Le créationnisme soumis à la question
A l’heure où la laïcité est remise en question en France et où les questions religieuses prennent une place de plus en plus importante dans des débats politiques aux Etats-Unis, nous assistons à une vague de tentatives d’immixtion du religieux dans les domaines scientifiques. Ainsi, des élus de haut niveau [1] militent pour que le créationnisme soit enseigné à l’école, considérant cette hypothèse comme scientifiquement équivalente à la théorie darwinienne [2]. Ils évoquent l’abandon du « dogme de l’évolution » et l’introduction dans la recherche de la notion du divin, bref, une nécessité de considérer sérieusement le « créationnisme scientifique ». Quels fondements pour ce courant ? La théorie de l’évolution a-t-elle la même valeur théorique que le créationnisme ?
Nous ne distinguerons que les courants de pensée principaux sans nous soucier des multiples variantes :
Le créationnisme nous dit que les êtres vivants n’évoluent pas et ont été créés par Dieu tels qu’ils sont aujourd’hui.
L’évolutionnisme : les espèces ont évolué, les premières formes de vie étaient des êtres unicellulaires, les mécanismes d’évolution étant multiples.
Une fois le concept d’évolution admis [3], nous pouvons distinguer deux courants :
Le dessein intelligent (« intelligent design » en anglais, ou « ID ») qui prétend que l’évolution est dirigée et qu’elle a une finalité. Si finalité il y a, elle doit être fixée par un être conscient qui aurait le pouvoir d’influer sur la vie. En cela, le dessein intelligent se rapproche du créationnisme car il suppose l’existence d’un être supérieur.
La théorie synthétique de l’évolution : des mutations ont lieu aléatoirement et des phénomènes de sélection trient les espèces, l’existence de chaque espèce (dont l’espèce humaine) est une contingence.
Qu’est-ce qu’une science ?
La science, en première approche, est un ensemble de connaissances dites objectives. Elles doivent être universellement reconnues, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas dépendre des points de vue, ni des cultures, ni des préférences ou opinions de chaque personne. Par exemple, la relativité générale est la même pour un Français ou un Chinois.
Pour démarquer ce qui relève de la science ou non, Karl Popper affirme qu’une théorie scientifique doit être réfutable [4]. Par exemple, l’observation de quelques corbeaux noirs nous permet d’induire la théorie que « tous les corbeaux sont noirs ». Tant qu’on observe des corbeaux noirs, cette théorie n’est pas réfutée mais cela n’est pas suffisant pour confirmer définitivement cette théorie. Pour cela, il faudrait observer tous les corbeaux existants de l’univers. L’observation d’un seul corbeau non noir réfuterait cette théorie. Si cela se produisait, nous saurions que tous les corbeaux ne sont pas noirs, nous pourrions affiner notre théorie en essayant de comprendre dans quel contexte les corbeaux sont noirs et dans lequel ils ne le sont pas, nos connaissances auraient ainsi progressé.
Même sans tenir compte de ce critère strict, auquel cas le créationnisme serait immédiatement exclu du domaine scientifique (l’existence de Dieu n’est pas réfutable, le fait qu’il ait créé la vie sur Terre non plus), nous pouvons dire qu’une théorie scientifique doit être au minimum expérimentable universellement, c’est-à-dire que l’expérience doit être reproductible : ainsi, il n’y a pas d’exigence de croire sur parole, chacun peut vérifier par lui-même (nous mettons de côté le cas particulier des mathématiques).
Pour cette raison, la science ne se limite qu’au monde matériel qui est accessible à tous, elle est donc méthodiquement matérialiste. Une erreur fréquente est la confusion de cette méthode matérialiste avec une quelconque philosophie matérialiste. Si la science ne se préoccupe que du matériel, elle ne dit rien sur l’immatériel, ni sur le spirituel. Certes, elle part de l’idée qu’il existe une réalité, celle à laquelle nous avons accès, mais c’est le minimum nécessaire (si aucune réalité n’existe, que faisons-nous en ce moment ?), et surtout, elle n’est basée sur aucun monisme [5] : elle ne dit pas qu’il n’y a qu’une seule réalité.
Donc, une théorie scientifique doit être vérifiable et tant qu’elle est vérifiée, on la considère comme « vraie » temporairement, jusqu’à preuve du contraire, la réfutation étant potentiellement possible. La certitude absolue est inatteignable par la méthode scientifique bien qu’elle la vise.
Deux théories sont comparables par leurs « vérisimilitudes » [6], on dira par exemple que la physique d’Einstein a une plus grande vérisimilitude que celle de Newton, cela n’empêche pas la physique de Newton d’être suffisamment précise pour des calculs en mécanique d’une certaine échelle. L’absence de certitude n’est donc pas un problème dans la recherche scientifique, elle est même nécessaire car elle permet à la science de ne pas s’enfermer dans des dogmes et d’évoluer.
Enfin, entre deux théories, suivant le principe de parcimonie, on préférera celle qui nécessite le minimum d’explications ad hoc [7] pour garder sa cohérence.
Amalgames
Les créationnistes accusent souvent la science d’être matérialiste (philosophiquement) voire marxiste. Nous avons vu ci-dessus en quoi ces accusations sont sans fondement.
L’évolution a aussi été attaquée car elle est assimilée au « darwinisme social » ainsi qu’aux idéologies de ce genre. Pourtant, la théorie de l’évolution n’est qu’une explication et une description de la nature et non un projet politique. Le terme « darwinisme social » est un détournement du darwinisme.
Le créationnisme et l’ID reposent sur la supposition de l’existence d’un créateur, qu’on peut assimiler à « Dieu ». La théorie synthétique de l’évolution, elle, n’inclut pas de déité : un être supérieur n’est pas nécessaire pour expliquer l’évolution mais rien ne l’empêche d’exister, même s’il n’a pas de rôle. La théorie de l’évolution ne dit rien sur l’existence ou l’inexistence de Dieu puisqu’elle ne dit rien sur Dieu, elle n’est donc pas liée à une quelconque idéologie athée.
Elle n’est pas en accord avec les religions monothéistes à propos de la place de l’Homme : selon ces croyances, l’Homme serait créé par Dieu, il serait même la finalité de la création.
Selon la théorie de l’évolution, l’existence de l’Homme est, par contre, une contingence. Ce n’est qu’une remise en question de la place de l’Homme dans l’univers et non une remise en question d’un théïsme quelconque.
Les créationnistes introduisent « Dieu » dans leur théorie. Or, les problèmes d’un tel concept sont multiples :
Sa définition varie selon les religions, les croyances, les opinions personnelles, et les quelques qualificatifs récurrents tels que « omniscient » et « omnipotent » entraînent des paradoxes.
« Dieu » étant indéfini et inexpérimentable, son existence n’est ni vérifiable, ni réfutable.
L’existence d’un créateur omnipotent, Dieu, posée en tant qu’axiome rend toute proposition impossible à critiquer. On pourrait prétendre que Dieu a créé la Terre il y a 6000 ans et que les strates géologiques ainsi que les fossiles sont des créations divines pour nous faire croire que le Terre serait plus vieille. Telle était la thèse d’Edmund Gosse [8] au milieu du XVIIIe siècle. Elle est parfaitement logique mais elle implique que le monde aurait très bien pu être créé il y a 100 ans ou 1 semaine, nos souvenirs ayant été implantés par le créateur, nous ne verrions pas la différence. Avec « Dieu » en tant que prémisse, on peut tout affirmer et son contraire. Cette apparence de logique infaillible des créationnistes n’est que du sophisme.
Le créationnisme ne peut donc être scientifique. « Créationnisme scientifique » est un bel exemple d’oxymore.
Deux théories autant plausibles l’une que l’autre ?
A première vue, nous avons d’un côté la théorie de l’évolution des espèces et de l’autre, celle du créationnisme.
Pour vérifier directement l’évolution des espèces, il faudrait remonter le temps et observer la vie pendant des milliards d’années, ce qui est impossible. De plus, la théorie synthétique de l’évolution nous dit que l’évolution qui a eu lieu est contingente, ce qui veut dire qu’elle aurait pu se dérouler autrement, il n’y avait donc aucune garantie qu’elle se déroulât telle qu’elle l’avait fait, dans les moindres détails. Une vérification par répétition est donc quasiment impossible [9].
A l’heure où la laïcité est remise en question en France et où les questions religieuses prennent une place de plus en plus importante dans des débats politiques aux Etats-Unis, nous assistons à une vague de tentatives d’immixtion du religieux dans les domaines scientifiques. Ainsi, des élus de haut niveau [1] militent pour que le créationnisme soit enseigné à l’école, considérant cette hypothèse comme scientifiquement équivalente à la théorie darwinienne [2]. Ils évoquent l’abandon du « dogme de l’évolution » et l’introduction dans la recherche de la notion du divin, bref, une nécessité de considérer sérieusement le « créationnisme scientifique ». Quels fondements pour ce courant ? La théorie de l’évolution a-t-elle la même valeur théorique que le créationnisme ?
Nous ne distinguerons que les courants de pensée principaux sans nous soucier des multiples variantes :
Le créationnisme nous dit que les êtres vivants n’évoluent pas et ont été créés par Dieu tels qu’ils sont aujourd’hui.
L’évolutionnisme : les espèces ont évolué, les premières formes de vie étaient des êtres unicellulaires, les mécanismes d’évolution étant multiples.
Une fois le concept d’évolution admis [3], nous pouvons distinguer deux courants :
Le dessein intelligent (« intelligent design » en anglais, ou « ID ») qui prétend que l’évolution est dirigée et qu’elle a une finalité. Si finalité il y a, elle doit être fixée par un être conscient qui aurait le pouvoir d’influer sur la vie. En cela, le dessein intelligent se rapproche du créationnisme car il suppose l’existence d’un être supérieur.
La théorie synthétique de l’évolution : des mutations ont lieu aléatoirement et des phénomènes de sélection trient les espèces, l’existence de chaque espèce (dont l’espèce humaine) est une contingence.
Qu’est-ce qu’une science ?
La science, en première approche, est un ensemble de connaissances dites objectives. Elles doivent être universellement reconnues, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas dépendre des points de vue, ni des cultures, ni des préférences ou opinions de chaque personne. Par exemple, la relativité générale est la même pour un Français ou un Chinois.
Pour démarquer ce qui relève de la science ou non, Karl Popper affirme qu’une théorie scientifique doit être réfutable [4]. Par exemple, l’observation de quelques corbeaux noirs nous permet d’induire la théorie que « tous les corbeaux sont noirs ». Tant qu’on observe des corbeaux noirs, cette théorie n’est pas réfutée mais cela n’est pas suffisant pour confirmer définitivement cette théorie. Pour cela, il faudrait observer tous les corbeaux existants de l’univers. L’observation d’un seul corbeau non noir réfuterait cette théorie. Si cela se produisait, nous saurions que tous les corbeaux ne sont pas noirs, nous pourrions affiner notre théorie en essayant de comprendre dans quel contexte les corbeaux sont noirs et dans lequel ils ne le sont pas, nos connaissances auraient ainsi progressé.
Même sans tenir compte de ce critère strict, auquel cas le créationnisme serait immédiatement exclu du domaine scientifique (l’existence de Dieu n’est pas réfutable, le fait qu’il ait créé la vie sur Terre non plus), nous pouvons dire qu’une théorie scientifique doit être au minimum expérimentable universellement, c’est-à-dire que l’expérience doit être reproductible : ainsi, il n’y a pas d’exigence de croire sur parole, chacun peut vérifier par lui-même (nous mettons de côté le cas particulier des mathématiques).
Pour cette raison, la science ne se limite qu’au monde matériel qui est accessible à tous, elle est donc méthodiquement matérialiste. Une erreur fréquente est la confusion de cette méthode matérialiste avec une quelconque philosophie matérialiste. Si la science ne se préoccupe que du matériel, elle ne dit rien sur l’immatériel, ni sur le spirituel. Certes, elle part de l’idée qu’il existe une réalité, celle à laquelle nous avons accès, mais c’est le minimum nécessaire (si aucune réalité n’existe, que faisons-nous en ce moment ?), et surtout, elle n’est basée sur aucun monisme [5] : elle ne dit pas qu’il n’y a qu’une seule réalité.
Donc, une théorie scientifique doit être vérifiable et tant qu’elle est vérifiée, on la considère comme « vraie » temporairement, jusqu’à preuve du contraire, la réfutation étant potentiellement possible. La certitude absolue est inatteignable par la méthode scientifique bien qu’elle la vise.
Deux théories sont comparables par leurs « vérisimilitudes » [6], on dira par exemple que la physique d’Einstein a une plus grande vérisimilitude que celle de Newton, cela n’empêche pas la physique de Newton d’être suffisamment précise pour des calculs en mécanique d’une certaine échelle. L’absence de certitude n’est donc pas un problème dans la recherche scientifique, elle est même nécessaire car elle permet à la science de ne pas s’enfermer dans des dogmes et d’évoluer.
Enfin, entre deux théories, suivant le principe de parcimonie, on préférera celle qui nécessite le minimum d’explications ad hoc [7] pour garder sa cohérence.
Amalgames
Les créationnistes accusent souvent la science d’être matérialiste (philosophiquement) voire marxiste. Nous avons vu ci-dessus en quoi ces accusations sont sans fondement.
L’évolution a aussi été attaquée car elle est assimilée au « darwinisme social » ainsi qu’aux idéologies de ce genre. Pourtant, la théorie de l’évolution n’est qu’une explication et une description de la nature et non un projet politique. Le terme « darwinisme social » est un détournement du darwinisme.
Le créationnisme et l’ID reposent sur la supposition de l’existence d’un créateur, qu’on peut assimiler à « Dieu ». La théorie synthétique de l’évolution, elle, n’inclut pas de déité : un être supérieur n’est pas nécessaire pour expliquer l’évolution mais rien ne l’empêche d’exister, même s’il n’a pas de rôle. La théorie de l’évolution ne dit rien sur l’existence ou l’inexistence de Dieu puisqu’elle ne dit rien sur Dieu, elle n’est donc pas liée à une quelconque idéologie athée.
Elle n’est pas en accord avec les religions monothéistes à propos de la place de l’Homme : selon ces croyances, l’Homme serait créé par Dieu, il serait même la finalité de la création.
Selon la théorie de l’évolution, l’existence de l’Homme est, par contre, une contingence. Ce n’est qu’une remise en question de la place de l’Homme dans l’univers et non une remise en question d’un théïsme quelconque.
Les créationnistes introduisent « Dieu » dans leur théorie. Or, les problèmes d’un tel concept sont multiples :
Sa définition varie selon les religions, les croyances, les opinions personnelles, et les quelques qualificatifs récurrents tels que « omniscient » et « omnipotent » entraînent des paradoxes.
« Dieu » étant indéfini et inexpérimentable, son existence n’est ni vérifiable, ni réfutable.
L’existence d’un créateur omnipotent, Dieu, posée en tant qu’axiome rend toute proposition impossible à critiquer. On pourrait prétendre que Dieu a créé la Terre il y a 6000 ans et que les strates géologiques ainsi que les fossiles sont des créations divines pour nous faire croire que le Terre serait plus vieille. Telle était la thèse d’Edmund Gosse [8] au milieu du XVIIIe siècle. Elle est parfaitement logique mais elle implique que le monde aurait très bien pu être créé il y a 100 ans ou 1 semaine, nos souvenirs ayant été implantés par le créateur, nous ne verrions pas la différence. Avec « Dieu » en tant que prémisse, on peut tout affirmer et son contraire. Cette apparence de logique infaillible des créationnistes n’est que du sophisme.
Le créationnisme ne peut donc être scientifique. « Créationnisme scientifique » est un bel exemple d’oxymore.
Deux théories autant plausibles l’une que l’autre ?
A première vue, nous avons d’un côté la théorie de l’évolution des espèces et de l’autre, celle du créationnisme.
Pour vérifier directement l’évolution des espèces, il faudrait remonter le temps et observer la vie pendant des milliards d’années, ce qui est impossible. De plus, la théorie synthétique de l’évolution nous dit que l’évolution qui a eu lieu est contingente, ce qui veut dire qu’elle aurait pu se dérouler autrement, il n’y avait donc aucune garantie qu’elle se déroulât telle qu’elle l’avait fait, dans les moindres détails. Une vérification par répétition est donc quasiment impossible [9].
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