Athéisme, foi, islamisme, Témoins de Jéhovah, wokisme... L'écrivain algérien se confie à L'Express sur sa vision - forcément iconoclaste - des religions.
C'est l'ouvrage de cette fin d'année qui fait polémique. Dans Trois jours et trois nuits (Fayard/Julliard), une dizaine d'écrivains (Pascal Bruckner, Sylvain Tesson, Jean-Paul Enthoven, Franz-Olivier Giesbert, Frédéric Beigbeder...) racontent leur séjour chez les chanoines de l'abbaye de Lagrasse, dans les Corbières, à l'initiative de l'éditeur Nicolas Diat. Une "croisade littéraire chauffée aux moines" selon Libération, qui qualifie l'ouvrage de "réactionnaire". Une "expérience mémorable" selon notre collaborateur Louis-Henri de la Rochefoucauld, qui a participé à l'aventure.
Athée, l'écrivain algérien Boualem Sansal devait lui aussi se rendre à Lagrasse, mais le Covid et un vaccin chinois l'en a empêché. Il a quand même écrit un texte pour l'ouvrage, dans lequel il revient sur son rapport aux religions.
Entretien.
Boualem Sansal : Réellement, je le regrette. Croire en quelque chose, c'est quand même passionnant. Cela mobilise des forces intérieures. Je suis arrivé à vivre mon athéisme sans difficulté, car j'ai la passion de la science et de la littérature. Mais je pense que ceux qui sont athées et n'ont pas de telles passions ont une vie plus triste.
Avez-vous été tenté par la religion ?
Très tôt, vers 16- 17 ans, je me suis posé des questions. J'ai étudié toutes les religions, le christianisme, l'islam, le judaïsme, le bouddhisme, l'ésotérisme... Mais je n'ai jamais atteint le stade de la foi. C'était simplement de la curiosité. Ça ne provoquait pas de passion religieuse chez moi, cela restait une étude comme une autre. Au bout d'un certain temps, ça m'est passé, et je me suis intéressé à d'autres choses. Mais avec l'avènement de l'islamisme en Algérie, à partir des années 1970, j'ai compris que la religion, qui est une affaire individuelle, était devenue une affaire collective compliquée, mettant en mouvement les sociétés en profondeur. Nous avons ainsi réexaminé la religion, non plus sous l'angle simplement de la quête mystique, mais comme un fait politique et social.
Vous racontez aussi que vous avez perdu de vue votre frère devenu Témoin de Jéhovah. Comment cela s'est-il passé ?
Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, nous avons vu débarquer des personnes de partout, notamment des Etats-Unis. Des Témoins de Jéhovah ont fait du porte-à-porte, toujours très polis, pour arriver à capter l'attention. Un jour, ils ont sonné chez nous. Ma mère qui est gentille, leur a offert un café. Ils ont commencé à prêcher. Au bout de deux heures, nous étions tous Témoins de Jéhovah (rires). Ma mère, ça a duré une petite semaine, parce qu'elle avait autre chose à faire. Moi, deux semaines. Mais mon frère, ça l'a complètement transformé. Il a rejoint la communauté à Alger. Nous ne nous sommes pas inquiétés. Entre le prêchi-prêcha des Témoins et celui des lendemains radieux du socialisme de Boumédiène, ça nous semblait du pareil au même.
Mais Boumédiène a été chassé par Ben Bella, qui a décrété que la révolution, c'est terminé. Le monde entier était alors en Algérie, les Cubains, les gauchistes, Bob Dylan... Toutes les filles étaient amoureuses de Che Guevara. Mais Ben Bella a chassé tout le monde. L'Algérie est alors entrée dans une zone désertique et triste. Les Témoins de Jéhovah ont dû quitter le pays, et notre frère, un soir, n'est pas rentré. Nous sommes allés à la permanence des Témoins, qui était fermée.
L'Express
C'est l'ouvrage de cette fin d'année qui fait polémique. Dans Trois jours et trois nuits (Fayard/Julliard), une dizaine d'écrivains (Pascal Bruckner, Sylvain Tesson, Jean-Paul Enthoven, Franz-Olivier Giesbert, Frédéric Beigbeder...) racontent leur séjour chez les chanoines de l'abbaye de Lagrasse, dans les Corbières, à l'initiative de l'éditeur Nicolas Diat. Une "croisade littéraire chauffée aux moines" selon Libération, qui qualifie l'ouvrage de "réactionnaire". Une "expérience mémorable" selon notre collaborateur Louis-Henri de la Rochefoucauld, qui a participé à l'aventure.
Athée, l'écrivain algérien Boualem Sansal devait lui aussi se rendre à Lagrasse, mais le Covid et un vaccin chinois l'en a empêché. Il a quand même écrit un texte pour l'ouvrage, dans lequel il revient sur son rapport aux religions.
Entretien.
Boualem Sansal : Réellement, je le regrette. Croire en quelque chose, c'est quand même passionnant. Cela mobilise des forces intérieures. Je suis arrivé à vivre mon athéisme sans difficulté, car j'ai la passion de la science et de la littérature. Mais je pense que ceux qui sont athées et n'ont pas de telles passions ont une vie plus triste.
Avez-vous été tenté par la religion ?
Très tôt, vers 16- 17 ans, je me suis posé des questions. J'ai étudié toutes les religions, le christianisme, l'islam, le judaïsme, le bouddhisme, l'ésotérisme... Mais je n'ai jamais atteint le stade de la foi. C'était simplement de la curiosité. Ça ne provoquait pas de passion religieuse chez moi, cela restait une étude comme une autre. Au bout d'un certain temps, ça m'est passé, et je me suis intéressé à d'autres choses. Mais avec l'avènement de l'islamisme en Algérie, à partir des années 1970, j'ai compris que la religion, qui est une affaire individuelle, était devenue une affaire collective compliquée, mettant en mouvement les sociétés en profondeur. Nous avons ainsi réexaminé la religion, non plus sous l'angle simplement de la quête mystique, mais comme un fait politique et social.
Vous racontez aussi que vous avez perdu de vue votre frère devenu Témoin de Jéhovah. Comment cela s'est-il passé ?
Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, nous avons vu débarquer des personnes de partout, notamment des Etats-Unis. Des Témoins de Jéhovah ont fait du porte-à-porte, toujours très polis, pour arriver à capter l'attention. Un jour, ils ont sonné chez nous. Ma mère qui est gentille, leur a offert un café. Ils ont commencé à prêcher. Au bout de deux heures, nous étions tous Témoins de Jéhovah (rires). Ma mère, ça a duré une petite semaine, parce qu'elle avait autre chose à faire. Moi, deux semaines. Mais mon frère, ça l'a complètement transformé. Il a rejoint la communauté à Alger. Nous ne nous sommes pas inquiétés. Entre le prêchi-prêcha des Témoins et celui des lendemains radieux du socialisme de Boumédiène, ça nous semblait du pareil au même.
Mais Boumédiène a été chassé par Ben Bella, qui a décrété que la révolution, c'est terminé. Le monde entier était alors en Algérie, les Cubains, les gauchistes, Bob Dylan... Toutes les filles étaient amoureuses de Che Guevara. Mais Ben Bella a chassé tout le monde. L'Algérie est alors entrée dans une zone désertique et triste. Les Témoins de Jéhovah ont dû quitter le pays, et notre frère, un soir, n'est pas rentré. Nous sommes allés à la permanence des Témoins, qui était fermée.
L'Express
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