L’accueil de Ferhat abbas
Après avoir écouté, et sans objection sérieuse, avec dans la voix une note d’impatience contenue, il nous déclara, et ça continue à raisonner dans mes oreilles : « Vous ne comprenez rien ; vous ne comprenez surtout pas que je ne suis pas homme à changer de fusil d’épaule. » Ce fut le mot de la fin. Décembre 1940 ? Plus tard peut-être. On a eu, ou nous avons eu, plus de chance en 1942 après le débarquement anglo-américain du 8 novembre qui nous surprit, si tu t’en souviens, en pleine opération de récupération et de réintégration dans l’organisation d’anciens militants de l’Etoile. Nous étions partis pour sillonner le Constantinois et nous commençâmes par Sétif où était censé se trouver Si Mostefa Gasmi. Nous eûmes le temps de le retrouver, non pas à Sétif comme prévu, mais à 12 km de là, à Aïn Arnat, après une remonté épique de cette longue côte qui n’en finissait pas de crampes et d’épuisement, durant deux heures atroces, sur des vélos poussifs loués chez un cycliste, militant du parti. Puis continuant à Constantine par le train, nous trouvâmes Hocine Bellal, petit artisan menuisier qui nous accueillit dans sa modeste échoppe où nous reçûmes la nouvelle du débarquement allié et du blocage de toutes les voies de communications, notamment le chemin de fer, lequel avait été réquisitionné pour l’acheminement des troupes alliées vers la Tunisie occupée par l’armée allemande. C’est là que nous nous séparames ; je me réfugiais à Batna chez mon frère Kamel qui y avait sa pharmacie, et ce, pendant plus d’un mois au bout duquel je pus rejoindre Alger par train. La deuxième tentative auprès de Ferhat Abbas eut plus de chances. Les pourparlers avaient abouti à la décision qui confiait à Ferhat Abbas le soin de préparer un avant-projet de programme conforme à nos propositions politiques et aux données nouvelles créées par la présence des alliés dans notre espace géographique. Le Manifeste du peuple algérien, qui avait été discuté et accepté par nous, a été présenté par Ferhat Abbas aux alliés et à la délégation française qui l’ont trouvé trop extrémiste. Ce qui a incité Ferhat Abbas à rédiger, sans nous consulter, « l’additif » au manifeste ; ce que nous avons rejeté. J’arrête ici mon historique de cette période. Il fallait - dans mon projet d’apporter, tardivement il est vrai, mon témoignage sur certains aspects de notre combat, en l’occurrence durant cette période de 1940 à 1942 - que quelqu’un, qui a effectivement vécu les événements, apporte lui aussi d’éventuelles précisions, voire les rectifications nécessaires ; tant il est vrai que la relation des événements au cours de cette période d’activité essentielle de notre parti - qui eut pour protagonistes principaux, encore en vie, quelque soixante-deux années plus tard, deux personnes seulement : toi, l’aîné, et moi, ton ami dévoué, et reconnaissant de nous avoir détourné de notre noble mais aventureux projet insurrectionnel de 1940 ; relation, dis-je, d’événements qui n’a jamais fait, à ma connaissance, l’objet d’une publication complète, honnête et véridique de documents ou de témoignages - a le mérite de révéler l’existence de ce chaînon essentiel dans le redéploiement du mouvement national qu’ont été ta volonté et ton effort d’unification des forces politiques existantes ou potentielles et de participation des élites intellectuelles au combat pour l’indépendance nationale.
Le drapeau algérien flotte sur Boumerdès
Grâce à toi, pourrai-je dire, pour avoir survécu à ce jour, à travers les hauts et les bas de l’activité militante qui me placèrent à l’endroit et à l’instant le plus sublime de notre histoire, j’eus l’insigne honneur et l’avantage de recevoir, en tant que responsable du groupe FLN à l’Exécutif provisoire et représentant de l’OPRA, sur l’esplanade de Boumerdès, ce jour-là, 3 juillet 1962 à midi, les félicitations et les vœux pour l’Algérie et son peuple, du Haut-Commissaire de France, Christian Fouchet au nom du général de Gaulle, de son gouvernement et de la France, lors de la cérémonie officielle et solennelle où l’on vit le soldat français amener lentement, dans un silence religieux, d’une densité émotionnelle à couper au couteau, le drapeau tricolore, et le soldat algérien hisser, presque trop vite, ce cher drapeau vert et blanc frappé de l’étoile et du croissant rouges pour lequel tant d’hommes et de femmes ont donné leur vie. Alors je compte sur toi pour me donner ton avis avec tes remarques, tes objections s’il en existe, sur ce que nous avons fait ensemble et les paroles et opinions que j’ai pu te prêter, en faisant appel à ma seule mémoire. J’espère que ce n’est pas trop te demander. Il est tellement essentiel de combler certains vides de l’histoire dont la nature à une si profonde horreur. Je te remercie par avance et te prie de croire que ce que je regrette le plus, c’est de constater la quasi-inanité des efforts des militants sincères de notre cause et des sacrifices consentis pendant la guerre de libération de centaines de milliers d’hommes et de femmes pour aboutir à une situation que ne méritaient ni notre beau pays ni le peuple que nous avons connu.
Bien à toi, amicalement Chawki
Après avoir écouté, et sans objection sérieuse, avec dans la voix une note d’impatience contenue, il nous déclara, et ça continue à raisonner dans mes oreilles : « Vous ne comprenez rien ; vous ne comprenez surtout pas que je ne suis pas homme à changer de fusil d’épaule. » Ce fut le mot de la fin. Décembre 1940 ? Plus tard peut-être. On a eu, ou nous avons eu, plus de chance en 1942 après le débarquement anglo-américain du 8 novembre qui nous surprit, si tu t’en souviens, en pleine opération de récupération et de réintégration dans l’organisation d’anciens militants de l’Etoile. Nous étions partis pour sillonner le Constantinois et nous commençâmes par Sétif où était censé se trouver Si Mostefa Gasmi. Nous eûmes le temps de le retrouver, non pas à Sétif comme prévu, mais à 12 km de là, à Aïn Arnat, après une remonté épique de cette longue côte qui n’en finissait pas de crampes et d’épuisement, durant deux heures atroces, sur des vélos poussifs loués chez un cycliste, militant du parti. Puis continuant à Constantine par le train, nous trouvâmes Hocine Bellal, petit artisan menuisier qui nous accueillit dans sa modeste échoppe où nous reçûmes la nouvelle du débarquement allié et du blocage de toutes les voies de communications, notamment le chemin de fer, lequel avait été réquisitionné pour l’acheminement des troupes alliées vers la Tunisie occupée par l’armée allemande. C’est là que nous nous séparames ; je me réfugiais à Batna chez mon frère Kamel qui y avait sa pharmacie, et ce, pendant plus d’un mois au bout duquel je pus rejoindre Alger par train. La deuxième tentative auprès de Ferhat Abbas eut plus de chances. Les pourparlers avaient abouti à la décision qui confiait à Ferhat Abbas le soin de préparer un avant-projet de programme conforme à nos propositions politiques et aux données nouvelles créées par la présence des alliés dans notre espace géographique. Le Manifeste du peuple algérien, qui avait été discuté et accepté par nous, a été présenté par Ferhat Abbas aux alliés et à la délégation française qui l’ont trouvé trop extrémiste. Ce qui a incité Ferhat Abbas à rédiger, sans nous consulter, « l’additif » au manifeste ; ce que nous avons rejeté. J’arrête ici mon historique de cette période. Il fallait - dans mon projet d’apporter, tardivement il est vrai, mon témoignage sur certains aspects de notre combat, en l’occurrence durant cette période de 1940 à 1942 - que quelqu’un, qui a effectivement vécu les événements, apporte lui aussi d’éventuelles précisions, voire les rectifications nécessaires ; tant il est vrai que la relation des événements au cours de cette période d’activité essentielle de notre parti - qui eut pour protagonistes principaux, encore en vie, quelque soixante-deux années plus tard, deux personnes seulement : toi, l’aîné, et moi, ton ami dévoué, et reconnaissant de nous avoir détourné de notre noble mais aventureux projet insurrectionnel de 1940 ; relation, dis-je, d’événements qui n’a jamais fait, à ma connaissance, l’objet d’une publication complète, honnête et véridique de documents ou de témoignages - a le mérite de révéler l’existence de ce chaînon essentiel dans le redéploiement du mouvement national qu’ont été ta volonté et ton effort d’unification des forces politiques existantes ou potentielles et de participation des élites intellectuelles au combat pour l’indépendance nationale.
Le drapeau algérien flotte sur Boumerdès
Grâce à toi, pourrai-je dire, pour avoir survécu à ce jour, à travers les hauts et les bas de l’activité militante qui me placèrent à l’endroit et à l’instant le plus sublime de notre histoire, j’eus l’insigne honneur et l’avantage de recevoir, en tant que responsable du groupe FLN à l’Exécutif provisoire et représentant de l’OPRA, sur l’esplanade de Boumerdès, ce jour-là, 3 juillet 1962 à midi, les félicitations et les vœux pour l’Algérie et son peuple, du Haut-Commissaire de France, Christian Fouchet au nom du général de Gaulle, de son gouvernement et de la France, lors de la cérémonie officielle et solennelle où l’on vit le soldat français amener lentement, dans un silence religieux, d’une densité émotionnelle à couper au couteau, le drapeau tricolore, et le soldat algérien hisser, presque trop vite, ce cher drapeau vert et blanc frappé de l’étoile et du croissant rouges pour lequel tant d’hommes et de femmes ont donné leur vie. Alors je compte sur toi pour me donner ton avis avec tes remarques, tes objections s’il en existe, sur ce que nous avons fait ensemble et les paroles et opinions que j’ai pu te prêter, en faisant appel à ma seule mémoire. J’espère que ce n’est pas trop te demander. Il est tellement essentiel de combler certains vides de l’histoire dont la nature à une si profonde horreur. Je te remercie par avance et te prie de croire que ce que je regrette le plus, c’est de constater la quasi-inanité des efforts des militants sincères de notre cause et des sacrifices consentis pendant la guerre de libération de centaines de milliers d’hommes et de femmes pour aboutir à une situation que ne méritaient ni notre beau pays ni le peuple que nous avons connu.
Bien à toi, amicalement Chawki
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