Mensonges et connivences
Par Michael De Pasquale
24/07/2008
Melilla. Célèbre depuis la vague de clandestins subsahariens de 2005, l’enclave espagnole est également le théâtre d’une immigration rampante dont personne ne parle.
«Le roi?...C’est un fils de p..!» La sentence, sans appel, claque comme un coup de fouet. A l’instar des dix autres jeunes qui l’entourent, Mohamed est un enfant de la rue, un Marocain de 21 ans rejeté par son pays dans les dépotoirs de Melilla. «Notre pays nous a oubliés, on dort dans les rues, on a froid et rien à manger, alors que lui dort tranquille!» poursuit-il, la rage au ventre. La situation de ces clandestins révèle un phénomène connu de tous mais volontairement ignoré par les autorités: une forme d’immigration lente et délétère, bien plus complexe que le cas subsaharien.
Un peu d’histoire: en 1912, alors que le Maroc est sous protectorat français, un accord est conclu et autorise les habitants de Tétouan et Nador à entrer librement dans les enclaves espagnoles. Les Berbères du Rif, traditionnellement opposés au pouvoir central marocain, en profitent. Aujourd’hui, contre présentation d’un passeport, la porte est encore ouverte. Pas ou peu de contrôles, Ceuta et Melilla font rapidement naître une variété de trafics interlopes qui les font évoluer dans un véritable imbroglio économique.
Secteur médical saturé. Hospital Comarcal de Melilla, 9 heures du matin. Sur 80 personnes qui attendent pour les consultations, les trois quarts sont composés de Marocains venus de Nador. Majoritairement des femmes. José, l’agent de sécurité posté à l’entrée, est formel: «Chaque jour, ils sont près de 60 à venir se faire soigner et cinq à six femmes sont là pour un accouchement. A Nador, les conditions sanitaires sont telles qu’elles préfèrent venir ici, où les soins sont gratuits.» Jusqu’en 2005, le droit du sol s’appliquait et un enfant né à Melilla obtenait automatiquement la nationalité espagnole, ce qui provoquait immédiatement un regroupement familial.
Pour contrer ce phénomène, la salle d’accouchement a donc été proclamée «zone extraterritoriale». Si la question des accouchements s’est quelque peu calmée, il n’en demeure pas moins que les hôpitaux sont saturés: «C’est triste et on comprend bien qu’ils viennent chez nous. Nous avons le devoir de les soigner, mais nous sommes débordés, car nous devons traiter ces personnes en plus des habitants de Melilla», expliquent Miguel et Julian, infirmiers à l’hôpital.
A l’Ingesa (Instituto Nacional de Gestión Sanitaria de Melilla), impossible d’obtenir des données chiffrées. Même mutisme à la Delegación del Gobierno: «Nous n’avons rien de solide sur l’aspect sanitaire. Nous estimons néanmoins entre 20 000 et 25 000 le nombre des frontaliers qui viennent travailler chaque jour», avoue José Manuel Guirval. Un chiffre «officiel» à prendre avec des pincettes, tant la rue dévoile une tout autre réalité.
Marchés frauduleux. Sur les chantiers du quartier du Real, les travailleurs marocains évitent soigneusement de répondre aux questions. Frontaliers payés au lance-pierre, clandestins pour certains, ils espèrent obtenir le passeport hispanique. En ville, des avocats non patentés, les asesores, ne vivent que de ça: naturaliser les frontaliers. François Papet-Périn, historien enseignant à la Sorbonne, en cours de thèse à Melilla, explique: «Ils jouent avec les failles du système, mais c’est légal. Ces juristes ramassent 2000 euros par dossier et réunissent les documents nécessaires. Pour comprendre cela, il faut voir qui fait venir ces ouvriers et qui cela arrange. Bien évidemment personne n’en parle.»
Pour la contrebande de marchandises, c’est pareil. Les douaniers du Barrio Chino, poste frontière où transitent chaque jour des milliers de «porteuses», ferment les yeux, appliquent la loi du bakchich et la politique de l’autruche. Avérée mais ignorée des autorités, cette forme d’immigration met également le doigt sur le double discours et la complicité des sphères politiques marocaines et européennes, à l’heure où M. Zapatero se vante des excellentes relations avec son voisin (El País du 15 juillet) et où la France cherche à unir la Méditerranée. Saïd, le chauffeur de taxi qui nous conduit en ville, n’hésite pas une seconde: «C’est tous des menteurs, des politiciens jusqu’aux derniers des gendarmes!»
Par Michael De Pasquale
24/07/2008
Melilla. Célèbre depuis la vague de clandestins subsahariens de 2005, l’enclave espagnole est également le théâtre d’une immigration rampante dont personne ne parle.
«Le roi?...C’est un fils de p..!» La sentence, sans appel, claque comme un coup de fouet. A l’instar des dix autres jeunes qui l’entourent, Mohamed est un enfant de la rue, un Marocain de 21 ans rejeté par son pays dans les dépotoirs de Melilla. «Notre pays nous a oubliés, on dort dans les rues, on a froid et rien à manger, alors que lui dort tranquille!» poursuit-il, la rage au ventre. La situation de ces clandestins révèle un phénomène connu de tous mais volontairement ignoré par les autorités: une forme d’immigration lente et délétère, bien plus complexe que le cas subsaharien.
Un peu d’histoire: en 1912, alors que le Maroc est sous protectorat français, un accord est conclu et autorise les habitants de Tétouan et Nador à entrer librement dans les enclaves espagnoles. Les Berbères du Rif, traditionnellement opposés au pouvoir central marocain, en profitent. Aujourd’hui, contre présentation d’un passeport, la porte est encore ouverte. Pas ou peu de contrôles, Ceuta et Melilla font rapidement naître une variété de trafics interlopes qui les font évoluer dans un véritable imbroglio économique.
Secteur médical saturé. Hospital Comarcal de Melilla, 9 heures du matin. Sur 80 personnes qui attendent pour les consultations, les trois quarts sont composés de Marocains venus de Nador. Majoritairement des femmes. José, l’agent de sécurité posté à l’entrée, est formel: «Chaque jour, ils sont près de 60 à venir se faire soigner et cinq à six femmes sont là pour un accouchement. A Nador, les conditions sanitaires sont telles qu’elles préfèrent venir ici, où les soins sont gratuits.» Jusqu’en 2005, le droit du sol s’appliquait et un enfant né à Melilla obtenait automatiquement la nationalité espagnole, ce qui provoquait immédiatement un regroupement familial.
Pour contrer ce phénomène, la salle d’accouchement a donc été proclamée «zone extraterritoriale». Si la question des accouchements s’est quelque peu calmée, il n’en demeure pas moins que les hôpitaux sont saturés: «C’est triste et on comprend bien qu’ils viennent chez nous. Nous avons le devoir de les soigner, mais nous sommes débordés, car nous devons traiter ces personnes en plus des habitants de Melilla», expliquent Miguel et Julian, infirmiers à l’hôpital.
A l’Ingesa (Instituto Nacional de Gestión Sanitaria de Melilla), impossible d’obtenir des données chiffrées. Même mutisme à la Delegación del Gobierno: «Nous n’avons rien de solide sur l’aspect sanitaire. Nous estimons néanmoins entre 20 000 et 25 000 le nombre des frontaliers qui viennent travailler chaque jour», avoue José Manuel Guirval. Un chiffre «officiel» à prendre avec des pincettes, tant la rue dévoile une tout autre réalité.
Marchés frauduleux. Sur les chantiers du quartier du Real, les travailleurs marocains évitent soigneusement de répondre aux questions. Frontaliers payés au lance-pierre, clandestins pour certains, ils espèrent obtenir le passeport hispanique. En ville, des avocats non patentés, les asesores, ne vivent que de ça: naturaliser les frontaliers. François Papet-Périn, historien enseignant à la Sorbonne, en cours de thèse à Melilla, explique: «Ils jouent avec les failles du système, mais c’est légal. Ces juristes ramassent 2000 euros par dossier et réunissent les documents nécessaires. Pour comprendre cela, il faut voir qui fait venir ces ouvriers et qui cela arrange. Bien évidemment personne n’en parle.»
Pour la contrebande de marchandises, c’est pareil. Les douaniers du Barrio Chino, poste frontière où transitent chaque jour des milliers de «porteuses», ferment les yeux, appliquent la loi du bakchich et la politique de l’autruche. Avérée mais ignorée des autorités, cette forme d’immigration met également le doigt sur le double discours et la complicité des sphères politiques marocaines et européennes, à l’heure où M. Zapatero se vante des excellentes relations avec son voisin (El País du 15 juillet) et où la France cherche à unir la Méditerranée. Saïd, le chauffeur de taxi qui nous conduit en ville, n’hésite pas une seconde: «C’est tous des menteurs, des politiciens jusqu’aux derniers des gendarmes!»
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