Pour nanna et les interessés
Patrimoine. On l'appelle Baba Aïchour
Le personnage est sorti d'une vieille légende populaire. Il s'appelle Baba Aïchour et il entend reprendre ce qui lui appartient : le rôlr de “père Noël des Marocains”. Une poignée de militantes font tout pour le ressusciter.
Mercredi 8 février, 18 heures. Un interminable flot de personnes meuble les rives du boulevard Mohammed V à Rabat. 40 000 curieux, adultes et enfants, défilent derrière la longue parade de Achoura, se frayant un chemin parmi les majorettes, les cavaliers de la Tbourida (fantasia), les Laâbate (chanteuses populaires) et les neggafate
(préparatrices de mariées), pour arriver au bout de la longue file de ce carnaval. Là, en première ligne, un vieux monsieur, installé au fond de sa calèche est l'objet de toutes les curiosités. A première vue, c'est un vieillard comme les autres, les rides profondément marquées, les tempes et la barbe grisonnantes, le ventre bedonnant, le geste lent et le verbe paresseux ; un simple vieillard qui aurait pu passer incognito parmi la foule, si ce n'était son accoutrement hautement coloré et folklorique. Désormais, tout ce beau monde se souviendra de son visage. Il s'appelle “Baba Aïchour”.
Un spot télé, diffusé depuis quelques jours, a annoncé son arrivée aux enfants de Rabat et de sa région. Un personnage sorti du fin fond de la mémoire populaire, mi-réel, mi- imaginaire, une sorte de père Noël version marocaine. La coutume séculaire veut que tous les ans, à la veille de Achoura, son apparition ouvre les festivités. Autour de la chouala (feu de camp), il réunit les enfants, leur raconte les vieilles histoires d'usage à cette occasion, leur offre friandises et cadeaux et les invite à chanter pour lui. Mais Baba Aïchour avait disparu depuis près d'un siècle et n'était pas près de ressusciter avant que l'association Contes'Act n'ait eu l'idée de le sortir de l'oubli, de le dépoussiérer, de le re-lifter et de le remettre sur le marché de la culture populaire. Sur le marché tout court, à dire vrai. Car en réinventant Baba Aïchour, les fourmis de Contes'Act avaient leur petite idée derrière la tête. Elle tient en une phrase : faire concurrence au père Noël. “Tous les ans à Noël, on nous sert la même chanson. D'un côté, les conservateurs qui crient à l'acculturation, de l'autre, des enfants, mais aussi des adultes qui ne demandent qu'à faire la fête, justifie la instigatrice de l'idée, Najima Thay Thay. Avec Baba Aïchour, nous avons trouvé un bon compromis. On préserve une partie de notre patrimoine en l'actualisant. On réapprend à faire la fête, mais à la marocaine. Et surtout, on propose une opportunité commerciale tout aussi valable que celle du père Noël”, poursuit Thay Thay, mi-amusée, mi-fière. Belle trouvaille, très ambitieuse aussi, mais parfaitement réalisable en fin de compte. Car au fond, la seule chose qui différencie Saint Nicolas alias père Noël et Baba Aïchour, ce sont le costume et les millions de dollars engagés en communication et en campagnes de pub.
Lorsqu'en 1931, le dessinateur Haddon Sundbloom a reçu la commande de la compagnie Coca Cola, pour croquer aux couleurs de la marque, le nouveau visage de saint Nicolas, seuls les Etats-Unis et le Canada en voulaient. Personne ailleurs dans le monde ne connaissait le vieux ventru rouge et blanc. Lors de sa commercialisation, nombre de pays (la France notamment), ont mené campagne contre le concept. On est allé jusqu'à brûler les premières figurines et le costume du père Noël sur les places publiques, pour protester contre le “génocide” des coutumes. Mais la raison commerciale et la jovialité du personnage ont fini par gagner. Moralité de ce petit rappel historique, si Baba Aïchour est aujourd'hui, bien pensé, bien marketé, il n'y aucune raison pour qu'il échoue là où son homologue américain a réussi. Le succès commercial, lui, est d'autant plus assuré que le marché à prendre s'étend à tous les pays arabes.
Contes'Act l'a compris. Et le concept a été déposé au lendemain même de l'Achoura devant le succès populaire de la parade et ses 40 000 spectateurs. “En vérité, nous-mêmes avons été surpris par l'accueil qui lui a été fait. Depuis une semaine, partout où il va, les enfants sont après lui et ont appris ses chansons par cœur. Et puis, ils veulent tous avoir le même costume que lui”, raconte tout excitée l’organisatrice Sakina Bouâchrine, tout aussi acquise à l'idée. L'un des enfants, Mohamed, 12 ans, a même trouvé sa vocation depuis ce mercredi 8 février. Il sera Baba Aïchour quand il sera grand. Il ne l'a pas quitté d'une semelle durant la parade et crie haut et fort à qui vient bien l'entendre que “Baba Aïchour est déjà son héros préféré”.
Depuis, au deuxième étage du siège de la Région de Rabat, QG de Contes'Act, les jours s'écoulent au rythme des propositions sur le costume définitif de Baba Aïchour. Un coup, il est en jabador (tunique brodée) et pantalon traditionnel. Un autre, il est en fouqiya (gandoura) et selham (burnous). Et puis, on ne sait pas vraiment combien et quelles couleurs lui associer. Par contre, on lui a déjà trouvé un «hymne» propre à lui : un texte imaginé sur le tas par Ahmed Tayeb Laâlej et composé par Abdelwahab Doukkali qu'une chorale de 60 enfants chantera à la soirée de clôture du festival Achoura, le 19 février. Du reste, pour les millions à trouver, la petite équipe a dressé une première liste des éventuels sponsors de la “mascotte”. Et si l'on en croit les premiers échos, “on ne leur a pas claqué la porte au nez”. L'année prochaine, ils sont certains de pourvoir étendre la tournée de Baba Aïchour à tout le pays. “Là-dessus, si on peut faire des émules, ce n'est pas de refus. Après tout, notre but premier est de remettre au goût du jour des coutumes qu'on avait oubliées”, conclut Thay Thay. Comme quoi, souvent, il suffit de réviser ses classiques pour marquer les esprits modernes.
Pères noëls locaux. Basques et Japonais l'ont fait
Dans le Pays Basque espagnol, un concept a le vent en poupe depuis quelques années. Il s'appelle Olentzero et a définitivement battu le père Noël parmi les étalages marchands, à la télé ou dans les contes pour enfants. Dans la mythologie basque, c'est un simple charbonnier qui parcourt les villages en annonçant le solstice d'hiver, le 6 janvier. Une agence de communication a récupéré le personnage, a retravaillé son image et l'a mis sur le marché. Aujourd'hui, il est le seul et incontournable père Noël connu des enfants basques et le 6 janvier est un jour férié. Dans le Sud de l'Espagne, ce sont les rois mages qui font concurrence au père Noël à la même époque de l'année. Au Pays du soleil levant, les Japonais ne croient pas au père Noël. Par contre, ils connaissent tous Hoteiosho, l'un des sept dieux de la bonne chance dans la culture nipponne, un autre vieillard ventru et joyeux traînant sur son dos un gros sac plein de cadeaux pour les enfants nippons.
Patrimoine. On l'appelle Baba Aïchour
Le personnage est sorti d'une vieille légende populaire. Il s'appelle Baba Aïchour et il entend reprendre ce qui lui appartient : le rôlr de “père Noël des Marocains”. Une poignée de militantes font tout pour le ressusciter.
Mercredi 8 février, 18 heures. Un interminable flot de personnes meuble les rives du boulevard Mohammed V à Rabat. 40 000 curieux, adultes et enfants, défilent derrière la longue parade de Achoura, se frayant un chemin parmi les majorettes, les cavaliers de la Tbourida (fantasia), les Laâbate (chanteuses populaires) et les neggafate
(préparatrices de mariées), pour arriver au bout de la longue file de ce carnaval. Là, en première ligne, un vieux monsieur, installé au fond de sa calèche est l'objet de toutes les curiosités. A première vue, c'est un vieillard comme les autres, les rides profondément marquées, les tempes et la barbe grisonnantes, le ventre bedonnant, le geste lent et le verbe paresseux ; un simple vieillard qui aurait pu passer incognito parmi la foule, si ce n'était son accoutrement hautement coloré et folklorique. Désormais, tout ce beau monde se souviendra de son visage. Il s'appelle “Baba Aïchour”.
Un spot télé, diffusé depuis quelques jours, a annoncé son arrivée aux enfants de Rabat et de sa région. Un personnage sorti du fin fond de la mémoire populaire, mi-réel, mi- imaginaire, une sorte de père Noël version marocaine. La coutume séculaire veut que tous les ans, à la veille de Achoura, son apparition ouvre les festivités. Autour de la chouala (feu de camp), il réunit les enfants, leur raconte les vieilles histoires d'usage à cette occasion, leur offre friandises et cadeaux et les invite à chanter pour lui. Mais Baba Aïchour avait disparu depuis près d'un siècle et n'était pas près de ressusciter avant que l'association Contes'Act n'ait eu l'idée de le sortir de l'oubli, de le dépoussiérer, de le re-lifter et de le remettre sur le marché de la culture populaire. Sur le marché tout court, à dire vrai. Car en réinventant Baba Aïchour, les fourmis de Contes'Act avaient leur petite idée derrière la tête. Elle tient en une phrase : faire concurrence au père Noël. “Tous les ans à Noël, on nous sert la même chanson. D'un côté, les conservateurs qui crient à l'acculturation, de l'autre, des enfants, mais aussi des adultes qui ne demandent qu'à faire la fête, justifie la instigatrice de l'idée, Najima Thay Thay. Avec Baba Aïchour, nous avons trouvé un bon compromis. On préserve une partie de notre patrimoine en l'actualisant. On réapprend à faire la fête, mais à la marocaine. Et surtout, on propose une opportunité commerciale tout aussi valable que celle du père Noël”, poursuit Thay Thay, mi-amusée, mi-fière. Belle trouvaille, très ambitieuse aussi, mais parfaitement réalisable en fin de compte. Car au fond, la seule chose qui différencie Saint Nicolas alias père Noël et Baba Aïchour, ce sont le costume et les millions de dollars engagés en communication et en campagnes de pub.
Lorsqu'en 1931, le dessinateur Haddon Sundbloom a reçu la commande de la compagnie Coca Cola, pour croquer aux couleurs de la marque, le nouveau visage de saint Nicolas, seuls les Etats-Unis et le Canada en voulaient. Personne ailleurs dans le monde ne connaissait le vieux ventru rouge et blanc. Lors de sa commercialisation, nombre de pays (la France notamment), ont mené campagne contre le concept. On est allé jusqu'à brûler les premières figurines et le costume du père Noël sur les places publiques, pour protester contre le “génocide” des coutumes. Mais la raison commerciale et la jovialité du personnage ont fini par gagner. Moralité de ce petit rappel historique, si Baba Aïchour est aujourd'hui, bien pensé, bien marketé, il n'y aucune raison pour qu'il échoue là où son homologue américain a réussi. Le succès commercial, lui, est d'autant plus assuré que le marché à prendre s'étend à tous les pays arabes.
Contes'Act l'a compris. Et le concept a été déposé au lendemain même de l'Achoura devant le succès populaire de la parade et ses 40 000 spectateurs. “En vérité, nous-mêmes avons été surpris par l'accueil qui lui a été fait. Depuis une semaine, partout où il va, les enfants sont après lui et ont appris ses chansons par cœur. Et puis, ils veulent tous avoir le même costume que lui”, raconte tout excitée l’organisatrice Sakina Bouâchrine, tout aussi acquise à l'idée. L'un des enfants, Mohamed, 12 ans, a même trouvé sa vocation depuis ce mercredi 8 février. Il sera Baba Aïchour quand il sera grand. Il ne l'a pas quitté d'une semelle durant la parade et crie haut et fort à qui vient bien l'entendre que “Baba Aïchour est déjà son héros préféré”.
Depuis, au deuxième étage du siège de la Région de Rabat, QG de Contes'Act, les jours s'écoulent au rythme des propositions sur le costume définitif de Baba Aïchour. Un coup, il est en jabador (tunique brodée) et pantalon traditionnel. Un autre, il est en fouqiya (gandoura) et selham (burnous). Et puis, on ne sait pas vraiment combien et quelles couleurs lui associer. Par contre, on lui a déjà trouvé un «hymne» propre à lui : un texte imaginé sur le tas par Ahmed Tayeb Laâlej et composé par Abdelwahab Doukkali qu'une chorale de 60 enfants chantera à la soirée de clôture du festival Achoura, le 19 février. Du reste, pour les millions à trouver, la petite équipe a dressé une première liste des éventuels sponsors de la “mascotte”. Et si l'on en croit les premiers échos, “on ne leur a pas claqué la porte au nez”. L'année prochaine, ils sont certains de pourvoir étendre la tournée de Baba Aïchour à tout le pays. “Là-dessus, si on peut faire des émules, ce n'est pas de refus. Après tout, notre but premier est de remettre au goût du jour des coutumes qu'on avait oubliées”, conclut Thay Thay. Comme quoi, souvent, il suffit de réviser ses classiques pour marquer les esprits modernes.
Pères noëls locaux. Basques et Japonais l'ont fait
Dans le Pays Basque espagnol, un concept a le vent en poupe depuis quelques années. Il s'appelle Olentzero et a définitivement battu le père Noël parmi les étalages marchands, à la télé ou dans les contes pour enfants. Dans la mythologie basque, c'est un simple charbonnier qui parcourt les villages en annonçant le solstice d'hiver, le 6 janvier. Une agence de communication a récupéré le personnage, a retravaillé son image et l'a mis sur le marché. Aujourd'hui, il est le seul et incontournable père Noël connu des enfants basques et le 6 janvier est un jour férié. Dans le Sud de l'Espagne, ce sont les rois mages qui font concurrence au père Noël à la même époque de l'année. Au Pays du soleil levant, les Japonais ne croient pas au père Noël. Par contre, ils connaissent tous Hoteiosho, l'un des sept dieux de la bonne chance dans la culture nipponne, un autre vieillard ventru et joyeux traînant sur son dos un gros sac plein de cadeaux pour les enfants nippons.
Commentaire