Nadia, Fatima et Souad. Deux Marocaines, une Algérienne. Elles ont épousé des Français, puis leur vie a tourné au cauchemar. Elles sont désormais menacées d’expulsion. La théorie et la pratique. Fin novembre, la préfecture du Gard organisait une journée sur les violences faites aux femmes et la nécessité de mieux prendre en compte la parole des victimes. Quelques jours plus tôt, la même préfecture avait signé des OQTF (obligation de quitter le territoire), c’est-à-dire un avis d’expulsion, à deux jeunes femmes… victimes de violences conjugales. Nadia, 27 ans, marocaine, et Souad, 23 ans, algérienne (1). Six mois plus tôt, c’était Fatima, une Marocaine de 47 ans, dans une situation similaire, qui recevait son OQTF de cette même préfecture. Toutes les trois avaient pourtant déposé des plaintes au commissariat contre leurs époux, des Français venus les épouser chez elles et les ayant ramenées ensuite en France, où elles ont vécu un calvaire. Plaintes classées sans suite malgré des dossiers édifiants sur la réalité des violences subies : certificats médicaux, photos de visages tuméfiés, attestations de témoins (voisins et travailleurs sociaux).
Rupture. Depuis 2012, le réseau RESF du Gard a présenté neuf dossiers de femmes étrangères battues à la préfecture. Neuf femmes arrivées en France via des mariages, parfois «forcés», et qui se sont retrouvées coincées, sans droits, face à des hommes violents. Six ont pu être finalement régularisées grâce à la pression des associations. Restent Nadia, Souad et Fatima. Denis Olagnon, le secrétaire général de la préfecture du Gard, explique que, sans «ordonnance de protection» (mesure prise par les juges en cas de violences conjugales), l’obtention d’un titre de séjour est difficile. Malgré des instructions contraires du ministre de l’Intérieur et de la ministre des Droits des femmes (lire ci-contre), qui ont multiplié les directives pour une meilleure prise en compte des femmes étrangères victimes de violences. Olagnon insiste sur le fait que ces femmes sont en situation de rupture de vie commune, ce qui change leur droit au séjour (le renouvellement du titre de séjour d’un conjoint étranger étant conditionné à la communauté de vie). De fait, soit elles ont fui le domicile conjugal, soit leur mari a demandé le divorce sitôt la première plainte déposée. «C’est proprement hallucinant : pour bénéficier de leur droit au séjour, il faudrait que ces femmes continuent à vivre avec les conjoints contre lesquels elles ont porté plainte», explique Me Gaëlle Betrom, avocate de Nadia et Souad.
«Nous, les étrangères, on n’est pas vraiment considérées comme des victimes. A la préfecture, ils pensent qu’on ne veut que des papiers. Franchement, comment peut-on penser que j’ai voulu cette vie-là ? J’étais bien chez moi.» La voix de Nadia dérape et se noie une nouvelle fois dans les larmes. Un flot continu de tristesse et de colère qui brouille son visage. Il y a quatre ans, lorsqu’elle s’est mariée, explique-t-elle, elle aurait aimé que les autorités françaises soient aussi suspicieuses qu’aujourd’hui, qu’elles s’interrogent sur l’union entre un monsieur de 73 ans, malade, et une fille de 23 ans. L’homme avait été recommandé à ses parents par un couple de touristes français. Divorcé, il vivait seul depuis longtemps, avait de l’argent et cherchait «une jeune femme marocaine». Elle n’a pas eu son mot à dire. Au Maroc, la famille de Nadia a organisé une fête de mariage, pour faire comme si et pour faire taire «ceux qui parlaient» sur cette union.
Puis elle a rejoint son «mari» en France. Et l’horreur a commencé. Une maison dans un petit village isolé du Gard. Les coups. Les insultes. Les relations sexuelles non consenties. «J’étais là pour faire le ménage le jour et l’amour la nuit.» Elle raconte un homme alcoolique et raciste. «Il disait tout le temps que les Marocains sont des chiens, qu’on vit comme des cochons, je ne comprends toujours pas pourquoi il est venu me chercher.» En juin 2012, encouragée par des travailleuses sociales qu’elle voit aux cours de français obligatoires, elle ose aller porter plainte pour violences conjugales. Le lendemain de la plainte, l’époux demande le divorce. «Ils font toujours ça, ils savent que c’est mieux pour eux s’ils ont à l’origine de la rupture», décrypte Me Betrom. En juillet dernier, il décède. Officiellement, Nadia est veuve. Sans argent (il l’a déshéritée dès 2011). Et sans droits.
Souffre-douleur. Souad, elle, a déposé neuf mains courantes et quatre plaintes entre 2012 et 2013. Toutes classées. Dans son dossier, il y a pourtant des certificats médicaux, des attestations des pompiers, de sa concierge qui raconte les cris et les coups entendus… Son histoire est un peu différente. Le mari de Souad était un cousin vivant en France qui venait régulièrement l’été en Algérie. Lorsqu’ils se sont mariés, elle était«folle de lui». En France, elle pensait finir ses études (elle est titulaire d’une licence algérienne), travailler, fonder une famille. Mais, à son arrivée, elle est devenue la «boniche» de sa belle-mère et le souffre-douleur de son mari. Le décor n’est pas celui annoncé, le mari ne travaille pas, il boit, il est violent. Après un énième épisode de violence, Souad est hébergée par une voisine. Elle pose sa première plainte. Lui demande le divorce. Ses parents en Algérie ne lui parlent plus depuis. Menace. Fatima, 47 ans, est la plus… Tous les prénoms ont été changés.
Alice GÉRAUD
Libération
Rupture. Depuis 2012, le réseau RESF du Gard a présenté neuf dossiers de femmes étrangères battues à la préfecture. Neuf femmes arrivées en France via des mariages, parfois «forcés», et qui se sont retrouvées coincées, sans droits, face à des hommes violents. Six ont pu être finalement régularisées grâce à la pression des associations. Restent Nadia, Souad et Fatima. Denis Olagnon, le secrétaire général de la préfecture du Gard, explique que, sans «ordonnance de protection» (mesure prise par les juges en cas de violences conjugales), l’obtention d’un titre de séjour est difficile. Malgré des instructions contraires du ministre de l’Intérieur et de la ministre des Droits des femmes (lire ci-contre), qui ont multiplié les directives pour une meilleure prise en compte des femmes étrangères victimes de violences. Olagnon insiste sur le fait que ces femmes sont en situation de rupture de vie commune, ce qui change leur droit au séjour (le renouvellement du titre de séjour d’un conjoint étranger étant conditionné à la communauté de vie). De fait, soit elles ont fui le domicile conjugal, soit leur mari a demandé le divorce sitôt la première plainte déposée. «C’est proprement hallucinant : pour bénéficier de leur droit au séjour, il faudrait que ces femmes continuent à vivre avec les conjoints contre lesquels elles ont porté plainte», explique Me Gaëlle Betrom, avocate de Nadia et Souad.
«Nous, les étrangères, on n’est pas vraiment considérées comme des victimes. A la préfecture, ils pensent qu’on ne veut que des papiers. Franchement, comment peut-on penser que j’ai voulu cette vie-là ? J’étais bien chez moi.» La voix de Nadia dérape et se noie une nouvelle fois dans les larmes. Un flot continu de tristesse et de colère qui brouille son visage. Il y a quatre ans, lorsqu’elle s’est mariée, explique-t-elle, elle aurait aimé que les autorités françaises soient aussi suspicieuses qu’aujourd’hui, qu’elles s’interrogent sur l’union entre un monsieur de 73 ans, malade, et une fille de 23 ans. L’homme avait été recommandé à ses parents par un couple de touristes français. Divorcé, il vivait seul depuis longtemps, avait de l’argent et cherchait «une jeune femme marocaine». Elle n’a pas eu son mot à dire. Au Maroc, la famille de Nadia a organisé une fête de mariage, pour faire comme si et pour faire taire «ceux qui parlaient» sur cette union.
Puis elle a rejoint son «mari» en France. Et l’horreur a commencé. Une maison dans un petit village isolé du Gard. Les coups. Les insultes. Les relations sexuelles non consenties. «J’étais là pour faire le ménage le jour et l’amour la nuit.» Elle raconte un homme alcoolique et raciste. «Il disait tout le temps que les Marocains sont des chiens, qu’on vit comme des cochons, je ne comprends toujours pas pourquoi il est venu me chercher.» En juin 2012, encouragée par des travailleuses sociales qu’elle voit aux cours de français obligatoires, elle ose aller porter plainte pour violences conjugales. Le lendemain de la plainte, l’époux demande le divorce. «Ils font toujours ça, ils savent que c’est mieux pour eux s’ils ont à l’origine de la rupture», décrypte Me Betrom. En juillet dernier, il décède. Officiellement, Nadia est veuve. Sans argent (il l’a déshéritée dès 2011). Et sans droits.
Souffre-douleur. Souad, elle, a déposé neuf mains courantes et quatre plaintes entre 2012 et 2013. Toutes classées. Dans son dossier, il y a pourtant des certificats médicaux, des attestations des pompiers, de sa concierge qui raconte les cris et les coups entendus… Son histoire est un peu différente. Le mari de Souad était un cousin vivant en France qui venait régulièrement l’été en Algérie. Lorsqu’ils se sont mariés, elle était«folle de lui». En France, elle pensait finir ses études (elle est titulaire d’une licence algérienne), travailler, fonder une famille. Mais, à son arrivée, elle est devenue la «boniche» de sa belle-mère et le souffre-douleur de son mari. Le décor n’est pas celui annoncé, le mari ne travaille pas, il boit, il est violent. Après un énième épisode de violence, Souad est hébergée par une voisine. Elle pose sa première plainte. Lui demande le divorce. Ses parents en Algérie ne lui parlent plus depuis. Menace. Fatima, 47 ans, est la plus… Tous les prénoms ont été changés.
Alice GÉRAUD
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