OUVERTURE DES FRONTIÈRES OUEST-ALGÉRIENNES
Le chant des sirènes
Bruxelles certifie que les semaines et mois à venir verront une énorme pression s’exercer sur l’Algérie pour qu’elle rouvre ses frontières terrestres avec le Maroc. Le piège est tendu.
De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari
Pour la simple et unique raison que plusieurs pays européens, en tête desquels, bien évidemment, la France, instruits de la situation catastrophique dans laquelle vit l’est du Maroc, du fait de la fermeture en 1994 de la vache à lait Algérie, et incapables eux-mêmes d’apporter une aide conséquente à Rabat pour éviter l’explosion, l’Union européenne choisit donc Alger pour parer au plus urgent. Cette curieuse générosité européenne — Bruxelles veut, en effet, apporter de l’aide au Maroc mais avec le potentiel Algérie — est à analyser avec sérieux. Ici, quelques repères. En vendant le produit Maroc, après la mort de Hassan II, comme étant démocratique, sur la voie des réformes, le bon élève de la bonne gouvernance, l’Union européenne s’est prise à son propre piège. Les désarrois économiques du bon élève, le peu d’engouement populaire pour les processus électoraux organisés au pays de Mohammed VI, et la fulgurante montée de l’islamisme, assis, au Maroc, sur des bases solides, durables. Ici, une jonction peut se réaliser, rapidement, entre une ruralité où le féodalisme reste de mise, des pans urbains et «rurbains» en entier déclassés par une mondialisation effrénée, sans garde-fous et un mouvement populiste aux accents religieux mobilisateurs comme les mouvements islamistes, tant au Maroc ou ailleurs dans le monde dit arabo-musulman, savent en fabriquer. Au début, les deux premières années du règne de Mohammed VI, cette image d’un Maroc serein, réformé, allant tranquillement son chemin vers des rivages démocratiques et vertueux, a très bien fonctionné grâce à l’incroyable appareil de propagande du Makhzen et son puissant allié : les médias lourds français, tant publics que privés. La comparaison avec son tumultueux et indiscipliné voisin algérien avait, vite, fait de tourner à l’avantage de Rabat surtout qu’Alger résistait sur des questions importantes (Palestine, Liban, souveraineté de la Syrie, Iran, reconnaissance par la France des crimes coloniaux) et ne lâchait pas le peuple sahraoui. Les restes du «qui-tue-qui ?» et les errances des gouvernants algériens feront le reste. Le Maroc est un pays démocratique, l’Algérie non. Cette grille de lecture imposée en Europe par la France, bien évidemment, atteint ses limites. Tout d’abord, parce que les attentats du 11 septembre du WTC ont laminé les thèses et les orientations de l’Internationale socialiste qui portait, à bout de bras, le gouvernement de Abderrahmane El Youssoufi. Ensuite, parce qu’on a beau mentir, travestir la vérité et vendre un produit en lui attribuant des vertus qu’il n’a pas, tout cela finira bien par être, un jour, su et découvert. Ce qui devait arriver arriva donc. Dans le jargon du marketing de la réclame, on appelle cela «publicité mensongère». Des eurodéputés, des journalistes impartiaux, une partie de la société civile marocaine autonome et authentique, des combats de citoyens du pays et des témoignages d’ONG ont rétabli un tant soit peu l’équilibre. Le Maroc n’est pas le pays de cocagne vendu à l’étranger par la France, c’est, surtout, une monarchie exécutive où les pouvoirs et les avoirs du palais royal ne peuvent même pas être évoqués, y compris dans «le Parlement», où la corruption règne en maîtresse des lieux, où la misère triomphe chaque jour davantage, jetant sur le pavé des milliers et des milliers de personnes, où la montée de l’islamisme radical est un phénomène réel à ne pas négliger du tout. L’autre gros morceau, l’os qui a fait grincer la machine franco-marocaine, est la question du Sahara occidental. Le peuple des Ténèbres a su, parfaitement, porter sa cause, la défendre, l’internationaliser. Plus aucun Etat sérieux au monde, pas même la France, ne nie l’existence du peuple sahraoui. C’est un dossier solide, conséquent, incontournable, inscrit sur les tablettes de l’ONU sous le chapitre «décolonisation». En choisissant, par rapport à cette question, la fuite en avant et l’irresponsabilité, Mohammed VI se trouve, de ce fait, devant une impasse. Comment, en effet, demander à l’Algérie de rouvrir ses frontières alors qu’aucun pas significatif n’a été signalé, venant de la part de Rabat et concernant le Sahara occidental. Paris et Bruxelles savent parfaitement que l’Algérie ne peut pas comme ça — c’est cela, en définitive l’ouverture des frontières ouest — octroyer au Maroc une manne financière considérable sans que le Maroc respecte ses engagements internationaux sur le dossier sahraoui. Ceci reviendrait à déconsidérer de façon irrémédiable l’Algérie, porter un coup bas au Polisario et la RASD, punir la Tunisie, partenaire loyal et pays ami (l’ouverture des frontières avec le Maroc se fera au détriment de Tunis qui perdrait ainsi d’importants flux touristiques algériens). Dans l’esprit du tandem Sarkozy-Kouchner, l’Union pour la Méditerranée servira, aussi, à amener l’Algérie à s’ouvrir sur le Maroc. Sans chercher son reste, ni à s’occuper du peuple sahraoui. Raison supplémentaire pour se méfier des chants de sirènes, surtout en mer Méditerranée.
A. M. le soirdalgerie
Le chant des sirènes
Bruxelles certifie que les semaines et mois à venir verront une énorme pression s’exercer sur l’Algérie pour qu’elle rouvre ses frontières terrestres avec le Maroc. Le piège est tendu.
De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari
Pour la simple et unique raison que plusieurs pays européens, en tête desquels, bien évidemment, la France, instruits de la situation catastrophique dans laquelle vit l’est du Maroc, du fait de la fermeture en 1994 de la vache à lait Algérie, et incapables eux-mêmes d’apporter une aide conséquente à Rabat pour éviter l’explosion, l’Union européenne choisit donc Alger pour parer au plus urgent. Cette curieuse générosité européenne — Bruxelles veut, en effet, apporter de l’aide au Maroc mais avec le potentiel Algérie — est à analyser avec sérieux. Ici, quelques repères. En vendant le produit Maroc, après la mort de Hassan II, comme étant démocratique, sur la voie des réformes, le bon élève de la bonne gouvernance, l’Union européenne s’est prise à son propre piège. Les désarrois économiques du bon élève, le peu d’engouement populaire pour les processus électoraux organisés au pays de Mohammed VI, et la fulgurante montée de l’islamisme, assis, au Maroc, sur des bases solides, durables. Ici, une jonction peut se réaliser, rapidement, entre une ruralité où le féodalisme reste de mise, des pans urbains et «rurbains» en entier déclassés par une mondialisation effrénée, sans garde-fous et un mouvement populiste aux accents religieux mobilisateurs comme les mouvements islamistes, tant au Maroc ou ailleurs dans le monde dit arabo-musulman, savent en fabriquer. Au début, les deux premières années du règne de Mohammed VI, cette image d’un Maroc serein, réformé, allant tranquillement son chemin vers des rivages démocratiques et vertueux, a très bien fonctionné grâce à l’incroyable appareil de propagande du Makhzen et son puissant allié : les médias lourds français, tant publics que privés. La comparaison avec son tumultueux et indiscipliné voisin algérien avait, vite, fait de tourner à l’avantage de Rabat surtout qu’Alger résistait sur des questions importantes (Palestine, Liban, souveraineté de la Syrie, Iran, reconnaissance par la France des crimes coloniaux) et ne lâchait pas le peuple sahraoui. Les restes du «qui-tue-qui ?» et les errances des gouvernants algériens feront le reste. Le Maroc est un pays démocratique, l’Algérie non. Cette grille de lecture imposée en Europe par la France, bien évidemment, atteint ses limites. Tout d’abord, parce que les attentats du 11 septembre du WTC ont laminé les thèses et les orientations de l’Internationale socialiste qui portait, à bout de bras, le gouvernement de Abderrahmane El Youssoufi. Ensuite, parce qu’on a beau mentir, travestir la vérité et vendre un produit en lui attribuant des vertus qu’il n’a pas, tout cela finira bien par être, un jour, su et découvert. Ce qui devait arriver arriva donc. Dans le jargon du marketing de la réclame, on appelle cela «publicité mensongère». Des eurodéputés, des journalistes impartiaux, une partie de la société civile marocaine autonome et authentique, des combats de citoyens du pays et des témoignages d’ONG ont rétabli un tant soit peu l’équilibre. Le Maroc n’est pas le pays de cocagne vendu à l’étranger par la France, c’est, surtout, une monarchie exécutive où les pouvoirs et les avoirs du palais royal ne peuvent même pas être évoqués, y compris dans «le Parlement», où la corruption règne en maîtresse des lieux, où la misère triomphe chaque jour davantage, jetant sur le pavé des milliers et des milliers de personnes, où la montée de l’islamisme radical est un phénomène réel à ne pas négliger du tout. L’autre gros morceau, l’os qui a fait grincer la machine franco-marocaine, est la question du Sahara occidental. Le peuple des Ténèbres a su, parfaitement, porter sa cause, la défendre, l’internationaliser. Plus aucun Etat sérieux au monde, pas même la France, ne nie l’existence du peuple sahraoui. C’est un dossier solide, conséquent, incontournable, inscrit sur les tablettes de l’ONU sous le chapitre «décolonisation». En choisissant, par rapport à cette question, la fuite en avant et l’irresponsabilité, Mohammed VI se trouve, de ce fait, devant une impasse. Comment, en effet, demander à l’Algérie de rouvrir ses frontières alors qu’aucun pas significatif n’a été signalé, venant de la part de Rabat et concernant le Sahara occidental. Paris et Bruxelles savent parfaitement que l’Algérie ne peut pas comme ça — c’est cela, en définitive l’ouverture des frontières ouest — octroyer au Maroc une manne financière considérable sans que le Maroc respecte ses engagements internationaux sur le dossier sahraoui. Ceci reviendrait à déconsidérer de façon irrémédiable l’Algérie, porter un coup bas au Polisario et la RASD, punir la Tunisie, partenaire loyal et pays ami (l’ouverture des frontières avec le Maroc se fera au détriment de Tunis qui perdrait ainsi d’importants flux touristiques algériens). Dans l’esprit du tandem Sarkozy-Kouchner, l’Union pour la Méditerranée servira, aussi, à amener l’Algérie à s’ouvrir sur le Maroc. Sans chercher son reste, ni à s’occuper du peuple sahraoui. Raison supplémentaire pour se méfier des chants de sirènes, surtout en mer Méditerranée.
A. M. le soirdalgerie
Commentaire