Je suis très heureux que le film «Indigènes» n'ait eu aucune récompense à la cérémonie des oscars. Que ce film ait été présenté sous l'égide de l'Algérie est une ignominie.
Ce film de Rachid Bouchareb, fortement influencé par Jamel Debbouze, a reçu un accueil triomphal en France. Toute la classe politique française l'a salué. Un tel consensus, pour une oeuvre qui prétendait déterrer les fantômes du passé, avait de quoi inquiéter. La vision du film confirme cette inquiétude. On y voit de braves paysans algériens, marocains... se précipitant dans des camions pour aller «sauver la mère patrie du nazisme». Quand on sait que ces paysans, particulièrement en Algérie, ne bénéficiaient même pas de la citoyenneté du pays qu'ils allaient défendre, cela laisse rêveur. Ce n'est pas fini. Les discriminations sont à peine esquissées. Elles se réduisent en fait à de sombres histoires de partage de tomates et d'échelle des soldes. On y voit des combattants héroïques défendre jusqu'à la mort une position dans un village alsacien. Ils ne savent même pas pourquoi ils meurent. Rien n'est dit de la situation de leurs villages natals, de leurs terres expropriées, de l'arbitraire colonial.
Que Bouchareb et consorts veuillent réécrire une histoire complaisante, c'est leur affaire. Qu'ils veuillent caresser l'opinion française dans le sens du poil, c'est de leur responsabilité. Qu'ils s'inscrivent dans le cadre rassurant pour la France d'une colonisation décrite comme une parenthèse, somme toute pas si tragique, de la grande histoire de France, c'est peut-être le prix qu'ils estiment devoir payer pour leur intégration. En aucun cas, ce ramassis de lieux communs et de mensonges historiques ne pourrait prétendre à représenter si peu que ce soit la réalité de la colonisation. Bien sûr, ils proclament urbi et orbi qu'ils ont obtenu la «décristallisation» des pensions. Cette décristallisation va coûter 100 millions d'euros au budget de la France, soit une somme strictement équivalente à celle que l'Etat va engager pour... aider les fumeurs à arrêter de fumer. De plus, cette dépense va diminuer très rapidement, pour des raisons purement biologiques. En effet, le nombre de pensionnés se réduit comme peau de chagrin chaque année en raison de leur âge respectable.
Est-ce que cette «conquête» valait de corrompre le discours historique ? Certes non. C'est vraiment offrir à l'ancienne puissance coloniale une déculpabilisation à vil prix. De plus, il y a un autre effet pervers dans ce film. La publicité dont il a bénéficié interdira de fait, et pour des années, l'émergence d'une oeuvre à la hauteur de la tragédie coloniale. Parler des massacres du 8 Mai 1945, jour de la victoire sur le nazisme, sera perçu comme une obscénité. Parler des combats pour l'indépendance, dire que les dizaines de milliers de combattants «indigènes» ont été entraînés par la force ou la misère, reviendrait à rompre avec cette belle image d'une France aimée de ces sujets qu'elle massacrait plus souvent qu'à son tour.
Comment l'Algérie peut-elle cautionner un travail de sape de la mémoire et de l'histoire ? Comment l'Algérie accepte-t-elle, pour une statuette de toute façon perdue, d'être représentée par une oeuvre qui nie son existence et sa profondeur ? Il y a de quoi rester pantois !
Par B. Senouci- le quotidien d'Oran
Ce film de Rachid Bouchareb, fortement influencé par Jamel Debbouze, a reçu un accueil triomphal en France. Toute la classe politique française l'a salué. Un tel consensus, pour une oeuvre qui prétendait déterrer les fantômes du passé, avait de quoi inquiéter. La vision du film confirme cette inquiétude. On y voit de braves paysans algériens, marocains... se précipitant dans des camions pour aller «sauver la mère patrie du nazisme». Quand on sait que ces paysans, particulièrement en Algérie, ne bénéficiaient même pas de la citoyenneté du pays qu'ils allaient défendre, cela laisse rêveur. Ce n'est pas fini. Les discriminations sont à peine esquissées. Elles se réduisent en fait à de sombres histoires de partage de tomates et d'échelle des soldes. On y voit des combattants héroïques défendre jusqu'à la mort une position dans un village alsacien. Ils ne savent même pas pourquoi ils meurent. Rien n'est dit de la situation de leurs villages natals, de leurs terres expropriées, de l'arbitraire colonial.
Que Bouchareb et consorts veuillent réécrire une histoire complaisante, c'est leur affaire. Qu'ils veuillent caresser l'opinion française dans le sens du poil, c'est de leur responsabilité. Qu'ils s'inscrivent dans le cadre rassurant pour la France d'une colonisation décrite comme une parenthèse, somme toute pas si tragique, de la grande histoire de France, c'est peut-être le prix qu'ils estiment devoir payer pour leur intégration. En aucun cas, ce ramassis de lieux communs et de mensonges historiques ne pourrait prétendre à représenter si peu que ce soit la réalité de la colonisation. Bien sûr, ils proclament urbi et orbi qu'ils ont obtenu la «décristallisation» des pensions. Cette décristallisation va coûter 100 millions d'euros au budget de la France, soit une somme strictement équivalente à celle que l'Etat va engager pour... aider les fumeurs à arrêter de fumer. De plus, cette dépense va diminuer très rapidement, pour des raisons purement biologiques. En effet, le nombre de pensionnés se réduit comme peau de chagrin chaque année en raison de leur âge respectable.
Est-ce que cette «conquête» valait de corrompre le discours historique ? Certes non. C'est vraiment offrir à l'ancienne puissance coloniale une déculpabilisation à vil prix. De plus, il y a un autre effet pervers dans ce film. La publicité dont il a bénéficié interdira de fait, et pour des années, l'émergence d'une oeuvre à la hauteur de la tragédie coloniale. Parler des massacres du 8 Mai 1945, jour de la victoire sur le nazisme, sera perçu comme une obscénité. Parler des combats pour l'indépendance, dire que les dizaines de milliers de combattants «indigènes» ont été entraînés par la force ou la misère, reviendrait à rompre avec cette belle image d'une France aimée de ces sujets qu'elle massacrait plus souvent qu'à son tour.
Comment l'Algérie peut-elle cautionner un travail de sape de la mémoire et de l'histoire ? Comment l'Algérie accepte-t-elle, pour une statuette de toute façon perdue, d'être représentée par une oeuvre qui nie son existence et sa profondeur ? Il y a de quoi rester pantois !
Par B. Senouci- le quotidien d'Oran
Commentaire