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Biographie du prophete sws.

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  • #46
    SALAM

    Une pluie de difficultés


    Bien que la période de boycott, qui dura trois ans, ait représenté de grandes difficultés pour une partie importante de la population mecquoise, elle fut aussi bénéfique à l'islam. D'une part, même si les nouveaux adeptes étaient moins nombreux qu'auparavant, ceux qui rejoignirent les rangs des musulmans durant cette période appartenaient à cette catégorie de personnes qui soutiennent la vérité quelles que puissent en être les conséquences.

    D'autre part, la manière dont le boycott prit fin était également à l'avantage de l'islam. Les souffrances des Hachémites poussèrent les plus compatissants des polythéistes à agir en bravant les irréductibles comme Abu Jahl. Les Mecquois ne parlaient donc plus d'une seule voix. En outre, les plus acharnés donnaient une mauvaise image d'eux-mêmes, puisqu'ils s'opposaient à un acte de bonté envers leurs contribules.
    Cette période du boycott vit, qui plus est, une relative accalmie du conflit opposant les musulmans aux négateurs. Les contacts étaient rares entre les deux camps. Cela laissa à de nombreux notables de Quraysh le temps de réfléchir à l'islam, le message du Prophète contenu dans le Coran. Le Coran était pour eux quelque chose d'extraordinaire. Son discours était si puissant qu'ils ne pouvaient pas s'en détourner quand ils l'entendaient réciter. Les irréductibles, qui avaient toujours le dessus, s'efforçaient d'empêcher leurs concitoyens d'écouter le Coran, leur recommandant de ne pas l'écouter lorsqu'ils l'entendaient mais d'élever la voix pour en couvrir le son.

    Mais le Coran exerçait son attrait même sur les ennemis les plus acharnés de l'islam. Ils savaient que Muhammad passait une partie de la nuit à prier en récitant le Coran. Sous couvert de l'obscurité, plusieurs d'entre eux s'assirent près de sa maison pour écouter ce qu'il récitait à l'intérieur. Chacun était seul et pensait que personne ne saurait ce qu'il avait fait. On peut supposer que leur motivation était soit d'essayer de juger objectivement le message de l'islam, soit de savoir à quoi s'en tenir exactement, soit d'écouter le style magnifique du Coran.
    L'aube arrivant, chacun prit le chemin du retour afin que personne ne s'aperçoive de ce qu'il avait fait. Bientôt cependant, Abu Jahl, Abu Sufyân et al-Akhnas se rencontrèrent. Ils n'avaient pas besoin de se demander mutuellement ce qu'ils faisaient là : il ne pouvait y avoir qu'une seule raison à leur présence à cet endroit à une heure pareille. Ils se conseillèrent donc de ne plus revenir ; l'un d'eux dit : « Si vos partisans vous voyaient, cela sèmerait le doute dans leur esprit. »
    La nuit suivante tous trois revinrent, et ils se rencontrèrent à nouveau au point du jour. Ils se recommandèrent encore de ne plus se comporter de manière aussi « irresponsable ». Néanmoins, la troisième nuit, ils retournèrent tous les trois écouter le Coran près de la maison du Prophète . Lorsqu'ils se rencontrèrent au petit matin, ils eurent honte d'eux-mêmes. L'un d'eux suggéra qu'ils se jurent solennellement de ne plus revenir : c'est ce qu'ils firent avant de rentrer chez eux.

    Plus tard dans la matinée, al-Akhnas ibn Sharîq alla voir Abu Sufyân chez lui. Il lui demanda ce qu'il pensait de ce qu'il avait entendu Muhammad réciter. Abu Sufyân répondit : « J'ai entendu des choses que je sais et que je reconnais comme vraies, mais j'ai aussi entendu d'autres choses dont je ne comprends pas la nature. » Al-Akhnas lui dit qu'il partageait ses sentiments. Il partit ensuite poser la même question à Abu Jahl. La réponse d'Abû Jahl fut totalement différente. Pour une fois, il fut honnête envers lui-même et son interlocuteur et répondit sans détour : « Je vais te dire ce que j'ai entendu ! Nous avons rivalisé pour les honneurs avec le clan de Abd Manâf : ils nourrissaient les pauvres, et nous faisions de même ; ils soutenaient ceux qui en avaient besoin, et nous faisions de même. Alors que nous étions ensemble au même niveau, comme deux chevaux de course galopant côte à côte, ils ont dit que l'un d'eux était un prophète recevant des révélations des cieux ! Quand pourrons-nous parvenir à un tel honneur ? Par Dieu, nous ne croirons jamais en lui. »

    Décès de l'oncle protecteur

    Peu après, Abu Tâlib, le protecteur du Prophète , tomba malade. Il avait plus de soixante-dix ans, et il était clair que la maladie lui serait fatale. Les chefs de Quraysh discutèrent entre eux de la manière dont la mort d'Abû Tâlib affecterait leurs relations avec son neveu

    Muhammad, le Prophète de l'islam. Ils se dirent :
    « Depuis que Hamza et 'Umar sont devenus musulmans, la force de l'islam n'a cessé d'augmenter. Maintenant, les partisans de Muhammad viennent de tous les clans de Quraysh. Allons trouver Abu Tâlib pour qu'il trouve un accord entre son neveu et nous. Qui nous garantit qu'ils ne tenteront pas de prendre le pouvoir dans notre cité ? »

    Une délégation importante, composée des plus éminents d'entre eux comme 'Utba, Shayba, Abu Jahl, Umayya ibn Khalaf et Abu Sufyân, se rendit chez Abu Tâlib pour prendre des nouvelles de sa santé. Ces notables lui dirent ensuite : « Tu sais quelle haute position tu occupes parmi nous et combien nous te respectons. Dans ta situation présente, nous disons honnêtement que nous craignons le pire pour toi. Tu es conscient que les relations sont tendues entre ton neveu et nous. Nous te proposons de l'appeler afin que lui et nous nous engagions à ce que chaque camp vive en paix avec l'autre sans lui chercher querelle. »

    En apparence, c'était là une approche des plus innocentes. Les Quraysh semblaient offrir un pacte juste garantissant la liberté aux deux parties. En fait, ils ne voulaient rien d'autre qu'un arrêt complet de la nouvelle prédication. Le Prophète ne devrait plus parler de l'unicité divine, comme le montre clairement le dialogue qui eut lieu entre les deux parties.

    Abu Tâlib appela le Prophète et lui dit : « Voici les chefs de notre peuple. Ils ont demandé à te voir pour un engagement mutuel. » S'adressant à la délégation, le Prophète dit alors : « Je ne vous demande qu'une parole. Si vous me l'accordez, votre autorité sur tous les Arabes en sera renforcée. Les non-Arabes aussi se soumettront à vous. »

    Pensant voir là un changement d'attitude de la part du Prophète Abu Jahl dit : « Oui, certes. Nous t'accordons cette parole, et dix autres pareilles. Que nous demandes-tu ? » Abu Jahl offrait-il là un chèque en blanc au Prophète ? C'était ce qu'il semblait, mais Abu Jahl n'était pas homme à faire des compromis. Le Messager de Dieu formula clairement sa requête : « Vous déclarez que vous croyez en l'unicité de Dieu et vous renoncez à adorer toute autre divinité que Lui.

    Il ne voulait rien pour lui-même : ni la richesse, ni le rang, ni les honneurs, ni le commandement. Il voulait tout pour son message. Il exigeait qu'ils abandonnent toutes leurs idoles, qu'elles soient en pierre ou en chair et en os. Les délégués de Quraysh comprirent clairement ce que Muhammad voulait d'eux : ils frappèrent des mains pour exprimer leur désapprobation. L'un d'eux dit : « Toi, Muhammad, tu voudrais avoir un seul Dieu à la place de toutes ces divinités ? Voilà qui est bien étrange ! »

    Reconnaissant l'impossibilité de parvenir à un compromis, les délégués repartirent déçus. Après leur départ, Abu Tâlib dit au Prophète : « Mon neveu, je ne pense pas que tu leur aies demandé trop. » Encouragé par cette remarque, le Prophète dit : « Alors toi, mon oncle, prononce cette parole. Elle te sera utile le Jour du Jugement. » Abu Tâlib répondit : « Si je ne craignais pas que toi et ton clan soyez insultés quand je ne serai plus là, et si je ne craignais pas que les Quraysh pensent que je l'ai prononcée parce que j'avais peur de la mort, je l'aurais certainement prononcée pour te faire plaisir. »

    Le Prophète fut très affecté par la perte de son oncle. Abu Tâlib était l'homme qui avait élevé Muhammad, l'orphelin de huit ans qui avait déjà perdu ses deux parents et son grand-père. Il l'avait pris dans sa famille et traité comme son propre enfant, la pitié le poussant sans doute à lui témoigner encore plus de bonté. Lorsque Muhammad avait grandi, Abu Tâlib avait reconnu les immenses qualités de son neveu, alliant la force de caractère aux plus hautes valeurs morales et aux meilleures manières. De plus, Abu Tâlib avait protégé Muhammad, le Prophète de l'islam, lorsqu'il en avait besoin. Sa perte était donc très grave pour le Prophète. Après la mort d'Abû Tâlib, les irresponsables de Quraysh commencèrent à outrager le Prophète par la parole et l'action.

    Décès de Khadija

    Peut-être cinq semaines à peine après la mort d'Abû Tâlib, le Prophète subit une autre immense perte : sa chère femme Khadîja mourut elle aussi. Les récits ne permettent pas de déterminer avec certitude lequel des deux mourut en premier, mais les deux morts furent très rapprochées. Khadîja avait été pour Muhammad une épouse tendre et affectueuse, profondément attachée à son époux et à sa mission. Il trouvait auprès d'elle tout le réconfort qu'un homme peut espérer d'une épouse compréhensive. Elle partageait ses sentiments et ses inquiétudes.

    Consciente de sa valeur, elle lui avait proposé le mariage. Dès le début de sa mission, elle avait été la première à croire en lui. Elle avait toujours été son principal soutien. Confronté aux pires problèmes à l'extérieur, il ne manquait jamais de trouver le réconfort chez lui. Sa disparition signifiait qu'il ne trouverait plus la compassion avec laquelle elle le réconfortait après les nombreuses déceptions qu'il subissait de la part des Quraysh.
    Autrement dit, le Prophète avait, en très peu de temps, perdu à la fois le soutien dont il bénéficiait à l'extérieur et à l'intérieur. Il était maintenant plus vulnérable aux attaques des Quraysh. Plus tard, en se remémorant cette période, le Prophète devait dire : « Les Quraysh ne purent pas me faire beaucoup de mal avant la mort d'Abû Tâlib. »

    Abu Tâlib parti, le Prophète dut subir de plus en plus la persécution des Quraysh. Un jour, un sot arrêta le Prophète et lui jeta de la poussière à la tête. Certains notables de Quraysh se montrèrent ravis de voir le Prophète humilié publiquement. Il rentra chez lui la tête pleine de poussière. L'une de ses filles, en larmes, s'avança pour lui nettoyer la tête. Il la réconforta en disant : « Ne pleure pas, petite fille, Dieu protégera ton père. » Dans un hadîth authentique, Muslim rapporte d'après Abdullâh ibn Mas ud :

    A SUIVRE...

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    • #47
      SUITE

      Un jour, le Messager de Dieu priait à la Ka'ba, tandis qu'Abû Jahl était assis non loin de là avec quelques amis. Des chameaux avaient été tués la veille. Abu Jahl fit à ses amis une suggestion démoniaque : « Lequel d'entre vous serait prêt à prendre les entrailles du chameau tué hier et à les mettre sur le dos de Muhammad quand il se prosternera ? » L'un d'eux le fit, tandis que les autres riaient. J'étais présent, impuissant même à ôter les saletés du dos du Prophète. Le Prophète resta prosterné, incapable de relever la tête, jusqu'à ce que quelqu'un aille avertir sa fille, Fâtima, qui était toute jeune : elle vint les ôter de son dos. Elle s'approcha de ces hommes de Quraysh et les insulta. Lorsque le Prophète eut terminé sa prière, il leva la tête vers le ciel et prononça une invocation : « Seigneur, je T'implore contre les Quraysh. » Il la répéta trois fois. Lorsque les hommes l'entendirent, ils cessèrent de rire et eurent peur. Il dit ensuite : « Seigneur, je T'implore contre Abu Jahl ibn Hishâm, 'Utba ibn Rabî'a, Shayba ibn Rabî'a, al-Walîd ibn 'Utba, 'Umayya ibn Khalaf, 'Uqba ibn Abî Mu'ayt. » - et il mentionna un septième nom qui m'échappe. Par Dieu, qui a envoyé Muhammad avec le message de vérité, j'ai vu tous ces hommes tués à Badr. Ils ont été enterrés dans le puits qui a servi de fosse commune aux négateurs tués à Badr.

      Certains voisins du Prophète étaient tentés de lui faire tout le mal possible. Quand sa famille voulait lui faire cuire un repas, ils mettaient des excréments d'animaux dans sa marmite. Le Prophète les enlevait avec un bâton et, se tenant sur le pas de sa porte, interpellait son clan : « Vous, les descendants de Abd Manâf ! Est-ce ainsi que vous traitez votre voisin ? » Puis il jetait la saleté.

      La situation n'allait qu'empirer, car il semble qu'avec la mort d'Abû Tâlib, la résolution des Hachémites à protéger le Prophète s'était considérablement affaiblie. Le souvenir des souffrances subies lors du boycott infligé par les Quraysh étant encore frais, et Abu Lahab, l'oncle du Prophète, s'étant joint à l'opposition acharnée du reste de Quraysh, les Hachémites étaient conscients du lourd tribut que leur soutien à Muhammad leur faisait payer.
      Comme les autres clans de Quraysh, la majorité des Hachémites restait attachée à leurs croyances païennes. Il n'est donc pas étonnant que beaucoup aient décidé de limiter les pertes et de retirer le soutien qu'ils avaient précédemment accordé à Muhammad par loyauté tribale.

      Tâ'if, le voyage éprouvant

      Dans ces nouvelles circonstances, le Prophète devait tenter d'obtenir de nouveaux soutiens. Après avoir mûrement réfléchi, il partit à pied pour Tâ'if, une ville de montagne à environ cent dix kilomètres de La Mecque. Il n'était accompagné pour ce voyage que de son fidèle serviteur, Zayd ibn Hâritha.

      Tâ'if était habitée par les Thaqîf, la seconde tribu d'Arabie du point de vue numérique. Lorsqu'il entreprit son voyage, Muhammad était plein d'espoir. Si les Thaqîf répondaient favorablement à l'appel de l'islam, ce serait le début d'une nouvelle phase plus heureuse de l'histoire du message divin.

      À son arrivée à Tâ'if, le Prophète contacta les principaux notables, expliquant son message et les invitant à croire en Dieu er à soutenir ses efforts pour mettre en pratique le mode de vie musulman. Tâ'if était la ville où se trouvait le temple d'al-Lât, la principale idole. Les Thaqîf avaient essayé de conférer à al-Lât un statut particulier et de faire de son temple l'un des plus visités par les Arabes, au même titre que la Ka'ba. Les Thaqîf étaient pleinement conscients de ce que le Prophète prêchait.
      L'attitude de leurs chefs vis-à-vis du Prophète était déterminée par des considérations semblables à celles des Quraysh. Pendant dix jours, le Prophète parla à un chef après l'autre : pas un ne lui adressa une parole d'encouragement. La pire réaction vint de trois frères, les fils de Amr ibn 'Umayr. Ces trois frères, Abd Yâlîl, Mas'ud et Habîb, étaient reconnus comme les chefs de Tâ'if. L'un d'entre eux était marié à une femme de Quraysh, et le Prophète espérait que ce lien jouerait en sa faveur.
      Au contraire, les trois hommes rejetèrent très brutalement la démarche du Prophète. Le premier dit : « Je déchirerais les draperies de la Ka'ba s'il était vrai que Dieu t'avait choisi comme messager. » Le second dit : « Dieu n'a-t-Il trouvé que toi pour être Son messager ? » Quant au troisième, il dit : « Par Dieu, je ne te parlerai jamais. S'il est vrai que tu es le Messager de Dieu, tu es trop grand pour que je te parle. Si, au contraire, tu mens, tu ne mérites pas que je te réponde. »

      Craignant que la nouvelle de son rejet ne fasse qu'aggraver l'hostilité des Quraysh envers l'islam, le Prophète demanda aux notables de Thaqîf de ne pas parler de sa démarche. Ils refusèrent même cela. Au lieu de cela, ils lancèrent après lui une foule de jeunes gens et de serviteurs qui le pourchassèrent et lui jetèrent des pierres. Bientôt, ses pieds saignaient et il était en piteux état. Zayd faisait de son mieux pour le défendre et le protéger des pierres.
      Puis le Prophète se réfugia dans un verger appartenant à deux frères mecquois. Ceux-ci se trouvaient dans leur verger et virent Muhammad entrer. Ils commencèrent par l'observer discrètement, tandis qu'il ne les voyait pas. Le Prophète s'assit et prononça cette prière vibrante d'émotion :
      Je me plains à Toi, Seigneur, de ma faiblesse, de mon manque de soutien et de l'humiliation que je subis. Toi le Clément, le Miséricordieux ! Tu es le Seigneur des faibles, et Tu es mon Seigneur. À qui m'abandonnes-Tu ? À un étranger qui me réserve un accueil hostile ? Ou à un ennemi à qui Tu as donné le dessus sur moi ? Si Tu n'es pas mécontent de moi, peu m'importe ce qui m'arrive. Mais je serais bien plus heureux avec Ta miséricorde. Je me réfugie dans la lumière de Ta Face, par laquelle toute obscurité est dissipée et qui régit cette vie et la vie future, contre le fait de mériter Ta colère ou d'être l'objet de Ton courroux. À Toi je me soumets, espérant Te satisfaire. Il n'est de force et de puissance qu'en Toi.


      Les propriétaires du verger n'étaient autres que 'Utba et Shayba, les deux lils de Rabî'a, qui jouissaient d'une haute position chez, les Quraysh. Bien qu'opposés à l'islam et à Muhammad , les deux frères eurent pitié de lui dans son épreuve. Ils appelèrent l'un de leurs esclaves, nommé Addâs, et lui demandèrent d'apporter à Muhammad une grappe de raisin dans un plat. Addâs, un chrétien originaire de la ville irakienne de Ninive, obéit.

      En prenant le raisin, le Prophète dit, comme le font les musulmans avant de manger : « Au nom de Dieu ». Surpris, Addâs remarqua : « C'est quelque chose que personne ne dit par ici. » Lorsque Addâs répondit aux questions du Prophète sur sa religion et ses origines, ce dernier observa : « Alors, tu viens du même endroit que le noble prophète Jonas. » Encore plus surpris, Addâs demanda : « Comment as-tu entendu parler de Jonas ? Quand j'ai quitté Ninive, c'est tout juste si dix personnes connaissaient son existence. » Le Prophète répondit : « C'était mon frère. Comme moi, c'était un prophète. »

      Alors, Addâs baisa la tête, les mains et les pieds du Prophète, dans un geste d'amour et de respect sincères. Voyant cela, l'un des deux propriétaires du verger dit à son frère : « Cet homme a assurément corrompu ton esclave. » Lorsque Addâs les rejoignit, ils lui demandèrent la raison du respect qu'il avait marqué à Muhammad . Il répondit : « Personne sur terre ne peut être meilleur que lui. Il m'a dit quelque chose que seul un prophète pouvait savoir. » Ils lui dirent : « Fais attention, Addâs. Il pourrait essayer de te convertir alors que ta religion est meilleure que la sienne. »

      Leur attitude montre clairement que malgré la bonté qu'ils avaient manifestée au Prophète dans une situation qui avait éveillé leurs nobles sentiments de pitié et de compassion, ils ne voulaient pas que son voyage infructueux lui rapporte ne fût-ce que le moindre profit. Addâs ne suivait pas la religion de ses maîtres. Ces derniers ne pensaient guère de bien du christianisme. Cependant, ils préféraient que leur esclave reste chrétien plutôt que de le voir suivre Muhammad, afin que le camp musulman demeure faible.

      Le Prophète se mit alors en route pour La Mecque. Il s'arrêta à Nakhla, non loin de La Mecque. En examinant tous les aspects de sa situation, il se rendait compte que les Quraysh risquaient de l'empêcher de retourner à La Mecque. Ils risquaient même de le tuer ou de le faire enfermer. La seule issue était de rechercher la protection de l'un de leurs notables. La nature de la société tribale arabe était telle que tout individu arrivant dans une ville ou dans une tribu devait bénéficier de l'alliance ou de la protection d'un personnage influent de cette ville ou de cette tribu.

      Généralement, ces personnages accordaient leur protection à tous ceux qui la demandaient car ils rehaussaient ainsi leur propre notoriété. Dans le cas du Prophète , toutefois, les deux premiers notables contactés, al-Akhnas ibn Sharîq et Suhayl ibn Amr, refusèrent cette protection. Le troisième, al-Mut'im ibn Adî, l'accorda. Lui-même, ses fils et ses neveux prirent leurs armes et se rendirent dans l'enceinte sacrée. Puis il fit dire au Prophète d'entrer dans la ville. Le Prophète se rendit à la Ka'ba et en fit le tour sept fois, sous la garde de ses protecteurs.

      A SUIVRE...

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      • #48
        SUITE

        Abu Jahl, dépité d'avoir perdu cette occasion d'en finir avec Muhammad, demanda à al-Mut'im : « Es-tu un partisan ou un protecteur ? » Al-Mut'im confirma qu'il ne faisait que protéger Muhammad. Abu Jahl déclara alors que personne n'interviendrait pour mettre en cause cette protection. Le Prophète Muhammed rentra donc chez lui sans encombre. Il avait toutefois appris une leçon très importante : il ne devait pas s'aventurer hors de La Mecque avant d'avoir auparavant préparé le terrain afin de garantir le succès de son entreprise et sa propre sécurité.

        Ce voyage décevant à Tâ'if affecta profondément le Prophète. Il fut vivement peiné par l'hostilité de certains notables de Tâ'if. Plusieurs années plus tard, son épouse Aïsha demanda au Prophète, après la défaite subie par les musulmans à Uhud, leur seconde grande bataille contre les Quraysh : « As-tu jamais vécu plus dure journée que celle de Uhud ? » Il répondit : « J'ai beaucoup souffert à cause de tes concitoyens. Mais le pire que j'ai enduré, c'était le jour d'al-'Aqaba. Je me suis proposé à Abd Yâlîl ibn Abd Kallâl, mais il a repoussé mon offre. Je l'ai quitté envahi par la peine, et je n'ai retrouvé mes esprits que quand je suis arrivé à Qarn ath-Tha'alib. En levant la tête, j'ai aperçu un nuage au-dessus de moi. J'ai regardé, et j'ai vu Gabriel qui me disait : "Dieu a entendu la réponse que t'ont donnée tes concitoyens, et Il t'a envoyé l'ange des montagnes pour exécuter tes ordres." L'ange des montagnes m'a alors salué : "Dieu a entendu ce que tes concitoyens t'ont répondu, et Il m'a envoyé pour être à ton service. Si tu veux, je ferai s'écrouler les montagnes sur leur tête, et si tu veux, je les ferai avaler par la terre." Je lui répondis : "Non, j'espère que Dieu fera naître de leurs descendants un peuple qui n'adorera que Lui et ne Lui associera aucun partenaire." »
        Lorsque le Prophète Muhammed revint à La Mecque après l'échec de Tâ'if, sa situation était dramatique. Il avait, la même année, perdu sa tendre épouse et l'oncle qui l'avait toujours soutenu. Non seulement sa tentative de compenser cette double perte en obtenant des appuis extérieurs n'avait pas abouti, mais il avait été contraint de rechercher la protection d'al-Mut'im, un notable de Quraysh non musulman.
        Muhammad devait maintenant être pleinement conscient qu'il ne pouvait plus compter sur le soutien de son propre clan, les Hachémites.

        L'ascension et le voyage nocturne, un soutien inattendu

        Un événement hors du commun se produisit alors. Une nuit, tandis que le Prophète dormait chez sa cousine Umm Hâni' bint Abî Tâlib à La Mecque, l'ange Gabriel vint le réveiller et le conduisit par la main jusqu'à la Mosquée Sacrée, où il trouva un animal plus petit qu'une mule mais légèrement plus grand qu'un âne. L'animal possédait quatre pattes mais aussi deux ailes, et flottait facilement en se déplaçant à une vitesse inimaginable. Le Prophète lui-même a décrit son mouvement en disant : « Il mettait son pied le plus loin possible de son flanc ».

        Le Prophète et Gabriel voyagèrent ensemble sur l'animal qui portait le nom d'al-Burâq, du mot arabe barq qui signifie l'éclair. En quelques instants, ils atteignirent Jérusalem en Palestine. Là, le Prophète rencontra Abraham, Moïse, Jésus et d'autres nobles prophètes. Il dirigea leur prière. Puis on lui apporta trois coupes, l'une contenant du lait, la seconde du vin et la troisième de l'eau. Il but le lait. Quand il eut fini, Gabriel lui dit : « Ta nation et toi, vous êtes bien guidés. »

        Depuis Jérusalem, ils montèrent au Ciel. Le Prophète Muhammednous dit que chaque fois qu'ils pénétraient dans l'un des sept Cieux, Gabriel confirmait à l'ange qui le gardait que Muhammad avait déjà reçu sa mission. Dans chacun des Cieux, il rencontra l'un ou l'autre des prophètes qui avaient prêché le message divin à l'humanité. Les récits authentiques de ce voyage très particulier mentionnent les noms d'Adam, Jésus, Jean, Joseph, Moïse et Abraham.

        Il vit aussi des exemples des tourments que subiraient certaines catégories de personnes vouées à l'Enfer dans l'au-delà. La description de ces groupes et de leurs tourments est si précise que l'on peut presque les voir ; leur souffrance était si terrible que l'on ferait n'importe quoi pour l'éviter. Le Prophète fut ensuite admis au Paradis et y vit des exemples du bonheur dont jouiraient ceux qui rechercheraient la satisfaction de Dieu et Lui obéiraient.

        Le Prophète fut enchanté de ce qu'il vit et exprima le souhait que tous ses adeptes puissent jouir de tels délices. Lorsqu'il était devant Dieu, il fut informé des prières que lui-même et ses adeptes devaient accomplir. Lorsqu'il passa près de Moïse à son retour, celui-ci l'interrogea au sujet des prières. Quand Muhammad Muhammed l'informa que les musulmans devraient prier cinquante fois par jour, Moïse lui conseilla de retourner implorer Dieu de réduire cette exigence en disant : « Les prières sont une lourde charge, et ta nation est faible. »

        Le Prophète suivit ce conseil et Dieu ramena l'obligation à quarante prières par jour. Lorsque le Prophète s'arrêta à nouveau près de Moïse, celui-ci réitéra son conseil. Là encore, le Prophète le suivit. Le même processus se répéta plusieurs fois, jusqu'à ce que le nombre de prières quotidiennes soit réduit à cinq. Moïse, trouvant toujours cela trop difficile, conseilla au Prophète de demander encore une réduction. Cependant, ce dernier n'osa pas retourner une nouvelle fois.

        Le Prophète Muhammed rentra ensuite à La Mecque, dont il n'avait été absent qu'une partie de la nuit. Il arriva peu avant l'aube. Durant ce voyage unique, il avait pu contempler l'étendue de l'univers ainsi que le lien entre notre vie de ce monde et la vie plus vaste et plus grandiose de l'au-delà. Dieu voulait aussi qu'il voie d'autres signes et d'autres symboles destinés à emplir son coeur béni d'une foi inébranlable.

        Puisqu'il avait été emmené pour ce voyage unique de la maison de sa cousine Umm Hâni chez qui il passait la nuit, ce fut là qu'il retourna. Les habitants de la maison ne tardèrent pas à se réveiller. Lorsqu'ils eurent accompli leur prière de l'aube, le Prophète parla à Umm Hâni de son voyage. Celle-ci, qui était croyante, ne douta pas de la vérité de ce que le Prophète relatait. Toutefois, comme il s'apprêtait à partir pour la mosquée, elle le retint en disant : « J'ai peur que les gens ne te croient pas si tu leur racontes ce que tu viens de me raconter. » Le Prophète manifesta néanmoins son intention de le leur relater, « même s'ils ne me croient pas ».

        Le Prophète était assis à la mosquée, totalement absorbé par ses pensées. Abu Jahl, l'ennemi déclaré de l'islam, le remarqua et vint lui demander : « Du nouveau ? » Le Prophète répondit : « Oui. J'ai été conduit à Jérusalem la nuit dernière. » S'assurant d'avoir bien entendu, Abu Jahl demanda : « À Jérusalem ? » Le Prophète répondit que oui. Comprenant qu'il avait là une occasion de renforcer l'opposition à Muhammad et à son message, Abu Jahl demanda encore : « Si j'appelle les autres, leur répèteras-tu ce que tu viens de me dire ? » Le Prophète répondit sans hésiter : « Oui. »

        Ce fut donc Abu Jahl qui fit ce que le Prophète Muhammed avait l'intention de faire, à savoir réunir les gens afin qu'il les informe de son voyage. Lorsque le Prophète eut terminé son récit, tout le monde exprimait son incrédulité d'une manière ou d'une autre. Les uns frappaient des mains, d'autres mettaient leurs mains sur leur tête, d'autres encore huaient. Quelqu'un demanda des nouvelles de la caravane que les Quraysh avaient envoyée en Syrie. Le Prophète en donna des nouvelles détaillées et précisa quand elle arriverait. Les gens sortirent à l'heure indiquée et eurent la surprise de voir arriver la caravane, exactement telle que le Prophète l'avait décrite.

        Pourtant, cela ne parvint pas à atténuer leur opposition au Prophète. Quand le Prophète Muhammed eut terminé le récit de son voyage, de nombreux négateurs se mirent à parcourir La Mecque pour raconter ce qui leur semblait être l'histoire la plus incroyable qu'on ait jamais entendue. Certains allèrent directement trouver Abu Bakr, le meilleur ami du Prophète, pour lui relater l'affaire et voir quelle serait sa réaction. Abu Bakr commença par les accuser de lui raconter des mensonges. Mais lorsqu'ils insistèrent sur le fait que Muhammad affirmait réellement avoir fait l'aller-retour jusqu'à Jérusalem pendant la nuit, Abu Bakr répondit : « S'il dit vraiment cela, il dit la vérité. »

        Devant leur stupéfaction de le voir croire une histoire aussi singulière, Abu Bakr dit : « Qu'est-ce qui est si étonnant ? Je le crois lorsqu'il dit quelque chose de bien plus incompréhensible. Il affirme qu'il reçoit des révélations de Dieu et je le crois. » Abu Bakr se rendit ensuite à la mosquée où les gens étaient encore réunis autour du Prophète Muhammed, en train d'exprimer leur incrédulité. Il demanda au Prophète s'il avait bien dit qu'il était allé jusqu'à Jérusalem et revenu en une seule nuit. Le Prophète répondant que oui, Abu Bakr dit : «Je te crois ; tu dis toujours la vérité. » Puis il demanda au Prophète de décrire Jérusalem. Tandis qu'il la décrivait, Abu Bakr ne cessa de répéter : « Je te crois ; tu dis toujours la vérité. »
        L'attitude d'Abû Bakr plut tellement au Prophète qu'il lui donna le titre de Siddîq, qui désigne un croyant profondément sincère. Abu Bakr était très attaché à ce titre qu'il garda jusqu'à la fin de ses jours.

        Suite à cet événement, un petit nombre de personnes renoncèrent à l'islam pout rejoindre les rangs des négateurs. Leur apostasie n'affecta cependant pas le Prophète : il continua à prêcher son message avec la même détermination sans faille.
        Muhammed
        Dernière modification par mquidech, 14 septembre 2014, 05h16.

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        • #49
          SALAM

          Premiers contacts avec les Médinois


          En examinant sa situation à La Mecque, le Prophète pouvait constater que, dans sa propre ville, la situation était bloquée. Malgré l'arrivée périodique de nouveaux adeptes, une avancée majeure semblait aussi peu probable que jamais. Les attitudes s'étaient durcies et les loyautés tribales, profondément ancrées, constituaient un obstacle empêchant toutes les personnes qui auraient pu penser clairement d'évaluer la prédication de Muhammad de manière rationnelle et objective.

          La seule alternative était donc d'avancer ailleurs qu'à La Mecque. L'émigration en Abyssinie et le voyage à Tâ'if peuvent être considérés comme des pas dans cette direction, bien que leurs objectifs immédiats aient été très différents. En outre, le Prophète essayait toujours de tirer parti de la saison du pèlerinage, en établissant des contacts avec les pèlerins pour leur expliquer les principes fondamentaux de l'islam et les inviter à en transmettre le message à leurs contribules.

          Certains de ces pèlerins réagissaient favorablement, mais ils restaient trop peu nombreux pour pouvoir faire évoluer la situation générale des musulmans. De fait, la saison du pèlerinage semblait offrir les meilleures chances pour transmettre le message de l'islam au-delà des limites de La Mecque. Lorsque la prochaine saison de pèlerinage arriva, le Prophète commença à mettre en oeuvre sa nouvelle approche. Le pèlerinage à La Mecque se produisait tous les ans depuis qu'Abraham avait édifié la Ka'ba sur ordre de Dieu Lui même.

          Mise à profit de la saison du pèlerinage

          Le Prophète se mit à prendre contact avec les pèlerins des principales tribus d'Arabie. Ceux-ci formaient naturellement leurs propres groupes et restaient ensemble durant leur séjour dans la région de La Mecque et de Arafat. Le Prophète alla trouver les pèlerins de chaque tribu, s'adressant à eux en tant que groupe. Il leur expliquait qu'il était un messager de Dieu, chargé d'inviter les gens à n'adorer que Lui et à abandonner toute autre forme de culte. Le Prophète demandait aussi à chaque tribu qu'il contactait de lui accorder sa protection afin qu'il puisse transmettre son message à l'humanité.

          Auparavant, le Prophète s'était contenté d'aborder les pèlerins individuellement dans l'espoir de gagner de nouveaux adeptes. Désormais, il s'adressait aux tribus, recherchant ainsi une alliance qui lui apporterait la liberté d'action. Bien entendu, les Quraysh, contrariés même par les quelques progrès que le Prophète avait pu faire grâce à ses précédents contacts avec les pèlerins, ne pouvaient pas rester inactifs maintenant que ces contacts prenaient une forme collective.

          Son propre oncle Abu Lahab, qui avait toujours été un ennemi acharné de l'islam, entreprit d'organiser une contre-offensive afin de dissuader les gens d'écouter Muhammad. Le récit qui va suivre est celui de Rabî'a ibn Abbâd, membre des Dîl, une branche importante de la tribu de Kinâna :
          J'étais adolescent et j'accompagnais mon père à Mina [où les pèlerins campent après Arafat] lorsque je vis le Messager de Dieu venir rendre visite aux tribus arabes dans leurs campements. Il s'adressa à chaque tribu par son nom en disant : « Je suis le Messager que Dieu vous a envoyé. Il vous ordonne de n'adorer que Lui et de ne Lui attribuer aucun associé. Il vous ordonne aussi d'abandonner toutes ces idoles que vous adorez à Sa place, de croire en moi, d'accepter mes paroles et de me protéger afin que je puisse transmettre le message que Dieu m'a confié. »

          Derrière lui se tenait un homme au teint brillant qui louchait ; ses cheveux étaient partagés en deux nattes et il portait un vêtement d'Aden. Lorsque le Messager de Dieu eut terminé ce qu'il avait à dire, l'autre homme s'adressa à chaque tribu par son nom en disant : « Ce que cet homme vous demande, c'est d'abandonner al-Lât et al-'Uzzâ [leurs deux principales idoles] et d'abandonner vos alliés parmi les djinns, pour suivre ses divagations. Ne l'écoutez jamais et ne lui obéissez jamais. » Je demandai à mon père qui était cet homme qui contredisait le Prophète, et il me répondit que c'était son oncle, Abu Lahab.
          Les Quraysh s'opposèrent de toutes leurs forces aux efforts du Prophète pour gagner l'appui des autres tribus. Il continua néanmoins à présenter son message à toutes les tribus susceptibles de lui fournir la protection dont il avait besoin pour poursuivre sa tâche. Cela revenait à s'opposer aux Quraysh et, à terme, à leur faire la guerre. Il n'est donc pas étonnant que la proposition du Prophète n'ait guère suscité d'enthousiasme chez les tribus arabes.

          La délégation de Kinda, conduite par un nommé Mulayh, opposa au Prophète un refus catégorique, et elle ne fut pas la seule. La tribu des Banû Amir ibn Sa'sa'a fut tout d'abord moins négative. L'un de ses membres, Bayhara ibn Firâs, dit à ses contribules : « Si je prends cet homme de Quraysh, je pourrai grâce à lui soumettre le reste de l'Arabie. » Il s'adressa alors au Prophète pour lui demander : « Si nous acceptons ta prédication et t'accordons le soutien dont tu as besoin, et si ensuite, par la volonté de Dieu, tu as la victoire, aurons-nous le pouvoir après toi ? » Le Prophète répondit : « Le pouvoir appartient à Dieu. C'est Lui qui le donne à qui Il veut. » L'homme dit alors : « Devrions-nous combattre toute l'Arabie pour te soutenir et, une fois la victoire obtenue, laisser le pouvoir à d'autres ? Nous ne traiterons pas avec toi. »

          De retour chez eux, les membres de la délégation relatèrent aux aînés les événements de leur voyage, comme cela se faisait habituellement. Lorsqu'ils parlèrent de leur rencontre avec le Prophète et de la réponse qu'ils lui avaient donnée, un vieillard très respecté parmi eux leva la main et dit : « N'y a-t-il pas moyen de rectifier cette erreur ? Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, aucun Ismaélite n'a jamais proféré de mensonge de cet ordre. L'homme est réellement un prophète. Où aviez-vous laissé votre raison quand vous l'avez rencontré ? » Cependant, l'affaire n'aboutit à rien.

          La tribu des Banû Hanîfa, par contre, repoussa très brutalement le Prophète. Les Banû Kalb le rejetèrent également.

          Contacts Individuels

          Le Prophète ne se contenta pas néanmoins d'établir des contacts avec les délégations d'autres tribus. Chaque fois qu'il apprenait l'arrivée à La Mecque d'un homme jouissant d'une position éminente parmi les siens, il prenait contact avec lui et lui expliquait l'islam. En pareil cas, il ne demandait pas de protection : il ne
          demandait cela que lorsqu'il s'adressait collectivement à une tribu.
          L'un de ces hommes fut Suwayd ibn as-Sâmit de Médine. Lorsque le Prophète lui parla, il répondit : « Tu as peut-être quelque chose de semblable à ce que j'ai. » Lorsque, à la demande du Prophète, il cita quelques passages d'un livre qu'il appela « l'écrit de Luqmân », le Prophète dit : « Voilà de belles paroles, mais ce que j'ai est mieux encore. » Il lui récita alors un passage du Coran et l'invita à devenir musulman. Suwayd ne fit pas d'autre réponse que : « Ce que tu as récité est certes excellent. » Cependant, il fut tué peu après être rentré chez lui. Selon ses proches, il serait effectivement devenu musulman avant sa mort.

          Un autre groupe de Médinois, conduit par un homme appelé Abu al-Haysar Anas ibn Rafi', arriva à La Mecque pour rechercher une alliance avec les Quraysh contre la tribu médinoise de Khazraj. Le Prophète alla trouver ces gens et leur dit : « Je peux vous proposer mieux que ce que vous êtes venus chercher. » En réponse à leurs questions, il poursuivit : « Je suis le Messager de Dieu aux hommes. Je les appelle à n'adorer que Dieu, sans rien Lui associer. Il m'a révélé Son Livre contenant Son message. » Il expliqua ensuite les principes de l'islam et récita un passage du Coran. Un membre du groupe, un tout jeune homme appelé lyâs, s'exclama : « Par Dieu, voilà qui est mieux que ce que nous sommes venus chercher ! » Le chef, Abu al-Haysar, prit une poignée de sable et la jeta à la figure d'Iyâs en disant : « Laisse-nous tranquilles. Nous sommes venus ici dans un autre but. »

          Le Prophète partit. Peu après leur retour, la bataille de Bu'âth éclata entre les deux tribus arabes de Médine, les Aws et les Khazraj. Iyâs ne tarda pas à mourir, et ceux qui assistèrent à sa mort relatèrent ensuite qu'il glorifia et loua Dieu jusqu'à son dernier souffle : ils étaient certains qu'il était mort musulman.

          Des cas comme ceux de Suwayd ou d'Iyâs étaient des signes encourageants pour le Prophète. Un autre signe encore plus encourageant fut le cas d'at-Tufayl ibn 'Amr, un chef de la tribu des Daws. Lorsqu'il arriva à La Mecque pour accomplir le pèlerinage, les notables de Quraysh ne manquèrent pas de le mettre en garde contre le Prophète. Ils allèrent jusqu'à insister pour qu'il ne rencontre pas le Prophète et n'écoute pas ce qu'il avait à dire. At-Tufayl a relaté :
          Ils continuèrent à exercer une telle pression sur moi que je pris la résolution de ne jamais écouter ce qu'il pourrait dire, ni même lui parler. Lorsque j'allai à la mosquée le lendemain matin, je mis du coton dans mes oreilles afin de ne pas entendre accidentellement ses paroles. Je ne voulais pas l'écouter. Cependant, il priait non loin de moi lorsque j'étais dans la Mosquée Sacrée, et Dieu voulut que j'entende ses paroles. Je reconnus que ce qu'il disait était assurément bon. Je me dis : « Comme je suis dans l'erreur ! Par Dieu, je suis un bon poète, capable de distinguer les bonnes paroles des mauvaises. Qu'est-ce qui m'empêche d'écouter cet homme et de juger ce qu'il dit ? Si c'est bon, je l'accepterai et si c'est mauvais, je le rejetterai. »

          J'attendis que le Messager de Dieu rentre chez lui et je le suivis. Je lui dis : « Muhammad, tes concitoyens m'ont dit ceci et cela, et ont tellement insisté pour que je ne t'écoute pas que j'ai fermé mes oreilles à tes paroles. Pourtant, Dieu a voulu que j'entende ce que tu disais, et je l'ai trouvé bon. Peux-tu m'expliquer ton message ? » Le Prophète me parla de l'islam, m'en expliqua les principes et me récita un passage du Coran. Par Dieu, je n'avais jamais rien entendu d'aussi beau. J'embrassai immédiatement l'islam et je déclarai ma foi en l'unicité de Dieu et la prophétie de Muhammad.

          A SUIVRE...
          Dernière modification par mquidech, 15 septembre 2014, 03h12.

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          • #50
            SUITE

            Lorsque at-Tufayl arriva chez sa tribu, son père, un homme âgé, vint l'accueillir ; mais at-Tufayl lui dit qu'ils n'avaient plus rien en commun car il était désormais musulman et suivait la religion du Prophète Muhammad . Son père déclara alors qu'il suivrait la même religion. At-Tufayl lui dit d'aller prendre un bain et de laver ses vêtements. Lorsqu'il l'eut fait, il lui expliqua les principes de l'islam : son père devint ainsi musulman.
            At-Tufayl agit de même avec son épouse, qui fut elle aussi prête à adopter l'islam dès qu'on lui en expliqua les principes. Puis il commença à appeler ses contribules à l'islam, mais ceux-ci n'étaient pas prêts à répondre à son appel. Quelque temps après, découragé, il alla trouver le Prophète pour se plaindre de son manque de succès. Il suggéra au Prophète de les maudire. Au lieu de cela, le Prophète implora Dieu de les guider et recommanda à at-Tufayl de retourner parmi eux et de les inviter en douceur à embrasser l'islam.

            Il retourna donc parmi les siens et suivit les recommandations du Prophète. Il ne revit le Prophète que plusieurs années plus tard, après la bataille du fossé. Il le rejoignit en compagnie d'environ quatre-vingts familles de sa tribu qui avaient embrassé l'islam. Ils participèrent à la bataille de Khaybar avec le Prophète et celui-ci leur donna des parts du butin de cette expédition.

            Les habitants de Médine

            La ville de Yathrib, aujourd'hui Médine (ce qui signifie « la cité »), était habitée à l'époque du Prophète par deux importantes tribus arabes, les Aws et les Khazraj. L'histoire de ces deux tribus était marquée par des conflits sanglants qui épuisaient leurs forces. La dernière bataille les opposant, celle de Bu'âth, avait eu lieu environ deux ans avant les événements que nous relatons à présent.

            Une importante communauté juive vivait à Médine depuis fort longtemps. Les historiens relatent également que les tribus juives étaient venues à Médine parce que leurs écritures mentionnaient ce lieu comme celui où le dernier messager de Dieu viendrait s'établir.

            Comme les autres tribus arabes, les Aws et les Khazraj étaient idolâtres. Comme tous les Arabes, ils vénéraient la Ka'ba et pratiquaient le pèlerinage. Lors d'une saison du pèlerinage, après que le Prophète avait adopté sa nouvelle stratégie consistant à aborder les diverses tribus arabes pour rechercher leur protection dans l'accomplissement de sa mission, un groupe de six hommes de la tribu des Khazraj accomplissait le pèlerinage. Le Prophète les rencontra à un endroit appelé Aqaba, à Mina, où les pèlerins campent pendant trois jours. Lorsqu'ils dirent au Prophète qui ils étaient et qu'il sut qu'ils étaient les voisins des juifs, il entreprit de leur expliquer son message.

            Ils éraient prêts à écouter ce qu'il avait à dire. Le Prophète leur exposa les principes de son message et leur récita un passage du Coran. Il les invita à croire en Dieu en tant qu'unique divinité digne d'adoration. Certains d'entre eux dirent alors aux autres : « Vous pouvez être sûrs qu'il est le Prophète dont les juifs ne cessent de nous menacer. Ne les laissons pas être les premiers à le suivre. »

            Cela toucha, semble-t-il, une corde sensible. Les Arabes de Médine avaient du respect pour la religion juive. Ils reconnaissaient que leurs propres croyances païennes ne pouvaient être comparées à la religion monothéiste des juifs, qui affirmaient posséder une meilleure connaissance de Dieu et des hommes. Chaque fois qu'une querelle opposait les médinois arabes et juifs, ces derniers disaient : « Bientôt un nouveau messager sera envoyé par Dieu. Nous le suivrons et vous serez tous tués comme l'ont été les peuples de Ad et Iram.

            Les six membres des Khazraj n'hésitèrent pas à adhérer aux paroles du Prophète . Il s'agissait d'As'ad ibn Zurâra, Awf ibn al-Hârith, Rafî' ibn Mâlik, Qutba ibn Amir ibn Hadîda, 'Uqba ibn Amir ibn Zayd et Jâbir ibn Abdullâh ibn Ri'âb. Ils déclarèrent croire en Dieu et au message de Muhammad. Ils dirent aussi au Prophète : « Nous avons laissé nos concitoyens dans un état d'hostilité mutuelle sans précédent. Puisse Dieu faire de toi la cause de leur unité. Nous allons les inviter à te suivre et leur expliquer ta religion que nous avons adoptée. Si Dieu les unit derrière toi, tu jouiras parmi eux du plus grand prestige. »

            Le Prophète avait ainsi six émissaires s'activant à transmettre son message à leurs concitoyens. Ils furent, semble-t-il, très efficaces : bientôt la ville entière ne parlait plus que du Prophète et de sa prédication. Beaucoup devinrent musulmans grâce aux efforts de ces six hommes.
            Il était clair que Médine était le milieu le plus propice à l'expansion de l'islam. D'une part, on n'y trouvait pas les sentiments hostiles qui existaient à La Mecque : l'islam, avec sa logique claire et simple, pouvait donc exercer son attrait sur les habitants. D'autre part, le concept de monothéisme était particulièrement attrayant pour les Arabes de Médine en raison de leur respect pour la religion juive. Même si les tribus juives de Médine se comportaient avec les Arabes de manière condescendante et leur faisaient sentir que le judaïsme était une religion réservée à une élite.
            En outre, les tribus arabes ennemies de Médine aspiraient à la paix. Il n'était pas facile aux Aws et aux Khazraj de se réconcilier de manière durable sans un catalyseur puissant. Il est clair, d'après ce que les six hommes dirent au Prophète, qu'ils espéraient que ce dernier serait ce catalyseur de paix et d'unité. Avec les progrès rapides accomplis par l'islam à Médine (ou Yathrib), les nouveaux adeptes avaient hâte de rencontrer le Prophète.

            Le moment propice à cette rencontre était bien évidemment la prochaine saison de pèlerinage, où six autres hommes se joignirent aux six premiers pour rencontrer le Prophète à Aqaba. Le Prophète fut enchanté de l'enthousiasme montré par cette délégation pour la cause de l'islam. Ces hommes étaient prêts à mettre tous leurs efforts au service de leur nouvelle foi. Cependant, le Prophète ne leur demanda pas à ce moment de protection comme il le faisait avec les autres tribus.

            En homme d'État avisé, il avait compris qu'un tel engagement arriverait en temps voulu, sans qu'il ait besoin de le demander. La nécessité immédiate était de consolider la nouvelle base de Médine. Le Prophète contracta donc un pacte avec les douze hommes, dont dix appartenaient aux Khazraj et deux aux Aws. Selon ce pacte, les douze hommes s'engageaient à « n'adorer aucune autre divinité que Dieu, ne commettre ni vol, ni adultère, ni infanticide, ne pas proférer de mensonge de leur invention et ne jamais désobéir au Prophète en ce qui était juste et raisonnable. »

            Ce pacte fut plus tard connu sous le nom de « pacte des femmes », car ses termes s'appliquèrent ensuite uniquement aux femmes, les hommes devant alors s'engager aussi à combattre les ennemis de l'islam. Ce pacte de soutien était une avancée considérable dans l'histoire de l'islam. Il ne comportait aucune stipulation d'ordre militaire. Bien que le Prophète ait été conscient que les Quraysh ne laisseraient pas l'islam se développer librement en Arabie sans tenter de l'étouffer par tous les moyens possibles, une telle confrontation n'était pas encore imminente.

            Le Prophète envoya Mus'ab ibn 'Umayr à Médine avec ses nouveaux adeptes. Il avait pour mission d'enseigner la religion aux nouveaux musulmans de Médine et de leur apprendre le Coran et tout ce qu'ils devaient savoir de l'islam. Il devait aussi inviter les gens à embrasser l'islam. Il dirigeait également la prière des musulmans de Médine. Comme le souvenir des dernières batailles entre les deux tribus des Aws et des Khazraj était encore frais dans leur esprit, les deux groupes avaient du mal à admettre qu'un membre de l'autre tribu puisse diriger leur prière.

            Mus'ab ibn 'Umayr était un partisan dévoué et possédait le tempérament adéquat pour se mêler à des étrangers et les inviter à adopter l'islam comme religion et comme mode de vie. Il devait évaluer la situation dans son ensemble et la faisabilité d'un exode des musulmans mecquois à Médine. Peut-être avait-il aussi d'autres instructions. On remarque en effet que lors des contacts qui avaient eu lieu jusqu'alors entre le Prophète et les habitants de Médine, la tribu des Khazraj était beaucoup plus fortement représentée que les Aws.

            Cela est probablement dû au fait que les six premiers hommes qui avaient rencontré le Prophète et embrassé l'islam étaient des Khazraj. Il était naturel qu'ils concentrent leurs efforts sur leur propre tribu. Il n'était donc pas étonnant que sur les douze hommes qui avaient conclu le pacte de soutien avec le Prophète l'année suivante, dix appartenaient aux Khazraj et deux seulement aux Aws. C'est pourquoi Mus'ab avait peut-être aussi pour mission de rétablir l'équilibre : la dernière chose que souhaitait le Prophète, c'était que l'islam contribue à diviser davantage les habitants de Médine ; il voulait au contraire que l'islam soit une force d'unité.

            Mus'ab demeurait chez As'ad ibn Zurâra, un membre des Khazraj possédant des parents proches parmi les Aws. As'ad lui fournissait toutes les informations dont il avait besoin au sujet des habitants de Médine. Un exemple des réalisations majeures de leurs efforts conjoints suffira peut-être à l'illustrer.

            Un jour, As'ad emmena Mus'ab à un verger appartenant au clan de Abd al- Ashhal, une branche de la tribu des Aws. Quelques musulmans les y rejoignirent. Sa'd ibn Mu'adh et Usayd ibn Hudayr, les deux principaux personnages de ce clan, demeuraient attachés au paganisme arabe. Lorsqu'il apprit la présence d'As'ad et Mus'ab, Sa'd dit à Usayd : « Va trouver ces deux hommes qui sont venus ici pour diffuser leurs idées auprès des gens simples et dis-leur de ne plus revenir chez nous. Si As'ad n'avait pas été mon cousin, je t'aurais épargné cette tâche. Mais vu les circonstances, je serais gêné de le chasser moi-même. »

            Tandis qu'Usayd s'approchait, As'ad dit à Mus'ab : « Cet homme est le chef de son clan. Fais un effort sincère avec lui. » Mus'ab répondit : « J'essaierai assurément, s'il accepte de s'asseoir avec nous. » Usayd exprima, d'un ton rude, son refus de les laisser tenter de convaincre les gens « simples ». Il ajouta une menace : « Tenez-vous loin de nous si vous tenez à votre sécurité. » Mus'ab répondit : « Veux-tu t'asseoir avec nous et écouter ce que nous avons à dire ? Si tu trouves cela raisonnable, tu l'accepteras ; sinon, nous ne t'ennuierons plus. » Usayd dit : « Voilà qui est juste. »
            Lorsque Mus'ab expliqua les principes fondamentaux de l'islam et récita un passage du Coran, le visage d'Usayd se mit à briller d'admiration. Quand Mus'ab eut fini, il lui dit : « Ce sont là de belles paroles. Que faut-il faire lorsqu'on veut embrasser cette religion ? » Mus'ab le lui expliqua et Usayd effectua immédiatement l'ablution nécessaire et déclara qu'il croyait que Dieu est unique et que Muhammad est Son Prophète.



            A SUIVRE....

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            • #51
              SUITE

              Puis Usayd dit : « Je vais t'envoyer un homme que tous ses contribules suivraient s'il décidait de se joindre à toi. C'est Sa'd ibn Mu'âdh. » Comme Usayd s'approchait de Sa'd, celui-ci remarqua le grand changement survenu dans son expression. Usayd lui dit qu'il n'avait pas trouvé les deux hommes en train de faire quelque chose de mal. Il ajouta qu'un autre clan complotait de tuer As'ad afin d'atteindre Sa'd lui-même.

              Irrité, Sa'd rétorqua : « J'irai moi-même leur dire de rester loin de nous. » En s'approchant d'eux, il comprit soudain qu'Usayd désirait qu'il leur parle. Il les aborda cependant avec des paroles rudes. Mus'ab lui fit la même réponse qu'il avait faite plus tôt à Usayd. Sa'd s'assit donc pour écouter tandis que Mus'ab expliquait les principes fondamentaux de l'islam.

              Mus'ab et As'ad comprirent que la partie était gagnée avant qu'il ne prononce un mot : l'expression de son visage tandis qu'il écoutait le Coran était suffisamment éloquente. Quand Mus'ab eut fini, Sa'd déclara sa conversion à l'islam. Lorsqu'il retourna auprès des siens et qu'Usayd le rejoignit, il sut exactement quelle attitude adopter. Il dit simplement à ses contribules : « Quelle est votre opinion au sujet de moi ? » Ils répondirent : « Tu es notre maître et le plus sage de nos hommes. » « Alors écoutez-moi bien, poursuivit-il. Je m'interdis toute communication avec vous tous, hommes et femmes, tant que vous n'aurez pas cru en Dieu et Son Prophète » Le soir même, tous les hommes et toutes les femmes du clan de Abd al-Ashhal devinrent musulmans.

              Il va sans dire que les nouveaux adeptes de Médine montraient beaucoup d'enthousiasme pour leur nouvelle religion. Ils se rendaient compte qu'en tant que croyants en l'unicité divine, ils entamaient une nouvelle étape de leur histoire où la foi serait le principal moteur. Ils avaient une mission à accomplir. Leur priorité immédiate était de recruter de nouveaux adeptes afin de consolider la base de la nouvelle religion. Ils prêchaient donc très activement le message de l'islam. Ils s'efforçaient particulièrement de gagner de nouveaux adeptes parmi les gens qui jouissaient de respect et d'influence auprès des leurs. C'était le cas de Amr ibn al-Jamûh, du clan de Salama.

              Quelques jeunes musulmans de son clan étaient désireux de persuader Amr de se joindre à eux, mais c'était un vieillard à qui il ne serait pas facile de répondre à un appel impliquant un changement radical de son mode de vie. Les jeunes gens de Salama comprirent qu'ils devraient trouver le moyen de mettre Amr face au fait que l'islam était une bien meilleure religion que des croyances idolâtres. Comme nous l'avons déjà dit, le culte des idoles était la religion reconnue dans toute l'Arabie.

              Les gens ne réfléchissaient pas au fait que leurs idoles, qui étaient faites de pierre, de bois, d'or ou d'autres matières, ne pouvaient leur procurer ni bien ni avantage. Selon la tradition des notables d'Arabie, Amr avait sa propre idole personnelle, qui était faite de bois. Il gardait son idole chez lui, où il la vénérait et lui vouait un culte. Les jeunes gens de Salama décidèrent de prendre pour cible l'idole de Amr. Pendant que Amr dormait, ils entrèrent chez lui, prirent l'idole et la jetèrent dans un trou plein d'immondices. Au matin, quand 'Amr se réveilla et constata la perte de son idole, il commença à la chercher. Il sortit l'idole du trou où on l'avait jetée, la nettoya et la parfuma puis la remit à sa place. La même chose se reproduisit jour après jour.

              Amr était irrité mais ne savait que faire. Il présenta ses excuses à l'idole : « Si je savais qui t'a fait cela, je le punirais sévèrement. » Au bout de quelques jours, juste avant de s'endormir, 'Amr prit son sabre et le donna à l'idole ; plaçant la bandoulière autour du cou de l'idole, il lui dit : « Je ne sais pas qui te maltraite la nuit. Si tu peux t'être utile à toi-même, défends-toi contre tes agresseurs. Tu as le sabre maintenant. » Cette nuit-là, quand les jeunes gens de Salama virent le sabre avec l'idole, ils prirent l'idole, l'attachèrent à un chien mort et jetèrent le tout dans un puits désaffecté où les gens jetaient leurs détritus.

              Le matin venu, Amr chercha son idole. Lorsqu'il la trouva après l'avoir longtemps cherchée, il fut choqué par ce qu'il vit. Son fils et les autres jeunes gens qui avaient fait subir ce traitement à son idole lui parlèrent alors, lui faisant remarquer que si l'idole ne pouvait pas se protéger elle-même, elle ne pouvait être utile à personne. Lorsqu'ils expliquèrent à Amr le message de l'islam, il l'accepta sans hésiter. Il composa quelques vers admirables décrivant l'idole et son inutilité. Il remercia aussi Dieu de lui avoir permis de voir la vérité de l'islam.

              Mus'ab ibn 'Umayr, l'émissaire du Prophète à Médine, retourna à La Mecque peu de temps avant la prochaine saison du pèlerinage. Il apporta au Prophète la bonne nouvelle que pratiquement toutes les familles de Médine comptaient au moins un musulman parmi leurs membres. Il donna également des détails sur la composition de la population de la ville.

              Le contexte Médinois

              Le rapport de Mus'ab fut examiné avec attention afin de décider si Médine était un bon endroit pour s'y établir. Le premier pacte conclu par le Prophète avec les Médinois leur demandait seulement de vivre en musulmans par eux-mêmes. Il ne stipulait rien quant aux rapports avec les autres communautés ou les autres États. Le moment était venu de prendre une décision à ce sujet.

              Sur la base des renseignements apportés par Mus'ab, le Prophète se rendit compte qu'à part les musulmans, aussi bien de La Mecque que de Médine, il y aurait deux groupes de personnes à Médine : d'une part, les Arabes non musulmans, divisés entre eux. D'autre part, il y avait les tribus juives, dont l'attitude envers la nouvelle religion n'était pas encore connue.
              La communauté musulmane serait confrontée à un problème économique qui nécessiterait une attention urgente : les immigrants de La Mecque arriveraient à Médine sans aucune possession. Il leur faudrait des logements et du travail. En outre, le Prophète se rendait compte également que le nouvel État qu'il établirait à Médine ne manquerait pas d'être confronté à une menace extérieure immédiate. Les Quraysh de La Mecque n'allaient certainement pas rester inactifs pendant que le nouveau défi à leur suprématie en Arabie se mettait en place.

              Médine possédait certaines caractéristiques qui en faisaient un endroit particulièrement adapté pour être le point de départ du nouvel État. Ses fortifications naturelles étaient uniques. La ville était bordée, à l'est et à l'ouest, par deux étendues de pierres volcaniques qui ne pouvaient être traversées ni par des hommes, ni par des chevaux, ni par des chameaux. Il était pratiquement impossible qu'une armée ennemie arrive par là. Seul le front nord permettait l'accès d'une armée, parce que tous les autres côtés étaient occupés par des vergers densément plantés d'innombrables palmiers.

              De fait, c'est au nord de la ville que, cinq ans plus tard, le Prophète et ses compagnons devaient creuser le fossé destiné à sa fortification lorsqu'une importante concentration de tribus allait marcher sur Médine dans le but déclaré d'éliminer totalement l'islam. D'un point de vue militaire, Médine était donc facile à défendre. Un petit nombre d'unités de protection était suffisant pour intercepter une armée importante et arrêter sa marche. Par ailleurs, les Arabes de Médine, les Aws et les Khazraj, étaient connus pour leur fierté, leur intégrité, leur bravoure et leur haut niveau d'excellence militaire.

              Ils n'avaient jamais été soumis par une armée ennemie ni été obligés de payer une taxe ou un tribut à une force d'occupation. Tout individu ou toute petite tribu jouissant de la protection de ces deux tribus arabes était en sécurité. Les deux tribus étaient considérées, selon les traditions arabes de l'époque, comme les oncles maternels du Prophète Son grand-père Abd al-Muttalib était en effet le fils d'une femme du clan d'an-Najjâr de Médine appelée Salmâ bint Amr.

              Abd al-Muttalib était né à Médine et y avait vécu presque jusqu'à l'adolescence. Les deux tribus arabes de Médine appartenaient aux Qahtan, l'un des deux principaux groupes d'Arabie, tandis que les musulmans de La Mecque appartenaient aux Adnân, l'autre groupe. Chaque tribu arabe appartenait en effet à l'un ou l'autre de ces groupes. Lorsque le Prophète s'établit à Médine, ses partisans appartenaient aux deux groupes ; toutefois, le fait qu'ils étaient maintenant musulmans empêchait à l'avance toute querelle éventuelle.

              Le Prophète était assurément conscient de tout cela lorsque Mus'ab vint lui rendre compte de sa mission à Médine. Cela apparaît clairement lorsqu'on voit avec quel soin il mit au point son plan d'action pour l'année qui allait suivre. Il décida tout de suite, néanmoins, que Médine constituait un endroit adéquat pour établir la nouvelle base de l'islam. La première étape était de rencontrer ses nouveaux partisans. Une rencontre fut fixée à Aqaba, lors de la dernière nuit du pèlerinage.

              C'était sans doute la rencontre la plus importante des treize années de l'histoire de l'islam à La Mecque. Soixante-treize hommes et deux femmes de Médine y participèrent, en pleine nuit. Tandis que tout le monde dormait profondément, ces croyants sortirent silencieusement de leurs tentes, par un ou par deux, pour aller au rendez-vous. Le Prophète était le seul musulman de La Mecque présent. Il dut semble-t-il confier ses plans à un proche : son oncle, al-'Abbâs, qui n'était pas encore musulman. Al-'Abbâs était le seul non-musulman présent à cette rencontre. Il voulait s'assurer que son neveu faisait un choix sûr.

              A SUIVRE...

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              • #52
                SUITE

                Un pacte de soutien

                La présence d'al-Abbâs et son discours qui ouvrit l'assemblée doivent être considérés à la lumière de l'évolution future des relations entre l'État qui allait être fondé et les Quraysh. C'était un réalignement radical des loyautés qui allait se produire. Dans la société tribale d'Arabie, il s'agissait d'une affaire très sérieuse. Al-Abbâs commença par souligner que le clan du Prophète s'était jusqu'alors acquitté de ses obligations selon les normes sociales en vigueur :
                Vous savez la haute importance que nous attachons à Muhammad. Nous l'avons protégé contre nos contribules, dont nous partageons l'opinion sur sa prédication. Il est assurément bien protégé parmi les siens et dans sa propre ville. Malgré cela, il est déterminé à vous rejoindre. Si vous pensez réellement pouvoir tenir vos engagements envers lui et le protéger contre ses ennemis, vous pouvez agir comme bon vous semble. Si, par contre, vous pensez que vous risquez de l'abandonner après l'avoir emmené dans votre ville, il vaudrait mieux pour tout le monde que vous décidiez tout de suite de le laisser en paix, car on s'occupe bien de lui dans sa propre cité.
                Les Médinois lui répondirent : « Nous avons bien compris ce que tu as dit. » Puis ils se tournèrent vers le Prophète et l'invitèrent à poser ses conditions. Le Prophète commença son bref discours en récitant un passage du Coran. Puis il expliqua le message de l'islam et sa profonde influence sur la vie de ses adeptes. Il conclut en énonçant les conditions de l'engagement qu'il attendait d'eux par cette formule concise : « Vous vous engagez à me protéger comme vous protégez vos femmes et vos enfants. »
                Al-Bara ibn Ma'rûr, un personnage influent du groupe, répondit : « Par Celui qui t'a donné le Message de vérité, nous te défendrons comme nous défendons nos femmes. Reçois notre engagement, car nous sommes les fils de la guerre et les meilleurs des combattants. »

                Un autre personnage éminent, Abu al-Haytham ibn at-Tayyihân, intervint alors : « Nous avons des relations avec les tribus juives qui vont sûrement être rompues maintenant. Si nous tenons nos engagements et que Dieu t'accorde la victoire, nous quitteras-tu ensuite, Envoyé de Dieu, pour retourner parmi les tiens ? »

                Le Prophète répondit en souriant qu'il n'en ferait rien. Il dit : « Je vous appartiens comme vous m'appartenez. Je combats votre ennemi et je fais la paix avec votre ami. » Tandis qu'ils s'alignaient pour prêter individuellement serment d'allégeance, un homme appelé al-Abbâs ibn 'Ubâda les arrêta en disant :
                Savez-vous à quoi vous vous engagez envers cet homme ? Vous vous engagez à combattre le monde entier. S'il y a le moindre doute dans votre esprit ou si vous pensez que vous l'abandonnerez si vos biens sont pillés et que vos nobles chefs sont tués, il est plus honorable de le laisser seul maintenant. L'abandonner dans une telle éventualité vous déshonorerait ici-bas et dans l'au-delà. Si, au contraire, vous pensez que vous honorerez vos engagements quoi qu'il advienne, alors allez-y, car cela accroîtra votre honneur dans ce monde comme dans l'autre.
                Tous répondirent sans hésiter : « Nous nous engageons quoi qu'il advienne. » Ils voulaient naturellement poser une question au Prophète : « Quelle sera notre récompense si nous tenons nos engagements ? » La réponse du Prophète fut simplement : « Le Paradis. »


                Chacun serra la main du Prophète pour entériner l'accord. Ils déclarèrent qu'ils ne chercheraient jamais à rompre leurs engagements et n'accepteraient pas qu'ils soient annulés. Lorsque toutes les personnes présentes eurent prononcé individuellement leur serment d'allégeance, le Prophète leur demanda de choisir parmi elles douze représentants qui seraient responsables des musulmans de Médine. Les douze représentants choisis furent : As'ad ibn Zurâra, Sa'd ibn ar-Rabî', Abdullâh Ibn Ruwâha, Râfi' Ibn Mâlik, al-Barrâ' Ibn Ma'rûr, Abdullâh ibn Amr, 'Ubâda ibn as-Sâmit, Sa'd ibn 'Ubâda et al-Mundhir ibn Amr ibn Khunays, de la tribu des Khazraj ; et Usayd ibn Hudayr, Sa'd ibn Khaythama et Rifâ'a ibn al-Mundhir, de la tribu des Aws.

                Les Quraysh réagissent

                Une rencontre aussi importante, dans un lieu découvert comme Aqaba, aurait eu du mal à rester secrète. Avant même qu'elle ne soit terminée, on entendit une voix forte crier : « Voilà Muhammad réuni avec ceux qui oui déserté leur religion. » Le Prophète dit à ses nouveaux alliés, que nous appellerons désormais de leur nom musulman d'al-ansâr (c'est-à-dire « les auxiliaires »), de retourner à leurs tentes. Ils se dispersèrent discrètement sous couvert de l'obscurité, en remerciant Dieu de leur avoir permis de mener à bien leur affaire avec le Prophète.

                Personne ne s'était encore aperçu de leur absence. Ce cri suffisait toutefois à trahir le secret. Le matin venu, les Quraysh en apprirent assez sur la rencontre pour passer à l'action tout de suite. Ils entreprirent de se renseigner sur les détails de ce qui s'était passé. Leurs investigations les conduisirent dans la bonne direction. Un groupe de leurs chefs se rendit donc au campement des pèlerins médinois et leur dit : « Nous avons appris que vous avez été en contact avec notre homme et que vous lui avez demandé de vous rejoindre dans votre ville et promis de nous combattre à ses côtés. Or, nous voulons vous assurer que vous êtes les dernières personnes avec qui nous voudrions nous battre. »

                Les polythéistes du groupe médinois, qui étaient assez nombreux, eurent tôt fait de nier toute l'histoire. Ils assurèrent les Mecquois qu'ils n'avaient connaissance d'aucun contact ni d'aucune rencontre entre leurs contribules et Muhammad . Leurs dénégations étaient bien sûr sincères. Ils avaient été maintenus dans l'ignorance de toute l'affaire, un fait qui donne à penser que le Prophète et les musulmans prenaient très au sérieux la relation qui était en train de se construire et son avenir, et qu'ils étaient conscients qu'il leur faudrait agir avec la plus grande prudence.

                Les musulmans de Médine se contentèrent de garder le silence durant cette conversation entre les négateurs de La Mecque et ceux de Médine. Un personnage éminent de Médine, Abdullâh ibn Ubayy, qui allait avoir des rapports malheureux avec l'islam, rassura la délégation de Quraysh : « Cette affaire est très sérieuse. Mes contribules ne m'en laisseraient pas ignorants s'ils avaient pareille idée à l'esprit. Je n'ai pas connaissance qu'une telle chose ait eu lieu, donc je présume qu'elle n'a pas eu lieu. »
                Rassurés, les Mecquois rentrèrent chez eux. Mais deux jours plus tard, lorsque les pèlerins prirent le chemin du retour, les soupçons des Quraysh furent confirmés. Ils envoyèrent des hommes armés à la poursuite des Médinois. Ils ne purent attraper que deux hommes : al-Mundhir ibn Amr et Sa'd ibn 'Ubâda, qui faisaient partie des douze responsables du camp musulman. Al-Mundhir parvint à s'échapper, mais Sa'd fut fait prisonnier. Ses mains furent attachées dans son dos et il fut traîné jusqu'à La Mecque. Les hommes ne cessaient de le battre et de tirer son épaisse chevelure. Tandis qu'ils continuaient à le torturer, un homme, pris de compassion, chuchota à l'oreille de Sa'd : « N'as-tu jamais conclu de pacte ou d'accord avec quelqu'un de Quraysh ? »
                Sa'd répondit : « Si, j'ai toujours protégé les caravanes commerciales de Jubayr ibn Mut'im et al-Hârith ibn Harb, afin qu'elles ne subissent aucun dommage dans notre région. » L'homme dit alors : « Appelle leurs noms en criant et en mentionnant ton amitié avec eux. »

                Puis cet homme, Abu al-Bakhtarî ibn Hishâm, s'empressa de partir à la recherche de Jubayr et al-Hârith. Il les trouva à la mosquée et leur dit : « J'arrive d'al-Abtah où j'ai vu un homme d'al-Khazraj sévèrement battu. Il criait vos noms en disant que vous avez un accord de protection mutuelle avec lui. » Lorsqu'ils comprirent que la victime des sévices était Sa'd, ils se hâtèrent d'aller le sauver de ses tortionnaires.

                Les Quraysh ne purent cependant rien faire d'autre contre le nouveau pacte entre les musulmans de Médine et le Prophète . L'accord était déjà conclu, marquant le commencement d'une nouvelle étape de l'histoire de l'islam, une étape qui allait être totalement différente de celle qui s'achevait. Peu après, le Prophète conseilla à ses adeptes mecquois d'émigrer à Médine. Il leur dit : « Dieu vous a donné un nouveau foyer et de nouveaux frères. » Ils commencèrent à partir secrètement par petits groupes, afin que les Mecquois ne les arrêtent pas.

                Le Prophète, quant à lui, resta à La Mecque en attendant que Dieu lui donne la permission de partir. En quelques semaines, la majorité des musulmans mecquois s'était établie à Médine. Seuls restaient ceux qui étaient dans l'impossibilité physique d'entreprendre le voyage, ainsi que le Prophète, Abu Bakr et 'Alî. Abu Bakr demanda au Prophète la permission de partir, mais celui-ci lui demanda d'attendre, avec cette allusion significative : « Dieu te fournira peut-être un compagnon. »

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                • #53
                  SALAM

                  Le voyage à Médine


                  Les musulmans de La Mecque commencèrent à partir pour Médine lorsque le Prophète leur annonça qu'ils y seraient les bienvenus. Ils partaient le plus souvent par petits groupes, en pleine nuit, laissant derrière eux leurs maisons et leurs biens. Il était clair pour tout le monde que cette fois la rupture était définitive. On voyait bien depuis quelque temps que la rigidité et l'entêtement l'emportaient désormais chez les Mecquois.

                  Aucun des chefs n'était prêt à considérer objectivement les vraies questions : aveuglés par leurs intérêts immédiats, ils ne voyaient rien d'autre. Au vu des circonstances, l'exode des musulmans acquiert une dimension particulière. Il s'agissait, chacun le savait, d'une séparation physique des deux camps qui rendrait beaucoup plus facile un déclenchement des hostilités entre eux. Un tel événement était très significatif dans une société tribale comme celle d'Arabie.

                  L'exode était de fait la déclaration, par les musulmans de La Mecque, qu'un nouveau système d'allégeances avait été institué, où le lien primordial était celui de la foi. Les musulmans de Médine adhéraient pleinement à ce nouveau système et ils le mirent en pratique en recevant leurs frères émigrés à bras ouverts et en partageant avec eux leurs maisons et leurs biens. Chaque musulman arrivant à Médine était immédiatement accueilli dans un foyer fraternel. L'arrivée des nouveaux venus contribuait à créer une atmosphère d'attente joyeuse parmi les musulmans de Médine, qui constituaient désormais une proportion considérable de la population.

                  A la poursuite des Emigrés

                  Le départ des musulmans de La Mecque devint bientôt évident pour les chefs de Quraysh, bien que les départs aient le plus souvent eu lieu de nuit, lorsque toute la ville dormait profondément. Un tel exode ne pouvait pas demeurer secret.

                  Les maisons devenaient inhabitées, des visages familiers disparaissaient. Les chefs de La Mecque ne tardèrent pas à comprendre le danger que représentait cet exode. Ils s'efforcèrent donc d'empêcher les musulmans d'émigrer. Certains musulmans étaient enfermés par leur propre tribu ; d'autres étaient pourchassés dans le désert. Dans un cas au moins, Abu Jahl poursuivit son demi-frère 'Ayyâsh ibn Rabî'a jusqu'à Médine et, par une série de mensonges, réussit à le persuader de revenir avec lui pour voir sa mère. Comme ils approchaient de La Mecque, Abu Jahl et son frère al-Hârith parvinrent à tromper leur demi-frère, à l'attacher et à le traîner jusqu'à La Mecque, où il fut forcé de rester.

                  L'exemple de Suhayb illustre l'attitude de chaque camp. C'était un ancien esclave qui avait prouvé sa valeur en gérant les affaires de son maître, puis avait acheté sa liberté et était resté à La Mecque comme allié de son ancien maître. Il était bientôt devenu très riche. Lorsqu'il quitta La Mecque tout seul, il fut pourchassé par un groupe mené par Abu Jahl. Quand ses poursuivants furent sur le point de le rattraper, il s'arrêta pour leur parler. Il leur fît comprendre clairement qu'il était prêt à se battre jusqu'au bout. Par contre, il était aussi prêt à se racheter en leur abandonnant toutes ses richesses.

                  Ils acceptèrent, il leur dit où ils pourraient trouver tout son argent, et ils le laissèrent partir. Lorsque Suhayb arriva à Médine et que le Prophète apprit l'accord qu'il avait conclu avec ses poursuivants, il fit ce commentaire : « Suhayb a fait une transaction profitable. » Il va sans dire que le Prophète faisait allusion à la récompense que Suhayb recevrait de Dieu pour avoir sacrifié ses biens afin de pouvoir rejoindre le Prophète et être l'un de ses partisans.

                  'Umar fut le seul à annoncer son intention d'émigrer. Il mit les Quraysh au défi de l'arrêter en leur disant : « Je pars. Celui qui veut laisser derrière lui une mère éplorée, une veuve ou des orphelins n'a qu'à me retrouver au-delà de cette vallée. » Personne ne le poursuivit : 'Umar était connu comme un guerrier d'exception ; en outre, ils ne voulaient pas avoir d'ennuis avec le clan des 'Adî auquel il appartenait.

                  Il ne fallut pas longtemps aux musulmans pour quitter La Mecque. Ils furent bientôt tous partis, sauf ceux qui étaient retenus prisonniers par les Quraysh. Le Prophète lui-même attendait l'ordre de Dieu quant au moment de son départ. Il était conscient que les Quraysh tenteraient de s'opposer à son passage. Il demanda à son ami et partisan le plus proche, Abu Bakr, ainsi qu'à son jeune cousin 'Alî de rester avec lui.

                  Les Quraysh se rendaient compte que si Muhammad parvenait à établir une nouvelle base pour sa religion, leur tribu perdrait sa position dominante en Arabie. Il leur fallait agir sans perdre plus de temps. Une assemblée fut convoquée pour débattre de la question de toute urgence. Elle se tint à Dâr an-Nadwa, une maison où les chefs de Quraysh avaient l'habitude de se réunir pour discuter des problèmes graves. Les participants étaient les principaux personnages de Quraysh, avec au premier plan Abu Jahl qui représentait le point de vue le plus extrémiste.

                  A SUIVRE...

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                  • #54
                    Le départ du Prophète

                    L'assemblée commença par un examen de la situation à la lumière des récentes évolutions. Tout le monde était conscient que la situation était très grave et que Muhammad risquait de pouvoir attaquer La Mecque avec ses nouveaux partisans. Son départ imminent pour Médine était vu comme un acte annonçant une menace à la suprématie des Quraysh en Arabie ou, pour employer la terminologie moderne, à leur sécurité nationale.

                    Il fallait l'arrêter coûte que coûte. Les propositions les plus modérées furent les premières à être exprimées. Quelqu'un suggéra que l'on emprisonne Muhammad au secret jusqu'à sa mort. Cette proposition fut rejetée car quelqu'un argua que l'emprisonnement de Muhammad pourrait pousser ses partisans à tenter de le libérer par la force. Rabî'a ibn 'Âmir dit : « Envoyons-le en exil. Quand il sera loin, il ne pourra plus nous nuire. Quant à nous, nous pourrons alors réparer les dommages qu'il a causés dans nos rangs et rétablir notre unité nationale. »

                    Quelqu'un répliqua que Muhammad était un excellent orateur, doté de logique et d'une argumentation convaincante. Son influence sur le coeur des gens était telle que s'il était bien reçu par n'importe quelle tribu arabe, il pourrait réussir à la rallier à sa cause. S'il y réussissait, La Mecque et les Quraysh se trouveraient exposés à un très grave danger.

                    Abu Jahl, qui avait gardé le silence jusqu'alors, décida que le moment était venu d'exprimer son point de vue. Il expliqua que « le problème » nécessitait une solution radicale susceptible de causer le minimum de répercussions. Chaque clan devrait fournir un jeune homme brave et fort, de lignée noble. Chacun recevrait un sabre bien acéré. Tous iraient alors frapper Muhammad simultanément, de sorte que tous les clans auraient pris part au meurtre. Le clan des 'Abd Manâf (qui se situe à un degré au-dessus des Hachémites) n'aurait alors pas d'autre choix que d'entrer en guerre avec le reste des Quraysh, qui représentaient une force bien supérieure, ou d'accepter une indemnité financière « que nous paierons avec plaisir »

                    La proposition d'Abû Jahl fut reçue avec une approbation unanime. Tous tombèrent d'accord pour réaliser le plan immédiatement. Il fut décidé que l'assassinat de Muhammad aurait lieu la nuit même. Les chefs de La Mecque quittèrent donc le lieu de l'assemblée pour aller choisir leurs représentants pour ce « meurtre collectif ».

                    Cependant, Muhammad était le Messager de Dieu. Dieu avait garanti sa protection jusqu'à ce qu'il ait accompli sa mission. L'ange Gabriel vint donc dire au Prophète de ne pas dormir dans son lit cette nuit-là : il devait entreprendre son voyage à Médine. Le Prophète agit avec la plus grande célérité et le maximum de précautions. Son plan consistait à prendre toutes les mesures préventives possibles et à partir pour Médine avec la plus extrême prudence, tout en plaçant sa confiance en la protection divine.
                    Peu avant midi, il alla trouver Abu Bakr et lui parla seul à seul, l'informant qu'il avait l'autorisation de quitter La Mecque. Abu Bakr avait acheté deux chameaux rapides dans l'espoir d'être le compagnon de voyage du Prophète. Ils convinrent que le Prophète viendrait à minuit chez Abu Bakr et que tous deux partiraient immédiatement.

                    La seule autre personne informée du départ du Prophète était son cousin 'Alî, qui avait été l'un des tout premiers à adhérer à l'islam lorsqu'il n'avait qu'une dizaine d'années. 'Alî, qui était maintenant un jeune homme de vingt-trois ans, devrait dormir dans le lit du Prophète afin que les assassins s'imaginent que ce dernier était couché. Le rôle de 'Alî représentait un danger considérable. Le Prophète lui promit toutefois qu'il ne lui serait fait aucun mal.

                    Lorsque les assassins potentiels eurent pris place à leur poste, ils furent tous envahis par le sommeil. Le Prophète sortit et leur mit du sable sur la tête. Puis il se rendit directement chez Abu Bakr, qui avait préparé les deux chameaux pour le voyage. Le Prophète insista pour payer le prix de son chameau. Comme Abu Bakr tentait de le persuader de le considérer comme un cadeau, il lui dit : « Ce voyage est entrepris pour Dieu, et il me plaît d'employer mon propre argent pour mes dépenses, afin de récolter la récompense de ce que j'aurai dépensé. »

                    Bien que Médine se situe au nord de La Mecque, le Prophète et son compagnon partirent vers le Sud. Ils se dirigèrent vers une caverne située dans l'une des nombreuses montagnes entourant La Mecque. Dans cette caverne du Mont Thawr, ils se cachèrent pendant trois jours. Le Prophète avait décidé de partir vers le Sud pour déjouer les plans des Quraysh, sachant qu'ils ne manqueraient pas de se lancer à sa poursuite.

                    À la maison du Prophète les candidats au meurtre dormaient profondément quand quelqu'un vint voir comment se passait leur affaire. Ébahi, il les réveilla et dit que le sable sur leur tête indiquait que Muhammad était parvenu à s'échapper. Incrédules, ils regardèrent par la porte et dirent : « Muhammad est là, dans son lit. » Ils forcèrent alors la porte et entrèrent : là, ils eurent le choc de découvrir que l'homme allongé sur le lit n'était autre que Alî. Ils ne voulaient pas accroître leurs problèmes en tuant Alî.

                    Ils donnèrent donc l'alerte, annonçant que Muhammad s'était échappé. Des réunions se tinrent à la hâte. Tout le monde était alarmé. Abu Jahl prit la situation en main. Plusieurs groupes de cavaliers furent envoyés à la poursuite de Muhammad et de son compagnon. Une récompense de cent chameaux fut offerte à quiconque ramènerait Muhammad, mort ou vif. Les poursuivants partirent dans toutes les directions. Un groupe alla même vers le Sud et s'approcha très près de la caverne.

                    Le Prophète et Abu Bakr s'étaient installés sans encombre dans la caverne du Mont Thawr. Abu Bakr avait insisté pour passer le premier pour s'assurer qu'il ne s'y trouvait pas d'animal sauvage ni de serpent et que le Prophète pouvait y entrer sans danger. Dans le désert d'Arabie, des groupes de poursuivants les recherchaient frénétiquement. La stratégie du Prophète était complexe. Dès leur arrivée à la caverne, il donna les deux chameaux à 'Abdullâh ibn Arqat, un guide qu'ils avaient engagé, et lui dit de les emmener à Médine par un chemin inhabituel.

                    Ainsi, les chameaux ne les gênèrent pas pendant les trois jours qu'ils passèrent cachés dans la caverne. 'Amir ibn Fuhayra, le serviteur et le berger d'Abû Bakr, emmenait paître ses moutons pendant la journée. Au coucher du soleil, il se rendait à la caverne pour approvisionner le Prophète et Abu Bakr en lait et en viande. Le propre fils d'Abû Bakr, Abdullâh, était chargé d'une tâche importante. Il était leur informateur : il allait et venait à La Mecque pendant la journée, écoutant ce qui se disait dans les assemblées, avant d'aller à la caverne le soir pour tenir son père et le Prophète informés de ce qui se passait à La Mecque.

                    Puis Abdullâh entrait chez lui suivi par le berger et son troupeau, ce qui effaçait les traces de ses pas. 'Alî, le cousin du Prophète était quant à lui chargé de rendre aux gens les dépôts qu'ils avaient confiés à la garde du Prophète. En effet, malgré toute l'hostilité des Mecquois envers le Prophète, ils n'avaient pas le moindre doute quant à son intégrité et son honnêteté. Quelqu'un qui avait un bien précieux le confiait donc à Muhammad, certain de le retrouver intact lorsqu'il en aurait besoin. Le plus étonnant est qu'ils ne se rendaient pas compte qu'un homme si honnête et si intègre ne mentirait jamais à Dieu. La tâche de 'Alî était donc de rendre aux gens leurs dépôts.

                    Après trois jours dans la caverne, le Prophète et Abu Bakr étaient prêts à reprendre leur voyage. Leur guide, 'Abdullâh ibn Arqat, leur ramena leurs chameaux et Asma, la fille d'Abû Bakr, leur apporta leurs provisions. Au moment de les attacher à la selle de la monture de son père, elle s'aperçut qu'elle avait oublié d'apporter un cordon ou un bout de corde pour cela. Elle ôta alors sa ceinture et, la partageant en deux, elle en utilisa une moitié pour attacher les provisions. Cette action lui valut le titre de Dhât an-nitâqayn, ou « la femme aux deux ceintures ».

                    Lorsque tout fut prêt, le Prophète et son compagnon partirent pour leur périlleux voyage, sachant parfaitement que leurs têtes étaient mises à prix pour cent chameaux, ce qui était énorme. Il faut noter ici que, bien que le Prophète ait été certain de l'aide et de la protection de Dieu, il prit toutes les précautions nécessaires pour échapper à ses poursuivants. Il commença par partir dans la direction opposée à sa destination et se cacha pendant les trois premiers jours, où les recherches seraient les plus actives.

                    Il fit en sorte de recevoir quotidiennement des provisions et des informations. Son choix d'un guide était basé sur la compétence, l'expérience et l'honnêteté de ce dernier — Abdullâh ibn Arqat n'était pas musulman à l'époque. Le plus grand secret fut gardé jusqu'à la fin autour des déplacements du Prophète. Seuls ceux qui devaient connaître les détails de son voyage, parce qu'ils étaient chargés de tâches qui y étaient liées, reçurent les informations nécessaires pour accomplir ces tâches. À part cela, personne ne savait rien du moment de son départ ni de l'itinéraire qu'il allait suivre.

                    Alors, ayant fait tout ce qui était humainement possible pour assurer sa sécurité, le Prophète s'en remit à Dieu pour le reste. Ainsi nous a-t-il enseigné ce que signifie véritablement s'en remettre à Dieu. On a vu que les poursuivants s'étaient approchés très près de la caverne. Tandis que les deux hommes restaient tapis sans bruit à l'intérieur, Abu Bakr chuchota au Prophète : « Si l'un d'eux regarde vers le bas, il nous verra sûrement. » Le Prophète le rassura en disant : « Ne t'inquiète pas : Dieu est avec nous. »
                    Après s'être cachés pendant trois jours dans la caverne du Mont Thawr, le Prophète et son compagnon reprirent leur voyage. Abdullâh ibn Arqat arriva au moment convenu avec les deux chameaux et ils se mirent en route pour Médine, en empruntant un itinéraire tout à fait inhabituel. Les recherches frénétiques des Quraysh s'étaient un peu calmées mais n'avaient pas totalement cessé. Le voyage était d'environ quatre cents kilomètres et de nombreuses caravanes traversaient le désert.

                    En outre, les gens vaquaient à leurs occupations et le moindre groupe de voyageurs dans le désert pouvait représenter un grave danger. La tentation de la récompense élevée promise à qui les ramènerait inciterait n'importe qui à tenter de les arrêter. Le Prophète dut donc parcourir tout le chemin sans pratiquement être vu de quiconque. C'était extrêmement difficile, d'où la nécessité d'avoir un guide très expérimenté, connaissant parfaitement tous les chemins du désert.


                    A SUIVRE...

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                    • #55
                      SUITE

                      En progressant vers Médine, ils avaient conscience que presque toute l'Arabie était au courant de leur fuite et de la récompense offerte pour les livrer aux Quraysh. Les Quraysh avaient pris soin de faire connaître leurs désirs dans toutes les tribus vivant sur le chemin de Médine et toutes les haltes habituelles. Comme le Prophète et son compagnon passaient dans la région où vivait la tribu des Mudlij, ils furent aperçus par un homme qui alla directement rapporter le fait au lieu de réunion de sa tribu.
                      Un homme nommé Surâqa ibn Mâlik fut le premier à comprendre que l'occasion se présentait de gagner la récompense. Pour être sûr que personne d'autre ne pourchasserait le Prophète avec lui et ne partagerait la récompense, il dit : « J'ai vu ces gens moi-même : ils appartiennent à telle tribu, et ne font que poursuivre un chameau égaré. » Peu après, Surâqa quitta le lieu de réunion et se rendit chez lui, où il ordonna à son serviteur de préparer son cheval et de le retrouver à une courte distance du campement de la tribu.

                      Il prit sa lance et son sabre et fit galoper son cheval. Il eut tôt fait de repérer les cavaliers et commença à les rattraper. Voici le récit qu'a fait Surâqa de la suite des événements :
                      Tandis que je galopais à leur poursuite, mon cheval trébucha et je tombai. Je me demandai comment pareille chose avait pu m'arriver. Je persistai néanmoins, et je poursuivis ma route. Lorsqu'ils reparurent à ma vue, mon cheval trébucha de nouveau et je tombai pour la seconde fois. Je ne fus pas découragé, et je continuai d'avancer. Comme je me rapprochais d'eux, les pattes de devant du cheval s'enfoncèrent dans le sable et je tombai. Tandis que le cheval se débattait pour sortir les pattes du sable, je vis qu'ils étaient suivis par une colonne de fumée. Je compris que je ne parviendrais jamais à avoir le dessus sur Muhammad . Je les hélai donc en leur demandant de s'arrêter.

                      Je les assurai que je voulais seulement leur parler et que je ne leur ferais aucun mal. Ils s'arrêtèrent. Je demandai au Prophète de m'écrire une note qui pourrait servir de signe de reconnaissance par la suite. Il demanda à Abu Bakr de m'écrire la note, que j'utilisai au moment de la conquête de La Mecque pour approcher le Prophète et déclarer ma conversion à l'islam. Après avoir pris la note, je fis demi-tour. Le Prophète m'appela en disant : « Que dirais-tu, Surâqa, si tu portais les bracelets de l'empereur de Perse ? » Je demandai : « Chosroes fils de Hormuz ? » Il répondit : « Oui. » Je ne répondis rien. Sur le chemin du retour, je rencontrai plusieurs personnes cherchant dans cette direction : je dis à tous ceux que je rencontrais que j'étais sûr que Muhammad n'était pas parti par là.
                      Il est intéressant de noter ici que lorsque les armées musulmanes conquirent l'empire perse, quelques années après la mort du Prophète 'Uinar, le second calife, fit appeler Surâqa et lui donna les bracelets de Chosroes à porter en accomplissement de la promesse du Prophète. Il va sans dire que la promesse avait été faite dans les circonstances les plus invraisemblables : un homme traqué par les siens, dont la tête était mise à prix, promettait une victoire totale sur un grand empire. Cet homme de foi nous a cependant fait ressentir, par cette promesse, ce que signifie la certitude absolue de la vérité de sa foi et de sa victoire finale.


                      Ce fut lors de l'épisode de Surâqa ibn Mâlik que le Prophète courut le plus grave danger d'être rattrapé par ses ennemis durant son voyage historique à Médine. Aucun autre incident grave ne se produisit en cours de route, ce qui en dit déjà long sur le soin mis à l'organisation du voyage. Pourtant, le Prophète aurait pu à trois reprises se trouver dans une situation extrêmement dangereuse. A chaque fois, il fut sauvé par quelque chose qu'il ne contrôlait absolument pas.

                      D'abord, lorsque sa maison était encerclée par les hommes qui voulaient l'assassiner et que ceux-ci furent envahis par le sommeil. Ensuite, lorsque ses poursuivants s'arrêtèrent devant l'entrée de la caverne où il se cachait, puis partirent sans regarder à l'intérieur. Enfin, lorsque Surâqa, poussé par la tentation de l'immense récompense, arriva à portée de flèche du Prophète mais que ses chutes de cheval répétées en firent un ami. À chacune de ces trois occasions, on peut dire que le Prophète fut sauvé par l'intervention directe de la Providence.

                      Le Prophète poursuivit sa route. Il fit halte un moment auprès d'Umm Ma'bad, une bédouine qui campait sur son chemin. Elle n'avait ni lait, ni nourriture à offrir. Son époux avait emmené paître leurs moutons, ne lui laissant qu'une brebis qui était trop faible pour suivre le troupeau. Bien entendu, elle n'avait pas de lait. Les temps étaient durs dans cette région désertique. Les pâturages étaient rares, donc le lait aussi. Umm Ma'bad se montra désolée de n'avoir quasiment rien à offrir à ses hôtes.

                      Après avoir demandé et obtenu la permission de son hôtesse, le Prophète passa la main sur les mamelles sèches de la brebis et prononça le nom de Dieu. Du lait jaillit en abondance. Chacun but à satiété et les voyageurs repartirent en laissant à Umm Ma'bad une grande quantité de lait. Lorsque le Prophète arriva à Qubâ', un village à quelques kilomètres de Médine, il y fut bien accueilli et y fit halte pendant quelques jours. Une mosquée fut construite. Cette mosquée, la première édifiée durant l'ère musulmane, est encore aujourd'hui visitée par de nombreux pèlerins.

                      À Médine, les croyants attendaient anxieusement l'arrivée du Prophète et de son compagnon. Bien qu'il ne les ait pas informés de son départ ni de la date où il comptait arriver, ils savaient qu'il était en route. De fait, toute l'Arabie le savait, comme le donnent à comprendre de nombreux récits de différents degrés d'authenticité.

                      Lorsqu'ils comprirent que le Prophète ne tarderait pas à arriver à Médine, les croyants commencèrent à aller quotidiennement attendre son arrivée dans les faubourgs de la ville. Ils partaient tôt, dès l'aube, et attendaient jusqu'à midi, lorsqu'ils ne pouvaient plus s'abriter du soleil brûlant.

                      Un accueil chaleureux à Médine

                      Un jour, comme ils prenaient le chemin du retour après avoir ainsi attendu toute la matinée, un juif qui était grimpé à un arbre de son verger aperçut deux hommes qui approchaient avec un guide. Il appela les gens qui étaient en train de se disperser, en s'adressant à eux par le nom que les juifs donnaient aux Médinois : « Fils de Qayla, voici venir votre fortune. »
                      Tous se précipitèrent pour accueillir le Prophète . Ils chantèrent un chant de bienvenue qui est encore aujourd'hui chanté par les musulmans pour exprimer leur amour du Prophète. Les croyants, muhâjirûn (émigrés mecquois) et ansâr (musulmans médinois) réunis, escortèrent le Prophète et son compagnon tandis qu'ils traversaient la ville sur leurs chameaux. Beaucoup des ansâr n'avaient encore jamais vu le Prophète. Ils purent le reconnaître au respect que lui témoignait Abu Bakr.

                      L'arrivée du Prophète à Médine eut lieu le 12 du mois lunaire de rabî' alawwal, l'année qui allait être la première du calendrier musulman. Selon les calculs, cette date correspond au 24 septembre 622 apr. J.-C. Tandis que le cortège traversait Médine, chaque clan invita le Prophète à être son hôte. Il était difficile de faire plaisir à tout le monde. En même temps, le Prophète ne voulait offenser aucun groupe des ansâr. Il dit donc à tous ceux qui tentaient de retenir sa chamelle par la bride de la laisser avancer : « Elle a ses ordres », ajouta-t-il.

                      Elle continua à parcourir les rues et les allées de Médine, pour s'arrêter enfin près de la maison d'Abû Ayyûb. Celui-ci s'empressa d'emporter les bagages du Prophète dans sa maison, enchanté de l'honneur d'avoir le Prophète pour hôte. L'endroit où le Prophète allait loger pendant les premières semaines de son séjour à Médine n'avait rien de particulier. Une maison en valait une autre.

                      Mais comment le Prophète pouvait-il faire un choix susceptible de satisfaire tout le monde ? Il faut se rappeler que les Arabes de Médine étaient encore traversés par des divisions tribales. L'islam, force unificatrice, commençait tout juste à oeuvrer pour leur unité. Si le Prophète avait dû répondre à l'invitation d'un clan ou d'un autre et loger chez lui, ce clan en aurait fait une source de fierté et d'honneur et l'aurait pendant longtemps rappelé aux autres clans.

                      Pour éviter cela, le Prophète laissa aller librement sa chamelle et la laissa s'arrêter où bon lui semblait. Dieu la fit arrêter chez Abu Ayyûb car, pour ravi qu'il ait été d'être l'hôte du Prophète, Abu Ayyûb comprenait suffisamment bien l'islam pour garder cet honneur pour lui-même sans en tirer aucun orgueil.

                      La maison d'Abû Ayyûb comportait deux étages. Le Prophète choisit d'habiter le rez-de-chaussée. Abu Ayyûb était embarrassé à l'idée de loger avec sa femme à l'étage supérieur et en parla au Prophète, mais celui-ci lui dit qu'il serait plus pratique pour lui-même et ses visiteurs d'occuper le rez-de-chaussée. Ainsi s'achevait le périlleux voyage du Prophète . Il devait commencer immédiatement à poser les fondations du nouvel État.

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                      • #56
                        SALAM

                        Médine


                        Dans sa biographie du Prophète , le cheikh Abu al-Hasan Alî al-Hasanî Nadwî consacre tout un chapitre à la description détaillée de l'ordre social en vigueur à Médine à l'époque où le Prophète et ses compagnons mecquois s'y installèrent avec leurs frères originaires de la ville. Une étude de ce type est très utile à la compréhension des événements qui eurent lieu au cours des années suivantes, qui virent l'émergence du premier Etat islamique de l'Histoire.

                        Il souligne qu'à Médine, des religions, des cultures et des communautés différentes se côtoyaient, donnant ainsi à la ville une vie sociale particulièrement riche et colorée. Cette ville était en cela nettement différente de La Mecque qui ne possédait qu'une seule religion et une seule communauté. Nous donnons ci-dessous un résumé de l'analyse du cheikh Nadwî.

                        On pense que les tribus juives arrivèrent en Arabie, à Médine en particulier, au cours du premier siècle après J.C. Le Dr Israël Wilfonson fait remarquer qu'après leur sévère défaite aux mains des Romains en 70 apr. J.-C, ils avaient cherché refuge un peu partout dans la région. Certains parmi eux s'étaient dirigés vers l'Arabie. Trois tribus juives principales vivaient à Médine ; elles comptaient plus de 2 000 hommes adultes. Ces tribus étaient celles de Qaynuqâ', an-Nadîr et Qurayza.

                        On estime que les Qaynuqâ' disposaient d'une force armée d'environ 700 hommes, les an-Nadîr d'autant, tandis que les Qurayza devaient compter 900 hommes adultes. Les relations entre toutes ces tribus n'étaient pas toujours pacifiques. Il leur arrivait de se battre entre elles. Peut-être les autres communautés juives de Médine étaient-elles hostiles à la tribu de Qaynuqâ' en raison de l'alliance de celle-ci avec la tribu arabe de Khazraj. Lors de la bataille connue sous le nom de Bu'âth, les an-Nadîr et les Qurayza avaient mené des combats acharnés contre les Qaynuqâ' et tué un grand nombre de leurs hommes.

                        En même temps, ils avaient payé la rançon de tous les soldats juifs que ces derniers avaient capturés. Les hostilités se poursuivirent après la bataille de Bu'âth. Lorsque, plus tard, les ansars s'apprêtaient à se battre contre la tribu juive des Qaynuqâ', aucune autre communauté juive n'était disposée à se joindre à ces derniers contre les ansâr. La tribu des Qaynuqâ' possédait ses propres quartiers à l'intérieur de Médine, après avoir été chassée par les an-Nadîr et les Qurayza de leurs forts situés à l'extérieur de la ville. Les quartiers des an-Nadîr étaient situés à quatre ou cinq kilomètres au nord de Médine, dans une vallée fertile appelée Bâdhân.
                        Les quartiers des Qurayza se situaient quant à eux à un endroit appelé Mahzûr, à quelques kilomètres au sud de Médine. Toutes les tribus juives possédaient des forts et des quartiers où elles vivaient de manière indépendante. Elles disposaient de leur autonomie sous la protection des chefs des tribus arabes à qui elles payaient un tribut annuel afin d'être à l'abri de toute agression. Chaque chef juif avait un allié parmi les chefs de tribus arabes.

                        Ils se vantaient souvent de leur connaissance des religions et des lois et possédaient leurs propres écoles où ils étudiaient leur religion, leur code juridique et leur histoire. Ils possédaient également leurs lieux de culte et des écoles juridiques où ils débattaient de leurs affaires. Certains de leurs lois et règlements provenaient de leurs écritures tandis que d'autres émanaient de leurs rabbins. Ils possédaient leurs fêtes particulières et leurs jours de jeûne, comme le dix muharram, où leur jeûne commémorait le sauvetage de Moïse.

                        La plupart de leurs transactions financières et commerciales se faisaient selon un système fondé sur les gages et l'usure. Dans leurs boutiques, les prêteurs sur gages acceptaient comme garantie de remboursement des prêts non seulement des objets de valeur, mais même des femmes et des enfants. Ces transactions où l'emprunteur mettait en gage sa femme ou son enfant engendraient inévitablement des ressentiments.

                        Dans la vie courante, les juifs parlaient arabe, avec un net accent hébreu puisqu'ils n'avaient pas totalement cessé de parler l'hébreu, employé particulièrement dans les prières et l'étude. S'ils l'avaient souhaité, ils auraient pu exercer une influence religieuse considérable sur les Arabes et ainsi enraciner davantage le judaïsme en Arabie. Il ne fait aucun doute qu'un certain nombre d'Arabes des tribus des Aws et des Khazraj, et d'autres encore, se convertirent au judaïsme de leur propre gré, ou bien suite à un mariage avec une personne juive, ou encore simplement parce qu'ils avaient été élevés parmi les juifs.

                        Un personnage important des juifs, Ka'b ibn al-Ashraf, qui était marchand et poète, appartenait à la tribu arabe de Tayy, mais son père avait épousé une femme juive d'an-Nadîr et Ka'b avait été élevé dans le judaïsme. En outre, si un Arabe perdait deux ou trois enfants en bas âge, il pouvait faire le voeu, s'il avait un fils qui vivait, d'en faire un juif : certains arabes suivaient donc le judaïsme.

                        Les deux principales tribus arabes de Médine, les Aws et les Khazraj, descendaient de tribus du Yémen et d'Azd à la suite de vagues d'émigration répétées à différentes époques. Cette émigration était due à plusieurs causes, dont la conquête du Yémen par les Abyssins et la grave crise économique qui suivit l'effondrement du barrage de Ma'rib. Cela suggère que les tribus juives s'étaient déjà établies à Médine lorsque les Aws et les Khazraj y arrivèrent.

                        Les clans des Aws occupaient les zones sud et est de Médine, qu'on appelait la Partie Haute, tandis que les Kahzraj occupaient la Partie Basse, c'est-à-dire le centre et le nord de la ville. Il existait quatre clans issus des Khazraj, tous appartenant aux Banû an-Najjâr qui vivaient dans la partie centrale, où la mosquée du Prophète allait plus tard être construite. Les Aws avaient leurs quartiers dans des zones très fertiles et côtoyaient les principales communautés juives, tandis que les Khazraj habitaient une zone moins fertile dans le voisinage de la tribu juive de Qaynuqâ'.

                        Il est extrêmement difficile d'estimer la population arabe de Médine, mais on peut évaluer assez précisément ses forces armées dans les batailles qu'elle mena après l'établissement du Prophète à Médine. Elle constituait, lors de la prise de La Mecque, un contingent de quatre mille hommes dans l'armée musulmane. À l'époque de l'émigration du Prophète à Médine, les tribus arabes y occupaient une position dominante. Les tribus juives n'étaient pas parvenues à s'unir contre elles. Certains clans juifs étaient même alliés aux Aws, tandis que d'autres étaient alliés aux Khazraj.

                        Lorsqu'ils se combattaient, ils se montraient plus hostiles les uns envers les autres que les Arabes. L'antagonisme entre d'une part la tribu de Qaynuqâ' et d'autre part celles d'an-Nadîr et Qurayza était si exacerbé que les membres de la tribu de Qaynuqâ' avaient été obligés d'abandonner leurs femmes pour devenir des travailleurs journaliers. De même, les Aws et les Khazraj s'étaient combattus lors de plusieurs batailles.

                        La première était connue comme la bataille de Samîr et la dernière comme celle de Bu'âth ; celle-ci avait eu lieu cinq ans avant l'émigration du Prophète à Médine. En raison de sa situation géographique, Médine était divisée en plusieurs quartiers dont chacun appartenait à un clan arabe ou juif. Chaque quartier comportait une partie agricole avec ses habitations, et une autre partie constituée d'un ou plusieurs forts. Il y avait à Médine cinquante-neuf forts juifs. Ces forts étaient particulièrement importants car ils constituaient un abri en temps de guerre, surtout pour les femmes, les enfants et les vieillards. Ils étaient aussi utilisés comme granges pour stocker le grain et les récoltes ; on y entreposait également des armes.

                        En outre, certains forts servaient de halte aux caravanes de passage. Qui plus est, les forts comportaient des temples et des écoles possédant leurs propres bibliothèques. C'est la combinaison de ces quartiers qui constituait la ville de Médine, c'est-à-dire que la ville était le résultat de l'expansion d'un groupe de villages. L'ordre religieux et social était pratiquement déterminé par les Quraysh. Tous les Arabes reconnaissaient l'autorité des Quraysh dans les questions religieuses, parce que les Quraysh étaient les gardiens de la Maison Sacrée de La Mecque.

                        Les Arabes se conformaient donc aux pratiques religieuses des Quraysh. Cela conduisit à la propagation des croyances païennes. Tous les Arabes adoraient les idoles adorées par les Quraysh, tout en accordant parfois plus d'importance à certaines idoles qu'à d'autres. Ainsi, l'idole nommée Manât était connue comme la déesse de Médine. C'était l'idole la plus ancienne, et les Aws comme les Khazraj lui vouaient une immense vénération. Sa place était près du Mont Qa'dîd, au bord de la mer, sur la route entre La Mecque et Médine.

                        A SUIVRE....

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                        • #57
                          SUITE

                          Al-Lât était l'idole des habitants de Tâ'if, tandis qu'al-'Uzzâ était celle des habitants de La Mecque. Tout habitant de Médine qui voulait avoir sa propre idole, faite de bois ou d'une autre matière, l'appelait Manât du nom de la déesse principale du lieu. Il ne semble pas que les Arabes de Médine aient eu une idole propre à leur ville qui ait acquis un grand prestige et été adorée à l'extérieur, comme c'était le cas d'al-Lât, Manât, al-'Uzzâ ou Hubal.

                          Il semble d'ailleurs que les idoles n'étaient pas aussi courantes à Médine qu'à La Mecque, où chaque maisonnée avait la sienne. Cela suggère que les habitants de Médine ne faisaient que suivre ce que les gens de La Mecque inventaient. Les Quraysh reconnaissaient la haute position des Aws et des Khazraj, puisqu'ils appartenaient à la branche arabe centrale des Qahtân. Les mariages entre ces tribus et les Quraysh étaient courants. Hâshim ibn Abd Manâf, arrière-grand père du Prophète et maître des Quraysh, avait épousé Salmâ bint Amr du clan d'an-Najjâr, qui faisait partie des Khazraj.

                          Mais les Quraysh s'attribuaient toujours la position prédominante. En outre, ils méprisaient l'agriculture comme moyen de subsistance, tandis que le mode de vie des habitants de Médine était fondé sur l'agriculture en raison de la fertilité de leurs terres. La situation économique était confortable, d'une manière générale. Médine et ses environs étaient célèbres pour leurs dattes et leurs raisins. Les dattes constituaient l'aliment de base de la population locale, en particulier lors des périodes de sécheresse. Les dattes servaient également de monnaie d'échange pour acheter d'autres produits.
                          Le palmier était aussi utilisé pour la construction et l'artisanat, ainsi que comme combustible et pour l'alimentation animale. Les terres agricoles de Médine produisaient diverses variétés de dattes, et les habitants possédaient une vaste expérience qui leur permettait d'en accroître le rendement. Cela n'empêchait pas pour autant les Médinois de pratiquer le commerce, quoique moins que les Mecquois qui, eux, dépendaient essentiellement de leurs activités d'importation et d'exportation. Médine possédait en outre un artisanat florissant, où les juifs occupaient une place particulièrement importante.

                          On relate que les juifs de Qaynuqâ' étaient des bijoutiers expérimentés. Les champs de Médine produisaient essentiellement de l'orge et du blé, ainsi que des légumes verts et différentes sortes de légumes secs. La location des terres agricoles et la vente des produits de la terre se faisaient selon diverses pratiques : l'islam allait en interdire certaines, ne conservant que celles qui ne lésaient aucune des parties. Outre la fertilité de son sol volcanique, Médine devait le succès de son agriculture à l'abondance de ses sources. Un grand nombre de rivières et de puits permettaient d'avoir de l'eau toute l'année.

                          La Mecque et Médine employaient la même monnaie, celle de Byzance ou de Perse, mais l'une comme l'autre étaient en argent. Pour le commerce, les Médinois utilisaient le volume plutôt que le poids ; ils possédaient plusieurs unités de volume reconnues. Il est important de noter que malgré la fertilité de ses terres, Médine ne pouvait pas produire assez de nourriture pour assurer ses besoins. Certaines denrées alimentaires devaient donc être importées : par exemple, on importait de Syrie de la farine, de la graisse et du miel. Les Médinois possédaient aussi des troupeaux abondants : des chameaux, des bovins et des ovins.

                          Les chameaux servaient à l'irrigation. Ils possédaient leurs propres pâturages, où l'on ramassait du bois pour le feu et où l'on emmenait paître les troupeaux et les chevaux. Les chevaux servaient à la guerre, mais ils étaient relativement moins nombreux qu'à La Mecque. Le clan de Sulaym était néanmoins célèbre pour les prouesses de ses cavaliers et importait les chevaux de divers endroits.

                          Plusieurs bazars et marchés se tenaient à Médine : les plus importants étaient le marché aux bijoux des juifs de Qaynuqâ', un marché aux tissus où l'on vendait de la soie, du coton et d'autres textiles, ainsi que les bazars aux parfums. Diverses pratiques commerciales avaient cours, mais l'islam en interdit un certain nombre. Certains marchands arabes des tribus d'Aws ou de Khazraj basaient leurs transactions sur l'usure, tout autant que les juifs.

                          En général, la vie était confortable à Médine avant l'avènement de l'islam. De nombreuses maisons avaient plus d'un étage, certaines possédaient leur propre jardin. Les gens allaient parfois loin chercher leur eau parce qu'ils voulaient la meilleure eau potable disponible. Ils possédaient leurs outils, de beaux meubles, des objets de décoration et des bijoux. Les femmes avaient pour tâches la filature, la couture et la teinture. On savait sculpter et fabriquer des briques.

                          La vie était donc beaucoup plus complexe à Médine qu'à La Mecque, en raison de la présence d'une diversité de religions, de cultures et de communautés. Le Prophète ne pouvait manquer, par conséquent, d'être confronté à différents problèmes. Seule la force pénétrante de la foi pouvait réussir à forger la population de Médine en une seule communauté. Ainsi le Prophète Muhammad, soutenu par Dieu, était-il à ce moment précis le seul capable de réaliser cette unité. (Ici s'achève le résumé du texte du cheikh Nadwî.)

                          C'est dans ce cadre que le Prophète arriva pour édifier une communauté cohérente et un nouvel État. Comme nous l'avons dit, son hôte était Abu Ayyûb al-Ansârî, qui était extrêmement heureux d'accueillir le Prophète chez lui. Abu Ayyûb n'était pas très riche mais il faisait preuve de la plus grande hospitalité, conscient qu'être l'hôte du Prophète était une bénédiction pour laquelle il devait toujours remercier Dieu. Sa femme et lui faisaient donc de leur mieux pour rendre le séjour du Prophète le plus confortable possible.

                          Un jour, une jarre dans laquelle ils conservaient leur eau se cassa et l'eau fut renversée. Craignant que l'eau ne traverse le plancher et ne mouille le Prophète, ils se précipitèrent pour l'essuyer avec une épaisse pièce d'étoffe qui leur servait de couverture lorsqu'ils dormaient. Ils m'avaient pas d'autre couverture : s'en servir pour éponger l'eau renversée impliquait que leur couverture serait mouillée et qu'ils ne pourraient pas s'en servir cette nuit-là.

                          Toutefois, ils auraient préféré rester éveillés toute la nuit que de déranger le Prophète en laissant de l'eau couler à travers le plancher. Umm Ayyûb préparait à manger pour le Prophète . Ni elle ni son époux ne mangeaient rien tant que le Prophète n'avait pas fini son repas. S'il rendait le plat en y laissant de la nourriture, tous deux commençaient à manger à l'endroit où le Prophète avait mangé, espérant ainsi la bénédiction divine. Avec de tels hôtes, le Prophète savait bien qu'il pouvait rester aussi longtemps qu'il le souhaiterait.

                          Cependant, il ne voulait pas rester plus longtemps que nécessaire. Il devait bientôt faire construire ses appartements près de la mosquée et s'y installer avec son épouse Sawda. Celle-ci allait être rejointe quelque temps après par 'Aïsha, une autre épouse du Prophète. Peu après l'arrivée du Prophète à Médine, ce dernier envoya son compagnon Zayd ibn Hâritha et Abu Rafi' à La Mecque, en leur donnant deux chameaux et cinq cents dirhams.

                          Ils ramenèrent avec eux les deux filles du Prophète, Fâtima et Umm Kulthûm, ainsi que son épouse Sawda. Ruqayya, une autre fille du Prophète, avait déjà émigré à Médine avec son époux Uthmân ibn Affân. La fille aînée du Prophète, Zaynab, resta à La Mecque avec son époux Abu al-'As ibn ar-Rabî', qui n'était pas encore musulman. Zayd ibn Hâritha ramena aussi avec lui sa propre épouse, Umm Ayman, qui avait été la nourrice du Prophète dans son enfance. Celle-ci avait un fils, Usâma, que le Prophète aimait beaucoup. Abdullâh ibn Abî Bakr se joignit aussi à eux avec les membres de la famille d'Abû Bakr, y compris Aïsha. Lorsqu'ils arrivèrent à Médine, le Prophète les installa chez Hâritha ibn an-Nu'mân.

                          En s'installant à Médine, les musulmans émigrés se rendaient compte qu'ils ne verraient plus La Mecque pendant bien longtemps. Il était donc naturel qu'ils en éprouvent de la nostalgie. Les choses étaient encore compliquées par le fait qu'une épidémie de malaria sévissait à l'époque à Médine. Abu Bakr et Bilâl, entre autres, contractèrent la maladie. Le Prophète dut donc rassurer ses compagnons et calmer leurs inquiétudes. Il implora Dieu de rendre Médine aussi attrayante pour ses compagnons que La Mecque, de la bénir et de mettre fin à l'épidémie.

                          A SUIVRE....

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                          • #58
                            SUITE

                            Le Prophète était conscient qu'il lui fallait s'occuper de tâches très importantes afin d'établir son nouvel État. Il commença par construire une mosquée. En face de chez Abu Ayyûb se situait un terrain découvert où l'on faisait sécher les dattes. Le Prophète demanda à qui il appartenait, et on lui répondit qu'il était la propriété de deux jeunes orphelins. Mu'âdh ibn Afrâ' s'engagea à leur payer une généreuse compensation et dit au Prophète qu'il pouvait l'utiliser pour construire une mosquée.

                            Le Prophète demanda à ses compagnons de travailler ensemble à la construction de la mosquée. Lui-même travailla aussi dur que les autres. En le voyant travailler si dur, ils redoublèrent d'efforts afin que l'édifice soit achevé le plus vite possible. Ils coupèrent un certain nombre de palmiers et égalisèrent le sol, puis ils creusèrent les fondations, profondes de deux mètres. Les murs étaient de briques nues. C'était une construction carrée d'environ 65 mètres de côté. La Qibla (la direction vers laquelle on se tourne pour prier) fut orientée vers Jérusalem, car les musulmans priaient encore dans cette direction.

                            Le plafond était de branches de palmier, ce qui n'empêchait pas la pluie de s'infiltrer à l'intérieur. Le sol ne comportait pas de plancher ni de tapis, mais tout juste quelques nattes qui ne suffisaient pas à couvrir toute la surface. Beaucoup de fidèles priaient à même le sable. On construisit deux pièces contiguës à la mosquée, pour servir d'appartements au Prophète . Les mêmes matériaux furent utilisés, et le plafond était aussi fait de branches de palmier. Lorsqu'elles furent prêtes, le Prophète y emménagea.
                            La construction de la mosquée fut la première mesure importante prise par le Prophète à son arrivée à Médine. Il avait aussi construit une mosquée à Qubâ', où il avait fait halte pendant quelques jours avant de poursuivre sa route jusqu'à Médine. On peut donc légitimement se demander pourquoi il attachait autant d'importance à la construction de mosquées.

                            La mosquée n'est pas simplement un lieu de culte. Si cela avait été le cas, le Prophète ne lui aurait accordé qu'une priorité secondaire : les musulmans peuvent prier et pratiquer leur culte où qu'ils se trouvent. Mais la mosquée est un symbole de l'islam en tant que mode de vie complet et exhaustif. La mosquée du Prophète à Médine était tout à la fois un centre spirituel pour le culte, le lieu où se géraient les affaires intérieures et extérieures du nouvel État, un centre de diffusion du savoir où se tenaient des débats et des séminaires, et une institution sociale où les musulmans apprenaient et pratiquaient l'égalité, l'unité et la fraternité.

                            Ainsi la mosquée était-elle un lieu où s'accomplissaient de nombreuses fonctions. C'était, de fait, la cellule de base de la structure de la nouvelle communauté. Cette mosquée forma tous les grands hommes de cette époque de l'histoire musulmane. C'était un endroit simple, produisant des résultats admirables. Mais lorsque les mosquées ont perdu leur rôle fondamental dans la vie de la communauté musulmane, elles sont devenues des édifices immenses et magnifiques, ne produisant que de maigres résultats.

                            Le Prophète s'attaqua sans perdre de temps aux problèmes essentiels liés à l'établissement du premier État islamique. Il tourna immédiatement ses efforts vers un problème crucial : la consolidation de liens permanents entre les différents éléments qui constituaient la communauté musulmane. Il faut se rappeler que les ansâr (les musulmans de Médine) appartenaient à deux tribus distinctes qui s'étaient encore récemment fait la guerre.
                            Les deux camps étaient pleins d'espoir de voir se substituer à leur vieille hostilité, avec l'adoption de l'islam, un lien permanent et inébranlable de fraternité. Il existait aussi à Médine une communauté d'immigrés (les muhâjirûn), qui appartenaient à différentes branches indépendantes des Quraysh. Bien que les muhâjirûn aient été bien reçus à Médine, ils n'avaient pas l'habitude du mode de vie de cette ville.

                            La plupart étaient des marchands, comme le reste des Quraysh, tandis que les ansâr étaient surtout des fermiers. De nombreux ajustements devaient se faire pour réduire au minimum les risques de frictions. Le Prophète appela donc ses adeptes à contracter un lien spécial de fraternité. Chacun des muhâjirûn devait être le frère de l'un des ansâr. Ce nouveau lien de fraternité était différent des liens fraternels ordinaires qui constituaient la base des relations sociales au sein de la société musulmane.

                            Ces liens fraternels ordinaires sont cruciaux dans toute communauté qui fait de l'islam sa foi et son code social. Le lien de fraternité établi par le Prophète entre les muhâjirûn et les ansâr était, quant à lui, particulier à la société musulmane de Médine. C'était beaucoup plus qu'un lien spirituel. Il se traduisait, dans la réalité, en quelque chose de beaucoup plus fort qu'aucune relation tribale ou familiale.

                            Il était si réel pour les personnes concernées qu'un frère des muhâjirûn héritait de son frère des ansâr à la mort de celui-ci, et vice-versa. Pour illustrer la réalité de ce lien, on peut citer l'exemple de 'Abd ar-Rahmân ibn Awf des muhâjirûn, dont le frère chez les ansâr était Sa'd ibn ar-Rabî'. Sa'd était conscient qu'il devait faire en sorte que son frère se sente chez lui à Médine.

                            Il lui dit : « Dieu soit loué, je suis assez riche, et j'ai décidé de partager exactement mes biens avec toi. J'ai aussi deux épouses : dis-moi laquelle tu préfères, et j'en divorcerai pour que tu puisses l'épouser. » Abd ar-Rahmân fut très touché par cette offre extrêmement généreuse. Il refusa cependant de prendre quoi que ce soit à son frère. Il se contenta de lui demander le chemin du marché, où il eut tôt fait de mettre sur pied un petit commerce.

                            Quelques jours plus tard, 'Abd ar-Rahmân se rendit auprès du Prophète , qui dut remarquer qu'il avait célébré quelque chose. 'Abd ar-Rahmân expliqua qu'il venait d'épouser une femme des ançâr. Il lui avait donné pour dot, dit-il au Prophète, un petit morceau d'or du poids d'un noyau de datte. Ce petit événement est révélateur du genre de sentiments qui régnaient parmi les deux principaux groupes de musulmans de Médine : une générosité sans pareille d'un côté, et un haut degré d'intégrité de l'autre. De tels sentiments contribuèrent à forger, à partir de ces deux groupes, une seule communauté unie qui continua à donner l'exemple aux générations successives de musulmans.

                            Exprimant leur réaction à l'accueil reçu à Médine, les muhâjirûn dirent au Prophète : « Nous n'avons jamais entendu parler de gens aussi généreux que nos hôtes : ils apportent le meilleur réconfort lorsque leurs moyens sont réduits, et ils sont les plus généreux lorsqu'ils sont aisés. Ils nous ont épargné tous les efforts et ont partagé avec nous leurs richesses. Nous craignons qu'ils ne reçoivent toute la récompense de Dieu, tandis qu'il ne nous en restera que très peu. »

                            Le Prophète répondit : « Il n'en sera pas ainsi, si vous leur êtes sincèrement reconnaissants et priez Dieu pour eux. » Le Prophète établit ainsi des liens solides et serrés au sein de la communauté musulmane. Il devait aussi s'occuper des relations de sa communauté avec les autres groupes de la société médinoise.

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                            • #59
                              SALAM

                              Paix et confrontation


                              Nous avons évoqué à plusieurs reprises les deux groupes de musulmans de Médine : ceux qui étaient venus de La Mecque, les muhâjirûn, et les habitants autochtones, les ansâr. Il faut toutefois souligner que cette distinction ne conserva plus longtemps sa pertinence. Les deux groupes constituaient un ensemble cohérent, fondé sur l'égalité et la fraternité. On ne saurait trop insister sur la puissance des liens unissant les membres de cette première communauté musulmane.

                              Sur le plan interne, la structure de la nation musulmane était très solide. Le Prophète levait maintenant s'occuper des relations « extérieures » de la nation. Ces relations comportaient deux niveaux : d'une part, avec les Quraysh, qui étaient très hostiles au nouvel Etat. Il était inévitable que les Quraysh deviennent une menace sérieuse, à plus ou moins long terme. Le reste de l'Arabie restait dans l'expectative, préférant ne pas s'engager aux côtés de l'islam tant que le conflit avec les Quraysh n'était pas résolu.
                              D'autre part, il y avait les autres communautés de Médine elle-même. Outre les musulmans, Médine comportait deux autres communautés. Les tribus juives qui constituaient leur propre communauté indépendante. La seconde communauté était celle des polythéistes arabes. Ceux-ci appartenaient aux mêmes tribus que les ansâr. Aucune hostilité ne se manifestait entre eux et les ansâr : ils continuaient au contraire à entretenir des relations amicales.

                              Le Prophète prit cependant les mesures nécessaires pour donner aux relations avec ces deux communautés une base claire et solide, ainsi que pour organiser les relations et les engagements au sein même de la communauté musulmane. Voici une traduction de cette charte constitutionnelle, qui définissait les obligations, les responsabilités et les engagements au sein du nouvel Etat et vis-à-vis des autres groupes et communautés :
                              Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
                              Voici ce qu'a rédigé Muhammad, le Prophète pour les croyants et musulmans de Quraysh et de Yathrib et pour quiconque les rejoindra et prendra part à leur lutte pour leur cause : ils constituent une seule communauté se distinguant des autres. Les muhâjirûn de Quraysh demeurent, comme auparavant, responsables du prix du sang qui leur est imputé. Ils paient la rançon de ceux d'entre eux qui sont faits prisonniers, selon ce qui est reconnu comme juste parmi les croyants. Le clan des 'Awf demeure, comme auparavant responsable du prix du sang qui lui est imputé. Chaque groupe paie la rançon de ses prisonniers, selon ce qui est reconnu comme juste parmi les croyants.
                              Le document répète ensuite les mêmes termes pour chaque clan des ansâr : les Sa'ida, les al-Hârith, les Jusham, les an-Najjâr, les 'Amr ibn 'Awf, les an-Nabît les Aws. Puis il poursuit :
                              Les croyants ne laisseront personne d'entre eux supporter de lourdes dettes sans l'aider raisonnablement à payer le prix du sang ou la rançon. Aucun croyant ne se liguera avec l'allié d'un autre croyant à l'exclusion de ce dernier. Les croyants pieux devront s'opposer à quiconque, parmi eux, transgressera ou se rendra coupable d'injustice, de crime, d'agression ou de corruption parmi les croyants : tous seront unis contre le coupable, fût-il le fils de l'un d'entre eux.

                              Aucun croyant ne tuera un autre croyant à cause d'un négateur, ni ne soutiendra un négateur contre un croyant. La garantie de Dieu est une : la protection accordée par le plus humble d'entre eux engage tous les autres, et les croyants sont alliés entre eux en dehors des autres. Ceux des juifs qui nous rejoindront recevront protection et égalité de droits ; ils n'auront à craindre ni injustice ni alliance contre eux. La paix des croyants est une : aucun croyant ne conclura un accord de paix à l'exclusion d'un autre croyant, lors d'un combat dans la voie de Dieu ; tous devront être concernés, également et justement.

                              Toutes les troupes qui partiront avec nous en expédition se relaieront les unes les autres. Les croyants prendront les uns pour les autres la revanche du sang versé dans la voie de Dieu. Les croyants pieux sont sur la meilleure et la plus droite des voies. Aucun négateur ne pourra garantir sa protection à un bien ou une personne de Quraysh ni s'interposer entre un croyant et eux. Quiconque sera reconnu coupable du meurtre d'un croyant sera puni de mort, sauf si le répondant de la victime accepte de l'épargner. Tous les croyants seront unis contre le meurtrier et ils seront tenus de lui appliquer cette règle.

                              Il ne sera permis à aucun croyant qui aura souscrit à ce traité et croira en Dieu et au Jour Dernier, d'accorder son soutien ou de donner refuge à un criminel. Quiconque aura ainsi accordé son soutien ou donné refuge à un criminel encourra la malédiction et le courroux de Dieu le Jour de la Résurrection. On n'acceptera de lui aucune indemnité ni compensation. Tout point sur lequel vous divergez devra être ramené à Dieu et à Muhammad

                              Les juifs devront partager les dépenses des croyants tant qu'ils seront en guerre [contre d'autres]. Les juifs du clan des 'Awf formeront une communauté avec les croyants. Les juifs ont leur religion et les musulmans ont la leur, qu'il s'agisse d'eux-mêmes ou de leurs alliés. Par contre, quiconque commettra l'injustice ou le péché ne portera préjudice qu'à lui-même et sa famille. Les juifs des clans d'an-Najjâr, al-Hârith, Sâ'ida, Jusham, al-Aws et Tha'laba ont les mêmes droits que les juifs du clan des Awf. Par contre, quiconque commettra l'injustice ou le péché ne portera préjudice qu'à lui même et sa famille.
                              Les Jafna sont une branche des Tha'laba et jouissent des mêmes droits. Le clan de Shutayba a les mêmes droits que les juifs du clan des Awf. Cet engagement ne sera pas violé. Les alliés des Tha'laba ont les mêmes droits qu'eux-mêmes, les proches des juifs ont les mêmes droits qu'eux-mêmes. Nul parmi eux ne pourra partir sans la permission de Muhammad. Il ne sera pas fait obstacle à la vengeance d'une blessure. Quiconque tuera en répondra lui-même ainsi que les membres de sa famille, sauf en cas d'injustice. Dieu est garant de cela.
                              Les juifs devront assurer leurs dépenses et les musulmans devront assurer les leurs. Ils devront se soutenir mutuellement contre quiconque ferait la guerre aux parties de cet accord. Ils se doivent mutuellement bienveillance et bon conseil. Cet engagement ne sera pas violé. Nul n'est responsable du crime de son allié, et le soutien ira à l'opprimé. Les juifs partageront les dépenses des croyants tant qu'ils seront en guerre. L'intérieur de la vallée de Médine sera sacré pour les parties de cet accord. Les personnes sous protection auront le même statut que nous-mêmes : elles ne devront ni être opprimées, ni commettre de transgression.

                              Aucune protection ne sera octroyée qu'avec l'accord de ceux qui en sont responsables. Tout désaccord ou risque de trouble survenant entre les parties de cet accord, devra être ramené à Dieu et au Prophète Muhammad. Dieu est garant du plus pieux respect des termes de cet accord. Aucune protection ne sera accordée aux Quraysh ni à ceux qui les soutiennent. Les parties de cet accord se soutiendront mutuellement contre quiconque attaquerait Yathrib. S'ils sont appelés à contracter un accord de paix et à y adhérer, qu'ils le contractent et y adhèrent. S'ils sont appelés à pareille chose, les croyants y sont engagés envers eux, sauf avec ceux qui combattent pour la religion.
                              Chaque groupe sera responsable de la part qui lui est la plus proche. Les juifs des Aws, eux mêmes et leurs alliés, ont les mêmes droits et obligations que les parties de cet accord. Les parties de cet accord l'appliqueront en toute sincérité. Cet engagement ne sera pas violé. Chacun portera la responsabilité de ses actes. Dieu est garant du plus sincère respect des termes de cet accord. Cet accord ne préserve pas de la punition quiconque est coupable d'injustice ou de crime. Quiconque quittera Médine sera en sécurité, et quiconque y restera sera en sécurité, sauf s'il est coupable d'injustice ou de crime. Dieu prend sous Sa protection ceux qui tiennent leurs engagements en toute pieté, et le Prophète Muhammad fait de même.


                              Cet accord fut le premier de ce type en Arabie. L'accord considérait les juifs comme des citoyens à part entière. Ils jouissaient de la liberté religieuse et de la protection de l'État. Ils devaient soutenir l'État musulman contre toute attaque ennemie.

                              L'arrivée du Prophète à Médine marquait la fondation du premier État musulman de l'Histoire. Il était très clair pour lui, dès le début, que les fondements de cet État devraient être consolidés en permanence. Ses premières actions importantes, lorsqu'il assuma le commandement à Médine, reflètent sa conscience aiguë de cette nécessité. Il construisit la mosquée, qui était tout à la fois un lieu de culte, une assemblée populaire et le siège du gouvernement. Il établit un nouveau lien puissant de fraternité entre ses adeptes afin de consolider la structure interne de sa communauté.
                              Il signa également un traité avec les tribus juives pour garantir la paix à Médine et pour être libre d'affronter les menaces extérieures auxquelles on pouvait évidemment s'attendre. Les Quraysh ne pouvaient pas rester inactifs pendant que le nouvel Etat de Médine devenait de plus en plus fort. Ils comprendraient nécessairement que cet État ne manquerait pas de remettre en question leur suprématie en Arabie. On pouvait donc s'attendre à ce qu'ils ne tardent pas à déclencher une campagne visant à éliminer ce rival avant de lui laisser le temps de prendre de l'ampleur.
                              Il était donc important que les musulmans de Médine fassent une démonstration de force afin que les Quraysh réfléchissent à deux fois avant d'entreprendre une action aussi risquée. On peut remarquer ici que jusqu'aux derniers mois de la prédication du Prophète à La Mecque, Dieu avait ordonné aux musulmans de ne pas recourir à l'affrontement armé contre les négateurs. Cette politique peut être attribuée à plusieurs motifs. D'abord, la période mecquoise avait pour objet l'éducation d'une certaine catégorie de personnes à une nouvelle tradition. Les musulmans arabes devaient apprendre à ne pas venger les outrages personnels, mais à voir au-delà de leurs intérêts individuels pour penser avant tout à leur nouvelle communauté.


                              A SUIVRE...

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                              • #60
                                SUITE

                                Ensuite, le recours à la force pendant la période mecquoise n'aurait fait qu'accroître l'entêtement des Quraysh et aurait, par conséquent, abouti à d'interminables tueries de représailles. La culpabilité aurait alors sans aucun doute été imputée à l'islam. Troisièmement, le recours à la force aurait pu donner lieu à de nombreuses petites guerres familiales, puisque les croyants vivaient encore au sein de leurs familles et de leurs clans. Les musulmans, étant peu nombreux, auraient pu être totalement exterminés. Enfin, les musulmans auraient perdu tout soutien de la part de leur clan. Nous avons vu comment le soutien des Hachémites garantissait au Prophète toute la protection dont il avait besoin pour poursuivre ses efforts en vue de l'accomplissement de sa mission.

                                Vers la fin de la période mecquoise, le Prophète et ses adeptes avaient reçu la permission de combattre les négateurs. Cette permission fut exprimée dans un verset coranique révélé peu après le second pacte entre les ansâr et le Prophète. Aucun combat n'eut lieu, toutefois, avant l'émigration du Prophète. Tout indiquait que cela ne tarderait pas à arriver. Il fallait donc se préparer à cette éventualité.
                                Les muhâjirûn et les ansâr étaient de bons guerriers. Ils avaient quasiment tous déjà combattu avec leur propre tribu. Nous avons vu que les deux tribus auxquelles appartenaient les ansâr s'étaient affrontées en une bataille acharnée peu avant de connaître l'islam. Mais toute cette expérience ne suffisait pas aux besoins du Prophète. La communauté musulmane ne mènerait jamais de guerre tribale. Une nouvelle armée devait être constituée sur une base totalement différente de ce qu'on connaissait alors en Arabie : la base de la foi.

                                Le but même de la guerre serait ainsi différent. L'attitude des soldats face à la mort au combat serait fondée sur la conviction qu'un martyr accède toujours au Paradis. Leur attitude envers leurs frères d'armes serait aussi totalement différente. Le Prophète ne perdit pas de temps avant de constituer une telle armée. Le Prophète s'était empressé de consolider les fondations de son nouvel Etat. À l'intérieur, le tissu social de la nouvelle société était de la meilleure qualité.

                                Les rapports avec les autres communautés de Médine furent établis sur une base saine. Une armée bien entraînée, qui devait bientôt donner toute la mesure de sa valeur, fut constituée. L'instauration du nouvel État était certes un grand succès, couronnant le travail assidu accompli par le Prophète depuis quatorze ans. Puisque Médine n'était pas une cité isolée, ses relations avec ses voisins étaient très importantes. Tout autour de Médine vivaient des tribus bédouines qui ne connaissaient rien de l'islam.
                                Quoique indépendantes, ces tribus penchaient naturellement en faveur des Quraysh. Comme eux, ces bédouins étaient des païens pour qui les valeurs religieuses n'avaient guère d'importance. Qui plus est, les Quraysh étaient la grande puissance d'Arabie. Il fallait faire quelque chose pour persuader ces tribus arabes que la situation avait changé. En outre, la mission du Prophète était universelle. Dieu lui ordonnait de transmettre son message à l'humanité entière et de l'inviter à y croire.

                                Jamais le Prophète n'envisagea l'instauration du nouvel État comme son objectif final. Ce n'était que la base à partir de laquelle il pourrait expliquer son message au reste de l'Arabie, puis au monde entier. Pour accomplir ces objectifs, le Prophète commença par envoyer des groupes armés de ses compagnons pour ce que les historiens ont appelé sarâyâ, que l'on peut traduire à peu près par des « expéditions ». En pratique, il s'agissait de manoeuvres par lesquelles les musulmans apprenaient beaucoup sur leurs ennemis : leurs capacités, leur influence sur d'autres tribus et la profondeur de leur animosité envers le nouvel État.

                                En même temps, ces manoeuvres amélioraient les capacités guerrières des musulmans et approfondissaient leur connaissance de la région environnante. La première expédition partit six mois à peine après l'arrivée du Prophète à Médine. Trente hommes des muhâjirûn, sous le commandement de Hamza, l'oncle du Prophète, partirent vers la côte pour intercepter une caravane commerciale de Quraysh. Le chef de la caravane n'était autre qu'Abû Jahl, et il était accompagné de trois cents hommes. Aucun combat n'eut lieu car un chef tribal nommé Majdî ibn Amr, des Juhayna, intervint pour l'empêcher. Cette expédition eut lieu durant le mois de ramadan de la première année du calendrier musulman.

                                Le mois suivant (celui de shawwâl), le compagnon du Prophète 'Ubayda ibn al-Hârith prit la tête d'une expédition de soixante hommes, avec pour instruction de la part du Prophète de pénétrer profondément dans le district de Râbigh, qui était plus proche de La Mecque que de Médine. Là, à un point d'eau nommé Ahyâ', ils rencontrèrent Abu Sufyân à la tête d'une force de deux cents hommes de Quraysh. Les deux groupes échangèrent des tirs de flèches, mais aucun affrontement direct n'eut lieu.
                                Quelques semaines plus tard, au mois de dhû-l-qi'da, Sa'd ibn Abî Waqqâs prit le commandement d'une troupe de vingt hommes qui partit à pied, voyageant la nuit et se cachant pendant la journée. Le cinquième jour, ils arrivèrent à un endroit appelé al-Kharrâr qui était, selon leurs instructions, le point le plus éloigné où ils pouvaient aller. Ayant appris que la caravane de Quraysh qu'ils devaient intercepter était passée une journée entière avant eux, ils durent faire demi-tour.

                                Près de trois mois plus tard, au mois de safar de l'année suivante, le Prophète lui-même prit la tête d'un groupe de ses compagnons et partit jusqu'à un endroit appelé Waddân. Là, il conclut un accord de paix avec une tribu du nom de Damra. Il rentra ensuite sans rencontrer d'ennemis. Après avoir pris un peu de repos à Médine, il repartit, laissant Abu Salama le remplacer à Médine. Il alla jusqu'à al-'Ashîra, près de Yanbu', où il passa quelques jours et conclut un autre accord de paix avec les tribus alliées de Mudlij et Damra. Il retourna ensuite à Médine.

                                Peu après, Kurz ibn Jâbir de la tribu de Fihr attaqua les pâturages des environs de Médine. Le Prophète lui-même le pourchassa avec un groupe de ses compagnons jusqu'à la vallée de Safwân, près de Badr. Kurz parvint à s'échapper. Les historiens appellent cette poursuite la première expédition de Badr. Les expéditions devenaient de plus en plus fréquentes et plus importantes. L'une d'elles mérite une attention particulière en raison de son issue.

                                Un groupe très restreint partit pour cette expédition avec des instructions précises. Au moment du départ, le Prophète donna à 'Abdullâh ibn Jahsh, son commandant, ses instructions écrites, en lui disant de ne les lire qu'au bout de deux jours de marche. Alors, il en apprendrait plus sur sa mission. Il ne devait obliger aucun de ses hommes à le suivre : si certains d'entre eux voulaient faire demi-tour, ils étaient libres de le faire.
                                Après deux jours de marche, 'Abdullâh ouvrit ses instructions et lut : « Lorsque tu auras lu ceci, poursuis ta route jusqu'à la vallée de Nakhla, à mi-chemin entre La Mecque et Tâ'if. Essaie d'obtenir tous les renseignements que tu peux sur les Quraysh. » 'Abdullâh dit : « Je le ferai volontiers. » Il se tourna ensuite vers ses compagnons et leur dit : « Le Messager de Dieu m'a ordonné d'aller jusqu'à Nakhla en mission d'espionnage, pour réunir des renseignements sur les Quraysh. Ceux d'entre vous qui aspirent au martyre sont les bienvenus ; ceux qui ont d'autres idées peuvent repartir. Quant à moi, je vais faire ce que le Prophète m'a ordonné. » Tous ses compagnons partirent avec lui, aucun ne fit demi-tour.

                                Les membres du groupe avaient un chameau pour deux et le montaient à tour de rôle. A un moment donné, l'un des chameaux s'égara. Les deux hommes qui le montaient, Sa'd ibn Abî Waqqâç et 'Utba ibn Ghazwân, partirent à sa recherche tandis que le reste de la troupe poursuivait sa route jusqu'au but du voyage, la vallée de Nakhla. Une petite caravane de Quraysh vint bientôt y faire halte. Lorsque les hommes de Quraysh s'aperçurent de la présence de l'autre groupe, la panique les gagna. 'Ukkâsha ibn Muhsin, du groupe musulman, se fit voir des Quraysh : iI s'était rasé la tête, un rituel accompli par la plupart des pèlerins et des visiteurs de la Ka'ba. Les Quraysh crurent ainsi que les autres voyageurs, qu'ils n'avaient pas reconnus comme étant musulmans, étaient des pèlerins. Leurs craintes furent donc apaisées.

                                Pendant ce temps, les musulmans discutaient de ce qu'il convenait de faire de la caravane. Une complication avait surgi : on était le dernier jour du mois de rajab, l'un des quatre mois lunaires où il était strictement interdit de combattre. Le problème, pour le groupe de musulmans, était que s'ils attendaient un jour supplémentaire, la caravane aurait atteint le sanctuaire de La Mecque et ne pourrait plus être interceptée. S'ils attaquaient, ils violeraient la règle concernant les quatre mois sacrés. Ils finirent néanmoins par décider d'attaquer.

                                'Amr ibn al-Hadramî fut tué par une flèche de Wâqîd ibn Abdullâh. Deux autres négateurs, 'Uthmân ibn Abdullâh et al-Hakam ibn Kaysân, se rendirent aux musulmans. Le quatrième membre du groupe de Quraysh, Nawfal ibn Abdullâh, parvint à s'échapper. La troupe musulmane put ainsi confisquer la caravane et reprendre la route de Médine. Lorsqu'elle y parvint, le Prophète refusa de prendre les deux prisonniers et la caravane, et dit aux hommes de la troupe : « Je ne vous ai pas demandé de combattre pendant le mois sacré. » Les hommes étaient consternés. Leurs frères musulmans leur reprochaient leur action. Ils ne savaient plus que faire et se sentirent perdus.

                                Cet incident donna lieu à une nouvelle campagne de propagande des Quraysh, qui tentèrent de ternir la réputation du Prophète et de ses compagnons auprès des autres Arabes. Ils insistaient sur la violation du mois sacré. L'affaire affecta profondément les musulmans, jusqu'à ce que Dieu apaise leurs inquiétudes avec de nouvelles révélations coraniques affirmant que chasser les musulmans de La Mecque était un crime bien plus grave que de tuer un négateur durant le mois sacré :

                                A SUIVRE....

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