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Biographie du prophete sws.

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    Le Jugement des Qurayza

    Quand les Qurayza se furent rendus, le Prophète ordonna que les hommes soient mis d'un côté, les mains liées, et que les femmes et les enfants soient mis d'un autre côté. Les musulmans de la tribu des Aws se sentirent obligés de demander la clémence du Prophète pour leurs anciens alliés. Il était clair que des liens puissants avaient autrefois uni les Aws et les Qurayza, et que les Aws étaient enclins à l'indulgence envers leurs anciens alliés, malgré leur trahison. Lorsque les Aws allèrent intercéder auprès du Prophète, il leur dit : « Accepteriez-vous que je confie mon différend avec vos anciens alliés au jugement de l'un des vôtres ? »

    Les Aws furent très satisfaits de cette proposition qu'ils s'empressèrent d'accepter. Le Prophète leur dit alors de demander aux Qurayza de choisir comme arbitre un membre des Aws. Leur choix se porta sur le chef de la tribu des Aws, Sa'd ibn Mu'âdh. Certains récits avancent que c'était le Prophète qui avait choisi Sa'd ibn Mu'âdh pour juger du cas des Qurayza. Que le choix ait été celui du Prophète ou celui des Qurayza eux-mêmes, Sa'd était l'homme qu'il fallait pour prononcer le jugement.

    Les Aws ne manqueraient pas d'accepter le jugement plus facilement s'il était formulé par leur propre chef. En outre, rien n'aurait pu être plus équitable envers les Qurayza que de désigner leur propre allié pour les juger. Nous avons mentionné précédemment que Sa'd ibn Mu'âdh avait été blessé lors des accrochages qui s'étaient produits au cours du siège imposé aux musulmans par les Quraysh et les Ghatafân. Il était soigné pour sa blessure sous une tente-infirmerie dressée par une femme du nom de Rufayda bint al-Hârith. C'était le Prophète qui avait demandé aux Aws de faire soigner Sa'd sous la tente de Rufayda afin de pouvoir lui rendre visite pendant le siège des Qurayza.

    Quand il fut désigné comme arbitre du sort des Qurayza, des gens de sa tribu vinrent le chercher pour le conduire auprès du Prophète. Ils lui amenèrent un âne à monter et tintèrent de le persuader de faire preuve d'indulgence. Ils lui dirent : « Sois généreux envers tes alliés, Abu Amr. Le Prophète t'a choisi pour les juger afin que lu sois généreux envers eux. Tu sais que Abdullâh ibn Ubayy a été généreux envers ses alliés. »

    Sa'd choisit d'abord le silence. Quand il fut las de leur insistance, il dit : « Il est temps que Sa'd cesse de se préoccuper des critiques, quand il s'agit d'un acte par lequel il espère plaire à Dieu. » On relate que ses contribules comprirent par ces paroles qu'il ne comptait pas laisser ses sympathies et les leurs intervenir dans son jugement. Certains d'entre eux retournèrent donc annoncer aux leurs que le jugement qui attendait les Qurayza serait terrible, avant même que Sa'd n'ait atteint la tente du Prophète.

    Lorsque Sa'd arriva, le Prophète dit à ses compagnons : « Levez-vous pour accueillir votre maître. » Ils se levèrent en deux rangs et chacun salua Sa'd à tour de rôle. Puis le Prophète lui dit qu'il avait été choisi pour juger les Qurayza. Sa'd répondit : « C'est à Dieu et Son messager qu'il appartient de juger. » Le Prophète lui dit que c'était Dieu qui lui enjoignait de donner son verdict. Sa'd se tourna alors vers les musulmans et leur demanda : « Me jurez-vous solennellement devant Dieu que mon jugement sera accepté comme définitif ? »

    Quand ils répondirent à l'affirmative, il baissa la tête en signe de déférence au Prophète, tendit la main en direction de l'endroit où il était assis et demanda : « Cela concerne-t-il aussi ceux qui sont de ce côté ? » Le Prophète répondit : « Oui. » Sa'd demanda alors aux Qurayza s'ils accepteraient son jugement, quel qu'il soit. Ils répondirent que son verdict leur serait acceptable. Il leur demanda encore de s'engager solennellement à accepter le jugement qu'il prononcerait. Quand ils l'eurent fait, il prononça son verdict en ces termes : « Je décide que tous les hommes des Qurayza seront tués, que leurs biens seront partagés et que leurs femmes et leurs enfants seront réduits en esclavage. »

    Le Prophète entérina le jugement et dit qu'il venait de Dieu. Le jugement fut alors exécuté. Sur ordre du Prophète, tous les Qurayza furent emmenés à Médine où les hommes furent détenus dans la maison d'Usâma ibn Zayd tandis que les femmes et les enfants étaient détenus dans la maison d'une femme appelée Kayysa bint al-Hârith. Leurs armes et leurs biens mobiliers furent aussi apportés à Médine tandis que leur bétail était laissé dans leurs champs. On leur donna des dattes à manger. Des fosses furent creusées sur la place du marché de Médine pour l'exécution des hommes de Qurayza, qui furent emmenés par groupes pour être décapités.

    Quand on emmena Huyay ibn Akhtab pour le tuer, le Prophète lui dit : « Dieu ne t'a-t-Il pas livré à moi, ennemi de Dieu ? » Huyay répondit : « Certes, Dieu a choisi de te donner le dessus sur moi. Je ne me suis jamais reproché d'avoir adopté une attitude hostile envers toi. Mais celui qui n'est pas soutenu par Dieu est abandonné à l'humiliation. » Puis il se tourna vers ceux qui l'entouraient et dit : « Nous ne pouvons pas nous opposer au jugement de Dieu. C'est un sort que nous devons subir parce que Dieu l'a imposé aux Israélites. » Il fut alors exécuté.

    Le Prophète ordonna que les prisonniers soient bien traités et qu'on leur donne à boire et à manger avant leur exécution. On attendit la fin de l'après-midi pour exécuter les condamnés, afin qu'ils n'aient pas à souffrir en plus de la chaleur brûlante d'une journée d'été. Un homme, Rifâ'a ibn Samuel, demanda la protection d'une femme des ansâr nommée Umm al-Mundhir. Celle-ci alla trouver le Prophète et lui demanda la grâce de Rifâ'a, qu'il lui accorda. Rifâ'a devait plus tard devenir musulman. Un vieil homme de la tribu de Qurayza du nom de Zubayr ibn Bâtâ avait rendu un service à un homme des ansâr appelé Thâbit ibn Qays.

    Ce dernier, voulant faire un geste à son tour, alla trouver le Prophète et lui demanda la grâce de l'homme. Le Prophète gracia donc Zubayr et l'autorisa à sauver sa famille et ses biens. Cependant, lorsque Thâbit lui apporta la nouvelle, Zubayr répondit qu'il préférait mourir avec ses amis.

    'Aïsha a relaté qu'une femme des Qurayza était assise en sa compagnie, en train de rire et de bavarder pendant que les hommes de sa tribu étaient tués. On l'appela alors et elle répondit. Quand Aïsha lui demanda pourquoi on l'appelait, elle dit : « Je vais être exécutée pour quelque chose que j'ai fait. » Aïsha a relaté :

    « Je m'étonne encore de son insouciance et de la façon dont elle bavardait et riait alors qu'elle savait qu'on allait la tuer. » Elle fut la seule femme de Qurayza à être tuée, et son crime était d'avoir tué un musulman appelé Khallâd ibn Suwayd en lui lançant une grosse pierre.

    Le Prophète ordonna ensuite que les biens des Qurayza ainsi que leurs femmes et leurs enfants soient partagés entre les musulmans. Il choisit pour lui même l'une de leurs femmes, appelée Rayhâna bint Amr. Il proposa de l'épouser si elle devenait musulmane, mais elle refusa et dit qu'elle préférait rester esclave. Il la laissa pendant un certain temps, déçu qu'elle ait refusé l'islam. Quelque temps plus tard, Rayhâna adhéra à l'islam de son plein gré et le Prophète en fut très content.

    Nous avons relaté que Sa'd avait été atteint d'une flèche au bras et sérieusement blessé pendant le siège de Médine. À l'époque, profondément préoccupé par le sort de l'islam, il avait imploré Dieu en disant : « Seigneur, si nous devons à nouveau affronter les Quraysh, préserve-moi pour ce combat. Il n'y a personne que je souhaite autant combattre pour Ta cause, que ceux qui se sont opposés à Ton Messager, qui l'ont rejeté et qui l'ont chassé de chez lui. Si, par contre, Tu as décidé que ce combat entre nous serait le dernier, je T'implore, Seigneur, de me faire accéder au martyre par cette blessure, mais épargne-moi jusqu'à ce que je voie notre conflit avec les Qurayza se terminer favorablement pour l'islam. »

    La suite des événements indique clairement que Dieu entendit la prière de Sa'd. Sa blessure se cicatrisa temporairement pendant que le siège des Qurayza se poursuivait. Quand il s'acheva, ce fut lui qui fut choisi pour arbitrer leur cas. Quand son verdict eut été exécuté, Sa'd fut ramené à la mosquée où il était soigné. Pendant la nuit, sa blessure se rouvrit et il saigna abondamment. Nous possédons plusieurs récits qui, réunis, confirment que l'ange Gabriel apparut au Prophète cette nuit-là et lui demanda : « Muhammad, qui est ce mort pour qui les portes du Paradis se sont ouvertes et pour qui le Trône de Dieu a bougé ? »

    Le Prophète se précipita à la tente où Sa'd était soigné et le trouva mort. Le Prophète fut très peiné par la perte de ce grand serviteur de l'islam, mais il était aussi heureux pour lui car il avait obtenu le martyre et son immense récompense.

    La fin d'un opposant acharné

    Sallâm était l'un des chefs de la tribu juive d'an-Nadîr. Avec Huyay ibn Akhrab, il avait joué un rôle central dans la formation de la coalition de tribus arabes qui avait attaqué Médine. Huyay avait été tué avec les Qurayza. Sallâm, quant à lui, avait trouvé refuge à Khaybar, une ville du centre de l'Arabie ou résidait la plus importante communauté juive de la région. Le Prophète savait que l'homme poursuivrait ses efforts pour nuire à l'Etat musulman : c'était donc un ennemi avec lequel aucune concession n'était possible.

    Les deux tribus des ansâr, les Aws et les Khazraj, étaient déterminées à montrer au Prophète qu'elles étaient tout aussi dévouées l'une que l'autre à la cause de l'Islam. Si l'une des tribus réussissait à rendre un service à l'islam, l'autre s'efforçait de se hisser au même niveau. Lorsque le Prophète avait voulu se débarrasser de Ka'b Ibn al-Ashraf, le chef juif de la tribu de Qaynuqâ' qui insultait les femmes musulmanes et avait pris parti pour les Quraysh après leur défaite de Badr, c'étaient des hommes des Aws qui s'étaient chargés de son exécution.

    Les Khazraj cherchaient à accomplir un acte d'une portée similaire pour être à égalité avec les Aws. Les Khazraj virent en Sallâm ibn Abî al-Huqayq l'occasion d'accomplir une action égale à celle des Aws. Un groupe d'entre eux demanda et obtint du Prophète la permission de préparer son assassinat. Cinq d'entre eux, menés par 'Abdullâh ibn Anîs, se rendirent à Khaybar pour le tuer. Au moment de partir, le Prophète leur rappela qu'ils ne devaient sous aucun prétexte tuer de femme ni d'enfant.



    A SUIVRE...

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    • SUITE

      Un soir, ils s'introduisirent chez Sallâm. Abdullâh ibn Anîs parlait l'hébreu. Il dit à la femme de Sallâm, qui demandait son nom, qu'il avait un cadeau pour Sallâm. La femme ouvrit la porte et essaya d'appeler au secours quand elle s'aperçut que les hommes étaient armés. Ils la menacèrent de leurs sabres, mais sans la frapper car ils tenaient à obéir aux instructions du Prophète . Quand ils pénétrèrent dans la maison, ils frappèrent Sallâm de leurs sabres. Mais celui-ci portait son armure et ne fut que légèrement blessé. L'un d'eux parvint cependant à lui enfoncer son sabre dans le ventre et s'appuya de tout son poids, jusqu'à ce qu'il constate que Sallâm était mort.

      Leur tâche accomplie, ils s'empressèrent de se retirer. La femme de Sallâm appela au secours. Comme les cinq hommes quittaient les lieux, 'Abdullâh ibn Anîs, qui avait une mauvaise vue, tomba dans l'escalier et se blessa à la jambe. Ses frères musulmans le portèrent et se réfugièrent dans un endroit sûr. Des groupes de juifs de Khaybar se mirent à leur recherche, mais ils parvinrent à leur échapper. Ils restèrent deux jours dans leur refuge avant de pouvoir reprendre leur voyage en aidant leur frère blessé tout le long du chemin.

      Lorsqu'ils arrivèrent à Médine, ils informèrent le Prophète de la mort de Sallâm. Toutefois, chacun d'eux disait que c'était lui qui l'avait tué. Le Prophète leur demanda de lui montrer leurs sabres puis, les ayant vus, il détermina que c'était Abdullâh ibn Anîs qui avait tué Sallâm. Ainsi fut tué un ennemi acharné de l'islam.

      Leur victoire retentissante lors de la bataille du Fossé et du siège des Qurayza conféra aux musulmans un immense prestige en Arabie. Ils étaient désormais véritablement craints de toutes les tribus arabes. Leur État était reconnu imprenable. Le Prophète avait compris la tournure future des événements lorsque, voyant que les armées arabes de Quraysh et Ghatafàn s'étaient retirées sans avoir rencontré les musulmans dans une véritable bataille, il dit : « Maintenant nous ne serons plus sur la défensive : ils ne nous attaqueront plus. »

      Consolidation de la nouvelle position

      Le Prophète comprenait aussi qu'il lui fallait consolider la nouvelle position des musulmans en faisant la preuve que l'équilibre des forces en Arabie leur était désormais de plus en plus favorable. Au début du troisième mois de la sixième année suivant son émigration à Médine (juillet 627 apr. J.-.C.), le Prophète quitta Médine à la tête d'une troupe de deux cents de ses compagnons pour attaquer une tribu du nom de Lihyân qui habitait dans la vallée de Fazzân, dans le Hijaz, non loin de La Mecque. Il avait un compte à régler avec cette tribu.

      Comme nous l'avons relaté précédemment, les membres de la tribu de Lihyân avaient commis une effroyable trahison lorsqu'ils avaient persuadé le Prophète d'envoyer un groupe de ses compagnons leur enseigner le Coran et les principes de l'islam. Il avait envoyé six de ses compagnons. A peine ceux-ci étaient-ils arrivés que les Lihyân les avaient attaqués. Ils avaient tué quatre d'entre eux et vendu les deux autres aux Quraysh à La Mecque, où ils avaient été exécutés.

      Cet acte de trahison est connu dans les livres d'Histoire comme « le jour d'ar-Rajî' ». Pour attaquer la tribu de Lihyân, il fallait s'approcher tout près de La Mecque, où les Quraysh auraient été ravis de rencontrer une si petite troupe de musulmans en une bataille ouverte. Si les Quraysh apprenaient l'intention du Prophète , ils pourraient très rapidement mobiliser une armée importante, venir au secours des Lihyân et essayer d'en finir avec les musulmans. Ils pourraient appeler d'autres tribus à la rescousse. Ils ne laisseraient pas passer une telle occasion, d'autant que le Prophète lui-même était à la tête de la troupe musulmane.

      Le Prophète était cependant un habile tacticien. Il savait que les Lihyân surveillaient ses moindres mouvements, conscients qu'il pourrait décider de les punir pour leur trahison. Il partit donc vers le Nord en direction de la Syrie. Il parcourut une longue distance dans cette direction, jusqu'à ce qu'il pense que plus personne ne se douterait qu'il voulait en réalité aller vers le Sud. Puis il fit demi-tour et partit vers le Sud en direction de La Mecque, se dirigeant très rapidement vers Fazzân.

      Il espérait ainsi prendre les Lihyân par surprise. Ceux-ci avaient cependant très peur, conscients que leur tour ne manquerait pas de venir. Ils observaient très attentivement les mouvements du Prophète. Quand il atteignit l'endroit où la trahison avait été commise, les Lihyân comprirent que le Prophète venait pour les attaquer. Ils prirent la fuite et se réfugièrent dans les montagnes voisines. Lorsque le Prophète arriva au district des Lihyân, il n'y trouva personne. Il y campa pendant deux jours et envoya plusieurs détachements de ses troupes dans toutes les directions à la recherche des Lihyân, mais ils ne trouvèrent rien.

      S'efforçant de tirer le plus grand parti possible de cette expédition, le Prophète suggéra à ses compagnons : « Si nous pouvons aller jusqu'à Asafân et y établir notre camp, les Quraysh comprendront que nous sommes parvenus jusqu'à La Mecque. » Il conduisit donc ses compagnons jusqu'à Asafân. Après y avoir établi son camp, le Prophète envoya un groupe de ses compagnons, sous le commandement d'Abû Bakr, en direction de La Mecque. Ils arrivèrent jusqu'à Kurâ' al-Ghamîm, dans les faubourgs de la ville, puis rebroussèrent chemin.

      Quand les Quraysh se rendirent compte que le Prophète se trouvait à 'Asafân, ils s'empressèrent de réunir une importante troupe sous le commandement de Khâlid ibn al-Walîd. Lorsque les deux troupes se trouvèrent face à face, il était l'heure de la prière de duhr. Le Prophète et ses compagnons accomplirent celle prière tandis que les soldats de Quraysh les regardaient. Leur prière terminée, les Quraysh commencèrent à se reprocher de ne pas avoir attaqué les musulmans pendant qu'ils priaient. Ils se disaient qu'ils avaient manqué une occasion de frapper à un moment où les musulmans ne pouvaient pas riposter.

      Un membre de l'armée de Quraysh rappela alors à ses compagnons d'armes que les musulmans ne tarderaient pas à prier de nouveau. Pensant à la prière de 'asr, les soldats de Quraysh se dirent : « Bientôt les musulmans seront occupés à une prière qui leur est plus chère que leurs propres enfants, et même que leur propre vie. »

      La prière lorsqu'on craint d'être attaqué

      À ce moment, le Prophète reçut des révélations quant à la manière dont il devait prier avec ses compagnons dans une telle situation, où leurs ennemis risquaient de les attaquer. Cette manière de prier est décrite en détail dans le Coran (4.102) et est appelée dans les ouvrages religieux « la prière de la peur ».

      Nous en avons déjà donné un bref aperçu, nous la décrivons de manière plus détaillée ci-dessous. Quand arriva l'heure de la prière de 'asr, les soldats de Quraysh étaient aux aguets, espérant attaquer les musulmans quand ils seraient prosternés, le front au sol. Cependant, les compagnons du Prophète se placèrent en deux rangées derrière lui pendant qu'il dirigeait la prière. Lorsqu'il eut fini sa récitation du Coran, il s'inclina et tous ses compagnons firent de même.

      Tous se redressèrent ensuite normalement. Puis le Prophète se prosterna et s'agenouilla, et le premier rang de ses compagnons en fit autant, tandis que les hommes du second rang restaient debout pour protéger leurs frères prosternés. Quand les hommes de la première rangée eurent achevé leurs prosternations et se furent redressés, ceux de la seconde rangée se prosternèrent à leur tour, puis se redressèrent. Les deux rangées changèrent alors de place et le Prophète accomplit la seconde rak'ât, qui se déroula de la même manière que la première.

      Les hommes de la seconde ligne (qui avaient été devant pendant la première rak'a) montèrent la garde pendant que leurs frères se prosternaient avec le Prophète. Quand les hommes de la première ligne eurent achevé leurs prosternations, ils les gardèrent à leur tour pendant qu'ils accomplissaient les leurs. Puis toute la communauté des musulmans accomplit ensemble la dernière partie de la prière, effectuée en position assise. Ils achevèrent tous la prière ensemble.

      C'est ainsi que s'effectuent les prières dans une situation où les musulmans craignent d'être attaqués pendant qu'ils sont en prière. Puisque les musulmans se prosternent et posent le front au sol en priant, ce moment donne à leurs ennemis une occasion de les frapper fort et de leur causer de lourdes pertes. Cependant, l'islam est une religion pratique qui affronte toutes les situations avec réalisme. Les musulmans doivent prier quelle que soit la situation où ils se trouvent, mais la forme de la prière peut être modifiée pour répondre à certaines contraintes.

      Dans ce cas précis, la moitié des musulmans restait en alerte pendant que leurs frères poursuivaient leur prière. Leurs ennemis ne pouvaient donc pas les prendre par surprise. Le changement de place à la fin de la première rak'a permettait que chaque membre de l'armée musulmane prenne également part à tous les devoirs de combat, de garde et de prière.

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      • SALAM



        Affaires de famille



        Peu après que le Prophète avait commencé à recevoir les révélations divines, sa fille aînée, Zaynab, embrassa l'islam comme le reste de la famille. Son époux Abu al-As ibn ar-Rabî', quant à lui, ne le fit pas. Il n'existait à l'époque aucune injonction quant à la validité des mariages dans lesquels un des époux n'était pas musulman. Zaynab continua donc à vivre avec son époux pendant un certain nombre d'années, et leur mariage était heureux. Quand le Prophète émigra à Médine, Zaynab resta à La Mecque avec son époux.

        Comme nous l'avons dit précédemment, Abu al-As participa à la bataille de Badr avec les Quraysh, contre les musulmans. Il fut fait prisonnier et traité de la même manière une les autres prisonniers de Quraysh, qui furent invités à racheter leur liberté, Zaynab envoya la rançon demandée, et elle y inclut un collier que sa mère défunte, Khadîja, lui avait donné à porter pour sa nuit de noces. En voyant le collier, le Prophète fut profondément touché et dit à ses compagnons : « Si vous jugez, bon de libérer son mari et de lui rendre son argent, faites-le. » C'est ainsi qu'Abù al-As fut libéré sans rançon.

        Peu après son retour à La Mecque, Abu al-As envoya sa femme à Médine rejoindre son père, le Prophète . Il s'acquittait ainsi d'une promesse qu'il avait faite au Prophète au moment de quitter Médine. Nous avons déjà relaté en détail les événements qui accompagnèrent le voyage de Zaynab et la tentative des Quraysh de l'empêcher de quitter La Mecque. Zaynab continua à vivre à Médine avec le Prophète tandis que son époux restait à La Mecque, parce qu'elle était musulmane alors qu'il suivait encore les croyances idolâtres associant d'autres divinités à Dieu. Ils demeurèrent séparés environ quatre ans, avant les événements que nous allons relater.

        Interception d'une caravane

        Au mois de jumâda al-ûlâ de la sixième année après l'émigration du Prophète à Médine (septembre 627 apr. J.-C), le Prophète envoya une troupe de cent soixante-dix hommes, sous le commandement de Zayd ibn Hâritha, intercepter une caravane commerciale de Quraysh revenant de Syrie. La mission de Zayd fut un succès. Il parvint à intercepter la caravane et tout ce qu'elle transportait.

        Certains des hommes accompagnant la caravane furent faits prisonniers. Abu al-As, qui dirigeait la caravane, parvint à s'échapper lors de l'attaque. Quand il fut certain de ne plus être rattrapé, il s'assit un moment pour réfléchir à sa situation et comprit qu'il était en difficulté. Son lien si proche avec le Prophète l'exposait à être soupçonné de ne pas s'être acquitté de sa mission avec suffisamment de zèle. On risquait de l'accuser de complaisance ou de complicité. Il se rendit compte qu'il pouvait difficilement se contenter de rentrer à La Mecque et d'informer les Quraysh que la caravane avait été interceptée, même si c'était loin d'être la première caravane commerciale interceptée par les musulmans de Médine.

        Abu al-As se rendit donc à Médine. Il dut s'approcher avec précaution pour éviter d'être fait prisonnier. Quand il fut arrivé dans les environs de la ville, il ne se déplaça plus que de nuit. Lorsque presque tout le monde fut endormi à Médine, il se rendit furtivement jusqu'à la maison de Zaynab, à côté de la mosquée. Il demanda à être son hôte et son protégé. Elle accepta, car rien dans les enseignements de l'islam n'interdisait à un musulman d'agir de la sorte. Au contraire, l'islam encourage à protéger ceux qui craignent pour leur vie.

        L'heure de la prière de l'aube arriva bientôt et les croyants se réunirent dans la mosquée où le Prophète dirigeait la prière. Quand la prière en commun commença et que tous les musulmans furent occupés à la prière, Zaynab sortit des appartements des femmes et dit d'une voix forte : « Que chacun sache que j'ai pris sous ma protection Abu al-As ibn ar-Rabî'. »

        Les prières terminées, le Prophète se tourna vers les fidèles et leur demanda s'ils avaient entendu la même chose que lui. Quand ils répondirent que oui, il poursuivit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, je ne savais rien de cela avant d'entendre ce que vous avez entendu. Les croyants sont une seule communauté : le plus humble d'entre eux peut parler en leur nom à tous et accorder sa protection en leur nom. Nous honorerons cet engagement. » Lorsque les fidèles eurent quitté la mosquée, le Prophète alla trouver sa fille et lui dit de faire preuve d'hospitalité envers Abu al-As.

        Il lui expliqua qu'elle ne devait pas le traiter comme son époux, bien qu'ils n'aient pas divorcé. Abu al-As n'étant pas musulman, son épouse était séparée de lui à cause de sa religion. Il ne pouvait donc pas s'attendre à être traité comme un époux chez Zaynab : ils ne pouvaient pas avoir de rapports conjugaux. Toutefois, cela n'empêchait pas la bonté et l'hospitalité. Zaynab demanda alors au Prophète de rendre à Abu al-As tout ce qu'on lui avait pris. Zaynab pensait sans doute qu'un tel traitement apporterait les meilleurs résultats.

        Le Prophète était le meilleur des hommes envers ses enfants et envers la communauté musulmane en général. Nous possédons de nombreux exemples de requêtes formulées par des musulmans ordinaires dans toutes sortes de circonstances, et on peut aisément en conclure que le Prophète accédait toujours à de telles requêtes tant que cela n'était pas en contradiction avec une prescription divine. Toutefois, dans ce cas précis, l'affaire ne dépendait pas entièrement de lui. Il du à ses compagnons : « Vous connaissez le lien qui nous unit à cet homme. Vous lui avez pris de l'argent et des biens. Si vous avez la bonté de lui rendre ce que vous lui avez pris, nous vous en saurons gré. Si vous refusez, vous serez entièrement dans votre droit. Ce que vous avez gagné est quelque chose que Dieu vous à donné. »

        Il va sans dire que le Prophète ne fit nullement pression sur les musulmans pour qu'ils rendent à Abu al-As ce qu'ils lui avaient pris. Le Prophète dit clairement que garder le butin était leut droit. Cependant, les compagnons du Prophète ne lui refusaient rien. Dès lors qu'ils comprenaient qu'il lui plairait de les voir se comporter d'une certaine façon, ils s'empressaient de lui donner satisfaction. Dans le cas présent, ils rapportèrent, jusqu'au moindre objet, tout ce qui avait été pris à Abu al-As et sa caravane. Il constata que tout lui avait été rendu lui intact, comme si cela n'avait jamais été pris.

        Abu al-As se rendit ensuite à La Mecque. Il rendit leurs biens à tous ceux qui avaient une part dans la caravane. Personne ne subit aucune perte : au contraire, ils perçurent tous les bénéfices réalisés par Abu al-As dans cette entreprise commerciale. Quand il eut fait cela et que tout le monde fut content de ses gains, Abu al-As demanda à ses concitoyens : « Est-ce que je vous dois encore quelque chose ? » Comme ils répondaient que non, il poursuivit : « Me suis-je acquitté de ma charge et de ma mission à votre satisfaction ? » Tous répondirent : « Oui, certes. Nous avons trouvé en toi, comme toujours, un homme honnête et intègre. »

        Il dit ensuite : « Je voudrais que vous sachiez, alors, que j'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son messager. Je veux aussi vous dire que la seule chose qui m'a empêché de déclarer ma foi en l'islam quand j'étais à Médine, était la crainte que vous ne pensiez que je voulais garder votre argent. Maintenant que Dieu vous a rendu vos biens et que je me suis acquitté de ma charge, je me sens libre de toute obligation envers vous et je déclare ma foi en l'Islam. »

        Abu al-As retourna alors à Médine, où il reprit la vie commune avec sa femme. Aucun nouveau contrat de mariage ne fut nécessaire pour cela. Dans cette affaire, le Prophète et sa famille s'étaient conformés entièrement et sans hésiter à ce que leur religion leur demandait. Une séparation d'environ quatre ans avait eu lieu entre la propre fille du Prophète et son époux parce que celui-ci n'avait pas embrassé l'islam assez rapidement.

        A SUIVRE...
        __________________

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        • SUITE

          Mariage à distance

          La vie maritale du Prophète lui-même avait considérablement changé depuis son émigration à Médine. Quand il était à La Mecque, le Prophète n'avait qu'une épouse, Khadîja, avec qui il avait vécu vingt-cinq ans, jusqu'à ce qu'elle meure trois ans avant son émigration. Aucun récit ne fait allusion à un quelconque projet du Prophète de contracter un autre mariage pendant que Khadîja était en vie, alors même que la polygamie était une pratique habituelle et une institution reconnue de la vie sociale d'Arabie.

          Il n'existait pas de limite au nombre d'épouses qu'un homme pouvait avoir. L'islam, lui, devait restreindre la polygamie, limitant à quatre le nombre d'épouses qu'un homme pouvait avoit en même temps. Rien, religieusement ou socialement, n'aurait donc pu empêcher le Prophète de prendre une autre épouse pendant cette longue période de sa vie. C'était le propre choix du Prophète de n'avoir qu'une épouse, avec qui il vécut très heureux.

          À Médine, le Prophète prit plusieurs épouses en une période de dix ans. Quand il mourut, il laissa neuf veuves. Dieu avait en effet exempté le Prophète de la restriction du nombre d'épouses applicable à l'ensemble des musulmans. Un examen attentif des mariages du Prophète ne manquera pas de révéler, pour chaque mariage, des motifs importants qui ne sauraient être négligés. Ces motifs sont le plus souvent liés à l'établissement de liens solides entre le Prophète et des personnages importants de la communauté musulmane, entraînant des conséquences indéniables pour l'avenir de l'État de Médine.

          Certains de ces mariages apportaient un grand avantage aux tribus auxquelles appartenaient les épouses concernées. Un mariage de cette dernière catégorie fut celui qui unit le Prophète à Umm Habîba bint Abî Sufyân. Ramla, mieux connue sous le nom d'Umm Habîba, n'était autre que la fille d'Abû Sufyân, le chef de Quraysh qui commanda l'armée de sa tribu dans plusieurs batailles contre le Prophète et les musulmans.

          Umm Habîba avait été parmi les premiers musulmans. Elle était mariée à un homme appelé 'Ubaydallâh ibn Jahsh, qui était aussi devenu musulman. Douze ou treize ans avant son mariage avec le Prophète, Umm Habîba avait émigré avec son époux en Abyssinie quand le Prophète avait recommandé à ses compagnons de s'y rendre pour échapper à la persécution des Quraysh et établir une nouvelle base pour l'islam dans un pays exempt de persécution religieuse. Il se trouva que son époux, 'Ubaydallâh ibn Jahsh, se convertit au christianisme durant son séjour en Abyssinie. Il continua à vivre avec Umm Habîba mais ne cessait de narguer les musulmans qui se trouvaient là-bas en disant qu'il était le seul à voir la vérité claire du christianisme. Il leur disait : « Je suis le seul à avoir une vision claire, tandis que vous n'avez qu'une vision obscurcie de la vérité. »

          Cela brisait le coeur d'Umm Habîba, qui continuait néanmoins à vivre avec lui parce que les injonctions séparant les femmes musulmanes de leurs époux non musulmans n'avaient pas encore été révélées. Peu de temps après les expéditions du Fossé et de Qurayza, le Prophète apprit la mort de 'Ubaydallâh ibn Jahsh. Il comprit qu'Umm Habîba se trouvait dans une situation très difficile en Abyssinie, vivant seule avec sa fille, alors que son père Abu Sufyân menait une lutte prolongée contre l'islam. Il n'était pas question qu'elle retourne chez ses parents, tandis que rester seule en Abyssinie n'était pas envisageable à long terme.

          Par ailleurs, la situation entre l'État musulman de Médine et les Quraysh était maintenant très différente. Après l'échec du plan de grande envergure qui avait bousculé toutes les forces hostiles à l'islam dans un ultime effort pour l'écraser et anéantir les musulmans, l'initiative était désormais entre les mains de ces derniers.

          L'équilibre continuait indiscutablement à évoluer en leur faveur. Or, le Prophète n'était pas un chef d'État ordinaire, ayant pour but de bâtir un empire ou d'étendre sa domination. Il voulait que tout le monde reconnaisse la véracité de l'islam et les avantages apportés par la conversion à l'islam. Il voulait que ses ennemis voient la lumière de l'islam et apprécient l'immense changement qui se produirait dans leur vie s'ils embrassaient cette religion.

          Il pensait donc aux futures relations entre les musulmans et les Quraysh lorsqu'il envoya son émissaire 'Amr ibn Umayya ad-Damrî au Négus, le souverain d'Abyssinie qui avait montré tant d'hospitalité envers les musulmans et était lui-même devenu musulman. Le Prophète voulait qu'on organise son mariage avec Umm Habîba.

          Umm Habîba a relaté :


          Quand je vivais en Abyssinie, je reçus une visite inattendue d'une servante du Négus appelée Abraha, qui s'occupait de son habillement et de sa toilette. Elle demanda à me voir et je la fis entrer. Allant droit au but, elle me dit : « Le Roi voudrait que tu saches que le Messager de Dieu (la paix soit sur lui) lui a envoyé une lettre pour te demander en mariage et lui a demandé d'organiser ton mariage avec lui. » Je lui répondis : « Que Dieu t'apporte d'heureuses nouvelles. » Elle ajouta que le Roi voulait que je désigne un homme pour me représenter lors de la conclusion du contrat de mariage. J'envoyai chercher Khâlid ibn Sa'îd ibn al-'Âs et je le désignai comme mon représentant. Je donnai à Abraha deux bracelets d'argent, deux bracelets de cheville et plusieurs bagues en argent que je portais aux orteils. Je fis cela parce que la nouvelle qu'elle m'avait apportée m'avait comblée de joie.


          Vêrs le soir, le Négus fit appeler Ja'far ibn Abî Tâlib et le reste des musulmans. Quand tous furent réunis à sa cour, il prononça le discours suivant : « Gloire à Dieu, le Souverain de l'Univers, Celui qui est digne de louange, le Tout-Puissant. J'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager, et qu'il est celui dont la mission a été annoncée par Jésus, fils de Marie. Le Messager de Dieu m'a demandé de le marier à Umm Habîba bint Abî Sufyân et j'accomplis sa requête. Il lui donne une dot de quatre cents dinars. »

          Il plaça alors l'argent devant l'assistance. Puis Khâlid ibn Sa'îd parla à son tour : « Louange à Dieu. Je Le loue et j'implore Son pardon. J'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager. Il l'a envoyé avec la bonne direction et la religion vraie pour la faire triompher de toutes les autres religions, en dépit des négateurs. J'accepte la proposition du Messager de Dieu et je le marie à Umm Habîba bint Abî Sufyân. Puisse Dieu bénir ce mariage et combler Son messager de Ses bienfaits. »

          Le Négus versa alors la dot à Khâlid ibn Sa'îd et les musulmans manifestèrent l'intention de se retirer. Le Négus leur dit de s'asseoir, parce que la tradition de tous les prophètes voulait qu'un repas soit servi aux gens quand un prophète se mariait. Il fit dresser une table et tous prirent part au repas de noces avant de partir.

          Peu de temps après, le Négus fit préparer le départ d'Umm Habîba pour Médine. Elle devait être escortée par Zayd ibn Hâritha, un compagnon du Prophète . Le Négus prit aussi en charge toutes les dépenses du mariage. On notera ici qu'Umm Habîba reçut la dot la plus importante de toutes les épouses du Prophète. Celles-ci recevaient en dot quatre ou cinq cents dirhams, tandis qu'Umm Habîba reçut quatre cents dinars, soit quatre mille dirhams. (Le dirham était la monnaie d'argent de l'époque. Dix dirhams équivalaient à un dinar, la monnaie d'or).

          Lorsque Abu Sufyân apprit le mariage de sa fille au Prophète, il dit : « Muhammad est un éminent personnage au sujet duquel on ne peut rien dire de mal. » Il reconnut qu'être lié par mariage au Prophète était un honneur pour n'importe qui.

          A SUIVRE...
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          • SUITE

            Un mariage contraire aux habitudes

            Quand Muhammad avait seulement vingt-cinq ans, c'est-à-dire une quinzaine d'années avant le début de sa mission, il avait épousé Khadîja bint Khuwaylid. Celle-ci lui avait offert un jeune esclave nommé Zayd ibn Hâritha pour le servir. Déjà à cette époque, Muhammad détestait l'esclavage. Il ne souhaitait pas posséder un esclave. Il affranchit donc Zayd et le garda à son service en tant qu'homme libre. Ayant compris quel homme Muhammad était et combien son caractère était noble, Zayd s'y attacha si profondément qu'il voulut rester près de lui.

            Zayd appartenait à l'origine à une tribu arabe et avait été fait prisonnier lors d'un raid d'une autre tribu contre la sienne. Puis il avait été vendu à La Mecque et s'était retrouvé en la possession de Khadîja, comme nous l'avons relaté précédemment. Le père et l'oncle de Zayd voulurent racheter sa liberté, mais Muhammad leur dit que Zayd était libre de partir avec eux s'il le souhaitait. « Si, au contraire, il décide de rester avec moi, je ne m'en séparerai pas pour tout ce que vous pouvez offrir. » Zayd décida sans hésiter de rester auprès de Muhammad, disant à son père et à son oncle que, connaissant Muhammad depuis plusieurs années, il ne voudrait pour rien au monde le quitter.

            En conséquence, Muhammad annonça devant tous les Mecquois sa décision d'adopter Zayd en tant que fils. Tous ces événements eurent lieu bien avant l'islam. Quand le Prophète reçut les premières révélations, Zayd fut le premier homme à embrasser l'islam. Il connaissait trop bien Muhammad pour avoir le moindre doute quant à la véracité de son message. Il devint l'un des meilleurs partisans et soldats de l'islam. Le Prophète lui confia le commandement de plusieurs expéditions. Zayd était sans doute l'homme que le Prophète aimait le plus, à part peut-être Usâma, le fils de Zayd.

            Quand le Prophète se fut établi à Médine, il voulut marier Zayd à l'une de ses parentes, Zaynab bint Jahsh, dont la mère était la tante paternelle du Prophète Umayma bint Abd al-Muttalib. Elle-même ne souhaitait pas ce mariage, et son frère encore moins. Après tout, Zaynab appartenait à la même famille que le Prophète, la plus noble famille de toute l'Arabie. Qu'était Zayd comparé à une telle lignée ? N'était-il pas un simple esclave qui avait bénéficié de la bonté du Prophète ? Certes, on l'appelait Zayd ibn Muhammad, mais cette appellation ne changeait rien aux faits.

            Cependant, Zaynab, bonne musulmane, ne pouvait pas refuser un souhait exprimé par le Prophète . Le but du Prophète en mariant sa propre cousine à un ancien esclave était d'abolir pour toujours toute forme de distinction de classe. Zaynab et son frère consentirent à contrecoeur au mariage pour obéir au Prophète. Ils comprenaient qu'ils n'avaient pas le droit de refuser, d'autant plus que Dieu avait révélé dans le Coran qu'un ordre du Prophète était irrévocable, même s'il concernait la vie privée d'un croyant. « Il ne convient pas à un croyant ni à une croyante de suivre leur propre choix dans une affaire, une fois que Dieu et Son Prophète en ont décidé autrement. Quiconque désobéit à Dieu et à Son Prophète s'égare de toute évidence. » (33.36)

            Le mariage de Zayd et Zaynab ne fut pas heureux. Elle ne l'aimait pas et ne parvenait pas à surmonter ses sentiments de classe. Elle lui faisait constamment sentir qu'elle lui était socialement supérieure. Zayd, qui n'avait jamais accepté d'être un esclave et n'en avait pas la mentalité, ne pouvait tolérer l'attitude de Zaynab. Il s'en plaignit au Prophète à plusieurs reprises. Le Prophète était toujours prêt à l'aider. Il conseilla à Zaynab de surmonter sa fierté et d'accepter la décision de Dieu au sujet de son mariage.

            Malgré cela, des tensions persistaient dans le ménage de Zayd. Dieu ordonna alors au Prophète de laisser Zayd divorcer, puisqu'il en exprimait fréquemment le désir sans pour autant le faire par égard pour les recommandations du Prophète. Le Prophète reçut aussi l'ordre d'épouser Zaynab quand le divorce serait effectif.

            Le Prophète fut profondément perturbé lorsqu'il reçut ces instructions. Il appréhendait les conséquences d'un tel mariage. Il garda l'affaire pour lui et n'en parla à personne. Il se rendait compte que s'il épousait Zaynab, les gens commenceraient à parler et à l'accuser d'épouser sa belle-fille. Le but de Dieu était cependant de mettre un terme à ces affirmations erronées. Personne ne peut affirmer être le père d'un autre que son propre enfant. Le système de l'adoption avec toutes ses conséquences devait être aboli pour toujours.

            Cette fois, cependant, le Prophète ne s'empressa pas de se conformer aux instructions de Dieu. Peut-être espérait-il que Dieu lui épargnerait ce devoir difficile qui lui causait tant d'inquiétude. Il alla plus loin. Quand Zayd vint à nouveau se plaindre de sa femme et exprimer le désir de divorcer, le Prophète lui dit : « Garde ta femme et crains Dieu. » Le Prophète reçut alors des révélations coraniques le blâmant pour son attitude et l'incitant à permettre à Zayd de divorcer de Zaynab. Il reçut à nouveau l'ordre d'épouser Zaynab quand le divorce serait effectif.

            Le fait que des gens puissent dire que Muhammad épousait sa belle-fille n'était pas une raison pouvant retenir le Prophète de se conformer aux instructions de Dieu. L'adoption est aptes tout une forme de falsification. Puisque le système de l'adoption était profondément ancré dans la société arabe, seul un exemple pratique donné par le Prophète en personne pourrait suffire à y mettre fin. L'autorité qui nous informe de ces événements n'est rien moins que le Coran lui-même. Dieu S'adresse au Prophète dans le Coran, indiquant clairement qu'il connaît parfaitement les sentiments du Prophète :


            Souviens-toi de celui que Dieu et toi-même avez comblé de bienfaits, et auquel tu disais : « Garde pour toi ton épouse, et crains Dieu », tout en dissimulant au fond de toi-même ce que Dieu allait rendre public. Tu redoutais l'opinion publique, alors que c'est Dieu que tu devais craindre. Lorsque Zayd eut cessé toute relation avec sa femme, Nous te la donnâmes en mariage afin qu'il ne soit plus interdit aux musulmans d'épouser les femmes avec lesquelles leurs fils adoptifs auront cessé toute relation conjugale. (33.37)

            Le propos est on ne peut plus clair. Le Prophète conseillait à Zayd de ne pas divorcer de sa femme, tout en gardant pour lui-même quelque chose que Dieu voulait rendre public. En outre, ces versets confirment que le mariage du Prophète et de Zaynab était l'accomplissement des instructions de Dieu Lui-même : « Nous te la donnâmes en mariage. » Le but de tout cela est également indiqué très clairement : il s'agissait de mettre un terme au système d'adoption et à tout ce qu'il impliquait.

            Malgré ces propos très clairs de Dieu, les ennemis de l'islam continuèrent à propager des rumeurs et à émettre de fausses accusations. L'une des plus stupides est celle qui suggère que le Prophète était amoureux de Zaynab et tentait de dissimuler son amour. Ceux qui soutiennent ce point de vue indéfendable avancent aussi que le verset coranique cité ci-dessus critique le Prophète pour avoir dissimulé ses sentiments envers Zaynab.

            Ces affirmations sont pour le moins contradictoires. Qui aurait pu empêcher le Prophète d'épouser Zaynab, qui était sa cousine et une pieuse musulmane ? C'était lui qui lui avait demandé d'épouser Zayd alors qu'elle ne le souhaitait pas. Il avait aussi tenté à maintes reprises de l'apaiser afin qu'elle soit satisfaite de ce mariage. Quand Zayd eut divorcé de sa femme et qu'elle eut achevé sa période d'attente, le Prophète demanda à Zayd d'aller demander pour lui la main de Zaynab. Celui-ci se rendit donc chez elle, où elle pétrissait la pâte pour faire le pain.

            Zayd a relaté : « Quand je la vis, je me sentis gêné. Je ne pouvais même pas la regarder parce que c'était le Prophète qui la demandait. Je lui tournai donc le dos, et je dis : "Zaynab, je t'apporte une bonne nouvelle. Le Messager de Dieu m'a envoyé te dire qu'il désire t'épouser." Elle dit : "Je ne suis pas prête à faire quoi que ce soit avant d'avoir demandé à mon Seigneur de me guider." » Elle alla tout de suite prier. Puis le verset coranique mentionnant ce mariage fut révélé et le Prophète se rendit chez Zaynab et y entra sans attendre qu'on l'y autorise.

            L'action du Prophète , lorsqu'il entra chez Zaynab sans attendre d'en avoir la permission, indique que l'affaire n'était plus entre ses mains ni entre celles de Zaynab. Ce mariage avait été ordonné par Dieu, entre autres dans un but législatif. Zaynab était une femme de noble caractère, pieuse et bonne. Peu de femmes pourraient égaler sa bonté envers les pauvres. Elle était un exemple pour toutes les femmes musulmanes, par la force de sa foi et ses actes surérogatoires. Elle jeûnait fréquemment et passait une partie de la nuit en prière. Rien ne parvenait cependant a lui ôter le sentiment que son mariage avec le Prophète lui conférait une position unique.

            Elle disait au Prophète : « Je suis fière de trois choses, qu'aucune autre de tes épouses ne peut avoir : nous avons toi et moi le même grand-père ['Abd al-Muttalib était le père de Abdullâh, le père du Prophète, et d'Umayma, la mère de Zaynab] ; c'est Dieu, gloire à Lui, qui m'a mariée à toi par un ordre qu'il a envoyé du ciel, et l'émissaire de notre mariage était l'ange Gabriel. »

            A SUIVRE...
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            • SUITE



              Une leçon de bonnes manières

              La tradition prophétique veut qu'un mariage soit célébré par un repas de noces auquel les gens sont conviés. Cela a pour but de rendre public le mariage. Un repas de noces n'est pas seulement un excellent procédé de publicité, dans toute société quel que soit son niveau de développement ; c'est aussi un moyen de faire du mariage une occasion heureuse pour toute la communauté. Quand le Prophète épousa Zaynab, une femme nommée Umm Sulaym prépara de la nourriture et la donna à Anas ibn Mâlik en lui disant : « Porte ceci au Messager de Dieu et dis-lui que c'est un modeste présent que nous lui offrons. »

              Anas, qui a relaté ce récit, a fait remarquer qu'à l'époque, la plupart des marchandises étaient rares. Il apporta la nourriture au Prophète en lui transmettant le message d'Umm Sulaym. Voici la suite de son récit :


              Le Prophète regarda le plat et me dit de le mettre de côté et d'aller inviter des gens à venir manger. Il nomma un grand nombre de personnes puis ajouta : « Et tous les musulmans que tu rencontreras. » J'allai inviter les gens qu'il avait nommés, invitant aussi ceux que je rencontrais sur mon chemin. Quand je revins, la maison et la cour de la mosquée étaient pleines de monde. Le Prophète me dit de m'approcher de lui et je lui apportai la nourriture. Il posa la main sur le plat et implora Dieu et dit : « Tout ce que Dieu veut est fait. »

              Puis il demanda aux gens de former de petits groupes de dix hommes et d'invoquer le nom de Dieu avant de commencer à manger. Il leur recommanda aussi de manger chacun ce qui était le plus près de lui. Ils firent ce qu'on leur avait dit et commencèrent à manger. Chacun mangea à sa faim. Quand ils eurent tous fini, le Prophète me demanda d'emporter la nourriture. Je regardai le plat, et je ne suis pas sûr s'il était plus plein quand je l'avais posé, avant que personne n'en mange, ou quand je le repris une fois que tout le monde avait mangé.

              La plupart des gens partirent après avoir terminé leur repas, mais quelques hommes s'attardèrent dans la maison du Prophète. L'épouse du Prophète était là aussi. Elle se tournait vers le mur par pudeur. Les hommes continuèrent cependant à bavarder longuement et le Prophète était embarrassé. Il était extrêmement pudique. S'ils avaient su que leur comportement embarrassait le Prophète, ils l'auraient fort regretté. Le Prophète sortit rendre visite à ses autres épouses. Il commença par 'Aïsha. En entrant dans sa chambre, il dit : « Membres de cette maisonnée, que la paix soit avec vous ainsi que la miséricorde et la bénédiction de Dieu. » Elle répondit à son salut dans les mêmes termes, puis demanda : « Comment as-tu trouvé ta nouvelle épouse, que Dieu te bénisse ? »

              Il rendit visite à chacune de ses épouses et chacune dit la même chose que Aïsha. Quand il eut terminé, il retourna à l'appartement de Zaynab et s'aperçut que trois hommes s'y trouvaient encore. Très gêné et embarrassé, il fit demi-tour pour retourner chez Aïsha. Les hommes comprirent qu'ils devaient partir et se dépêchèrent de sortir. Je ne suis pas sûr si je le lui dis moi-même ou si l'ange Gabriel l'informa du départ des hommes. Il revint chez Zaynab et dès qu'il y eut mis le pied, le rideau fut abaissé entre nous.

              C'est d'ailleurs à cette occasion que furent révélées les injonctions particulières concernant les épouses du Prophète et leur apparition en public. Ces injonctions indiquent très clairement que, malgré le statut particulier dont bénéficiaient les épouses du Prophète en vertu du fait que chacune d'elles était considérée comme la « mère des croyants », elles ne pouvaient parler aux hommes que de derrière une séparation quelconque. Ces injonctions indiquent aussi très clairement que les épouses du Prophète n'avaient pas le droit de se remarier après sa mort.

              Ces injonctions sont exprimées dans le verset suivant :


              Ô croyants ! N'entrez dans les demeures du Prophète que si vous êtes invités à un repas. Evitez d'être là à attendre que le repas soit prêt. Quand vous êtes invités, entrez et après avoir mangé, dispersez-vous, sans vous livrer à des propos familiers. En vérité, cela offenserait le Prophète qui aurait honte de vous en faire part. Mais Dieu n'a pas honte de dire la vérité. Quand vous demandez quelque chose aux épouses du Prophète, faites-le derrière un voile. Vos coeurs et les leurs n'en seront que plus purs. Vous ne devez pas offenser l'Envoyé de Dieu ni épouser ses femmes après lui. Ce serait une énormité auprès de Dieu. (33.53)

              Telle est l'histoire du mariage de Zaynab. Deux paroles de 'Aïsha fournissent un épilogue à cette histoire. Dans la première, elle dit : « Je n'ai jamais vu une femme plus pieuse que Zaynab. Elle était exemplaire dans sa crainte de Dieu, sa loyauté, sa bonté envers ses proches, sa sincérité et sa générosité. » 'Aïsha dit également : « Nous, les épouses du Prophète , lui demandâmes laquelle d'entre nous serait la première à le suivre après sa mort. Il répondit : "Celle qui a le bras le plus long." Nous mesurions nos bras pour voir laquelle avait le bras le plus long, lorsque Zaynab mourut la première après la mort du Prophète, nous comprîmes qu'il avait voulu désigner par cette expression la plus généreuse d'entre nous, Zaynab travaillait de ses mains et dépensait ses gains en charité. »
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              • SALAM



                Construction de la paix



                La sixième année après l'arrivée du Prophète à Médine, les musulmans se trouvaient donc dans une situation très favorable. Ils jouissaient d'une période de paix et de tranquillité relatives telle qu'ils n'en avaient jamais connu depuis la fondation de leur Etat. La situation n'était cependant pas exempte de dangers potentiels. Les tribus juives expulsées de Médine s'étaient installées auprès de leur coreligionnaire, à Khaybar, dans le nord-ouest de l'Arabie.

                On pouvait toujours s'attendre à un renouvellement de l'alliance entre les Quraysh de La Mecque et les juifs de Khaybar pour entreprendre une nouvelle offensive contre les musulmans. Le Prophète était conscient qu'il valait mieux prévenir toute tentative de rétablir une telle alliance qu'essayer de s'y opposer une fois qu'elle serait constituée. Une démonstration de force était donc nécessaire pour rappeler à chacun que les musulmans de Médine étaient trop puissants et trop sur leurs gardes pour laisser se former une telle alliance.

                Le Prophète était aussi pleinement conscient que les musulmans devaient montrer au reste du monde que, pour eux, la guerre n'était qu'un mal nécessaire et qu'ils préféraient vivre en paix avec les autres. Les musulmans étaient les dépositaires du message divin et ils avaient conscience que leur devoir primordial était de transmettre ce message à l'humanité. Pour s'acquitter correctement de cette mission, ils avaient avant tout besoin de paix. La démonstration à venir devrait donc remplir ces deux objectifs.

                Un rêve très agréable

                Une nuit, le Prophète se vit en rêve aller prier à la Ka'ba avec ses compagnons ; certains se rasaient la tête tandis que d'autres raccourcissaient leurs cheveux. Or, se raser la tête ou couper une partie de ses cheveux fait partie des rites du pèlerinage et de la umra (la visite pieuse). Dans ce rêve, ils pouvaient le faire sans ne craindre aucun ennemi ni ne rencontrer aucun obstacle. Il fut très heureux de ce rêve, qu'il relata à ses compagnons. Ceux-ci furent enchantés, car ils étaient conscients que les rêves des prophètes sont véridiques.

                Quand un prophète fait un rêve, c'est une indication de ce qui va lui arriver, à lui ou à sa communauté. Les musulmans considérèrent donc ce rêve relaté par le Prophète comme une bonne nouvelle et l'accomplissement d'un de leurs plus chers désirs. En effet, tous les musulmans souhaitaient se rendre à la Ka'ba mais ils en avaient été empêchés pendant les six dernières années. Peu après, le Prophète annonça à ses compagnons et aux tribus arabes des environs de Médine son intention de se rendre à La Mecque pour honorer la Ka'ba et y célébrer le culte.

                Il les invita à se joindre à lui. La plupart des tribus arabes qui n'adhérèrent pas encore à l'islam ne souhaitaient pas participer à cette expédition pacifique car ils craignaient que les Quraysh ne s'opposent au projet des musulmans et ne les empêchent de pénétrer à La Mecque. Si les Quraysh étaient déterminés à arrêter les musulmans, un conflit armé pourrait s'ensuivre. Ces tribus arabes restèrent donc à l'écart. Les musulmans, quant à eux, furent heureux de se joindre au Prophète, qui partit à la tête d'environ mille quatre cents de ses partisans.

                Le voyage entrepris par le Prophète donna lieu à une situation très problématique. La Ka'ba était à La Mecque, la patrie des Quraysh qui s'étaient jusqu'alors montrés hostiles envers l'islam et les musulmans. Les Quraysh étaient toujours la tribu la plus importante et la plus puissante d'Arabie. Par ailleurs, ils étaient les gardiens de la Ka'ba. Leur position unique parmi les Arabes émanait en partie de ce rôle, qui demandait que personne ne soit empêché, sous aucun prétexte, de se rendre à la Ka'ba pour le pèlerinage ou l'exercice d'un culte.

                Les années précédentes, les musulmans n'avaient pas été autorisés à se rendre à La Mecque en raison de l'état de guerre existant entre les Quraysh et eux. Maintenant que le Prophète et ses compagnons venaient pour une mission pacifique visant à manifester leur vénération pour la Ka'ba, quelle serait l'attitude des Quraysh ? S'ils repoussaient les musulmans, leur attitude serait-elle justifiée aux yeux des autres Arabes ? Un tel acte n'entacherait-il pas l'honneur des Quraysh en tant que gardiens de la Maison de Dieu ?

                Le Prophète tenait à ce que les Quraysh n'aient absolument aucune excuse pour adopter une attitude hostile. Il prit donc toutes les dispositions nécessaires pour prouver aux Quraysh et à tous les Arabes que sa mission était pacifique et qu'il n'avait pas d'autre intention que d'honorer la Ka'ba. Le Prophète partit donc à la tête de ses compagnons durant le mois de dhûl-qi'da (février 628 apr. J.-C.) ; ils ne portaient pour toute arme que leurs sabres dans leurs fourreaux.

                À l'époque, aucun voyageur traversant l'Arabie ne pouvait se passer de son sabre. Le Prophète montait sa chamelle al-Qaswa. Il emmenait avec lui soixante-dix chameaux : il avait l'intention de les sacrifier après avoir accompli sa umra et de distribuer leur viande aux pauvres dans le périmètre sacré de La Mecque. En effet, le sacrifice fait partie des rites du pèlerinage et est recommandé après la 'umra. Le pèlerin consomme une partie de la viande du sacrifice mais en distribue la majeure partie aux pauvres dans le périmètre sacré qui entoure La Mecque.

                Le Prophète demanda à son compagnon aveugle, Ibn Umm Maktûm, de le remplacer à Médine et emmena avec lui Umm Salama, l'une de ses épouses. Arrivé à un endroit appelé Dhûl-Hulayfa, à neuf kilomètres environ de Médine, il s'arrêta pour accomplir la prière de duhr. Puis il marqua les chameaux, conformément à la tradition arabe, afin qu'on les reconnaisse comme des chameaux destinés à être sacrifiés après l'accomplissement des rites cultuels. Ses compagnons en firent autant avec les animaux qu'ils avaient emmenés pour le sacrifice.

                Le Prophète et ses compagnons entrèrent ensuite en état de sacralisation en revêtant leurs vêtements d'ihrâm. Ils poursuivirent alors leur route en répétant des paroles signifiant qu'ils se rendaient à la Ka'ba pour y glorifier Dieu, en réponse à l'appel de Dieu à l'humanité.

                Mesures de résistance

                Le Prophète demanda à son compagnon Abbâd ibn Bishr de partir en éclaireur avec une vingtaine d'hommes afin d'assurer la sécurité du convoi. Il envoya également Bishr ibn Sufyân espionner les Quraysh pour sonder leurs intentions. Ces mesures étaient caractéristiques du Prophète, qui ne négligeait aucun détail. Il tenait à s'assurer que les musulmans ne seraient pas pris par surprise. Il était donc important que, pour leur première mission pacifique, les musulmans soient bien informés des intentions de leurs ennemis traditionnels.

                La nouvelle des intentions du Prophète et de son approche à la tête de mille quatre cents de ses partisans suscita une vive agitation chez les Quraysh. Leur première réaction fut d'empêcher à tout prix les musulmans d'entrer à La Mecque. Cela impliquait qu'ils utiliseraient la force si nécessaire pour empêcher les musulmans de pénétrer à La Mecque pour adorer Dieu à la Ka'ba. Ils commencèrent immédiatement leurs préparatifs pour la guerre. Deux illustres chefs militaires, Khâlid ibn al-Walîd et 'Ikrima ibn Abî Jahl, partirent à la tête de deux cents hommes avec pour mission d'intercepter les musulmans à Kurâ' al-Ghamîm, à une certaine distance de La Mecque.

                La troupe fut aussi rejointe par des volontaires de deux autres tribus et parvint à établir un système de communication pour envoyer à La Mecque des messages sur les mouvements du Prophète. Le Prophète poursuivit néanmoins sa route jusqu'à un endroit appelé Ghadîr al-Ashtât, où Bishr ibn Sufyân lui apprit que les Quraysh mobilisaient leurs forces et recherchaient l'aide d'autres tribus pour le combattre et l'empêcher de pénétrer à La Mecque. Le Prophète consulta ses compagnons, leur demandant s'ils pensaient qu'il serait bon d'attaquer leurs quartiers parce qu'ils empêchaient des gens de pratiquer leur culte.

                Abu Bakr, son compagnon le plus proche, répondit : « Messager de Dieu, tu t'es mis en route afin de rendre visite à la Maison Sacrée. Tu n'as pas l'intention de combattre ni de tuer quiconque. Poursuis donc la route vers la Ka'ba : si des gens essaient de nous empêcher d'y parvenir, ce sont eux que nous combattrons. » Le Prophète apprécia cette réponse et ordonna à ses compagnons de poursuivre la route.

                Les événements de cette journée suggèrent que le Prophète n'avait nullement l'intention d'entreprendre aucune attaque ni aucune guerre. En émettant cette suggestion, il ne cherchait semble-t-il qu'à s'assurer de l'état d'esprit de ses compagnons. Lui-même tenait beaucoup à ce que son expédition soit parfaitement pacifique. Il ne souhaitait nullement se battre ni remporter une victoire. Un succès obtenu pacifiquement lui paraissait plus à même de servir l'intérêt de son message. Tel était le principal objectif du Prophète.

                Cependant, son pragmatisme le poussait à considérer objectivement chaque situation avant de déterminer sa position. En considérant l'évolution de la situation après avoir appris que les Quraysh se préparaient à la lutte armée, le Prophète décida d'essayer à tout prix d'éviter une telle éventualité. Il demanda donc s'il se trouvait parmi ses compagnons quelqu'un qui pourrait guider le convoi par un itinéraire permettant de contourner les Quraysh, afin d'éviter tout affrontement avec leur avant-garde.

                Un homme de la tribu d'Aslam s'avança et les conduisit par un chemin très accidenté qui mit les musulmans à rude épreuve. Ils finirent par se retrouver dans une zone à découvert, facile à traverser. Le Prophète ordonna qu'on prenne par la droite, et le convoi arriva à la plaine d'al-Hudaybiyya, au sud de La Mecque, à seulement une journée de marche de la Ville Sainte.

                A SUIVRE...

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                • SUITE

                  Une déclaration de paix

                  Soudain, la chamelle du Prophète s'assit. On cria pour la faire relever, mais elle ne bougea pas. Certains suggérèrent qu'elle refusait d'aller plus loin . Le Prophète leur dit qu'un tel refus n'était pas dans sa nature. Il ajouta : « Elle est retenue pour la même raison qui a retenu l'éléphant. » Il faisait allusion à l'incident qui s'était produit près de soixante ans auparavant, lorsque Abraha, le souverain du Yémen, monté sur un éléphant, avait pris la tête d'une troupe importante dans le but de détruire la Ka'ba.

                  Le Prophète déclara ensuite : « Par Celui qui tient mon âme en Son pouvoir, je répondrai favorablement à toute proposition que me feront aujourd'hui les Quraysh afin de rétablir de bonnes relations et de garantir le respect des sanctuaires de Dieu. » Puis il ordonna à ses compagnons d'établir le camp.

                  L'endroit était quasiment à sec, ne comportant qu'un seul puits avec très peu d'eau. Les compagnons du Prophète économisèrent l'eau autant qu'ils le purent, mais le puits eut tôt fait de tarir. Quand ils eurent très soif, ils se plaignirent au Prophète. Celui-ci s'approcha du puits, s'assit à côté et demanda qu'on lui apporte un récipient avec le peu d'eau qu'on pourrait trouver. Il prit un peu d'eau dans sa main, se rinça la bouche et implora Dieu. Puis il demanda à ses compagnons de remettre l'eau dans le puits et leur dit de ne pas toucher au puits pendant un moment.

                  Selon certains récits, le Prophète aurait pris une flèche de son carquois et aurait demandé à ses compagnons de la lancer dans le puits. Le puits fut bientôt plein d'eau et fournit aux musulmans toute l'eau dont ils avaient besoin pour boire, faire leurs ablutions et abreuver leurs chameaux et leurs autres animaux. Ils ne manquèrent plus d'eau jusqu'à leur départ.

                  Une succession d'émissaires

                  Quand les Quraysh s'aperçurent que le Prophète avait réussi à échapper à leur avant-garde et campait à al-Hudaybiyya, ils décidèrent de lui envoyer un messager. Ils étaient aussi conscients que s'ils réussissaient à empêcher Muhammad d'entrer à La Mecque alors qu'il était venu dans le seul but de visiter la Mosquée Sacrée, les autres Arabes remettraient en cause leur comportement. Leur prestige tenait au fait qu'ils étaient les gardiens de la Maison Sacrée et qu'ils n'empêchaient personne de venir y pratiquer le culte. Le premier émissaire qu'ils envoyèrent fut Budayl ibn Warqâ' de la tribu des Khuzâ'a, qui se fit accompagner d'un groupe de ses contribules.

                  La tribu des Khuzâ'a avait toujours été favorable au Prophète. Certains de ses membres étaient devenus musulmans, mais même les autres étaient loin d'être hostiles au message de l'islam. Budayl parla au Prophète et lui dit que les Quraysh étaient déterminés à l'empêcher de pénétrer à La Mecque. Le Prophète l'assura qu'il n'avait aucunement l'intention de se battre. Il voulait seulement se rendre à la Ka'ba et montrer que les musulmans en reconnaissaient le caractère sacré. Le Prophète commenta ainsi l'attitude des Quraysh : « Les Quraysh sont maintenant dans un état d'esprit tel qu'ils ne pensent qu'à la guerre. Je suis prêt à convenir d'une trêve avec eux, s'ils le souhaitent. Je leur demande seulement de me laisser parler aux gens. Si je réussis et que des gens me suivent, ils auront le choix d'en faire autant. S'ils refusent, ils auront préservé leur force. S'ils sont déterminés à m'arrêter, je jure par Dieu que je les combattrai pour ma cause jusqu'à ma mort, et même alors ils ne pourront pas s'opposer à la volonté de Dieu. »

                  Budayl retourna auprès des Quraysh et leur dit : « Nous sommes revenus vers vous après avoir vu cet homme et entendu ce qu'il avait à dire. Voulez-vous entendre ce qu'il nous a dit ? » Certains d'entre eux crièrent : « Nous ne voulons pas entendre ce qu'il dit. » D'autres, plus avisés, lui demandèrent de relater ce qu'il avait entendu. Quand il eut terminé son récit, il plaida en faveur des musulmans, disant aux Quraysh qu'ils étaient durs dans leur attitude car Muhammad n'avait pas l'intention de les combattre : il ne voulait que se rendre à la Ka'ba.

                  Les chefs de Quraysh ne se laissèrent pas persuader de modérer leur position. Ils dirent : « Même s'il ne veut pas se battre, nous ne lui permettrons jamais d'entrer à La Mecque contre notre gré. Personne ne dira que nous avons laissé faire cela. » Les Quraysh envoyèrent ensuite Mikraz ibn Hafs parler au Prophète , et il revint avec le même message que Budayl. Le troisième émissaire des Quraysh fut al-Hulays ibn Alqama, le chef de la tribu des Habshî.

                  Quand le Prophète le vit arriver de loin, il dit à ses compagnons : « C'est un homme qui appartient à une communauté religieuse. Faites avancer vers lui les animaux destinés au sacrifice afin qu'il les voie. » Quand al-Hulays vit les animaux destinés au sacrifice, il retourna auprès des Quraysh sans avoir parlé au Prophète, car il était conscient qu'il n'y avait aucun motif de querelle. Il conseilla aux Quraysh de laisser Muhammad en paix et de lui permettre d'adorer Dieu à la Ka'ba. Ils le repoussèrent et lui dirent de les laisser tranquilles.

                  L'attitude des Quraysh mit al-Hulays en colère, mais aucun argument ne pouvait les faire revenir à la raison. Après avoir rejeté les conseils des trois premiers émissaires les incitant à permettre à Muhammad d'entrer à La Mecque pour pratiquer le culte à la Ka'ba, les Quraysh décidèrent d'envoyer un quatrième émissaire. Aucun des récits dont nous disposons ne met en évidence les raisons pour lesquelles les Quraysh pensèrent qu'envoyer un quatrième émissaire parler au Prophète ferait évoluer la situation. On ne sait pas ce que les Quraysh espéraient obtenir en envoyant ces émissaires dont ils n'étaient pas prêts à écouter les conseils.

                  Peut-être cela est-il révélateur de la confusion dans laquelle ils se trouvaient. Peut-être, au contraire, cherchaient-ils ainsi à se justifier. Les Quraysh voulaient peut-être pouvoir dire qu'ils avaient fait tout leur possible pour parvenir à un accord amirable avec Muhammad. Quoi qu'il en soit, l'homme choisi fut cette fois 'Urwa ibn Mas'ud , un chef de la tribu de Thaqîf, qui vivait dans la ville de Taif. 'Urwa voulut d'abord s'assurer, toutefois, qu'à son retour il ne serait pas traité de façon aussi désagréable que les autres émissaires que les Quraysh avaient envoyés, si les conseils qu'il rapportait ne plaisaient pas aux Quraysh.

                  Il s'adressa donc à ces derniers en ces termes : « J'ai remarqué comment vous avez fait injure à ceux que vous aviez envoyés à Muhammad. Vous savez que vous êtes pour moi mes parents et que je suis votre fils. Quand j'ai appris vos problèmes, j'ai réuni ceux des miens qui m'ont obéi et je suis venu vous apporter mon soutien. » Les Quraysh répondirent : « Cela est assurément vrai, et nous ne doutons pas de toi . » Quand il s'assit pour parler au Prophète, 'Urwa lui dit :


                  Muhammad, j'ai laissé tes concitoyens en train de mobiliser leurs forces. Ils jurent qu'ils ne te laisseront jamais atteindre la Maison Sacrée tant que tu ne les auras pas vaincus. Si un combat doit se dérouler entre eux et toi, tu te retrouveras face à l'une de ces deux éventualités : soit tu soumettras tes propres concitoyens, et nous n'avons jamais entendu parler d'un homme qui ait soumis ses propres concitoyens ; soit tes soldats t'abandonneront. As-tu réuni cette foule pour écraser tes propres concitoyens ? Ce sont les Quraysh que tu combats, et les Quraysh ont mobilisé jusqu'à leurs femmes et leurs enfants et sont maintenant dans un état d'esprit très déterminé ; ils jurent devant Dieu que tu n'entreras jamais dans leur ville. Mon sentiment est que tu seras dans une situation très difficile demain, quand cette foule t'abandonnera. Je ne reconnais assurément aucun d'entre eux et je ne pense pas qu'aucun d'eux vienne d'un milieu honorable.

                  À ce moment, Abu Bakr l'interrompit en lui demandant de montrer plus de respect. Tout en s'adressant au Prophète , 'Urwa essayait de lui saisir la barbe, un geste indiquant chez les Arabes un désir sincère d'entretenir de bonnes relations. Al-Mughîra ibn Shu'ba, un neveu musulman de 'Urwa, était debout derrière le Prophète, tenant son sabre à la main et portant son bouclier. Chaque fois que 'Urwa levait la main pour toucher la barbe du Prophète, al-Mughîra lui frappait la main du bout de son sabre en disant : « Écarte ta main du visage du Prophète avant qu'elle ne soit coupée. »

                  'Urwa ne le reconnut pas, mais s'exclama comme il persistait : « Maudit sois-tu, que tu es impoli ! » Le Prophète sourit à cette marque de l'amour et du respect que lui portait son compagnon. 'Urwa fit de son mieux pour affaiblir la détermination du Prophète à entrer à La Mecque, en soulignant le risque de défaite et en lui déconseillant de causer un affrontement armé. Le Prophète insista qu'il voulait seulement se rendre à la Ka'ba pour pratiquer le culte, comme n'importe qui d'autre aurait pu le faire sans en être empêché. Après tout, la Ka'ba n'était pas la propriété des Quraysh : ils en avaient seulement la garde et n'avaient donc aucun droit d'empêcher quiconque d'y pratiquer son culte.

                  'Urwa ne manqua pas de remarquer le respect que les musulmans avaient pour le Prophète . Quand il retourna auprès des Quraysh, il les conseilla ainsi :


                  Gens de Quraysh, j'ai vu Chosroes, l'empereur de Perse, le César de l'empire byzantin et le Négus d'Abyssinie, chacun dans son royaume. Je jure que je n'ai jamais vu un souverain jouir parmi les siens d'une position telle que celle de Muhammad parmi ses compagnons. Ils ne fixent pas leur regard sur lui, ils n'élèvent pas la voix quand ils lui parlent. Un simple signal à l'un d'entre eux suffit pour que cet homme fasse ce qu'il attend de lui. J'ai regardé ces gens et j'ai vu qu'ils ne se soucient pas de ce qui peut leur arriver tant qu'ils parviennent à protéger leur maître. Décidez-vous. Il vous a fait une proposition et je vous conseille de conclure un accord de paix avec lui et d'accepter son offre. Je vous conseille en toute sincérité, et je crains assurément que vous ne parveniez pas à le vaincre.

                  Néanmoins, les Quraysh n'apprécièrent pas l'opinion de 'Urwa et n'étaient pas disposés à envisager un accord de paix. 'Urwa partit donc avec les siens et retourna à Taif Tous les émissaires des Quraysh leur avaient donc conseillé, à leur retour, de modérer leur attitude et de permettre aux musulmans de pratiquer leur culte à la Ka'ba. Aucun n'avait cependant réussi à persuader les Quraysh que leur intransigeance était contraire à leurs intérêts.

                  Poussés par l'orgueil et la colère, les Quraysh étaient déterminés à ne pas céder, quelles que puissent en être les conséquences. Les musulmans, quant à eux, ne souhaitaient pas entrer à La Mecque par la force, ce qui n'aurait conduit qu'à une effusion de sang et à un combat contre leurs propres concitoyens. Ils gardèrent leur calme, espérant encore trouver une solution à leur problème.



                  A SUIVRE...
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                    Un récit suggère que les Quraysh envoyèrent une petite troupe de quarante à cinquante hommes à qui ils ordonnèrent de s'approcher du camp des musulmans et de faire prisonnier l'un des compagnons du Prophète. En l'occurrence, ce furent eux qui furent faits prisonniers, et ils furent conduits devant le Prophète. Celui-ci les gracia et les libéra. Dieu dit dans le Coran qu'il suscita la quiétude chez Son messager et les croyants et les fit se conformer aux règles de la foi et de la piété : telle est l'attitude qui leur convient le mieux. (Les événements d'al-Hudaybiyya sont évoqués dans la sourate 48, intitulée al-Fath ou « La Victoire ».)

                    L'Emissaire du Prophète

                    Considérant la situation et le fait qu'il avait reçu quatre émissaires des Quraysh sans que ceux-ci ne manifestent aucune intention de revenir sur leur opposition à la venue des musulmans à La Mecque, le Prophète trouva nécessaire d'exercer une pression sur les Quraysh. Il décida donc de leur envoyer un émissaire pour leur confirmer qu'il n'avait pour objectif que de pratiquer le culte à la Ka'ba, et non pas de se battre avec quiconque.

                    Son émissaire était Kharrâsh ibn Umayya de la tribu des Khuzâ'a. Dès que Kharrâsh arriva à La Mecque, les Quraysh blessèrent son chameau et voulurent aussi le tuer. Il fut sauvé par la tribu des Habshî, dont le chef al-Hulays avait été l'un des émissaires des Quraysh au Prophète. L'accueil infligé à Kharrâsh était contraire aux traditions séculaires de la diplomatie qui reconnaissaient l'immunité aux messagers et aux émissaires. Le Prophète ne souhaita pas cependant que cet incident soit un obstacle à sa tentative de parvenir à une résolution pacifique du problème. Il n'y prêta donc pas attention et se concentra sur le maintien des contacts avec les Quraysh.

                    Il pensa y parvenir plus efficacement en envoyant un personnage plus éminent choisi parmi ses compagnons. Le Prophète envisagea d'abord d'envoyer 'Umar ibn al-Khattâb comme messager. Celui-ci fit valoir toutefois que son clan, celui des Banû 'Adî, n'avait plus guère d'influence à La Mecque. Personne ne le protégerait si on s'en prenait à lui. Il suggéra que 'Uthmân ibn 'Affân, de la branche umayyade des Quraysh, serait mieux placé pour être l'ambassadeur du Prophète. Malgré la grande influence dont jouissait le clan de 'Uthmân à La Mecque, il dut s'y rendre sous la protection de son cousin, Abân ibn Sa'd ibn al-'As. Grâce à cette protection, il put transmettre son message, parler aux notables de Quraysh et leur expliquer que les musulmans étaient venus uniquement pour pratiquer le culte et n'avaient pas d'autre intention.

                    Il était préférable pour les Quraysh, soulignait 'Uthmân, que les Arabes voient qu'ils s'acquittaient fidèlement de leur mission de gardiens de la Maison Sacrée. Les Quraysh, quant à eux, ne voulaient pas démordre de leur refus. La seule concession que 'Uthmân put en obtenir fut qu'ils lui permirent d'accomplir le tawâf s'il le désirait. Il répliqua cependant qu'au vu des circonstances, il n'accomplirait pas le tawâf tant que le Prophète lui-même n'aurait pas été autorisé à le faire.

                    Les discussions de 'Uthmân avec les Quraysh se prolongèrent pendant trois jours. En outre, il put semble-t-il établir des contacts avec certains membres des Quraysh qui, tout en étant devenus musulmans, étaient restés à La Mecque et avaient tenu leur conversion secrète. Ils étaient semble-t-il assez nombreux à attendre ainsi avec impatience le jour où ils pourraient affirmer leur foi et la pratiquer librement. 'Uthmân leur apportait un message du Prophète leur disant que la victoire arriverait bientôt.

                    Ce message les encouragea considérablement et ils chargèrent 'Uthmân de saluer le Prophète et de lui dire de leur part que Dieu, qui lui avait permis d'établir le camp à al-Hudaybiyya, pouvait lui ouvrir les portes de La Mecque. Certains récits avancent que 'Uthmân aurait été arrêté par les Quraysh quand ils découvrirent qu'il avait pris contact avec les musulmans de Quraysh. Une rumeur naquit bientôt selon laquelle 'Uthmân avait été tué. Cette rumeur ne tarda pas à parvenir au camp musulman.

                    L'absence prolongée de 'Uthmân tendait à confirmer cette rumeur : ne recevant aucune indication du contraire, le Prophète conclut que le récit faisant état de la mort de 'Uthmân était véridique. Le traitement qu'avait subi son premier émissaire, Kharrâsh ibn Umayya, étayait également cette thèse. La situation semblait avoir atteint un point où la tolérance ne pourrait être que contre-productive.

                    Le serment

                    Profondément peiné et attristé, le Prophète considéra qu'en tuant 'Uthmân, son compagnon et son émissaire, les Quraysh avaient fermé la porte à tous les efforts visant à résoudre le différend pacifiquement. L'alternative qui restait était celle qu'il s'était efforcé d'éviter : la guerre. Il demanda à ses compagnons de lui faire le serment de combattre les Quraysh jusqu'à la fin. Il était debout sous un arbre lorsqu'il demanda ce serment et ses compagnons s'empressèrent de donner ce qu'il leur demandait. Chacun d'eux s'engagea à combattre sans jamais fuir la bataille, fût-ce au prix de sa propre vie.

                    Le Prophète se montra satisfait de la réaction de ses compagnons. Il prit aussi un engagement au nom de 'Uthmân : « 'Uthmân est en mission pour Dieu et Son messager. Je m'engage donc pour lui. » Il serra l'une de ses mains avec l'autre en disant : « Ceci est pour 'Uthmân. » Le Coran commente ainsi ce serment : « Dieu a été satisfait des croyants qui t'ont prêté serment d'allégeance sous l'arbre. Il savait quels sentiments les animaient. Aussi fit-Il naître la quiétude dans leurs coeurs, et leur accorda, en récompense, une victoire rapide, suivie d'un riche butin qu'ils pourront saisir, car Dieu est Puissant et Sage. » (48.18-19)

                    Cet engagement est connu sous le nom de Bay'at ar-Ridwân, ou « pacte de la satisfaction divine », car le Coran dit clairement que Dieu a été satisfait de ceux qui y ont pris part. De fait, ce serment réchauffa le coeur du Prophète , car il montrait une fois encore que ses compagnons étaient toujours prêts à consentir tous les sacrifices nécessaires pour la cause de l'islam. Ces compagnons du Prophète étaient pleinement conscients de la supériorité numérique des Quraysh. En outre, ils n'avaient pas emporté leur équipement militaire lorsqu'ils avaient entrepris ce voyage, n'ayant aucune intention guerrière.

                    Aucun ne portait son armure ni ne l'avait avec lui. Ils n'avaient emporté que le minimum d'armement absolument nécessaire à un voyageur traversant le désert d'Arabie : leurs sabres dans leurs fourreaux. Leur serment signifiait de fait qu'ils étaient déterminés à affronter la force bien plus puissante des Quraysh avec leurs seuls sabres, alors que les Quraysh étaient chez eux et qu'eux-mêmes n'avaient aucune possibilité de retraite ni de fuite. Ils étaient pleinement conscients de l'engagement qu'ils avaient pris. Plus tard, quand on les questionnait sur les termes de leur engagement et ce qu'il impliquait, ils répondaient : « La mort ».

                    Un tel engagement pris en toute sincérité ne pouvait que mériter la satisfaction divine, que ces gens avaient certes gagnée. Jâbir ibn Abdullâh, un compagnon du Prophète qui avait pris part à ce serment, a dit : « Le Prophète nous a dit le jour d'al-Hudaybiyya : "Vous êtes les meilleurs hommes sur la terre." »

                    Peu après la prestation de ce serment, 'Uthmân arriva pour rendre compte de sa mission. Son retour détendit la situation. Le Prophète fut ravi de le savoir en vie, mais contrarié par l'entêtement des Quraysh. Il réfléchit à la situation pour s'efforcer d'évaluer les choix qui s'offraient à lui. Les Quraysh avaient, quant à eux, appris le serment prêté au Prophète par les musulmans. Leurs chefs se consultaient : ils étaient conscients que le serment des musulmans prouvait sans l'ombre d'un doute leur détermination à mener à bien leur entreprise.

                    L'expérience passée donnait à penser que si un affrontement militaire avait lieu, il pourrait bien se solder par une victoire des musulmans, malgré leur infériorité numérique et leur manque d'équipement. Il ne faisait aucun doute que l'on pouvait toujours compter sur les musulmans pour se battre de toutes leurs forces et ne pas faiblir face à l'adversité. Maintenant qu'ils s'étaient engagés si clairement envers le Prophète à combattre jusqu'au bout, les musulmans n'allaient certainement pas se contenter de repartir. En outre, les Quraysh se disaient peut être qu'ils étaient dans leur tort en essayant d'empêcher les musulmans de pratiquer leur culte à la Ka'ba.

                    Leur attitude n'était motivée que par l'orgueil et la vanité. Les Quraysh comprenaient donc qu'il leur fallait sérieusement réfléchir aux conséquences, en particulier si l'affrontement militaire tournait en leur défaveur.


                    Une délégation de paix

                    Quelques hommes plus avisés des Quraysh suggérèrent sans doute que parvenir à un règlement pacifique du problème pourrait faire plus que la guerre pour préserver la dignité des Quraysh, même si l'issue des combats leur était favorable. L'opinion de leurs précédents émissaires, en particulier al-Hulays de la tribu des Habshi et Urwa ibn Mas'ud de celle des Thaqîf, commençait à paraître pertinente.

                    Qui plus est, si les Quraysh poussaient à l'affrontement, leur acte risquait de causer des combats à proximité de la Maison Sacrée et pendant le mois sacré. Ce serait un précédent qui causerait aux Quraysh plus de tort que de bien. Les arguments en faveur de la modération pesèrent donc subitement plus lourd. Une délégation dirigée par Suhayl ibn Amr fut envoyée pour négocier un accord de paix avec le Prophète.

                    Le Prophète réserva un bon accueil à Suhayl ibn 'Amr et sa délégation. Il demanda à ses compagnons de montrer les animaux qu'ils destinaient au sacrifice et de prononcer à voix haute des paroles exprimant le fait qu'ils étaient venus en réponse à l'appel de Dieu à honorer la Maison Sacrée. Les pourparlers furent difficiles. Malgré le désir du Prophète de parvenir à un règlement pacifique de la crise, les négociations se heurtaient à plusieurs problèmes importants.

                    Le débat portait sur la visite du Prophète à la Maison Sacrée, la détermination des Quraysh à ne pas donner l'impression d'avoir cédé à la force, la possibilité de parvenir à une trêve prolongée mettant un terme aux affrontements encore fréquents entre les deux camps, les relations futures entre ces deux camps et la liberté de chacun d'entreprendre des actions politiques dans le cadre plus vaste de l'Arabie dans son ensemble.


                    A SUIVRE...
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                      Il n'y avait cependant aucune raison de prolonger ces discussions. Le Prophète accepta facilement toutes les conditions des Quraysh. Ce fut Suhayl ibn Amr qui mit longtemps à présenter toutes ces conditions et leurs implications. Les Quraysh furent d'ailleurs surpris de voir toutes leurs conditions acceptées sans difficulté par le Prophète. Il fallait encore toutefois consigner l'accord par écrit et le faire signer par les représentants des deux camps.

                      Embarras dans le camp musulman

                      L'attitude du Prophète ne fut pas sans susciter certains remous dans le camp musulman. Les compagnons n'avaient pas l'habitude de voir le Prophète se montrer aussi conciliant. Les négociateurs de Quraysh eux-mêmes en étaient aussi étonnés. Non seulement le Prophète avait accepté toutes les conditions dictées par les Quraysh, mais, contrairement à son habitude, il n'avait même pas consulté les compagnons.

                      En outre, les termes de l'accord de paix étaient extrêmement surprenants pour les musulmans parce qu'ils les plaçaient en situation d'infériorité par rapport aux Quraysh. Pour les musulmans, il n'était ni utile ni nécessaire d'accepter de telles conditions. Certains ne parvenaient pas à dissimuler leur mécontentement. L'attitude de 'Umar ibn al-Khattâb constitue un bon exemple.

                      Quand les termes de l'accord de paix eurent été établis et furent sur le point d'être consignés par écrit, 'Umar alla trouver Abu Bakr et lui dit : « Abu Bakr, n'est-il pas le Messager de Dieu ? » Abu Bakr répondit par l'affirmative. 'Umar demanda encore : « Ne sommes-nous pas les musulmans ? » Abu Bakr ayant fait la même réponse, 'Umar poursuivit : « Ne sont-ils pas les idolâtres ? » Abu Bakr répondit encore : « Si. » 'Umar lui demanda alors : « Pourquoi donc devrions-nous accepter l'humiliation dans ce qui touche notre foi ? » Abu Bakr répondit par un conseil, en disant à 'Umar : « Suis-le quoi qu'il fasse, 'Umar. Je crois qu'il est le Messager de Dieu. »

                      'Umar, toujours troublé, répondit : « Moi aussi, je crois qu'il est le Messager de Dieu. » La position de 'Umar était que puisque les deux camps étaient en réalité opposés sur une seule question : la vérité contre l'erreur, la foi contre l'absence de foi, ceux qui étaient dans le camp du bien et de la vérité ne devaient pas céder face à ceux qui soutenaient le mal et l'erreur. Les croyants ne devaient jamais accepter aucune humiliation en ce qui concernait leur religion. Au contraire, ils devaient toujours se montrer fiers de leur religion.

                      'Umar ne se laissa donc pas dissuader. Il alla trouver le Prophète et lui posa les mêmes questions : « N'es-tu pas le Messager de Dieu ? Ne sommes-nous pas les musulmans ? Ne sont-ils pas les idolâtres ? » À toutes ces questions, le Prophète répondit par l'affirmative. La dernière question posée par 'Umar fut encore la même : « Alors pourquoi devrions-nous accepter l'humiliation dans ce qui touche à notre foi ? » La réponse du Prophète expliqua son attitude : « Je suis le serviteur et le Messager de Dieu. Je ne Lui désobéirai pas et Il ne m'abandonnera jamais. »

                      Le Prophète suivait bien des ordres divins qu'il avait dû recevoir à ce moment-là. Le Prophète appela ensuite Alî ibn Abî Tâlib pour qu'il écrive l'accord de paix devant être signé par les deux parties. Là encore, Suhayl ibn Amr se montra particulièrement inflexible, tandis que le Prophète faisait preuve de la plus grande souplesse. Le Prophète dit à Alî d'écrire : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux ». Suhayl l'interrompit : « Je ne connais pas cela ; écris : "En Ton nom, mon Dieu". » Le Prophète dit à Alî d'écrire la formule proposée par Suhayl. Puis il poursuivit sa dictée : « Voici les termes de l'accord de paix négociés par Muhammad, le Messager de Dieu, et Suhayl ibn Amr. »

                      Là encore, Suhayl objecta : « Si je t'avais reconnu comme messager de Dieu, je ne t'aurais pas combattu. Tu dois écrire ton nom et celui de ton père. » Le Prophète accepta l'argument de Suhayl et révisa son texte, demandant à 'Alî d'écrire :


                      Voici les termes de la paix conclue entre Muhammad ibn Abdullâh et Suhayl ibn Amr :
                      - Tous deux ont conclu une trêve totale d'une durée de dix ans, pendant laquelle tous jouiront de la paix et de la sécurité et personne n'attaquera personne.
                      - Si quelqu'un des Quraysh rejoint Muhammad sans la permission de son tuteur ou de son chef, il sera renvoyé aux Quraysh.
                      - Si quelqu'un du camp de Muhammad rejoint les Quraysh, ceux-ci n'auront pas à le renvoyer.
                      - Les deux parties reconnaissent être animées de bonnes intentions l'une envers l'autre.
                      - On n'admettra ni vol, ni trahison.
                      - Quiconque souhaitera s'allier à Muhammad pourra le faire, et quiconque souhaitera s'allier aux Quraysh pourra le faire.
                      - Il est décidé également que toi, Muhammad, tu repartiras chez toi cette année sans entrer à La Mecque. Au bout d'une année, nous évacuerons La Mecque pour que tu puisses y entrer avec tes partisans pour y rester trois jours seulement. Vous ne porterez que les armes nécessaires au voyageur : vos sabres dans leurs fourreaux. Vous ne porterez aucune autre arme.

                      Les intentions des musulmans mises à l'épreuve

                      Tels étaient les termes de l'accord de paix. Quand ils furent écrits, on demanda à des témoins de chaque camp de signer le document. A ce moment se produisit un incident de nature à mettre à l'épreuve la patience des croyants et à leur donner une nouvelle occasion de montrer la force de leur foi. Un homme de La Mecque arriva menotte et les pieds enchaînés. Il y était gardé prisonnier parce qu'il était musulman. Cet homme n'était autre que le propre fils de Suhayl, Abu Jandal.

                      C'était son père qui l'avait emprisonné et enchaîné. Il avait néanmoins réussi à s'échapper et à arriver à al-Hudaybiyya en empruntant un chemin inhabituel à travers les montagnes qui entourent La Mecque. Quand les musulmans le virent, ils furent contents qu'il ait pu s'échapper et lui firent bon accueil. Pendant qu'on écrivait l'accord de paix, Suhayl était trop occupé pour s'apercevoir de ce qui se passait. Quand cela fut fait, Suhayl leva les yeux et vit son fils parmi les musulmans. Il alla vers lui, le frappa au visage et le prit par le col.

                      Abu Jandal s'écria : « Mes frères musulmans, dois-je être renvoyé parmi les idolâtres pour me détourner de ma foi ? » Ces paroles touchèrent beaucoup les musulmans, dont certains se mirent à pleurer. Suhayl ibn Amr, par contre, ne se laissa pas émouvoir. Il dit au Messager de Dieu : « C'est la première personne dont je réclame le retour : vous devez me le rendre. » Le Prophète argua qu'Abû Jandal était arrivé avant qu'on ait fini de rédiger l'accord : « Nous n'avons pas encore fini de rédiger le document. » Suhayl répliqua : « Si c'est ainsi, je n'ai passé aucun accord avec vous. »

                      Le Prophète insista : « Alors permets-moi juste de le garder. » Suhayl refusa. Mikraz, un autre membre de la délégation des Quraysh, dit qu'ils devraient permettre à Muhammad de garder Abu Jandal. Le père resta inflexible et rejeta tous les appels à laisser son fils rejoindre les musulmans. Allant plus loin, il se mit même à frapper son fils avec une branche d'épineux. Le Prophète l'implora encore de laisser partir son fils, ou au moins de ne pas le torturer : Suhayl ne voulut rien entendre. Cependant, certains amis de Suhayl prirent Abu Jandal sous leur protection et son père cessa de le frapper.

                      Le Prophète expliqua à Abu Jandal qu'il ne pouvait pas lui venir en aide et lui dit, en élevant la voix pour qu'il puisse l'entendre : « Abu Jandal, sois patient et supporte ta situation pour Dieu. Il te fournira certainement une issue, ainsi qu'à ceux qui souffrent comme toi. Nous avons conclu un accord de paix avec ces gens en nous engageant devant Dieu à respecter les termes de cet accord. Nous ne violerons pas nos serments. »

                      'Umar ibn al-Khattâb était à nouveau outré par ce qui se passait. Il ne comprenait pas que les musulmans soient contraints à accepter des conditions aussi humiliantes ou à rester inactifs pendant qu'un de leurs frères était maltraité pour la seule raison qu'il croyait en Dieu et Son messager. Tandis qu'on emmenait Abu Jandal, 'Umar s'approcha de lui et marcha à ses côtés. Il lui dit : « Sois patient, Abu Jandal. Ces gens sont des négateurs. Ils ne valent rien. Le sang de l'un d'entre eux n'est pas plus précieux que le sang d'un chien. »

                      Tout en marchant à côté d'Abû Jandal et en lui parlant, il ne cessait de tourner la poignée de son sabre vers Abu Jandal, en espérant que ce dernier saisirait le sabre et tuerait son père. Toutefois, Abu Jandal ne voulait pas tuer son père ou il ne comprit pas ou ne remarqua pas le geste de 'Umar. Il se soumit à son destin jusqu'à ce que Dieu l'aide à obtenir sa liberté. Il fut emmené enchaîné. En le regardant partir, les musulmans étaient très peinés d'être dans l'incapacité de l'aider.

                      Quand le document précisant les termes du traité de paix eut été écrit, le Prophète demanda à un certain nombre de ses compagnons d'être les témoins de l'accord aux côtés des témoins du camp de Quraysh. Les témoins musulmans étaient Abu Bakr, 'Umar ibn al-Khattâb, Alî ibn Abî Tâlib, Abd ar-Rahmân ibn 'Awf, Sa'd ibn Abî Waqqâs, Mahmûd ibn Maslama et 'Abdullâh ibn Suhayl, un autre fils du principal négociateur des Quraysh.

                      Mikraz ibn Hafs et Huwaytib ibn Abd al-'Uzzâ étaient les témoins des Quraysh. La procédure de témoignage terminée, la délégation de Quraysh repartit. Cette paix était prévue pour durer dix ans. Très peu de musulmans parvenaient à en accepter l'idée sans ressentir un certain malaise. Leur amertume était accrue par le fait que les termes de l'accord impliquaient qu'ils devraient repartir chez eux sans avoir pu accomplir leur objectif d'adorer Dieu à la Ka'ba. Il faut se rappeler que le Prophète et ses compagnons étaient en ihrâm, en état de sacralisation, ayant quitté Médine pour accomplir la 'umra.

                      D'abord, ils n'avaient pas pu pénétrer à La Mecque à cause de l'intention déclarée des Quraysh de recourir à la force pour les en empêcher. Maintenant, c'étaient les termes de l'accord conclu avec les Quraysh qui les en empêchaient. Ils se trouvaient, de fait, dans la situation du muhsar : du pèlerin qui part de chez lui pour accomplir le pèlerinage ou la umra mais ne peut atteindre sa destination pour une raison indépendante de sa volonté. Dieu dit dans le Coran qu'une personne se trouvant dans une telle situation peut se défaire de l'ihrâm en égorgeant un mouton ou un autre animal destiné au sacrifice à l'endroit où il est contraint à arrêter son voyage.



                      A SUIVRE...
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                      • SUITE

                        La renonciation à un rite entrepris

                        Le Prophète dit à ses compagnons : « Sacrifiez vos bêtes, rasez-vous la tête et quittez l'ihrâm. » Personne ne manifesta l'intention d'obéir à cet ordre. Le Prophète répéta son ordre à trois reprises et personne n'était encore disposé à faire ce qu'on lui demandait. Le Prophète était très en colère. Il entra dans sa tente où Umm Salama, celle de ses épouses qui l'avait accompagné pour cette expédition, l'attendait. Elle remarqua tout de suite combien il était en colère.

                        Elle lui en demanda la raison et il répondit : « Les musulmans causent leur propre perte. Je leur ai donné un ordre et ils n'ont pas obéi. » Il lui relata comment ses compagnons avaient accueilli ses ordres avec indifférence, sans qu'aucun d'eux ne fasse mine d'obéir. Elle s'efforça de le calmer : « Messager de Dieu, ne les blâme pas. Ils sont très contrariés à cause de tout le mal que tu t'es donné pour obtenir cet accord de paix et parce qu'ils se rendent compte qu'ils doivent maintenant entreprendre le long voyage de retour sans avoir accompli leur but. »

                        Puis elle lui donna un excellent conseil : elle lui dit d'aller lui-même égorger les animaux qu'il destinait au sacrifice et se faire raser la tête, sans parler à aucun d'entre eux. Le Prophète, suivant le conseil de son épouse, sortit et sacrifia ses chameaux. Puis il appela quelqu'un pour lui raser la tête. Quand ses compagnons le virent agir ainsi, ils s'empressèrent d'en faire autant. Ils s'aidèrent mutuellement à se raser la tête, regrettant de ne pas avoir obéi promptement aux ordres du Prophète.

                        Tous les musulmans présents à al-Hudaybiyya ne se rasèrent pas la tête : certains se contentèrent de se raccourcir les cheveux. Le Prophète dit : « Que Dieu fasse miséricorde à ceux qui se sont rasé la tête. » Certains compagnons demandèrent : « Envoyé de Dieu, et ceux qui se sont coupé les cheveux ? » Il répondit en répétant la même invocation : « Que Dieu fasse miséricorde à ceux qui se sont rasé la tête. » On lui posa encore la même question à propos de ceux qui s'étaient coupé les cheveux, mais il répondit en répétant pour la troisième fois la même invocation. Une fois de plus on posa la même question au sujet de l'autre groupe, et cette fois le Prophète l'inclut dans son invocation en ajoutant : « et à ceux qui se sont coupé les cheveux. »

                        Quand on lui demanda pourquoi il avait répété trois fois son invocation en faveur de ceux qui s'étaient rasé la tête avant d'inclure aussi les autres, il répondit : « Ils n'ont eu aucun doute. » C'est là un élément qui est toujours important. Si les gens commencent à avoir des doutes, ils ne tardent pas à s'apercevoir que leurs doutes dictent leur comportement. Une foi solide implique qu'on accepte même ce qui paraît à première vue aller à l'encontre des intérêts des croyants, dès lors qu'on est certain que l'islam le demande. Or, à al-Hudaybiyya, les musulmans en étaient absolument certains puisqu'ils recevaient leurs ordres du Prophète lui-même.

                        Quand les compagnons du Prophète eurent fini d'égorger les animaux destinés au sacrifice et eurent quitté l'ihrâm, ils prirent le chemin du retour. Ils avaient passé un peu plus de deux semaines à al-Hudaybiyya, vingt jours selon certains récits. Ils étaient cependant toujours contrariés par cet accord de paix qui leur avait été imposé. Cela ne ressemblait pas du tout à ce que le Prophète leur avait dit avant leur départ. Il leur avait annoncé qu'ils prieraient à la Ka'ba. Or, ils n'avaient pas atteint la Maison Sacrée. Ils commencèrent donc à lui poser des questions.

                        Ce fut d'abord 'Umar, puis certains autres compagnons du Prophète qui lui demandèrent : « Ne nous as-tu pas dit que nous irions à la Ka'ba et que nous y accomplirions le tawâf. » Le Prophète répondit par cette question : « Vous ai-je dit que vous y iriez cette année ? » Comme ils répondaient que non, il poursuivit : « Vous irez certainement y accomplir le tawâf, si Dieu le veut. » L'autre fait que les musulmans avaient beaucoup de mal à admettre était la clause stipulant qu'ils devraient renvoyer tout membre des Quraysh qui venait à eux en se déclarant musulman, tandis que les Quraysh pourraient garder quiconque quitterait les rangs des musulmans pour les rejoindre.

                        Ils demandèrent au Prophète comment il avait pu accepter un tel manque d'équité. Celui-ci répondit : « Celui qui nous quitte pour les rejoindre, puisse-t-il ne jamais revenir. Mais si nous leur renvoyons quelqu'un qui est musulman, Dieu lui fournira certainement une issue à ses épreuves. »

                        Une grande victoire

                        Sur le chemin du retour, le Prophète reçut de nouvelles révélations : la sourate intitulée al-Fath ou « La Victoire ». Il demanda à 'Umar ibn al-Khattâb de s'approcher et lui dit : « Une sourate m'a été révélée cette nuit, et elle m'est plus chère que tout ce que le soleil éclaire mis ensemble. » Puis il récita la nouvelle révélation, qui évoquait ce qui s'était passé à al-Hudaybiyya comme une grande victoire. 'Umar lui demanda : « Est-ce une conquête, Messager de Dieu ? » Il répondit : « Oui, certes. Par Celui qui tient mon âme en Son pouvoir, c'est une grande victoire. »

                        Un musulman dit : « Ce n'est pas une victoire. On nous a empêchés d'entrer à la Mosquée Sacrée et nos animaux à sacrifier n'ont pas pu atteindre leur destination. Le Prophète a aussi été obligé de rendre aux idolâtres des musulmans qui voulaient nous rejoindre. »
                        Quand on rapporta ces paroles au Prophète, il dit :


                        Quelles mauvaises paroles ! C'est au contraire la plus grande victoire. Les négateurs étaient disposés à n'employer que des moyens pacifiques pour nous empêcher d'entrer chez eux ; ils étaient aussi disposés à venir à vous pour négocier un accord de paix et un pacte de non-agression. Votre bonne condition les a inquiétés. Dieu vous a donné le dessus sur eux. Il vous a permis de repartir en toute sécurité en ayant obtenu Sa récompense. Tout cela en fait vraiment la plus grande des victoires. Avez-vous oublié le jour d'Uhud, où vous couriez de toutes vos forces vers la montagne, fuyant devant eux, sans vous soucier de rien tandis que je vous appelais à vous arrêter et à vous battre pour l'au-delà ? Avez-vous oublié le jour où ils ont uni leurs forces contre vous et ont essayé de vous prendre en tenaille en vous attaquant par-devant et par-derrière ? Avez-vous oublié combien vous étiez désemparés, vous ne pouviez pas fixer votre regard, vos coeurs atteignaient presque vos gorges et vous étiez assaillis par toutes sortes de doutes et de soupçons ?

                        Ces paroles apaisèrent beaucoup les musulmans. En y réfléchissant bien, ils comprenaient maintenant que ce qu'ils avaient obtenu à al-Hudaybiyya n'était pas un mince succès. Ils dirent au Prophète : « Dieu et Son messager disent bien la vérité. C'est certainement la plus grande des victoires. Prophète, nous n'avions pas réfléchi de la manière que tu nous as indiquée. Tu sais assurément mieux que nous ce que Dieu veut pour nous. Nous sommes très heureux et satisfaits. »

                        Les doutes des musulmans firent peu à peu place à l'assurance. Ils étaient maintenant sûrs que cet accord de paix ne leur apporterait que du bien. Ils avaient confiance en Dieu et Son Prophète , et cette confiance signifiait que tant qu'ils leur obéiraient, ils ne subiraient aucun mal ni aucun dommage. Ils étaient toutefois loin de se douter des avantages qu'ils allaient tirer de cet accord de paix.

                        Aucun d'entre eux ne pouvait deviner ce qui allait arriver quelques mois ou une année plus tard. Les musulmans n'eurent pas longtemps à attendre avant de voir apparaître les premiers avantages de cet accord de paix. Tout d'abord, pour la première fois de leur histoire, les musulmans jouirent d'une période de calme où ils n'avaient pas à s'inquiéter des Quraysh. De fait, les arabes polythéistes de Quraysh avaient constitué le principal obstacle sur le chemin de l'islam, et ce depuis le début de la mission du Prophète .

                        Leur opposition résolue à l'islam avait poussé la plupart des autres tribus arabes à suivre leur exemple et à se montrer hostiles au Prophète. Les tribus juives avaient elles aussi trouvé dans les Quraysh un important soutien pour les aider à combattre le Prophète et les musulmans. Les Quraysh étaient donc le catalyseur qui répandait l'hostilité à l'islam dans toute l'Arabie. Quand l'accord de paix fut conclu, ce catalyseur devint inactif et l'hostilité envers l'islam se calma.

                        Maintenant, les Quraysh avaient été obligés de reculer. C'étaient eux qui avaient cherché à négocier la paix, reconnaissant ainsi la légitimité de l'État musulman et le traitant en égal. Ils avaient même admis l'idée d'envoyer une délégation au Prophète pour négocier les termes de l'accord de paix. C'était là pour l'islam une victoire qu'il ne fallait pas sous-estimer. Le Prophète était conscient que cette victoire morale ouvrait à la cause de l'islam d'importants horizons nouveaux.

                        Pour apprécier pleinement les perspectives que la paix d'al-Hudaybiyya ouvrait pour l'islam, il faut se rappeler que les musulmans étaient restés sur la défensive à Médine depuis qu'ils y avaient établi leur État. Ils ne pouvaient pas entretenir de relations significatives avec les tribus arabes parce que leur État était entouré d'ennemis de toutes parts. Personne ne pouvait être sûr de survivre dans un tel océan d'hostilité. Maintenant que la paix avait été conclue avec les Quraysh, les musulmans pouvaient établir des contacts avec les autres tribus et leur expliquer les principes de l'islam et la véritable nature de son message.

                        Les autres tribus étaient donc à même de comprendre l'islam sans crainte des Quraysh et de reconnaître la validité de ses principes et la noblesse de ses objectifs. Quand ils associaient cela à ce qu'ils savaient des hautes valeurs morales pratiquées par les musulmans et de leur mise en pratique des principes de leur foi dans leur vie, ainsi que ce qu'ils savaient du caractère et de la noble personnalité du Prophète, ils répondaient sans crainte ni hésitation à l'appel de l'islam.


                        A SUIVRE...


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                        • SALAM

                          L'islam put donc gagner de nouveaux adeptes dans toute l'Arabie, y compris à La Mecque, dans le territoire même des Quraysh. Le nombre de musulmans se multiplia rapidement, au point que le Prophète put lever, à peine deux ans plus tard, une armée de dix mille hommes, alors qu'à al-Hudaybiyya son armée n'en avait compté que mille quatre cents. C'est pour cette raison que la plupart des historiens voient dans la paix d'al-Hudaybiyya une grande victoire.

                          Comme l'écrit az-Zuhrî, un historien musulman ancien :


                          Aucune victoire antérieure de l'histoire de l'islam n'avait été aussi grande que celle d'al-Hudaybiyya. Ces victoires avaient été obtenues après des combats, tandis que, la trêve conclue et la paix obtenue, les gens ne se craignaient plus les uns les autres. Ils se rencontraient, établissaient des contacts et se parlaient. Aucune personne raisonnable à qui l'on présentait l'islam ne pouvait plus le rejeter. De fait, dans les deux années qui suivirent la paix d'al-Hudaybiyya, le nombre de musulmans passa à plus du double.

                          L'occasion de choisir librement

                          Pouvoir parler librement aux gens et témoigner de l'islam est beaucoup plus important que de remporter des batailles. Le but de l'islam n'a jamais été de conquérir des pays ni de soumettre des peuples. De fait, la contrainte comme moyen de conversion a toujours été condamné par l'islam. Depuis le début de sa mission, le Prophète et ses compagnons n'ont jamais rien demandé de plus que de pouvoir s'adresser librement aux gens et leur expliquer la nature et les principes de l'islam.

                          À al-Hudaybiyya, le Prophète vit une chance pour l'islam d'y parvenir et il était déterminé à ne pas la laisser échapper. Il s'avéra qu'il avait raison. Après l'accord de paix, le Prophète put aussi oeuvrer à la diffusion de l'islam au-delà de l'Arabie. Il écrivit aux souverains de tous les États entourant l'Arabie et aux chefs régnant sur les régions les plus lointaines de la péninsule arabique pour les informer de l'islam et les appeler à y croire.

                          Il confia ses messages à des compagnons connus pour posséder deux qualités primordiales : le courage et la sagesse. La plupart de ces souverains et de ces chefs n'adhérèrent pas à l'islam. Certains s'y montrèrent même extrêmement hostiles. L'attitude de l'empereur de Perse fut particulièrement insultante ; il maltraita aussi l'émissaire envoyé par le Prophète. Néanmoins, l'envoi de ces émissaires permit de faire connaître l'islam dans ces pays et mit en évidence le caractère universel de la religion musulmane. Celle-ci ne concernait pas uniquement l'Arabie : c'était une religion destinée à l'humanité entière.

                          L'accord de paix permettait aussi au Prophète de tourner son attention vers ses autres ennemis. Ils devaient mettre un terme à toute conspiration. C'est pourquoi les expéditions de Khaybar, Fadak et Tayma, qui allaient avoir lieu l'année suivante, allaient rehausser considérablement le prestige des musulmans en Arabie et accroître la puissance de leur État.

                          En outre, les musulmans n'avaient pas été contraints à trop de concessions. S'ils avaient accepté de repartir à Médine sans avoir pu se rendre à la Mosquée Sacrée, c'était en échange de l'assurance qu'ils pourraient le faire l'année suivante. Ils n'avaient pas totalement échoué dans l'accomplissement de l'objectif de leur voyage, celui-ci ayant simplement été remis à l'année suivante : en pratique, la concession n'était pas aussi importante que les musulmans l'avaient pensé sur le moment, emportés par leurs sentiments. L'alternative aurait été la guerre, qui aurait conduit à des conséquences bien pires. Cette perspective avait été totalement écartée, ce qui était en soi un grand succès.

                          L'une des raisons pour lesquelles il valait mieux éviter un conflit armé était qu'il le trouvait à La Mecque de nombreux musulmans qui avaient embrassé l'islam sans le faire savoir autour d'eux. Ils ne souhaitaient pas rompre avec leurs familles et espéraient qu'un jour viendrait où les Quraysh cesseraient d'être hostiles à l'islam. Certains, quant à eux, n'auraient pas pu émigrer à Médine s'ils l'avaient voulu, parce que leur situation ne les en laissait pas libres. Certains étaient retenus de force à La Mecque, comme nous l'avons vu dans le cas d'Abû Jandal ibn Suhayl, le fils du négociateur des Quraysh à al-Hudaybiyya. Ni le Prophète ni les musulmans ne savaient exactement combien de musulmans se trouvaient à la Mecque.


                          Une intransigeance contre productive

                          Les événements qui suivirent l'accord de paix d'al-Hudaybiyya devaient prouver, comme cela a souvent été le cas au cours de l'Histoire, que la partie adoptant une attitude intransigeante et inflexible et essayant d'imposer les conditions les plus sévères finirait par le regretter. La condition par laquelle les Quraysh pensaient sauver la face devant ceux qui pourraient critiquer leur revirement de la confrontation à la négociation, était celle qui exigeait que les musulmans rendent aux Quraysh quiconque viendrait de chez eux trouver le Prophète en déclarant sa conversion à l'islam.

                          Cette condition n'était pas réciproque, ne s'appliquant pas aux musulmans qui rejoindraient les Quraysh. Les musulmans eux-mêmes en éprouvaient une profonde amertume, trouvant cette condition humiliante pour leur nouvel État et totalement injustifiée. Le Prophète avait cependant conclu l'accord de paix en suivant les ordres de Dieu, et il ne s'embarrassait donc pas de la comparaison des diverses issues possibles. Il était convaincu que Dieu protégerait les musulmans et leur fournirait une issue favorable.

                          Les Quraysh ne devaient pas tarder à se rendre compte que la condition même par laquelle ils avaient voulu sauver la face était celle qui leur causerait le plus de problèmes. Un homme des Thaqîf s'appelant 'Utba ibn Usayd, mais mieux connu sous son surnom d'Abû Busayr, vint trouver le Prophète en se déclarant musulman. Peu après son évasion, Azhar ibn 'Abd Awf et al-Akhnas ibn Sharîq, de la même tribu, écrivirent au Prophète en lui demandant de le renvoyer conformément à son engagement.

                          Ils envoyèrent leur message avec un homme de la tribu de Amir qui voyageait en compagnie d'un de ses serviteurs. Quand ils eurent donné au Prophète la lettre qui lui était adressée, il parla à Abu Busayr en lui expliquant que les musulmans ne violaient pas leurs engagements et ne revenaient pas sur leurs promesses. Il n'avait donc pas d'autre choix que de le renvoyer avec ces deux hommes. Il lui dit également : « Dieu te fournira certainement une issue, ainsi qu'à ceux qui comme toi sont dans une position de faiblesse. »

                          Lorsque Abu Busayr protesta qu'on le renvoyait chez des gens qui essaieraient certainement de le détourner de sa religion, le Prophète ne put que répéter ses paroles. Abu Busayr partit avec ces deux hommes pour le long voyage de plus de cinq cents kilomètres entre Médine et La Mecque. Abu Busayr tenta semble-t-il de gagner la confiance de ses gardiens pendant ce voyage de plusieurs jours, sans les laisser soupçonner ses intentions. Lors d'une étape, comme ils étaient assis pour se reposer, l'homme de la tribu de Amir jouait avec son sabre en se vantant : « Un jour, je pourfendrai de ce sabre les tribus musulmanes des Aws et des Khazraj. »

                          Abu Busayr répliqua : « Alors ton sabre doit être bien affûté ! » L'homme répondit : « Oui, certes. Veux-tu le regarder ? » Abu Busayr accepta volontiers le sabre. À peine l'avait-il en main qu'il commença à en frapper l'homme avec force, jusqu'à ce qu'il ait fini par le tuer. Quand le serviteur vit cela, il fut absolument terrifié. Il s'enfuit vers Médine, sans cesser de courir jusqu'à ce qu'il arrive à la ville. Lorsque le Prophète le vit de loin arriver dans cet état, il dit : « Ce garçon a dû voir un spectacle horrible. » Quand le serviteur eut repris son souffle, il raconta ce qui s'était passé. Peu après, ce fut Abu Busayr qui arriva. Il salua le Prophète et dit : « Tu as respecté ton engagement. Dieu a accompli tes promesses. Tu m'as livré à ces gens, mais j'ai réussi à échapper à la persécution. »

                          Le Prophète lui dit de partir où il voudrait. Il lui expliqua qu'il ne pouvait pas lui permettre de rester à Médine parce que cela constituerait une violation de l'accord de paix. Quand Abu Busayr fut parti, le Prophète commenta son action en ces termes : « Cet homme causerait sûrement une guerre s'il avait des hommes pour le soutenir. »

                          En quittant Médine, Abu Busayr comprit qu'il devrait s'en prendre aux Quraysh pour pouvoir survivre. Il chercha donc un endroit sur le chemin côtier emprunté par les caravanes de Quraysh et s'y cacha. Chaque fois qu'une caravane de Quraysh passait, il l'attaquait pour piller autant qu'il pouvait de ses marchandises. Ces attaques, racontées à La Mecque, encouragèrent les musulmans qui s'y mouvaient. Abu Jandal et d'autres musulmans de La Mecque organisèrent soigneusement leur évasion, et soixante-dix d'entre eux parvinrent à rejoindre Abu Busayr dans sa cachette.


                          A SUIVRE...

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                          • SUITE

                            Ensemble, ces musulmans organisèrent des attaques de guérilla contre les Quraysh, visant en premier lieu les caravanes commerciales. Peu de-temps après, ils furent rejoints par un certain nombre d'hommes de différentes tribus, comme les Ghifâr, les Aslam et les Juhayna, qui n'étaient pas liées par le traité de paix entre le Prophète et les Quraysh. La troupe de guérilla comptait maintenant trois cents hommes. Ils parvinrent à causer beaucoup de tort aux Quraysh, sans pour autant que ces derniers puissent faire grand-chose contre eux.

                            Malgré les effectifs importants déployés par les Quraysh pour protéger leurs caravanes, ces combattants parvenaient à organiser des razzias sur toutes les caravanes, s'emparant de leurs marchandises et tuant leurs gardes. A toutes les époques de l'Histoire, et jusqu'à nos jours, il n'a jamais été facile de faire face à des groupes de guérilla résolus. Il n'est donc pas étonnant que les Quraysh se soient vite fatigués de la situation nouvelle créée par Abu Busayr, Abu Jandal et leurs hommes.

                            Ils commencèrent à demander au Prophète d'intégrer ces résistants à sa communauté afin qu'ils cessent d'importuner les Quraysh. Répondant à cette requête, le Prophète appela Abu Busayr et Abu Jandal à le rejoindre à Médine avec leurs hommes qui n'avaient pas où aller. Le Prophète ordonna aussi aux membres d'autres tribus qui s'étaient joints à Abu Busayr de retourner dans leurs tribus, où ils seraient en sécurité et pourraient poursuivre leur effort de diffusion de l'islam.


                            Abu Busayr avait apparemment été gravement blessé lors d'une de ses dernières razzias. La blessure lui fut fatale, et quand la lettre du Prophète lui parvint, il était à l'article de la mort. Il apprit que ses efforts avaient obtenu le résultat recherché et mourut en paix. Abu Jandal et ses compagnons l'enterrèrent à l'endroit où il avait entamé sa campagne contre les Quraysh, puis rejoignirent les musulmans de Médine. Ainsi, ce furent les Quraysh eux-mêmes qui abrogèrent la condition injuste et intransigeante qu'ils avaient imposée aux musulmans lors du traité de paix.
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                              L'Expédition de Khaybar



                              Quand les musulmans furent de retour à Médine après la conclusion de l'accord de paix avec les Quraysh, le Prophète ne les laissa se reposer que quelques semaines avant de leur demander de se préparer à un nouvel affrontement majeur avec les ennemis de l'islam. Il faut se rappeler ici que les Quraysh ne représentaient qu'une des trois grandes catégories de personnes hostiles à l'islam. Les deux autres étaient les tribus arabes polythéistes, dispersés dans toute l'Arabie et toujours à la recherche d'une occasion d'attaquer les musulmans et de leur nuire, et les tribus juives.

                              Nous avons vu que trois conflits majeurs avaient déjà opposé les musulmans de Médine et les trois principales tribus juives de cette ville. Désormais, le principal centre de concentration juive en Arabie était Khaybar, une oasis située à une assez grande distance de Médine, dans le nord-est de la péninsule arabique. À Khaybar, les juifs étaient partagés entre le désir ardent d'attaquer avec succès les musulmans et la crainte de voir leurs nouveaux efforts conduire au même résultat que les précédents. Leur désir de reprendre la lutte contre l'islam était presque aussi fort que leur réticence à se lancer dans une entreprise susceptible de mettre en péril leur existence même.

                              Ils étaient conscients que leur ennemi n'était ni faible ni lâche. Ils savaient bien que les musulmans ne pouvaient pas être vaincus facilement, quelle que puisse être l'importance des forces alliées contre eux. C'était depuis Khaybar que des chefs de tribus comme Sallâm ibn Abî al-Huqayq et Huyay ibn Akhtab avaient entrepris leurs actions contre l'islam. Ce dernier avait été l'architecte de la campagne connue sous le nom de « l'expédition du fossé », entreprise par les forces arabes alliées pour détruire Médine.

                              En outre, c'était lui qui avait eu l'idée de persuader les Qurayza de se joindre à cette coalition. Une fois ces deux chefs écartés de la scène, le commandement de Khaybar échut à un homme du nom de Usayr ibn Rizâm. Usayr suivit la même politique et la même tactique que ses prédécesseurs. Il commença par renouveler le pacte liant les juifs de Khaybar aux tribus arabes de Ghatafân contre leur « ennemi commun », les musulmans. Les Ghatafân étaient connus parmi les tribus arabes comme de bons guerriers. Leur district était situé non loin de Khaybar.

                              Une trahison toujours présente

                              Comme les alliances ne duraient habituellement pas longtemps dans l'Arabie de l'époque, Usayr éprouva le besoin de renouveler ses alliances par mesure de précaution, au cas où une nouvelle confrontation avec les musulmans se produirait. Quand le Prophète eut vent des activités d'Usayr, il chercha à neutraliser cette source de danger. Il envoya trente de ses compagnons des ançâr, sous le commandement de Abdullâh ibn Rawâha, avec pour instructions d'essayer de persuader Usayr ibn Rizâm d'adopter une attitude plus raisonnable vis-à-vis des relations entre les juifs et les musulmans.

                              Quand Abdullâh ibn Rawâha et ses hommes arrivèrent à Khaybar, ils rencontrèrent Usayr. Les deux parties décidèrent d'échanger des engagements de sécurité mutuelle jusqu'à ce que leur affaire soit menée à bien. Abdullâh ibn Rawâha expliqua que les musulmans ne voulaient pas d'affrontement militaire. Ils préféraient de loin entretenir des relations pacifiques avec tout le monde. Il assura Usayr qu'ils n'avaient rien à craindre des musulmans s'ils manifestaient la volonté de vivre en paix avec eux.

                              Il proposa qu'Usayr se rende à Médine pour conclure un accord de paix avec le Prophète. Usayr accepta et partit avec les musulmans dans ce but, accompagné d'un certain nombre de ses coreligionnaires. Ils n'avaient cependant pas parcouru une longue distance quand il commença à regretter son choix. Il décida d'essayer d'assassiner Abdullâh ibn Rawâha. Ce dernier eut tôt fait de s'apercevoir de ce qu'Usayr tentait de faire et il réussit à le tuer sur-le-champ. Ainsi, la tentative des musulmans de parvenir à une coexistence pacifique fut étouffée dans l'oeuf.

                              Ce fut Sallâm ibn Mishkam qui succéda à Usayr ibn Rizâm comme chef de Khaybar. Aussi étrange que cela puisse paraître, Sallâm ne tira pas de leçon du passé. Il suivit la même voie que ses prédécesseurs et entreprit de confirmer les alliances passées et de conclure des pactes de haine contre l'islam. Après le pacte d'al-Hudaybiyya, le Prophète considéra que la position des musulmans leur permettait maintenant de neutraliser la menace que constituait Khaybar. Il demanda donc à ses compagnons de se mobiliser à nouveau et de commencer à marcher sur Khaybar.

                              Il précisa que seuls ceux qui l'avaient accompagné pour la 'umra à al-Hudaybiyya seraient autorisés à l'accompagner cette fois ci. En effet, comme nous l'avons vu, nombreux étaient ceux qui n'avaient pas voulu l'accompagner parce qu'ils craignaient que les Quraysh ne parviennent à s'opposer aux musulmans par la force et à leur infliger une lourde défaite. Ces mêmes hommes voyaient maintenant que les musulmans étaient sur la voie du succès. Dans la sourate qui évoque les événements d'al-Hudaybiyya, Dieu promet clairement aux musulmans une nouvelle occasion de gagner des prises de guerre.

                              Ceux-là mêmes qui doutaient sérieusement du succès des musulmans lorsqu'ils étaient partis pour La Mecque étaient maintenant absolument certains qu'il y aurait un butin à gagner. Ils savaient au fond d'eux-mêmes que les promesses coraniques étaient toujours véridiques. Il était donc naturel qu'ils essaient de se joindre à l'armée musulmane pour cette expédition qui promettait de rapporter beaucoup dans un bref délai.

                              Cependant, le Prophète leur dit qu'ils ne pourraient se joindre à l'armée que s'ils voulaient sincèrement servir la cause de Dieu. S'ils ne recherchaient que le butin qu'apporterait une victoire des musulmans, on n'avait pas besoin d'eux. Ainsi, seuls ceux qui avaient accompagné le Prophète lors de la mission d'al-Hudaybiyya purent l'accompagner cette fois, avec peut-être quelques autres connus comme sincères.

                              L'armée musulmane ne comptait que mille quatre cents hommes, dont seulement deux cents cavaliers, et la tâche qui les attendait était considérable. Khaybar était une ville bien fortifiée. En outre, le Prophète essayait toujours de prendre ses ennemis par surprise. Or, cette fois, les juifs de Khaybar avaient eu vent de son intention. On a relaté que Abdullâh ibn Ubayy, l'homme généralement décrit comme le chef des hypocrites, leur avait envoyé un avertissement lorsqu'il s'était aperçu que le Prophète se préparait à attaquer Khaybar.

                              Dès qu'ils avaient reçu l'information, ils avaient commencé à se préparer. Ils mirent donc la ville sur le pied de guerre, placèrent les femmes et les enfants à l'abri dans leurs forts et se livrèrent à des exercices militaires quotidiens aux abords de leur Ville.

                              Khaybar était située à environ 160 kilomètres au nord de Médine, ce qui représentait cinq jours de voyage à dos de chameau. Nommant son compagnon Sibâ' ibn Arfata pour le remplacer à Médine, le Prophète ne mit en route au mois de muharram de la septième année après son émigration à Médine (août 628 apr. J.-C). Conscient que la vitesse était un facteur essentiel pour prendre Khaybar par surprise, il parcourut cette distance en seulement trois étapes éreintantes d'une journée chacune et parvint à proximité de Khaybar à l'aube du quatrième jour.

                              Les musulmans établirent leur camp à ar-Raji', entre Ghatafân et Khaybar. Ils voulaient ainsi bloquer le passage pour empêcher les tribus arabes de Ghatafân de venir en aide aux tribus juives de Khaybar. Certains récits avancent que les Ghatafân décidèrent d'envoyer des troupes pour aider leurs alliés de Khaybar. Peu après leur départ, ils entendirent du bruit émanant de leur district. Pensant que les musulmans voulaient attaquer leur district après leur départ, ils firent demi-tour et restèrent dans leur propre ville pour la défendre en cas d'attaque des musulmans.

                              Ce qui s'était probablement passé, c'était que le Prophète avait vraiment envoyé un détachement de ses troupes lorsqu'il s'était rendu compte que les Ghatafân avaient l'intention de venir en aide à leurs alliés, afin de les en dissuader. D'autres récits suggèrent que le Prophète aurait demandé aux Ghatafân de ne pas soutenir Khaybar et leur aurait promis une part du butin que les musulmans obtiendraient s'ils remportaient la victoire.

                              Quoi qu'il en soit, le fait est que les Ghatafân ne secoururent pas leurs alliés. Il faut expliquer ici que Khaybar n'était pas une ville au sens traditionnel du terme. C'était une grande oasis, très fertile, avec des fermes et des vergers s'étendant sur un territoire très important. Ses habitants n'étaient pas concentrés dans une zone construite uniforme constituant la ville : ils étaient dispersés dans les collines et les vallées des alentours. Ils vivaient dans des demeures fortifiées au milieu de leurs fermes et de leurs vergers. Le terrain était difficile à attaquer pour une armée, car il fallait se battre dans les fermes et les vallées et sur plusieurs collines.

                              Du point de vue militaire, Khaybar était divisée en trois sections, an-Natâh, ash-Shaqq et al-Katîba. Chaque section comprenait plusieurs forts. Ainsi, par exemple, an-Natah comprenait les forts de Nâ'im , as-Sa'b et az-Zubayr. Les principaux forts d'ash-Shaqq étaient Ubayy et al-Barî'. La section d'al-Katîba comprenait de nombreux forts dont al-Watîh, Sulâlam et Nizâr. Tous ces forts se situaient sur des hauteurs, certains au sommet de collines.



                              A SUIVRE...
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                                Les habitants de Khaybar étaient en général des combattants expérimentés. De fait, la communauté juive de Khaybar était la plus importante, la plus riche et la mieux armée d'Arabie : il était très difficile pour les musulmans d'attaquer une telle ville. Mais les hommes de Khaybar n'avaient pas l'habitude de se battre sur des champs de bataille à découvert. Ils préféraient se battre devant leurs forts et leurs demeures : si la bataille tournait contre eux, ils pouvaient alors se retirer dans leurs forts et leurs demeures pour essayer de faire face à un siège prolongé.

                                De toute évidence, ils espéraient que leurs assaillants se lasseraient du siège et partiraient. Ce fut ce qui poussa le Prophète à marcher sur Khaybar. S'il ne l'avait pas fait, les hommes de Khaybar auraient en effet continué, encore et encore, à inciter les tribus arabes à attaquer les musulmans. Le seul moyen de mettre un terme à leur hostilité était de les attaquer dans leurs propres forts.

                                Quand l'armée musulmane arriva à proximité de Khaybar, le Prophète voulut établir le camp près du district d'an-Natâh et de ses forts. L'un de ses compagnons, al-Hubâb ibn al-Mundhir, lui dit toutefois :


                                Les gens d'an-Natâh sont très célèbres pour leurs prouesses au tir. Ils peuvent lancer des flèches plus loin que la plupart des gens et réussissent mieux à atteindre leurs cibles. De plus, ils sont placés au-dessus de nous dans leurs forts. Cela leur confère un avantage supplémentaire, leurs flèches gagnant de la vitesse en venant vers nous de haut en bas. Si nous campons ici, nous ne pourrons pas nous préserver complètement d'une attaque nocturne qu'ils pourraient organiser, et où ils profiteraient de leurs palmiers pour se protéger. Il serait plus sage d'établir le camp ailleurs.

                                Le Prophète (000 répondit : « Tes conseils sont certainement avisés. » Il ordonna à son armée de reculer loin des forts, hors de portée des flèches de tireurs isolés. Cette attitude du Prophète n'est pas sans rappeler celle qu'il avait adoptée à Badr, lorsque al-Hubâb ibn al-Mundhir avait, là aussi, trouvé à redire à l'endroit choisi pour établir le camp. A cette occasion, le Prophète s'était aussi rangé à l'avis d'al-Hubâb qui était semble-t-il un fin stratège.

                                De fait, le Prophète était toujours prêt à écouter les conseils avisés qu'on pouvait lui soumettre sur les questions de politique ou de stratégie. Il lui appartenait de prendre lui-même, en tant qu'être humain, les décisions concernant ces domaines. Il agissait donc selon son jugement, sans chercher à imposer sa volonté à ses compagnons. Que l'affaire soit grave ou sans importance, le Prophète était toujours prêt à accepter de bons conseils.

                                Effet de surprise

                                Les habitants de Khaybar dormaient profondément pendant que ces événements se produisaient. Ils ne s'aperçurent de rien jusqu'à ce que leurs ouvriers agricoles sortent avec leurs outils pour vaquer à leurs tâches. Ceux-ci furent pris de panique quand ils virent le Prophète et ses compagnons. Ils se mirent à crier : « Muhammad et son armée ! Muhammad et son armée ! » Ils prirent la fuite et coururent avertir les gens dans les forts du désastre qui les attendait.

                                Le Prophète s'écria, pour accroître leur panique : « Dieu est Grand. Khaybar est détruite. Comme nous sommes arrivés sur le territoire de l'ennemi, ceux qui ont été prévenus à l'avance connaîtront une très mauvaise matinée. »

                                Les habitants de Khaybar furent réveillés par cette désagréable surprise. Ils comprirent que l'initiative appartenait entièrement au Prophète. Il ne leur restait plus qu'à se rendre ou à se battre jusqu'au dernier. Comme le Prophète et ses compagnons avaient établi leur camp si près, il était impossible aux hommes de Khaybar de lancer une offensive. Ils ne pouvaient qu'adopter une posture défensive. Cela conférait aux musulmans un grand avantage psychologique. Mais les combattants ennemis étaient aussi conscients que lors de leurs précédents affrontements avec les musulmans, leurs demeures fortifiées ne leur avaient pas été d'un grand secours.

                                En fin de compte, les musulmans avaient pu remporter une victoire totale. Certains des juifs de Khaybar avaient déjà été expulsés de Médine. Pour eux, voir à nouveau les musulmans assiéger leurs forts ne présageait rien de bon. Ils sentaient la peur les envahir : la bataille était à moitié gagnée pour les musulmans. Les combats commencèrent au fort de Nâ'im. Le commandant de ce fort était Sallâm ibn Mishkam, le chef de Khaybar. Dans ce fort, ils étaient prêts à une bataille longue et rude. Le Prophète tenta cependant de remporter une victoire psychologique dont il espérait qu'elle permettrait d'éviter l'affrontement armé.

                                Sachant que les gens de Khaybar chérissaient autant leurs biens que leur propre vie, il voulut leur montrer qu'ils seraient dans une meilleure situation s'ils capitulaient. Il voulut leur faire comprendre que, s'ils insistaient pour se battre, leurs pertes seraient financières autant que militaires. Il ordonna donc à ses compagnons d'abattre les palmiers. Près de quatre cents arbres furent ainsi abattus sur ses ordres. Il constata cependant que les ennemis ne manifestaient aucune intention de se rendre. Il ordonna alors qu'on cesse d'abattre les arbres et se prépara à lancer son offensive.

                                Le Prophète était conscient que pour remporter une victoire totale sur ses ennemis dans une ville aussi peu ordinaire que Khaybar, il lui faudrait écraser leur pouvoir dans chacun de leurs forts. Sa stratégie consista donc à confier à de petits détachements de ses troupes la tâche d'occuper les ennemis de plusieurs forts pendant qu'il concentrait le gros de ses troupes sur un seul fort, qu'il assiégeait jusqu'à ce qu'il se rende.

                                Il passait ensuite au fort suivant. Il divisa ses troupes en petits groupes selon les clans et les tribus. Il nomma aussi un commandant pour chaque unité, afin de stimuler la rivalité entre les différentes unités. Cette division des troupes lui permit aussi de faire alterner les différentes unités entre la tâche d'engager l'ennemi et celle de mener un siège. De cette manière, aucune unité n'était trop fatiguée en étant continuellement sous pression. Toutes les unités musulmanes prirent part à l'effort militaire sans qu'aucune ne supporte à elle seule une charge trop importante.

                                Le Prophète agit ici en grand chef militaire, adoptant une tactique différente lors de chaque affrontement avec l'ennemi en fonction de la nature de cet affrontement, en tenant compte de tous les facteurs : le terrain, l'importance de ses propres forces par rapport à celles de l'ennemi, l'avantage psychologique.

                                La première bataille fut violente et les ennemis opposèrent aux musulmans une résistance solide sur chaque centimètre de terrain. Cependant, les musulmans étaient plus qu'à la hauteur de la situation. Chaque fois que les ennemis essayaient de sortir de leur fort pour repousser les assaillants, les musulmans les obligeaient à reculer à l'intérieur. Le siège se poursuivit jour après jour alors que les violents combats ne parvenaient pas à faire basculer l'équilibre des forces dans un sens ni dans l'autre. La bataille du fort de Nâ'im continua sept jours durant.

                                Chaque jour, le Prophète confiait l'étendard des musulmans à un compagnon différent. Aucun ne parvint toutefois à forcer les portes du fort. Enfin, le septième jour, le Prophète confia l'étendard à Alî ibn Abî Tâlib, qui réussit à enfoncer les défenses du fort et à ouvrir grand les portes. On dit que 'Alî ibn Abî Tâlib souffrait alors d'une inflammation oculaire si grave qu'il n'y voyait presque pas. Quand le Prophète lui confia l'étendard, Alî attira l'attention du Prophète sur sa situation et celui-ci passa sa salive sur les yeux de Alî en invoquant Dieu pour lui.

                                Alî fut immédiatement soulagé et son inflammation oculaire ne reparut jamais. À un moment de la bataille du fort de Nâ'im, l'un des plus vaillants et des plus célèbres des combattants juifs, Marhab, défia les musulmans en combat singulier. Alî lui-même se battit contre lui et parvint à le tuer. Un soldat musulman, Mahmûd ibn Maslama, était assis à un moment donné près d'un mur du fort : quelqu'un à l'intérieur du fort lança une grosse pierre qui l'atteignit à la tête et le tua. Son frère, Muhammad ibn Maslama, parvint à venger sa mort.

                                Le commandant du fort de Nâ'im , Sallâm ibn Mishkam, mourut pendant le siège et al-Hârith ibn Abî Zaynab lui succéda. Quand le fort de Nâ'im tomba aux mains des musulmans, les assiégés qui s'y trouvaient se retirèrent dans le fort voisin d'as-Sa'b. Quand les musulmans les assiégèrent, les hommes du fort se battirent résolument et passèrent à l'attaque avec des forces importantes. Les musulmans furent contraints à reculer quelque peu, mais l'unité commandée par al-Hubâb ibn al-Mundhir parvint à conserver ses positions.

                                Le Prophète encouragea les musulmans à redoubler d'efforts au combat et al-Hubâb réussit à contenir l'avancée des ennemis, puis à les obliger à se replier. Ils retournèrent à leur fort et s'y barricadèrent. Les musulmans, contre-attaquant, parvinrent à forcer les portes du fort et commencèrent à tuer ou à faire prisonniers tous ceux qui leur résistaient. Le fort d'as-Sa'b se rendit alors aux musulmans. Dans le fort d'as-Sa'b, les musulmans trouvèrent d'importantes quantités de provisions : de l'orge, des dattes, du beurre, de l'huile, du miel et d'autres marchandises.

                                Avant cela, ils souffraient quasiment de la famine, étant à court de provisions. Le Prophète , inquiet que les musulmans ne se préoccupent d'emporter ces provisions, demanda à l'un de ses compagnons d'annoncer qu'ils étaient autorisés à manger et à donner à leurs chevaux et à leurs chameaux ce dont ils avaient besoin, mais ne devaient rien emporter de ces provisions. Dans ce fort, les musulmans trouvèrent une catapulte et une importante quantité de boucliers, de sabres et d'autres armes enfouies dans le sol. Ils s'en servirent pendant le reste de la bataille, se retrouvant ainsi bien mieux équipés qu'au commencement.

                                La découverte fut faite grâce à un ennemi fait prisonnier durant le siège de Nâ'im. Ce dernier, craignant pour sa vie, était allé trouver le Prophète et avait proposé de donner ce renseignement en échange de la promesse que lui et sa famille auraient la vie sauve.

                                A SUIVRE...
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