en Syrie ». Comme ce grand reporter l’a souligné, « cet afflux massif d’armes [coordonné par la CIA] vers le territoire syrien, ainsi que l’entrée de 20 000 combattants étrangers dans ce pays – et ce principalement depuis la Turquie –, a largement défini la nature de cette guerre », Gareth Porter se référant au vaste réseau de trafic d’armes mis en place par la CIA et ses alliés depuis les Balkans et la Libye, de même qu’à l’acquisition de 15 000 missiles TOW made in USA par l’Arabie saoudite. Fabriqués par Raytheon, ces missiles antichars ont été introduits en masse dans ce conflit à partir de 2014, et les pertes infligées aux forces syriennes avec ces armements auraient été le principal facteur de l’intervention militaire russe au début de l’automne 2015.
Dans cet article solidement documenté, Gareth Porter ajoute que « les armes [injectées par la CIA et ses partenaires dans le conflit syrien] ont contribué à faire de la branche d’al-Qaïda en Syrie (...) et de ses proches alliés la plus puissante des forces anti-Assad dans ce pays – et elles ont aussi permis l’émergence de Daech ». Rappelons qu’à l’origine, le Front al-Nosra et le futur « État Islamique » ne faisaient qu’un avant leur scission du printemps 2013, qui déboucha sur une guerre fratricide entre ces deux factions. Plus exactement, les combattants majoritairement irakiens de ce qui était alors appelé l’« État Islamique d’Irak » (EII) ont fondé, à partir de l’été 2011, la milice qui allait devenir le Front al-Nosra en janvier 2012. Encore aujourd’hui à la tête de ce réseau, leur leader était Mohammed al-Joulani, un jihadiste syrien ayant affronté la coalition de George W. Bush en Irak, et qui avait été chargé par Abou Bakr al-Baghdadi de combattre les forces de Bachar el-Assad en 2011.
D’après Foreign Policy, lors de cette scission d’avril 2013 entre ces deux entités terroristes, « une large majorité de commandants et de combattants d’al-Nosra en Syrie ne suivirent pas [leur chef al-Joulani] » et prêtèrent allégeance au futur « calife » al-Baghdadi, ce qui aurait représenté « jusqu’à 15 000 combattants sur environ 20 000 », d’après une estimation du chercheur Fabrice Balanche. Toujours selon Foreign Policy, « partout dans le Nord de la Syrie, Daech s’empara des quartiers généraux d’al-Nosra, des caches de munitions et des dépôts d’armes » durant cette séparation, qui conduisit à la création de l’« État Islamique en Irak et au Levant » (EIIL), rebaptisé « État Islamique » au milieu de l’année suivante. En d’autres termes, le gigantesque trafic d’armes et de munitionsorganisé par la CIA pour équiper les rebelles en Syrie a, directement ou non, profité à Daech et favorisé sa montée en puissance dès janvier 2012. Le fait que si peu d’experts et de journalistes occidentaux l’aient souligné (ou remarqué) est incompréhensible.
Même conséquence pour le versant « formation militaire » de ce programme de l’Agence et de ses alliés, qui a conduit les Forces spéciales détachées auprès de la CIA à entraîner malgré elles une forte proportion de jihadistes officieusement affiliés à al-Nosra ou à Daech – selon des sources anonymes du SOCOM et de l’Agence qui étaient directement impliquées dans cette opération. En clair, de nombreux mercenaires anti-Assad recrutés par la CIA ont dissimulé leur appartenance à (ou leur attrait pour) ces groupes terroristes, le processus de sélection des combattants étant particulièrement laxiste. Or, la simple existence de cette procédure a permis à la CIA de maintenir une façade de respectabilité en affirmant qu’elle ne formait que des « rebelles modérés ». En réalité, pour quiconque s’affranchit de cette notion orwellienne, les dynamiques de cette opération peuvent être résumées ainsi : supervisés par la CIA et quatorze autres services spéciaux, dont ceux de la France, du Royaume-Uni, d’Israël, de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar, le financement, la formation et l’approvisionnement en armes des rebelles depuis les territoires turcs et jordaniens ont profité à l’ensemble des groupes armés, y compris à Daech et au Front al-Nosra. En des termes plus parlants, qui sont ceux du spécialiste Sam Heller, « la majeure partie du soutien américain fut dirigée vers des factions de l’“Armée Syrienne Libre” (ASL), qui ont en fait servi d’auxiliaires et de sources d’armements à de plus puissantes factions islamistes et jihadistes, dont la branche d’al-Qaïda en Syrie ».
Récemment, le Washington Post a annoncé la fin du soutien de la CIA en faveur des rebelles « modérés », confirmant qu’ils menaçaient de renverser Bachar el-Assad en 2015, mais que cette issue chaotique fut empêchée par l’intervention militaire directe de la Russie cette même année. Chaotique, car le chroniqueur du Post David Ignatus vient de souligner dans ce même journal que Washington et ses alliés ne pouvaient proposer d’alternative politique viable, démocrate et modérée face au gouvernement syrien. D’après le spécialiste de la Syrie Charles Lister, qui regrette ouvertement la fin de cette guerre secrète coordonnée par la CIA, l’Agence aurait constitué une force de 45 000 combattants à travers cette opération, dont nous savons depuis janvier 2016 qu’elle a pour nom de code Timber Sycamore. Or, comme le rappelle l’universitaire américain Joshua Landis, ces rebelles « modérés » appuyés par la CIA et ses partenaires ont combattu jusqu’en janvier 2014 aux côtés de la milice terroriste qui allait devenir l’« État Islamique » (EI) six mois plus tard, lors de la proclamation du « califat » par Abou Bakr al-Baghdadi. Cet argument est confirmé par l’expert de la Syrie Fabrice Balanche, qui souligne que « les rebelles n’ont combattu Daech qu’à partir de l’hiver 2013-2014. Avant cette période, ils étaient main dans la main avec cette organisation. »
Depuis qu’ils ont rompu avec l’EI, ces groupes soutenus par la CIA et ses alliés se sont majoritairement coordonnés avec la branche d’al-Qaïda en Syrie, qui s’est appelée le Front al-Nosra jusqu’en juillet 2016, avant de changer de nom et de rompre superficiellement son allégeance au réseau de feu Oussama ben Laden. Comme le New York Times le soulignait en octobre dernier, lors de la bataille finale pour la reprise d’Alep-Est, « onze parmi la vingtaine de groupes rebelles menant l’offensive ont été approuvés par la CIA et ont reçu des armes de l’Agence, d’après Charles Lister, un chercheur et spécialiste de la Syrie au Middle East Institute, à Washington. (...) Monsieur Lister et d’autres experts ont déclaré que la vaste majorité des factions rebelles approuvées par les États-Unis à Alep combattaient en pleine ville, et qu’ils pilonnaient massivement les troupes du gouvernement syrien en appui des combattants affiliés à al-Qaïda, qui se chargeaient de l’essentiel des combats sur la ligne de front. “La triste vérité, cependant, est que ces groupes soutenus par les États-Unis [et leurs alliés] restent d’une manière ou d’une autre dépendants des factions affiliées à al-Qaïda dans ces opérations, en termes d’organisation et de puissance de feu”, selon l’experte Genevieve Casagrande, une spécialiste de la Syrie au sein de l’Institute for the Study of War à Washington. »
Plusieurs éléments troublants sont à relever dans cette opération. Tout d’abord, sachant que les États-Unis se revendiquent en guerre contre le terrorisme depuis septembre 2001, appuyer pendant près de 5 ans des groupes qui combattent aux côtés d’al-Qaïda n’a pas semblé poser problème aux décideurs américains et à leurs alliés occidentaux – ce qui est pour le moins déroutant. Et comme l’a pertinemment souligné Joshua Landis, le gouvernement des États-Unis savait depuis le milieu de l’année 2012 que les armes livrées massivement par la CIA et une quinzaine de services spéciaux depuis la Turquie et la Jordanie équipaient principalement des groupes jihadistes, un processus dévoilé par le New York Times en octobre 2012. Comme l’auteur de ces lignes avait eu l’occasion de le défendre, le réseau qui a majoritairement bénéficié de ces milliers de tonnes d’armements a été le Front al-Nosra ; ce fut d’ailleurs le cas jusqu’à récemment dans le gouvernorat d’Idleb, dont la capitale vient d’être prise par cette organisation, aujourd’hui rebaptisée Hayat Tahrir al-Cham. Ces graves dérives ont été notamment confirmées par le journaliste spécialisé Gareth Porter, dans un article explicitement intitulé « Comment les États-Unis ont armé des terroristes en Syrie ». Comme ce grand reporter l’a souligné, « cet afflux massif d’armes [coordonné par la CIA] vers le territoire syrien, ainsi que l’entrée de 20 000 combattants étrangers dans ce pays – et ce principalement depuis la Turquie –, a largement défini la nature de cette guerre », Gareth Porter se référant au vaste réseau de trafic d’armes mis en place par la CIA et ses alliés depuis les Balkans et la Libye, de même qu’à l’acquisition de 15 000 missiles TOW made in USA par l’Arabie saoudite. Fabriqués par Raytheon, ces missiles antichars ont été introduits en masse dans ce conflit à partir de 2014, et les pertes infligées aux forces syriennes avec ces armements auraient été le principal facteur de l’intervention militaire russe au début de l’automne 2015.
Dans cet article solidement documenté, Gareth Porter ajoute que « les armes [injectées par la CIA et ses partenaires dans le conflit syrien] ont contribué à faire de la branche d’al-Qaïda en Syrie (...) et de ses proches alliés la plus puissante des forces anti-Assad dans ce pays – et elles ont aussi permis l’émergence de Daech ». Rappelons qu’à l’origine, le Front al-Nosra et le futur « État Islamique » ne faisaient qu’un avant leur scission du printemps 2013, qui déboucha sur une guerre fratricide entre ces deux factions. Plus exactement, les combattants majoritairement irakiens de ce qui était alors appelé l’« État Islamique d’Irak » (EII) ont fondé, à partir de l’été 2011, la milice qui allait devenir le Front al-Nosra en janvier 2012. Encore aujourd’hui à la tête de ce réseau, leur leader était Mohammed al-Joulani, un jihadiste syrien ayant affronté la coalition de George W. Bush en Irak, et qui avait été chargé par Abou Bakr al-Baghdadi de combattre les forces de Bachar el-Assad en 2011.
D’après Foreign Policy, lors de cette scission d’avril 2013 entre ces deux entités terroristes, « une large majorité de commandants et de combattants d’al-Nosra en Syrie ne suivirent pas [leur chef al-Joulani] » et prêtèrent allégeance au futur « calife » al-Baghdadi, ce qui aurait représenté « jusqu’à 15 000 combattants sur environ 20 000 », d’après une estimation du chercheur Fabrice Balanche. Toujours selon Foreign Policy, « partout dans le Nord de la Syrie, Daech s’empara des quartiers généraux d’al-Nosra, des caches de munitions et des dépôts d’armes » durant cette séparation, qui conduisit à la création de l’« État Islamique en Irak et au Levant » (EIIL), rebaptisé « État Islamique » au milieu de l’année suivante. En d’autres termes, le gigantesque trafic d’armes et de munitionsorganisé par la CIA pour équiper les rebelles en Syrie a, directement ou non, profité à Daech et favorisé sa montée en puissance dès janvier 2012. Le fait que si peu d’experts et de journalistes occidentaux l’aient souligné (ou remarqué) est incompréhensible.
Même conséquence pour le versant « formation militaire » de ce programme de l’Agence et de ses alliés, qui a conduit les Forces spéciales détachées auprès de la CIA à entraîner malgré elles une forte proportion de jihadistes officieusement affiliés à al-Nosra ou à Daech – selon des sources anonymes du SOCOM et de l’Agence qui étaient directement impliquées dans cette opération. En clair, de nombreux mercenaires anti-Assad recrutés par la CIA ont dissimulé leur appartenance à (ou leur attrait pour) ces groupes terroristes, le processus de sélection des combattants étant particulièrement laxiste. Or, la simple existence de cette procédure a permis à la CIA de maintenir une façade de respectabilité en affirmant qu’elle ne formait que des « rebelles modérés ». En réalité, pour quiconque s’affranchit de cette notion orwellienne, les dynamiques de cette opération peuvent être résumées ainsi : supervisés par la CIA et quatorze autres services spéciaux, dont ceux de la France, du Royaume-Uni, d’Israël, de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar, le financement, la formation et l’approvisionnement en armes des rebelles depuis les territoires turcs et jordaniens ont profité à l’ensemble des groupes armés, y compris à Daech et au Front al-Nosra. En des termes plus parlants, qui sont ceux du spécialiste Sam Heller, « la majeure partie du soutien américain fut dirigée vers des factions de l’“Armée Syrienne Libre” (ASL), qui ont en fait servi d’auxiliaires et de sources d’armements à de plus puissantes factions islamistes et jihadistes, dont la branche d’al-Qaïda en Syrie ».
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