REPONSES A RACHID BENYELLES
par ALI MEBROUKINE *
C’est un réquisitoire implacable, aux accents martiaux, qu’a instruit contre le Président Bouteflika le général à la retraite Rachid Benyellès (ex-SG du MDN et ex-ministre des Transports), dans le quotidien El Watan du 8 novembre 2008, titrant son article «Non à un troisième mandat».Qui ne souscrirait au pathétique état de lieux (politique, économique, social et culturel) dressé par le général Benyelles, au moment où, paradoxalement, le Trésor public engrange les retombées inespérées de la rente pétrolière, grâce à la plus forte et la plus longue hausse du prix de l’énergie jamais enregistrée dans l’histoire. Qui n’approuverait la dénonciation des errements de la politique algérienne, de la mauvaise gouvernance qui se traduit par une gestion chaotique des ressources inestimables que recèle ce pays, qu’elles soient humaines ou matérielles. Qui ne déplorerait l’indigence des résultats obtenus dans tous les domaines au regard des atouts dont le pays dispose dans un contexte régional apaisé, à l’exception de l’hypothèque sahraouie. L’Algérie possède tous les moyens pour devenir un pays émergent et une puissance régionale. Pourtant, non seulement elle n’en prend pas le chemin mais d’aucuns redoutent qu’elle ne s’enferre dans une dangereuse involution, notamment pour les générations futures. Rachid Benyelles a décliné l’essentiel des maux dont souffre le pays et qui répandent, auprès de l’Algérie laborieuse (celle dont on ne parle pratiquement jamais) un climat de pessimisme proche de la désespérance. Il est cependant à craindre que le brillant exercice auquel s’est livré Rachid Benyelles ne porte à faux sur le point le plus fondamental de son argumentaire, à savoir celui des forces politiques qui dirigent réellement l’Algérie et ce, depuis 1962 et non pas seulement depuis 1999.
A lire attentivement le texte de Rachid Benyelles, le lecteur algérien non averti (mais existe-t-il encore ?) aura le sentiment que depuis 1999, tout procède du Président Bouteflika et de lui seul. A suivre Rachid Benyelles, le président de la République se serait lui-même installé aux commandes de l’Etat en 1999. Il aurait imposé sa candidature pour un deuxième mandat à tout le monde (y compris à l’institution militaire), puis pris les mesures adéquates pour s’assurer plus de 75 % des suffrages, dès le premier tour du scrutin.
Enfin, il aurait décidé, faisant violence au sentiment des populations et la classe politique, rusant autant avec une maladie au pronostic sombre qu’avec son âge, de s’installer, ad vitam aeternam, à la faveur d’une modification de la Constitution, à la tête de l’Etat.
D’abord, les comparaisons que Rachid Benyelles établit entre, d’une part, Abdelaziz Bouteflika, Bimarck, Pierre le Grand ou Houari Boumediène sont assez déplacées en ce sens qu’elles font litière du contexte socio-historique dans lequel ces acteurs ont assumé la destinée de leurs peuples respectifs. Rachid Benyelles cède ici au péché de l’anachronisme qui est rédhibitoire en histoire. Il importe peu en définitive, qu’on ne puisse comparer le président algérien actuel à tel ou tel illustre homme d’Etat étranger ou algérien. Ce qui seul compte est de savoir à quelles conditions un homme politique entre dans l’histoire : en servant l’intérêt général de ses mandants ? En propulsant son pays aux avant-postes de l’économie, du savoir ? En respectant la démocratie et les libertés ? En cédant aux sirènes du populisme et en instrumentalisant les valeurs fondamentales de la société. Depuis décembre 2004, Rachid Benyelles n’est pas intervenu une seule fois sur la scène médiatique pour dénoncer les errements du pouvoir et proposer des solutions aux problèmes concrets des Algériens. Déjà son intrusion massive à l’occasion de l’élection présidentielle de 2004 n’avait eu d’égale que le mutisme dans lequel il s’était réfugié depuis son départ du gouvernement, après les événements d’octobre 1988. Maintes occasions lui avaient pourtant été données de s’apitoyer sur le sort du peuple algérien. Aujourd’hui, celui-ci serait menacé par l’ambition débridée d’un président de la République que des pans entiers de la population ne dépeignent pourtant guère en dictateur autiste.
Ceci dit, si le diagnostic établi par Rachid Benyelles est le bon, Abdelaziz Bouteflika n’a pas le monopole de la responsabilité du marasme dont souffre l’Algérie et de la faillite du système. Il s’en faut de beaucoup. Abdelaziz Bouteflika est revenu aux affaires qu’en 1999. Rachid Benyelles soutiendra-t-il que la situation de l’Algérie était florissante, à ce moment-là ou qu’à tout le moins elle augurait d’une amélioration substantielle, avec un président de la République, Liamine Zeroual, constamment empêché d’agir, alors qu’il avait la légitimité démocratique. Combien Rachid Benyelles se serait-il honoré, s’il avait, en son temps, dénoncé les entraves créées au Président Liamine Zeroual et combien se serait-il grandi s’il avait seulement rappelé que Liamine Zeroual est le seul chef d’un Etat arabe indépendant à avoir été élu démocratiquement et qu’enfin ceux qui l’avaient poussé vers la sortie avaient commis une faute majeure contre la volonté populaire. Abdelaziz Bouteflika est-il le maître d’oeuvre des différents clans et factions qui se disputent la conquête du pouvoir depuis 1962, pour ne pas remonter plus loin dans le temps ? Ou alors que Rachid Benyelles nous dise que le président de la République n’est qu’un chef de clan qui a réussi à avoir barre sur les autres chefs de clans, soit à l’issue d’une épreuve de force soit dans le cadre d’un jeu de concessions réciproques qui s’inscrit dans la plus pure tradition politique algérienne.
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