Moi Naïm, 24 ans, futur rabbin d’Algérie
le 13.07.12 | 10h00
zoom | © Saâd
L’Algérie, pour laquelle ils ont participé à la libération, est leur patrie. Avec les Algériens, ils partagent tout à l’exception de... la religion. Eux, ce sont les juifs d’Algérie. Aujourd’hui, ils continuent encore de se cacher pour mieux vivre. Portrait d’un jeune qui a choisi de sortir de son silence.
Je n’ai que 24 ans. Mais j’ai déjà passé l’essentiel de ma vie à me cacher. A cacher mon secret, celui de ma famille, de mes semblables. Je suis Algérien. Avec mes concitoyens, je partage le ciel, la mer, la terre, les joies et les tristesses. Mais pas la religion. Aujourd’hui, après des études de droit, je pars à l’étranger pour intégrer une école hébraïque afin d’approfondir mes connaissances et me spécialiser dans l’étude du culte nord-africain et du judaïsme algérien en particulier. Je voudrais devenir le futur rabbin d’Algérie pour qu’enfin, un jour, nous puissions célébrer la foi en hachem sur cette terre, en liberté, dans la sérénité et dans le partage, en respectant les lois de la République et du vivre-ensemble.
Je m’appelle Naïm et je suis juif toshavim. Je suis né un certain été 1988 à Alger. Il faisait beau. Rien n’indiquait que l’automne allait prendre un dramatique tournant dans la vie tourmentée de mon pays. Malgré cela, ma famille a toujours refusé de quitter l’Algérie et est restée liée à son histoire depuis des siècles. En 1962, alors que de nombreux juifs partaient dans la précipitation, emportés par les bruits qui couraient selon lesquels les juifs seraient tous «massacrés», mon grand-père décida de rester. «Ici, c’est notre terre. Elle a vu naître tes parents et tes aïeuls et nous n’avons nulle part où aller», répétait-il à chaque discussion.
Mes parents étaient bien tentés de faire leur alya en Israël, mais mon grand-père les en a dissuadés. «En 1963, Israël avait interdit aux Algériens de faire l’alya comme les autres juifs du monde. Le procès intenté au judaïsme algérien et aux juifs d’Algérie en 1963 à Jérusalem était une honte et un mépris envers nous. Sous prétexte que nous n’avons pas fait l’alya en masse et que nous étions particuliers. Mais nous sommes fiers d’être ce que nous sommes. Il ne faut rien espérer des autres. Faisons confiance à nos frères algériens. Promets-moi de rester ici coûte que coûte, mon fils», disait-il à mon père.
Engagement
Mon grand-père, à l’époque commerçant à Znikat Laârayass dans La Basse Casbah, aidait ses frères moudjahidine. Son frère s’était même engagé dans l’Armée de libération nationale. C’est un chahid. Aujourd’hui encore, les vieux et les vieilles de La Casbah se souviennent de l’engagement de ma famille dans la Révolution. La France nous a causé du tort, car elle nous a assimilés puis francisés par ce sordide décret Crémieux*. «La France interdisait à nos frères juifs d’être enterrés sur son sol. Avec ce décret, elle voulait nous séparer de nos frères musulmans et nous mettre dans l’embarras», expliquait doctement mon grand-père. Il portait l’Algérie dans son cœur et ne voyait pas d’autres cieux que celui d’Alger. Il était fier d’être Algérien et n’acceptait aucune autre appellation, refusant les étiquettes «juifs d’Algérie», «juifs d’origine algérienne» ou encore «communauté israélite ou juive d’Algérie».
Il aimait lamhadjab, zlabia et makrout. El Hadj El Anka égayait ses jours et ses soirées. Le chaâbi était sa musique favorite et Edmond Yafil, un de ses grands amis. Mon père, lui, était un homme discret qui avait tout le temps peur. C’était un fonctionnaire ambitieux qui, malheureusement, fut écarté des hautes fonctions de l’Etat à cause de son appartenance juive, découverte après de longues enquêtes d’éligibilité faites par les services de sécurité. Il ne nous a rien appris du halakha. Je me souviendrai toujours de cette anecdote. J’avais 6 ans et un jour que je l’accompagnais à la pêcherie, nous sommes passés devant la grande mosquée de Sahat Echouhada. Des barbus étaient en train de manifester devant la grande mosquée. Je contemplais cette magnifique mosquée blanche, ses ornements, quand soudain, j’aperçus des étoiles à six branches : «Regarde cette étoile, elle est bizarre, elle a six branches !, elle ressemble à celle accrochée au mur de ta chambre !» «Un jour, tu comprendras, mon fils !», me lança mon père, le regard fuyant, après un long moment de silence.
Pas comme les autres
Je me souviens de l’école, des premières leçons d’alphabet arabe. Puis des cours d’éducation islamique. Nous commencions à réciter Echahada et la Fatiha. Quelque chose d’inhabituel à mes oreilles. La tonalité était la même, mais les mots étaient différents de ceux que ma mère utilisait pour prier le soir ou le jour de shabbat. Le soir, à table, ma mère me sentit perturbé. Elle me posa des questions, mais je ne pus rien lui dire. J’attendais le moment où je la verrai s’asseoir et prier devant une bougie. C’est à ce moment-là que je compris que ma mère ne récitait pas le Coran et parlait bien une autre langue que l’arabe. Elle faisait son dafayoumi. Devant mon silence obstiné, me croyant hanté par un esprit, elle décida de me soigner avec la parole de Dieu. Elle récita des dafa et jeta de l’eau partout jusqu’à ce que je craque et que je lui raconte : «A l’école, nous avons appris le Coran et comment faire la prière. Mais je t’ai observée et tu ne faisais pas ce qu’on nous dit de faire à l’école !» Elle resta stupéfaite puis éclata en sanglots : «Nous ne sommes pas comme les autres ! Nous sommes juifs, mon fils ! Que Dieu te protège !»
(à suivre )
le 13.07.12 | 10h00
zoom | © Saâd
L’Algérie, pour laquelle ils ont participé à la libération, est leur patrie. Avec les Algériens, ils partagent tout à l’exception de... la religion. Eux, ce sont les juifs d’Algérie. Aujourd’hui, ils continuent encore de se cacher pour mieux vivre. Portrait d’un jeune qui a choisi de sortir de son silence.
Je n’ai que 24 ans. Mais j’ai déjà passé l’essentiel de ma vie à me cacher. A cacher mon secret, celui de ma famille, de mes semblables. Je suis Algérien. Avec mes concitoyens, je partage le ciel, la mer, la terre, les joies et les tristesses. Mais pas la religion. Aujourd’hui, après des études de droit, je pars à l’étranger pour intégrer une école hébraïque afin d’approfondir mes connaissances et me spécialiser dans l’étude du culte nord-africain et du judaïsme algérien en particulier. Je voudrais devenir le futur rabbin d’Algérie pour qu’enfin, un jour, nous puissions célébrer la foi en hachem sur cette terre, en liberté, dans la sérénité et dans le partage, en respectant les lois de la République et du vivre-ensemble.
Je m’appelle Naïm et je suis juif toshavim. Je suis né un certain été 1988 à Alger. Il faisait beau. Rien n’indiquait que l’automne allait prendre un dramatique tournant dans la vie tourmentée de mon pays. Malgré cela, ma famille a toujours refusé de quitter l’Algérie et est restée liée à son histoire depuis des siècles. En 1962, alors que de nombreux juifs partaient dans la précipitation, emportés par les bruits qui couraient selon lesquels les juifs seraient tous «massacrés», mon grand-père décida de rester. «Ici, c’est notre terre. Elle a vu naître tes parents et tes aïeuls et nous n’avons nulle part où aller», répétait-il à chaque discussion.
Mes parents étaient bien tentés de faire leur alya en Israël, mais mon grand-père les en a dissuadés. «En 1963, Israël avait interdit aux Algériens de faire l’alya comme les autres juifs du monde. Le procès intenté au judaïsme algérien et aux juifs d’Algérie en 1963 à Jérusalem était une honte et un mépris envers nous. Sous prétexte que nous n’avons pas fait l’alya en masse et que nous étions particuliers. Mais nous sommes fiers d’être ce que nous sommes. Il ne faut rien espérer des autres. Faisons confiance à nos frères algériens. Promets-moi de rester ici coûte que coûte, mon fils», disait-il à mon père.
Engagement
Mon grand-père, à l’époque commerçant à Znikat Laârayass dans La Basse Casbah, aidait ses frères moudjahidine. Son frère s’était même engagé dans l’Armée de libération nationale. C’est un chahid. Aujourd’hui encore, les vieux et les vieilles de La Casbah se souviennent de l’engagement de ma famille dans la Révolution. La France nous a causé du tort, car elle nous a assimilés puis francisés par ce sordide décret Crémieux*. «La France interdisait à nos frères juifs d’être enterrés sur son sol. Avec ce décret, elle voulait nous séparer de nos frères musulmans et nous mettre dans l’embarras», expliquait doctement mon grand-père. Il portait l’Algérie dans son cœur et ne voyait pas d’autres cieux que celui d’Alger. Il était fier d’être Algérien et n’acceptait aucune autre appellation, refusant les étiquettes «juifs d’Algérie», «juifs d’origine algérienne» ou encore «communauté israélite ou juive d’Algérie».
Il aimait lamhadjab, zlabia et makrout. El Hadj El Anka égayait ses jours et ses soirées. Le chaâbi était sa musique favorite et Edmond Yafil, un de ses grands amis. Mon père, lui, était un homme discret qui avait tout le temps peur. C’était un fonctionnaire ambitieux qui, malheureusement, fut écarté des hautes fonctions de l’Etat à cause de son appartenance juive, découverte après de longues enquêtes d’éligibilité faites par les services de sécurité. Il ne nous a rien appris du halakha. Je me souviendrai toujours de cette anecdote. J’avais 6 ans et un jour que je l’accompagnais à la pêcherie, nous sommes passés devant la grande mosquée de Sahat Echouhada. Des barbus étaient en train de manifester devant la grande mosquée. Je contemplais cette magnifique mosquée blanche, ses ornements, quand soudain, j’aperçus des étoiles à six branches : «Regarde cette étoile, elle est bizarre, elle a six branches !, elle ressemble à celle accrochée au mur de ta chambre !» «Un jour, tu comprendras, mon fils !», me lança mon père, le regard fuyant, après un long moment de silence.
Pas comme les autres
Je me souviens de l’école, des premières leçons d’alphabet arabe. Puis des cours d’éducation islamique. Nous commencions à réciter Echahada et la Fatiha. Quelque chose d’inhabituel à mes oreilles. La tonalité était la même, mais les mots étaient différents de ceux que ma mère utilisait pour prier le soir ou le jour de shabbat. Le soir, à table, ma mère me sentit perturbé. Elle me posa des questions, mais je ne pus rien lui dire. J’attendais le moment où je la verrai s’asseoir et prier devant une bougie. C’est à ce moment-là que je compris que ma mère ne récitait pas le Coran et parlait bien une autre langue que l’arabe. Elle faisait son dafayoumi. Devant mon silence obstiné, me croyant hanté par un esprit, elle décida de me soigner avec la parole de Dieu. Elle récita des dafa et jeta de l’eau partout jusqu’à ce que je craque et que je lui raconte : «A l’école, nous avons appris le Coran et comment faire la prière. Mais je t’ai observée et tu ne faisais pas ce qu’on nous dit de faire à l’école !» Elle resta stupéfaite puis éclata en sanglots : «Nous ne sommes pas comme les autres ! Nous sommes juifs, mon fils ! Que Dieu te protège !»
(à suivre )
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