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Histoire de l'Algérie médiévale - le 10e siècle après. J.-C.

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  • #16
    15. Règne de Mohamed al-Qā'im (934-946) :

    Abū-l-Qāsim Mohamed b. Ubaydallāh hérite du trône Fatimide à l'âge de 40 ans. Comme on l'avait vu plus haut, il est né en Syrie du temps où son père était encore l'imām caché des Ismaéliens à Salamiyya, et qu'il accompagna tout au long des péripéties qui vont le mener au Maghreb au tout début du siècle, là où le jeune prince va s'établir à la fin de l'enfance. Désigné très tôt comme successeur au trône, il fut très actif et très visible du vivant de son père, menant personnellement les armées Fatimides à plusieurs occasions.

    Mais, paradoxalement, une fois au pouvoir, al-Qā’im ne va plus jamais se montrer en publique et restera tout au long de son règne caché dans son palais à Mahdiyya, et n'étant plus directement qu'à une poignée de collaborateurs directes. On ignore les raisons de cette étrange attitude, mais il se pourrait qu'il eut tout simplement voulu perpétuer me culte des Ismaéliens pour le secret et le mystère.

    Quoi qu'il en soit, le début du règne est plutôt tranquille, mais un développement dans sa politique maghrébine va être particulièrement impactant pour l'histoire ultérieure de l'Algérie et du Maghreb : l'alliance avec Zīri b. Mannād a-Sanhāji.

    Nous allons y consacrer un peu d'espace avant de revenir à la trame générale ...

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    Dernière modification par Harrachi78, 15 novembre 2022, 13h03.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    • #17
      16. Sanhāja, Zirīdes et Fatimides :

      a. Qui sont les Sanhāja ?

      Sanhāja est la forme arabisée de Znāga (pl. Iznāguen), nom d'un grand groupement de clans Berbères qui comptait, dit-on, près de 70 tribus. Ils se divisaient en deux branches distinctes :

      - D'un côté les Sanhāja du Maghreb Central, agriculteurs sédentaires vivant dans des villages sur un territoire qui recouvrait globalement le S. Algérois actuel : le Titteri au sens large à l'O., la Mitidja et la Grande-Kabylie au N. et les confins du Hodna à l'E. D'autres groupes sédentaires, mais bien plus restreints, son aussi signalés dans la région du Rif marocain à cette époque, mais c'est uniquement le premier groupe qui nous intéresse à ce stade.

      - D'un autre côté, les Sanhāja du Sahara Occidental, grands nomades chameliers dont le territoire de parcours s'étendait sur ce qui est la Mauritanie et le Sahara-Occidental de nos jours. Nous les recroiserons au cours du siècle à venir.



      Ces Sanhāja du Maghreb Central, nous les avions croisés -à l'occasion- au cours des deux siècles précédents, mais plus comme figurants de l'histoire régionale que comme acteurs. Ils étaient déjà installés dans la région depuis un certain temps au moment où commençait la conquête musulmane au 7e siècle, et leur caractère sédentaire fait qu'ils n'ont pas participé aux grands mouvements de tribus qui ont caractérisé les groupes Zenāta, tous nomades, au cours de ces trois siècles précédents comme nous l'avions vu dans les précédents topics, et qui étaient justement leurs ennemis jurés.

      La parenté des Sanhāja avec les Kutāma est très probable mais pas très clairs. Les deux groupes avaient en tout cas des identités propres à cette époque, alors que les Sanhāja sahariens étaient probablement une branche anciennement détachée du noyeau central et convertie à la vie nomade à un moment inconnu de l'Histoire, mais certainement antérieur à l'époque islamique, ou à l'inverse, les Sanhāja du Maghreb Central seraient une branches détachée du Sahara et sedentarisée dans le centre de l'Algérie à une époque inconnue. Dieu seul sait.

      Parmi les dizaines de tribus qui constituaient le groupe Sanhāja du Maghreb Central, on comptait les Zawāwa de notre actuelle Kabylie. Mais, le clan dominant à l'époque qui nous intéresse ici était celui des Talkāta qui comptait à son tour diverses fractions : Matennān, Wannūgha, Mazghanna (celle qui habitait Alger à l'époque) ... etc., et dont le centre de gravité se situait alors autour du Djabal Titteri (Kaf Lakhdar de nos jours). C'est de ce groupe que va sortir la figure qui, d'un seul coup, va propulser les Sanhāja au devant de la scène politique au Maghreb : Zīri b. Mannād.

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      Dernière modification par Harrachi78, 21 novembre 2022, 22h10.
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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      • #18
        b. Qui est Zīri ?

        Le premier chef des Talkāta dont les sources ont gardé trace est un certain Mannād b. Manqūsh. Il aurait vécu à la fin de l'époque Aghlabide/Rustomide et serait déjà mort lors de la prise du pouvoir au Maghreb par les Fatimide en 909. Nous ne savons pour ainsi dire rien à son sujet, si ce n'est qu'il avait un fils nommé Zīri, paré de toutes les qualités physiques et morales d'un héros, qui parvint en peu de temps à soumettre toutes les autres tribus sanhājiennes au pouvoir des Talkāta.

        Cela airait eu lieu dans les années 920, ce qui coïncida avec la guerre que menait le nouveau pouvoir Fatimide, en 917-931, contre les groupes zenètes de Maghrāwa et Bani Ifrān au Maghreb Central (Centre et O. algériens), et dans laquelle ils avaient d'abord pris pour alliés les Meknāsa de Tāhert, eux aussi des Zenètes, le tout dans contexte de lutte par procuration entre les califes Ommeyyades en Andalus et ceux Fatimides au Maghreb. En bon politique, Zīri entrevoit l'opportunité pour lui et son peuple, et il saisit l'occasion : en se rangeant du côté Fatimide, il s'assure une position politique de choix, tout en ayant loisir et soutien pour combattre les Maghrāwa et les nomades Zanāta de manière générale, ennemis jurés des Sanhāja, qui tuent le gouverneur Fatimide de Tāhert en 924 et qui deviennent ensuite les alliés officiels des Ommeyyades au Maghreb Central et Extrême (Maroc) à partir de 927.



        A ce moment précis, Zīri b. Mannād a-Talkāti avait achevé la soumission de tous les clans de Sanhāja à son pouvoir, et se lance aussitôt dans une campagne inédite contre les Zenètes, parvenant aussi loin que dans le territoire marocain des Maghīla près de Fès, avant de rentrer au Titteri avec un énorme butin dont plusieurs centaines de chevaux pris à l'ennemi. Or, les années 928-932 sont difficiles pour les Fatimides en Occident : les Meknāsa de Tāhert s'avèrent incapables d'éliminer Mohamed b. Khazar et ses Maghrāwa, tandis que les Meknāsa du Maroc dont le chef, Mūsa b. Abī-l-3āfiya, avait été nommé gouverneur de Fès pour le compte de son cousin de Tāhert, se tournent eux aussi vers l'alliance ommeyyade après avoir pris Tlemcen au passage.

        Devenu calife en 934, Muhammad al-Qā'im rassemble les moyens nécessaires à la restauration de l'ordre Fatimide dans les territoires occidentaux. Mais, les Fatimides ont appris depuis le temps que, pour cette partie très peu urbanisée du Maghreb, le territoire sera systématiquement reperdu après le départ n'importe quelle armée victorieuse, et que la seule manière d'y garder pied pour l'Empire est d'y trouver un allié local suffisamment fort pour contrebalancer la mainmise des nomade Zenāta sur le pays. C'est ainsi que Zīri b. Mennād et les Sanhāja se sont imposés comme choix incontournable pour le pouvoir fatimide, de même que le parti Fatimide parut l'opportunité idoine à Zīri pour faire des Sanhāja une force majeure après avoir toujours subi les événements et rien de plus.

        Cette association entre le clan Ziride et la maison Fatimide va ainsi durer un siècle entier, et elle fera désormais l'arrière plan à tous les événements qui vont faire notre histoire à venir, et tant algérienne que tunisienne. Mais, pour l'heure, nous allons nous arrêter au point de départ symbolique de la puissance Ziride et donc de l'hégémonie future des Sanhāja du Maghreb Central sur le reste du Maghreb : la fondation de la ville d'Ashīr en 936.

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        Dernière modification par Harrachi78, 15 novembre 2022, 19h30.
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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        • #19
          c. Fondation d'Achīr (936) :

          Zīri b. Mannād avait clairement de grandes ambitions politiques, et la première étape sur ce chemin sera de se faire bâtir une résidence digne du statut quasi royal qu'il s'était forgé. On a vu que, concernant le territoire algérien, les deux derniers siècles virent la fondation de plusieurs villes : Tāhert par les Rustomides, Ténès et Oran par les Andalousiens, Msila par les Fatimides. Avec Achīr, ça sera pour la première fois l'iniative d'un chef berbère qui est à l'origine de la fondation. Cela illustre une certaine évolution, tant politique que sociale, dans un Maghreb Central qui était jusque-là très peu porté sur les centres urbains et où prévalait essentiellement le mode de vie nomade et semi-nomade. C'est donc une étape dans notre histoire.

          Ainsi, en 935, Zīri ordonne l'entame du chantier d'une ville totalement neuve, au cœur même du territoire des Talkāta dans le Titteri. Des cohortes de maçons et d'artisans sont amenés de la ville la plus proche du lieu, soit Sūq-Hamza (Bouira), ainsi que des principales villes du Zāb, Tobna et Msila. Il demande ensuite au calife al-Qā’im de le pourvoir en matériaux non disponibles dans la région, notamment le fer, mais aussi d'artisans d'Ifrīqiyya et du meilleur architecte de sa cour. Le site choisi était une forteresse naturelle, sorte de nid-d'aigle inexpugnable sur le flanc du Mont Titteri (Kaf Lakhdar), très facilement défendable et dont l'alimentation en eau était assurée par deux sources.

          La ville sera détruite deux siècles plus tard comme nous le verrons le moment venu. Le site redeviendra alors à sa vocation agro-pastorale d'origine et le restera jusqu'à nos jours. Mais, l'archéologie nous a tout de même livré les vestiges d'un des principaux bâtiments de la cité, le palais de Zīri :





          L'édifice est une réplique en plus petit du palais califal à Mahdiyya. La parrure est relativement sobre, mais les influences orientales sont claires, comme pour toute l'architecture fatimide, de même que des restes d'architecture romaine sur certains aspects. Il s'agit en fait des balbutiements d'une architecture proprement maghrébine en devenir.

          La ville elle-même, entourée d'une puissante muraille, est inaugurée en 936. Zīri y transporte toute sa suite, son clan et ses trésors, et pour la peupler il fait venir des notables, des juristes et des commerçants de Sūq-Hamza, Msila et Tobna, en même temps qu'il attirait les villageois Sanhājiens de la région, leur offrant une sécurité permanente contre les interminables raides des nomades Zenāta.

          Mais, l'effort de Zīri ne s'arrêta pas la construction d'une ville. Il entendait bien transformer le mode de vie de son peuple à tous les niveaux. Ainsi, alors que l'économie locale était jusque-là exclusivement basée sur le troc en natur, surtout en chameaux, vaches et brebis, le chef Sanhāji mit en place un atelier de frappe et institua les premières monnaies, qu'il utilisait notamment pour payer la solde des troupes régulière qu'il avait recruté et établi à Achīr, et dont la circulation va vite entraîner l'integration de cette région dans le circuit économique du Maghreb de l'époqie, et transformer en quelques années la nouvelle cité en un important carrefour du commerce.

          En somme, par la volonté d'un seul homme, énergique et résolu, tout ce qui est aujourd'hui la région centre de l'Algérie se transforma en une puissante principauté, siège d'une nouvelle dynastie berbère appelée à un grand avenir : les Zirīdes.

          Revenons maintenant à l'E. du pays, là où de grands événements étaient sur le point de voir le jour ...

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          Dernière modification par Harrachi78, 17 novembre 2022, 13h37.
          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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          • #20
            17. Abū-Yazīd Makhlad :

            Pendant que Zīri b. Mannād a-Sanhāji faisait son ascension politique dans le Centre de l'Algérie dans les années 920-940, un autre homme menait son propre combat dans l'E., mais en s'illustrant comme ennemi implacable des Fatimides et non comme leur allié.

            Abū-Yazīd Makhlad b. Kaydād al-Ifrāni était un personnage hors du commun. Comme son nom l'indique, il était issu de la tribu zenète des Bani Ifrān, des Kharrijites de la première heure au Maghreb, qu'on avait laissé au siècle précédent dans la région de Tlemcen. Son père était toutefois un marchand qui fréquentait l'Afrique subsaharienne, qui épousa une femme de Hawwāra de l'Aurès et qui, dans les années 870, s'était établi à Tozeur dans le S. tunisien. Il décéda lors d'un voyage, laissant son jeune fils orphelin. A peine sorti de l'enfance, Abū-Yazīd se retrouva étudiant ibādite à Tāhert où il vécut un moment, et c'est à l'âge de 20 ans qu'il y assistera à la destruction de la dynastie Rustomide et au triomphe d'Abū-Abdallāh a-Shīi et ses Kutāma en 909. Il retourne alors dans sa région natale, et se consacre à l'enseignement de la doctrine ibādite. Réputé pour son ascétisme et la sévérité de ses mœurs, il n'hésitait pas à critiquer publiquement le pouvoir fatimide et à dénoncer avec véhémence les doctrines impies des Ismaéliens. Son activisme lui vaudra des déboires avec les autorités à partir de 928 lorsqu'il est emprisonné une première fois, avant de fuire et se réfugier auprès des Hawwāra de l'Aurès, peuple de sa mère. Arrêté une deuxième fois en 932, il sera libéré et s'exilera alors en Orient en arguant d'aller accomplir le hajj.

            Lorsqu'il rentre à Tozeur en 937, Ubaydallāh al-Mahdi était mort et son fils al-Qā'im régnait depuis deux années déjà. Abū-Yazīd ne change rien à ses manières, et se retrouve presque aussitôt en prison. Mais, ses fils et son précepteur aveugle viennent à sa rescousse, le libèrent à la tête de 40 cavaliers de Hawwāra et filent tous vers l'Aurès où couvait déjà le feu d'une révolte ibādite que les Fatimide ne voyaient pas venir, occupés qu'ils étaient avec les événements et les campagnes qui se succédaient contre les Zanāta et les alliés des Ommeyyades au Maghreb Central et au Maroc comme nous venons de le voir.

            Ainsi, en 944, le pouvoir fatimide est stupéfait par l'apparition d'une armée de Berbères ibādites dans le Zāb. Abū-Yazīd Makhlad, la soixantaine à ce moment, humble dans ses vêtements et jonché sur un simple âne en guise de monture, était à leur tête en tant que Shaykh al-Muslimīn, et c'est ainsi, à la 10e année du règne de Mohamed al-Qā'im le Fatimide, que commene ce que les sources de l'époque appellent Thawrat Sāhib al-Himār ("Révolte de l'Homme à l'Âne") ... un peu à la manière d'Abū-Abdallāh a-Shīi un demi-siècle plus tôt.

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            Dernière modification par Harrachi78, 17 novembre 2022, 13h42.
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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            • #21
              18. La Révolte de l'Homme à l'Âne (944-948) :

              En 944, Abū-Yazīd, que les sources fatimides appellent avec haine a-Dajjāl ("l'imposteur" ou "l'Antéchrist"), apparaît pour la première fois à Baghaïa dans le Zāb, à la tête de 200 cavaliers. Le gouverneur fatimide à Tobna tente dans un premier temps d'éliminer la menace, mais n'y parvient pas. Des forces de Kutāma sont alors appelées depuis Belezma, Tijis, Sétif et Mila, mais ne parviennent pas plus à arrêter les rebelles qui prennent Tébessa.

              De là, Abū-Yazīd entre directement en territoire tunisien où personne ne l'attendait. Son armée avait grandi entre-temps, et ce n'est qu'après la prise de nombreuses villes et fortresses d'Ifrīqiyya qu'il va affronter l'armée fatimide mobilisée à la hâte par le calife. Les Kutāma sont alors taillés en pièce à Dougga, et le jund arabe qui était sensé arrêter les rebelles à Laribus se rallie à Abū-Yazīd au lieu de le combattre. Le rejoignent aussi les Bani Kamlān, tribu Zanāta que les Fatimides avaient déportés de Tāhart vers la Tunisie plusieurs années auparavant, et qui voyaient là une occasion inespérée de se libérer. Toutes les villes sur le chemin de Qayrawān ouvrent leurs portes, et voilà l'Homme à l'Âne et ses Hawwāra aux portes de la vieille capitale du Maghreb, réalisant en 6 mois à peine ce qui demanda jadis 6 ans de guerre à Abū-Abdallāh a-Shīi et ses Kutāma. Qayrawān était alors défendue par le gros du jund arabe, sous le commandement de Khalīl al-Tamīmi, mais là encore on préféra lâcher le parti Fatimide, honnis par la population sunnite et par les ulémas Mālikites. Mais, pour Abū-Yazīd l'ibādite, tout ce beau monde se valait et il laissa donc ses troupes piller la cité à leur guise avant d'y entrer lui-même et installer son pouvoir. Ce fut sa première erreur politique, qu'il paiera cher un peu plus tard.

              En 945, Abū-Yazīd nomme gouverneur à Qayrawān son intransigeant mentor, Abū-3ammār l'aveugle, et se dirige lui-même avec l'armée vers Mahdiyya, siège du pouvoir fatimide dont le calife al-Qā’im n'avait pas quitté les murs depuis une décennie. Plusieurs assauts contre la ville échouent, et les rebelles se résignent finalement à l'assiéger. Les forces fatimides étaient alors dans le désarroi le plus total, et le blocus du calife va ainsi durer 7 mois entiers, sans que personne ne puisse le secourir. Mais la forteresse pensée jadis par le Mahdi tient bon, et petit à petit le vent va tourner.

              Ainsi, l'armée héteroclite qui s'était rassemblée autour d'Abū-Yazīd commence à se dissoudre au fil des mois. D'abord, les hommes des tribus Berbères, essentiellement des paysans pour certaines, se lassent de cette victoire si proche mais qui tarde à venir, et ils doivent surtout rentrer dans leurs terres pour les campagnes de récolte. Ensuite, l'humeur à Qayrawān change du tout au tout à cause du régime tyrannique qui y avait imposé le vieux Abū-3ammār et les exactions de sa garnison berbère, ce qui poussa les chefs du jund arabe à reprendre contact avec les Kutāma en vue de se débarrasser des Ibādites. Au bout du compte, la force rebelle se verra réduite au seul noyau Hawwāra et aux Bani Kamlān qui n'avaient rien à perdre, ce qui était insuffisant pour le maintient du blocus sur Mahdiyya, surtout que le camps adverse avait progressivement repris son souffle, et que des forces Fatimides rafraichies se regroupaient petit à petit dans les provinces, préparant patiemment l'heure de la revanche ...

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              Dernière modification par Harrachi78, 17 novembre 2022, 13h27.
              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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              • #22
                19. La fin d'Abū-Yazīd (946-948) :

                Alors qu'Abū-Yazīd assiégeait Mahdiyya, le calife al-Qā'im réstait encore reclus derrière les murs de son palais et il n'est jamais apparu en publique, pas même lorsque les défenseurs épuisés de la forteresse, une unité de Kutāma et une autre d'esclaves, demandèrent sa présence parmi eux pour la baraka. C'est un de ses fils, Ismā3īl, qui se présenta alors à eux au nom de son père, et prit personnellement la tête des troupes Fatimides.

                Au début de l'an 946, le blocus s'était affaibli comme nous avons vu, tandis que deux armées Fatimides s'étaient assemblées pour contre-attaquer : d'un côté les Kutāma et le jund arabe regroupés à Constantine sous le commandement de Hassan b. Ali al-Kalbi, et d'un autre côté les Sanhāja concentrés à Achīr sous Zīri b. Mannād. Ce dérnier fut le premier à arriver en Ifrīqiyya et s'attela immédiatement à harceler l'armée d'Abū-Yazīd, parvenant surtout à ravitailler Mahdiyya où sevissait une terrible famine. La pression des Sanhāja finit par faire fléchir l'armée rebelle, et Abū-Yazīd se résigna à lever le siège et se replier sur Qayrawān. Mais, comme les exactions du vieux Abū-3ammār avaient déjà retournés les habitants contre les Hawwāra, Abū-Yazīd trouva les portes de la ville fermées devant lui, et ce n'est que difficilement qu'il parvint a négocier l'évacuation de son mentor et de ses hommes avant de se retirer dans l'Aurès.

                A ce moment, l'armée de Constantine avait fait sa jonction avec les Sanhāja et, avec le prince Ismā3il à leur tête, les forces Fatimides se mettent à la poursuit du rebelle. Entre temps, Abū-Yazīd avait envoyé son fils Ayyūb à Cordoue afin de sceller une alliance avec le calife Omeyyade qui dépêcha effectivement des secours par mer. Mais, là flotte andalouse se trouvait à Ténès lorsque parvient la nouvelle de la défaite d'Abū-Yazīd, et son chef préféra simplement rebrousser chemin.



                Toutefois, depuis l'Aurès, Abū-Yazīd parvient à reconstituer des force en ralliant les zenètes Bani Berzāl du Maghreb Central, et tente un coup rapide contre Msila dans le Hodna. Mais Ismā3īl reprit rapidement la ville, forçant le chef rebelle à fuire pour se barricader dans une forteresse dans ce qui était appelé Jabal Çalāt (act. Djebel el-Maadid) près de Bousaada. Le Fatimide campe alors à Sūq-Hamza (Bouira) en attendant de pouvoir enfin éliminer le maudits Dajjāl.

                Début 947, le prince tombe malade et fait une cure durant un mois dans ce qui est encore de nos jours les bains chauds de Hammām al-Bibān. Il revient ensuite à Msila, tandis qu'Abū-Yazīd avait installé ses troupes dans les ruines voisines de l'ancienne Zabi Justiniana, la ville qui donna jadis son nom au Zāb algérien. Alors que de nouveaux renforts Kutāma arrivaient de Mila et de Sétif, le chef des Zanāta, Mohamed b. Khazar al-Maghrāwi, envoie depuis Laghouat un de ses fils à Msila pour annoncer sa soumission aux Fatimides. La boucle était alors bouclée, et tout ce beau monde se mit en marche contre Abū-Yazīd et ses troupes : les Ibādites sont écrasés et 1070 de leurs têtes sont envoyées à Qayrawān pour annoncer la victoire de Awliyāa' Allāh sur le Dajjāl. Parmi les tués, il y avait un des fils d'Abū-Yazīd, Ayyūb, mais le chef rebelles parvient une nouvelle fois à s'échapper et à se mettre à l'abri avec le reste de ses hommes dans sa forteresse de Kiyāna, sur le Mont Takerboust (Maadid).

                Il y est encerclé par le Fatimide et, après 5 mois de siège et de combats acharnés, il s'enfuit une nouvelle fois en 948 après un assaut final mené par le prince Ismā3īl en personne, mais tombe accidentellement dans un ravin. Abū-Yazīd est très grièvement blessé lorsqu'une unité de Kutāma le capture, mais il trouvera tout de même la force de tenir tête à Ismā3īl lors de son interrogatoire, assumant fièrement ses positions et lui lançant à la face tout le mal qu'il pensait des Fatimides et de l'impété de leurs doctrines ismaéliennes, avant de mourir de ses blessures sur le chemin de Msila : son corps est alors écorché, et sa dépouille embaumée est envoyée à Qayrawān pour satisfaire une foule enchantée d'apprendre la mort du rebelle et la fin de la guerre.

                C'est seulement à ce moment qu'Ismā3īl b. Muhammad al-Qā'im, monté sur la chaire de la grande mosquée à Msila, annonce publiquement la vérité qui était ignorée de tous jusqu'alors : le Calife al-Qā'im était en fait décédé à Mahdiyya depuis deux années déjà, et c'était lui-même qui avait hérité secrètement de l'imāmat Fatimide depuis tout ce temps ! C'est ainsi que commence officiellement son règne, sous le nom d'Ismā3īl al-Mançūr ... De quoi faire un film !

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                Dernière modification par Harrachi78, 28 novembre 2022, 10h35.
                "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                • #23
                  20. Règne d'al-Mançūr (946-953) :

                  La mort de Abū-Yazīd Makhlad met donc fin à une crise qui faillit tout bonnement détruire le tout jeune Etat Fatimide, et si le régime y a finalement survécu presque miraculeusement grâce à l'énergie du nouveau calife, il doit son salut encore une fois à la fidélité inebranlable des Kutāma, mais aussi et surtout à l'intervention providentielle des Sanhāja au moment le plus critique, ce qui vaudra désormais à Zīri b. Mannād une place majeure dans l'Empire. Cela-dit, si l'E. algérien fut maintenu en ordre par les Kutāma et le Centre du pays par les Sanhāja, les quatre années de guerre sans pitié entre le pouvoir ismaélien et la rébellion ibādite ont pour ainsi dire réduit à néant l'autorité Fatimide dans l'O. de l'Algérie et au Maroc : le gouverneur de Tāhert, Hamīd b. Yaçal, se rallie officiellement aux Omeyyades, marquant ainsi la fin de la relation privilégiée des Meknāsa du Maghreb Central avec les Fatimides, et renforçant du coup la position des Sanhāja de Zīri dont l'allégeance devient désormais vitale pour le régime.

                  Ainsi, après avoir réglé définitivement le problème d'Abū-Yazīd en 948, le calife Abū-Tāhir Ismā3īl al-Mançūr quitte Msila et marche sur Tāhert qui est immédiatement évacuée des troupes Meknāsa. Un séjour de plusieurs semaines s'en suit, car la maladie se manifeste de nouveau chez le souverain, et d'une telle intensité qu'on crut qu'il en était à ses derniers jours. Il se rétablit toutefois, et reprend aussitôt la tête de son armée, entrant à Ténès sur la côte lors d'une campagne, et razziant le territoire des Luwwāta des environs de Tāhert lors d'une autre. Homme curieux et féru des choses anciennes à ce qu'on dit, al-Mançūr aurait visité personnellement des ruines dans un lieu-dit Wādi Minās. Il s'agit de ce que nous appelons de nos jours les Djeddar de Frenda, mausolées bâtis par des chefs berbères chrétiens de la région à une époque inconnue, maus se situant entre un et trois siècles avant la conquête arabo-musulmane du Maghreb

                  Al-Mançūr décide alors qu'il était temps de retourner à Qayrawān. Il revient donc par Achīr et Msila, et se dirige ensuire vers Sétif où il reste un certain temps pour y recevoir les chefs et notables du pays de Kutāma. Ayant déjà ordonné la construction d'une nouvelle ville-palais près de Qayrawān, Sabra al-Mançūriyya, il désigne 14.000 familles parmi les tribus Kutāma de Petite-Kabylie et du N. Constantinois pour qu'ils s'établissent avec lui dans sa nouvelle capitale. Il séjour ensuite à Mila avant de prendre la route directement vers Qayrawān. A peine arrivé, al-Mançūr apprend que al-Fadhl b. Abī-Yazīd, l'un des deux fils survivants du rebelle honni- venait d'attaquer Gafsa dans le S. tunisien. Ne voulant prendre aucun risque, le calife remonte aussitôt en scelle et pourchasse al-Fadhl et ses Hawwāra jusqu'à l'Aurès avant de revenir à Qayrawān pour célébrer son triomphe et se consacrer, enfin en paix, à la réorganisation de l'Etat Fatimide et ses affaires.

                  A partir de là, al-Mançūr délégue toute autorité sur les affaires du Maghreb Central à Zīri b. Mannād a-Sanhāji. L'O. algérien et le N. du deviennent alors le théâtre d'une lutte implacable entre Sanhāja pro-fatimides d'un côté et Zanāta pro-Omeyyades de l'autre. Le premier coup fut engagé, cette même année, par le zenète Kumāt b. Madyan qui attaque directement la capitale Ziride, Achīr, mais qui y subira une cuisante défaite. A ce même moment, un nouveau soulèvent des Hawwāra survient dans l'Aurès sous un certain Sa3īd b. Yūsuf. Le calife demande à Zīri de s'en occuper, et ce dérnier envoie un de ses nombreux fils, le jeune Bulukīn, à la tête d'une armée qui décime les rebelles et tue leur chef dans un lieu-dit Fahç-Abī-Ghazāla, près de Baghāïa. En 949 les hostilités avec Zanāta reprennenten Occident lorsque Mūsa b. Abī-l-3āfiya, chef des Meknāsa de l'O., attaque la tribu de Nefza dans la région de Tlemcen. Ça culmine ensuite en 952, lorsque Zīri bat et capture Sa3īd b. Khazar, frère de Muhammad b. Khazar al-Maghrāwi, chef suprême des Zanāta du Maghreb Central.

                  Peu de temps après ces événements à l'O., le calife Ismā3īl al-Mançūr est de nouveau rattrapé par la maladie. Il meurt dans son palais d'al-Mançūriyya en 953, laissant à son fils un domaine pacifié et un régime stable, alors qu'il avait lui-même hérité d'une situation catastrophique. Son règne, sept ans, fut plutôt court mais d'une importance majeure. Il fut aussi le premier parmi les souverains Fatimides au Maghreb à bénéficier d'une certaine mesure de popularité et à susciter la loyauté en dehors des cercles ismaéliens. Grâce à son courage, son éloquence que même les sources anti-fatimide lui reconnaissent, mais surtout grâce à sa modération et à sa politique conciliante avec les ulélas Mālikites dont il comprit l'ascendant sur une population qui, après tout, restait très majoritairement sunnite dans les villes de l'Empire et qui n'acceptait le pouvoir Fatimide que par nécessité.

                  Le règne d'un nouveau souverain Fatimide s'ouvre donc au Maghreb en cette année 953. Il sera le dérnier ... en quelque sorte ...

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                  "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                  • #24
                    21. Alger

                    En l'an 947, soit au moment où les armées fatimides pourchassaient le rebelles Abī-Yazīd dans le Hodna, un notable de Baghdad, Abū-l-Qāsim Muhammad b. Hawqal, arrive au Maghreb en tant que voyageur. Les ouvrages arabes de géographie avaient commencé à fleurir à la fin du siècle précédent, mais Ibn Hawqal semble être le premier à baser sa description de l'Occident musulman sur une visite personnelle du pays. Pour notre sujet, les deux ouvrages que va produire Ibn Hawqal, Çūrat al-Ardh ("Configuration de la Terre") et Kitāb al-Masālik wa l-Mamālik ("Livre des itinéraires et des Royaumes") sont les premières sources médiévales à mentionner une ville qui aura, plusieurs siècles plus tard, un destin singulier dans l'Histoire du Maghreb Central : Alger.

                    C'est donc l'occasion de consacrer un peu d'espace à la future capitale algérienne, à l'époque où elle refait son entrée dans l'histoire de la région. Nous reviendrons ensuite à la trame générale pour la moitié restante de ce 10e siècle.

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                    Dernière modification par Harrachi78, 21 novembre 2022, 16h13.
                    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                    • #25
                      a. Qu'y avait-il à Alger avant cette époque ?

                      Comme pour toutes les vieilles villes littorales du Maghreb, à l'origine du site urbain d'Alger il y avait une fondation phénicienne : Ikosīm. Les plus anciennes traces archéologiques qui attestent de cette présence datent des alentours de l'an 300 avant J.-C., à une époque où le site était constitué d'un groupe d'îlots et de rochers tout près du rivage, à la pointe occidentale de la vaste baie qui porte aujourd'hui le nom de la ville.

                      Comme c'est souvent le cas pour les établissements phénicien, l'agglomérarion originelle d'Ikosīm était concentrée sur la partie insulaire du site, avec un prolongement sur le continent en face.



                      Quelques 300 ans plus tard, et après avoir vécu un moment sous l'aurorité des royaumes berbères de Numidie et ensuite de Maurétanie, la région est annexée par l'Empire romain qui fait des régions Centre et O. de l'Algérie une province de Maurétanie Césarienne, en l'an 40 après J.-C., avec pour capitale une autre cité phénicienne devenue ville royale sous les derniers rois berbères avant l'annexion : Iul Caesarea (Cherchell). Ikosīm, comme d'autres cités puniques d'Afrique, fut alors érigée en municipe romain, c'est-à-dire en cité autonome gouvernée par des magistrats locaux, et s'intégrant petit-à-petit dans le monde latin d'Afrique.



                      Pas plus que l'Ikosīm punique, l'Icosium romaine ne joua aucun rôle politique ou régional notables, et vécut toujours en petite ville provinciale parmi d'autres, tranquille et sans histoires. Elle semble toutefois prospère à cette époque, et elle est en tout cas assez riche pour se doter de tous le mobilier urbain d'une cité romaine classique : une basilique civile, un théâtre, un port ... etc. Le site urbain s'étend au cours de cette période sur la partie continentale, et le périmètre est ceint à un moment par une muraille défensive, mais reste encore limitée à la partie basse et plate du terrain, soit l'espace qui est recouvert de nos jours par la basse Casbah et la Place des Martyrs.

                      Le Christianisme y est diffusé au 3e et 4e siècles, et une basilique paléo chrétienne pavée de mosaïque polychrome y est aménagée vers l'an 360.





                      La première rupture dans ce long fleuve tranquille survient en 442, lorsque la ville est prise et saccagée au cours de l'invasion de l'Afrique romaine par les Vandales. Le coup fut apparemment rude et diminua durablement la prospérité et le peuplement de la cité. Certaines indications laissent penser qu'elle existait encore lors de la reconquête romaine de la région par les Byzantins en 533, mais son importance était alors très marginale comme l'indique l'abandon à cette époque de sa basilique chrétienne, qui devient vers l'an 600 un cimetière.



                      Un siècle et demi plus tard, lorsque commence la conquête arabo-musulmane du Maghreb, Icosium avait apparement régressé au stade de simple village, si elle n'était pas de simples ruines. En tout cas, Ia ville n'est mentionnée nulle part au cours des interminables guerres qui jalonnent la conquête du Maghreb Central entre 670 et 715, pas plus qu'au cours des deux siècles suivants et jusqu'au début de l'époque Fatimide dans les années 910.

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                      Dernière modification par Harrachi78, 21 novembre 2022, 22h12.
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                      • #26
                        b. Jazā'ir Banī Mazghanna :

                        Ainsi, lorsque le géographe irakien Ibn Hwaqal fait sa déscription du Maghreb Centeal après sa visite en 947-948, il fait pour la première fois mention d'une ville vivante sur l'ancien site de l'Icosium romaine, mais sous le nom totalement inconnu jusqu'alors de Jazā'ir Banī Mazghanna, comme nous pouvons le voir sur la carte schématique de l'auteur (en rouge Alger, en vert les autres villes du Maghreb Central) et sa transposition une carte moderne :




                        Jazā'ir est le pluriel ordinaire de jazīra ("île") en arabe classique. Il fait clairement référence à la topographie insulaire du site, ce qui était déja présent dans le toponyme phénicien originel en ik-osīm. Quant à Banī Mazghanna, il s'agit de l'éthnonyme d'une petite tribu connue comme étant une branche du groupe berbère Sanhāja au Maghreb Central, dominé à l'époque par les Talkāta du Titteri, le clan d'où est issu Zīri b. Mannād et sa famille comme nous avons vu plus haut.

                        A quel moment les Mezghanna ont-ils occupé le site qui portait désormais leur nom ? Nous ne savons pas, mais la chose à du survenir quelque part après le 7e siècle. Après tout, Alger et la plaine de la Metīja sont dans le prolongement directe du Pays de Sanhāja, et il est tout à fait possible que des clans de Mezghenna se soient établis sur le site algérois en venant de l'Atlas blidéen ou même plus au S., soit en investissant une petite bourgade existante, soit en établissant un ou plusieurs villages côtiers sur les ruines d'un ancien site abandonné, mais qui présentait toujours des atouts défensifs intéressants et dont les monuments en ruine offraient des matériaux de construction aisément exploitables, même pour une petite communauté. Mais, même si l'installation de ces Mezghenna sur le lieu était ancienne, le fait que la ville n'apparaît sur aucune source avant cette époque indique que, si ville il y avait, elle devait être d'une taille et d'une importance trop négligeables pour être remarquée, et que ce milieu du 10e siècle a été marqué par des changements plus ou moins récents qui auraient conduis à un développement rapide, et qui fit sortir la petite bourgade de son anonymat en une ou deux générations seulement.

                        Ici, nous ne pouvons que conjoncturer, en essayant de regarder la situation d'ensemble. Il s'agit notamment du fait que cette rémergence d'Alger sur la scène historique coïncide avec l'apparition (comme à Oran) ou la réapparition (comme à Ténès) d'autres villes portuaires sur le littoral du Maghreb Central au tout début de ce 10e siècle. Or, tous les cas que nous avions vu étaient tous liés à l'action de communautés maritimes venues d'Andalousie, en relation avec des communautés tribales berbères qui étaient déjà présente sur le lieu où qui contrôlaient le territoire autour. Il est donc possible que la transformation d'Alger en une ville portuaire active à ce moment précis ait résulté d'une conjonction de ce genre, c'est-à-dire entre des marins andalousiens et des clans de Mezghenna, et ce fut apparemment identique pour Béjaïa à la même époque.

                        Si tel fut le cas, il reste impossible de dater un tel fait car l'aventure n'a pas été documtée comme ce fut le cas pour Tenès ou Oran. Mais, ça devrait se situer dans les années 890 à 900 puisque, si l'on crois une source ibādite postérieure (Tabaqāt Mashāyikh al-Maghrib de Ahmed b. Sa3īd al-Jarnīni, 13e siècle), un certain Abū-Sahl al-Fārisi, qui était un savant de Tāhert et interprète officiel des imāmas Rustomides, serait mort et enterré à Jazā'ir Banī Mazghanna où son tombeau était encore vénérée à son époque (12e siècle), ce qui veux dire que la ville existait déjà aux derniers temps de la dynastie Rustomides, soit avant 909.

                        Sinon, rien d'autre ne peut être affirmé à cette question des origines.

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                        Dernière modification par Harrachi78, 21 novembre 2022, 00h49.
                        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                        • #27
                          c. A quoi ressemblait Alger à cette époque ?

                          Le texte d'Ibn Hawqal nous offre quelques renseignements intéressants sur Jazā'ir Banī Mazghanna au moment de sa visite en 947 :



                          On apprend donc en premier que la ville était déjà ceinte d'une muraille à ce moment, et on peut supposer qu'il s'agissait de l'enceinte héritée de l'époque romaine qui a du être réparée à un moment. Les anciens murs d'Alger avaient ensuite perduré jusqu'à l'époque ottomane, avant d'être démolis par les autorités coloniales à la fin du 19e siècle. Cette photographie, prise dans la partie basse de la ville, juste à côté de la porte Bāb-Azzoun, est la dernière qui documente la vieille muraille avant sa disparition définitive :



                          Néanmoins, tout en louant la solidité des murs, Ibn Hawqal précise que la défense d'Alger reposait surtout sur sa topographie particulière : « il y a près de la ville, à une portée de flèche, une île qui lui fait face ; lorsqu’un ennemi les attaque, les habitants se réfugient dans cette île, s’y mettent en état de défense et y trouvent un abri sûr contre ceux dont ils se gardent et dont ils redoutent l’agression ». Cela veux dire que les dangers extérieurs que subissait la ville à cette époque pouvaient provenir autant de la mer (d'où la muraille terrestre), que de l'intérieur du pays (dont on se protégeait en s'enfermant sur les Îlots du port).

                          Ce tableau pourrait être complété par un autre ouvrage, celui d'Abū-Abdallāh Mohamed al-Warrāq (m. 974), qui est malheureusement perdu mais qui figure parmi les sources qui seront reprises par al-Bakri (m. 1094) au siècle suivant. Ce dérnier, décrit Jazā'ir Banī Mazghanna comme étant une grande ville de construction antique (madīna azaliyya), qui renferme des monuments anciens et des voûtes solidement bâties, et on y remarque un théâtre (dār al-mal3ab) qui contient des pavements en mosaïque et des sculptures, et que sa grande mosquée (jāmi3) était construite sur les restes d'une ancienne basilique chrétienne. Cette description fut partiellement corroborée par l'archéologie puisque on a retrouvé une partie de l'ancien édifice chrétien (images plus haut). C'est aussi de cette époque que daterait la petite mosquée que nous appelons de nos jours Sidi-Ramdane dans la haute Casbah, la doyenne des mosquées algéroises (mais sans le minaret qui lui fut ultérieurement), ce qui indique que le périmètre urbain s'était agrandi par rapport à l'époque romaine, s'étendant désormais aux flanc de la colline et dessinant globalement les limites de la Casbah qu'on connait :




                          Ibn Hawqal évoque ensuite les marchés, nombreux d'après lui, et les deux sources principales qui alimentaient Alger. Il parle ensuite des vastes plaines qui entourent la ville, et la montagne peuplée de nobreux Berbères. Il s'agit clairement ici de la la Metīja et de notre Atlas blidéen qui la ceinture de toutes part. Cet arrière pays lui paraît riche grâce à l’élevage de bœufs et de moutons, ainsi qu'à la production de miel, de figues et du genre de beurre que nous appelons encore de nos jours smen. Ces produits sont si abondants, dit-il, qu'Alger en exporte vers Qayrawān.

                          Les restes restaurés des ustensils qu'on peut voir ici proviennent d'un site de fouille à Alger et datent à peu près de l'époque qui nous intéresse ici :




                          Enfin, le texte passe brièvement sur deux anciens sites urbains qui sont voisins d'Alger. D'abord Tāmadfūst (act. Tamenfoust) qui se trouve sur l'autre corne de la Baie d'Alger, qui n'était plus qu'une ruine habitée par quelques masures selon Ibn Hawqal, et il en va de même pour Charchāl (Cherchell) vers où il passe d'ailleurs sans mentionner Tipasa, qui se trouve pourtant sur la route d'Alger par le littoral et qu'il a forcément dû traverser en allant vers Cherchell, ce qui indique que cette cité -jadis d'une certaine imprtance- avait elle aussi disparue. Tout cela donne l'image d'une zone où la désurbanisation est quasi totale par rapport à l'époque romaine, 300 ans auparavant, et que -contrairement aux régions de l'E. de l'Algérie- l'ancien peuplement romano-africain semble y avoir complètement disparu durant ce temps, laissant place à une occupation de l'espace quasi exclusivement berbère, Sanhāja en l'occurrence.

                          C'est à peu près tout ce qu'on sait sur Alger et ses alentours à cette époqie où la ville resurgit sur la scène historique. Peu après le passage d'Ibn Hawqal, ce nouveau statut régional d'Alger va être confirmé par un acte politique de la part du pouvoir Ziride à Achīr comme nous le verrons, mais la ville restera tout au long de la période médiévale un simple port de commerce et une cité de peu d'importance en dehors de sa région immédiate. Il faudra attendre encore 500 pour voir le déstin d'Alger changer brutalement, et qu'elle commence a jouer le rôle majeur qu'on lui connaît dans ce long chemin qui aboutira à constitution de l'Algérie moderne.

                          Nous en sommes encore loin pour l'instant. Revenons donc au fil général des événements politiques du pays, que nous avions quitté à la mort du calife Fatimide Ismā3īl al-Mançūr en 953.

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                          Dernière modification par Harrachi78, 21 novembre 2022, 16h09.
                          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                          • #28
                            22. Règne d'al-Mu3izz (953-972) :

                            La deuxième moitié de ce 10e siècle s'ouvre donc avec un nouveau règne Fatimide au Maghreb. Né à Mahdiyya, Abū-Tamīm Ma3d al-Mu3izz avait 21 ans lorsqu'il hérita de l'imāmat Ismaélien en 953. On a vu que son père al-Mançūr avait passé pratiquement tout son court règne à combattre la révolte kharrijite d'Abū-Yazīd, qui fut à deux doigts de détruire l'État fatimide. Le jeune al-Mu3izz aura donc la chance de commencer son règne sur un domaine pacifié et sous un régime fatimide plus fort et plus solide que jamais.

                            La situation générale du Maghreb à ce moment se résumait ainsi : les Kutāma assuraient de nouveau la sécurité et la stabilité du régime en Tunisie et dans l'E. algérien, et les Sanhāja assuraient désormais ce rôle pour le Centre et l'O. de l'Algérie. Il ne restait alors que le N. du Maroc, maintenant sous contrôle total des tribus nomades Zanāta, et devenu théâtre de l'affrontement entre les Fatimides et les Omeyyades. Mais, al-Mu3izz va dédier son temps et son énergie au vieux rêve Oriental de son grand-père et de son arrière-grand-père, et consacrera donc toutes ses ressources et l'essentiel des forces Kutāma à ses futures expéditions militaires contre l'Egypte abasside. Le théâtre marocain sera donc délégué à Zīri b. Mannād, ce qui transgirmera le conflit entre califat Fatimide et califat Omeyyades en un affrontement entre Sanhāja et Zanāta pour l'essentiel.

                            En 954, après un énième soulèvement des Hawwāra de l'Aurès, Zīri envoie une armée sous le commandement d'un de ses fils, Yūsuf Bulkīn, qui impose de nouveau la soumission aux tribus de la région, et malmène tout particulièrement les clans Kamlān et Malīla. Ce fut la première victoire d'un jeune prince sanhājien appelé à un grand avenir comme nous le verrons plus tard. Pendant ce temps, Zīri lui-même menait une expédition vers Ténès d'où il chasse le dérnier émir de la petite dynastie Idrisside qui y régnait, un certain Yahyā b. Muhammad. Un renversement d'alliances survient alors dans l'O. algérien : à Tāhert, le gouverneur fatimide Ya3lā b. Muhammad al-Ifrāni tourne casaque et proclame son allégeance au calife Omeyyade de Cordoue, tandis que l'autre chef zenète, Muhammad b. Khazar al-Maghrāwi annonce (une énième fois et après un énième retour) son retrait de l'alliance omeyyade et son ralliement au calife Fatimide à Mahdiyya.

                            Nous avons vu au cours des deux siècles précédents que le contrôle de Tāhert était la seule clef pour le contrôle de tout l'O. algérien et aussi d'un nœud majeur du commerce trans-saharien. la zone entre Tlemcen et Tāhert formait aussi un glacis de protection pour cœur des territoires Fatimides, le Zāb et l'Ifrīqiyya, contre le danger permanent des nomades Zanāta que Zīri et ses Sanhāja entendaient justement éloigner de leurs domaines traditionnels au Maghreb Central et les rejeter au-delà de la Moulouya, vers le Maroc. Le Calife al-Mu3izz ne pouvait donc rester sans réaction face à la perte de Tāhert, mais il songea a frapper bien plus fort que cela, et entendait régler définitivement le problème ommeyade en Occident. Ainsi, en 958, une grande armée Fatimide est confiée à son meilleur général, l'affranchi Jawhar a-Çiqilli, et enjoint aux deux principaux gouverneurs du Maghreb Central de se joindre à lui avec toutes leurs forces : celui du Zāb, Ja3far b. Alī b. Hamdūn al-Andalusi depuis Msīla, et Zīri b. Mannād a-Sanhāji depuis Achīr.

                            On commence naturellement par Tāhert ou les Bani Ifrān sont rapidement vaincus et leur chef, le gouverneur rebelle Ya3la b. Muhammad, capturé. Celui-ci fit sa soumission et, apparemment, Jawhar était enclin à accepter de lui rendre son poste. Mais Zīri aurait alors manœuvré en coulisses et finit par obtenir l'exécution de Ya3la. Un concurrent de moins pour lui donc. De Tāhert, l'armée fatimide se dirigea directement vers Fès. La résistance des zenètes Meknāsa qui tenaient la ville au nom des Omeyyades s'avèra plus coriace que prévu, mais on évita de s'éterniser dans un siège, préférant plutôt aller vers la riche Sijilmāsa au S. Une fois son affaire réglée , Jawhar revient, début 959, vers Fès qui est cette fois-ci prise, grâce à une action audacieuse menée par Zīri en personne. Ensuite, ville après ville et tribu après tribu, tout le N. du Maroc actuel fait allégeance au calife Fatimide, à l'exception des hérétiques Barghawāta qui restent enfermés dans leur principautés sur l'Atlantique et les villes de Tanger et Ceuta sur le Détroit qui restent aux mains des Ommeyyades.

                            La campagne prend fin officiellement fin en 960. Quittant le Maroc après y avoir nommé garnisons et gouverneurs, Jawhar reçoit en chemin ordre du calife d'intégrer Tāhert dans le domaine de Zīri b. Mannād qui devient ainsi gouverneur de tout le Maghreb Central, depuis Tlemcen et la Moulouya jusqu'aux confins du Hodna.

                            En somme, Zīri b. Mannād a-Talkāti semble être le plus grand bénéficiaire de cette grande campagne vers le Far West maghrébin. L'ambition du chef des Sanhāja se manifeste alors dans toute son étendue, et son influence au sein du pouvoir fatimide n'a fait que grandir sous le regard de tous, et tout particulièrement de son collègue Ja3far b. Muhammad b. Hamdūn, le gouverneur du Zāb. Ça ne sera pas sans conséquences pour l'avenir ...

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                            Dernière modification par Harrachi78, 24 novembre 2022, 20h36.
                            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                            • #29
                              23. La montée des Zirīdes (960-972) :

                              Après la grande campagne occidentale de 958-960, le calife al-Qā'im se consacre totalement au projet de conquête de l'Egypte et délégue totalement à Zīri b. Mannād et aux Sanhāja la gestion des affaires du Maghreb Central et Extrême.

                              Poursuivant pour sa part ses propres projets, Zīri fait monter son fils Bulkīn en puissance et le charge notamment de mettre en ordre le territoire du centre de l'Algérie, cœur du domaine de Sanhāja. Ainsi, en 960, le jeune prince annonce la fondation de trois métropoles régionales : Miliāna (Méliana), Lamdiyya (Médéa) et Djazā'ir Bani Mazghanna (Alger). Comme nous l'avons vu plus haut pour Alger, il s'agissait en fait de très nciennes villes que Bulkīn va restaure et garnir afin de structurer un pays devenu essentiellement rural depuis trois ou quatre siècles. Il s'établit ensuite à Méliana comme gouverneur au nom de son père à Achīr.

                              En 968 l'armée de Kutāma parvient enfin à conquérir la province Abbasside d'Egypte, où Jawhar a-Çiqilli lance aussitôt le chantier d'une nouvelle ville-forteresse à côté de Fustāt, la vielle capitale du pays, et qu'il nomme al-Qāhira al-Mu3izziyya ("la Cité Victorieuse d'al-Mu3izz") en l'honneur de son maître fatimide. Ainsi naquit le Caire. Le Calife voyait ainsi se réaliser le vieux rêve de ses aïeuls, et pouvait désormais songer à la réalisation du grand dessein d'atteindre Bagdad pour abattre une bonne fois pour toutes le califat Abasside et faire des Fatimides les maîtres incontestés de tout le Monde musulman. Mais, en attendant que la situation en Egypte soit totalement sous contrôle et que sa nouvelle capitale soit prête à l'acceuilir, al-Mu3izz s'attela à mettre en ordre les affaires fatimides au Maghreb qu'il devra maintenant confier le gouvernement à quelqu'un de confiance.

                              En 971, le départ du calife était Deux candidats se posaient alors sur la table. D'un côté Ja3far b. Ali b. Hamdūn, gouverneur de Msīla et du Zāb (E. algérien) ; et Zīrī b. Mannād, gouverneur d'Achīr et des Maghrebs Central et Extrême (Centre et O. de l'Algérie et N. du Maroc). Le premier était le fils de Ali b. Hamdūn al-Andalusi, un ismaélien de la toute première heure et un des bras droits de feu Abū-Abdallāh a-Shīi depuis son arrivée au Maghreb dans les années 890. Il était le mieux placé en théorie, mais c'était sans compter avec la ruse et l'ambition de Zīri qui manoeuvra habilement auprès du calife, mettent à nu les accointances suspectes de son rival avec l'ennemi Ommeyade, notamment via son secrétaire particulier, un certain Ahmed al-Wahrāni, qui assurait apparemment la liaison secrète entre Msila et Cordoue.

                              Par ailleurs, pendant que Zīri menait sa politique à la cour du calife, son fils Bulkīn menait l'armée Sanhāja dans une violente campagne contre l'increvable Mohamed b. Khazar al-Maghrāwi et ses Zanāta dans l'O. de l'Algérie. La bataille décisive à lieu près de Tlemcen, et se solde par une cuisante défaite des Maghrāwa qui y laissent 3.000 des leurs et 17 de leurs chefs de clans. Mohamed b. Khazar est pour sa part encerclé, mais le vieux roublard refuse de se rendre et préfère se donner la mort que d'être capturé.

                              Pendant ce temps, Ja3far b. Ali prend conscience d'avoir perdu la course pour le pouvoir et, lorsqu'il est sommé de se présenter àM Mahdiyya par le calife Fatimide, il quitte Msila avec toute sa suite et toutes ses troupes et va se joindre au nouvrau chef des Zanāta, al-Khayr b. Muhammad b. Khazar avec qui il proclame publiquement l'allégeance au calife Ommeyade. Cet acte de félonie scella donc le choix d'al-Mu3izz, et Zīri se mit aussitôt à la tête de son armée avec pour but de détruire rapidement la dangereuse coalition. Le choc aura lieu à Tāhert quelques semaines plus tard, mais la bataille se termine cette fois par une défaite des Sanhāja et la mort au combat de Zīri b. Mannād dont la tête est envoyée triomphalement à Cordoue.

                              Le choc était immense à Achīr et à Mahdiyya, mais le bon vieux Zīri avait un héritier de grande stature : Bulkīn rassemble rapidement les forces de son peuple et fond sans délai sur Msila, Baghāïa, Tobna et Biskra où il massacre les tribus zenètes de Mazāta, Huwwāra et Nefza. Il prend ainsi le contrôle de tout le Zāb, et se retourne aussitôt vers l'O., reprenant Tāhert en quelques jours et chassant ensuite les Zenāta au-delà de la Moulouya. Il bifurque ensuite vers Sijilmāsa où il parvient enfin à capturer al-Khayr qui est exécuté séance tenante. On dit qu'il est resté trois jours sur le champ de bataille et que, lorsque ses hommes se sont enfin plaints de la puanteur des cadavres, il ordonna de faire chauffer les marmites sur trois têtes de vaincus en guise de trépied, de mettre les corps en tas et que les muezzins montent dessus pour prononcer l'appel à la prière. A partir de là, Bulkīn b. Zīri vouera une haine sans limite pour les Zenāta, et consacrera sa vie entière à leur faire partout la guerre. Sur le chemin du retour, Bulkīn soumet les Meknāsa sur la Moulouya, et marche avec son armée jusqu'à Mahdiyya. Il y est reçu par le calife Fatimide avec une si grande pompee que ça finit par agacer des chefs de Kutāma dans la capitale.

                              Enfin, en 972, al-Mu3izz annonce publiquement son départ pour le Caire et la désignation de Bulkīn comme Amīr et vicaire du Calife pour tout le Maghreb, sous le nom de Sayf a-Dawla Abū-l-Futūh Yūsuf b. Zīri. Ainsi commence officiellement une nouvelle ère politique (dawla) au Maghreb, celle des Zirīdes ...

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                              Dernière modification par Harrachi78, 26 novembre 2022, 01h22.
                              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                              • #30
                                24. Règne de Bulkīn (972-984) :

                                Le domaine légué en par le Calife al-Mu3izz à Bulkīn b. Zīri en 972 recouvrait tout le Maghreb Fatimide, à l'exception de la Sicile qui fut donnée à une dynastie de princes issus du vieux jund arabe d'Ifrīqiyya, les Kalbides, et Tripoli où fut installé un chef kūtamien, Abdallāh b. Yakhlaf.

                                L'armée de Kutāma et des milliers de familles accompagnèrent le Calife dans sa migration vers l'Egypte. Ils constitueront encore pour quelques générations l'ossature de l'armée et du régime Fatimide en Egypte et en Syrie. On les appellent al-Maghāriba dans les sources orientales, et leur histoire ne nous concerne plus ici. Une partie des Kutāma restent toutefois dans le Constantinois et gardèrent un statut privilégié sous le nouveau régime, en étant notamment exonérés de tout impôt. Selon les sources, l'imām ismaélien était conscient que son départ allait tôt ou tard se traduire par une émancipation du Maghreb de son autorité lointaine au Caire, et il essaya de la sorte de limiter ce risque, au moins pour un temps, par le maintien du Pays de Kutāma dans une sorte de semi-indépendance fin qu'il puisse, éventuellement, contre-balancer une mainmise totale des Sanhāja sur "son" Maghreb. Il imposa aussi un certain nombre de hauts-fonctionnaires fidèles à Qayrawān et à Mahdiyya, afin d'être informé de ce qui se passait sur place. Bulkīn, de son côté, n'était pas dupe de toutes ces mesures de prudence et, tout en jouant le jeu, il refusa de résider à Qayrawān où il se fit représenter par Abdallāh al-Kātib b. Muhammad al-Tamīmi, un déscendant de la famille Aghlabide qui entra dans le service de la famille Zirīde depuis l'époque de son père. D'après les sources, il s'agissait d'un administrateur de grande valeur, maitrisant autant l'arabe que le berbère, et qui assurait un contacte permanent par courrier avec son maître resté à Achīr.

                                De toute manière, Bulkīn n'avait qu'un seul but dans la vie : mater les Zenāta encore et toujours. Ainsi, dès 973, il part en campagne dans le Zāb où un certain Khalaf b. Khayr à Zanāti causait des troubles. Il le bat et ne manque pas, dit-on, d'envoyer 7.000 têtes de ses ennemis à Qayrawān avant de soumettre Baghaïa où il nomme un nouveau gouverneur. Le chef rebelle parvient toutefois à s'échapper et se réfugie dans le Pays de Kutāma. Būlkin le pourchasse, et informe les chefs kūtamiens que quiconque lui offrira l'asile sera considéré comme hors la loi et sera traité en conséquence. Khayr fut ainsi livré avec toute sa parentale, suite à quoi Bulkīn les envoya à son ministre à Qayrawān où ils furent crucifiés et exposé sur la muraille de la ville. Pendant ce temps, à Baghaïa, il épargna la vie de 4.000 homme d'une unité servile qui avait participé à la rébellion, mais dont il apprécia les qualités militaires et entendait prendre à son service. Mais, lorsque l'un d'entre eux fit une tentative d'assassinat contre lui, qui échoua mais qui coûta la vie à un de ses cousins, Bulkīn ordonna le massacre de tous et fit démolir la fortresse pierre par pierre. Ainsi, Baghaïa qui était une des principale villes du Zāb depuis l'époque de la Numidie byzantine et où la Kāhina avait marqué ses premières victoires contre les Arabes 300 ans plus tôt, disparaît pratiquement de la géographie locale à jamais. Après cela, l'Emir Zirīde passe vers l'O. de l'Algérie où il remet en place Khallūf b. Abī-Muhammad, son gouverneur à Tāhert qui venait d'être chassé par une révolte locale.

                                En 975, les Ommeyades de Cordoue refont parler d'eux au N. du Maroc en y envoyant Ja3far b. Ali b. Hamdūn, cet ancien gouverneur fatimide du Zāb algérien qui était l'ennemi de Zīri b. Mannād et qui s'était rallié aux Ommeyyades lorsqu'il sut qu'il n'allait pas hériter du pouvoir suprême au Maghreb quelques années auparavant. Il rassembla au tour de lui tous les Zanāta du Maghreb Central et du Maroc, particulièrement Zīri b. 3attiyya al-Maghrāwi et son frère Muqātil de l'Ouarsenis, Yaddū b. Ya3la al-Ifrāni du Tlemçenois ainsi que les Meknāsa de la Moulouya.



                                Mais, pour l'heure, Būlkin avait d'autres chats à fouetter. En 976, un émissaire arrive du Caire pour annoncer la mort du Calife al-Mu3izz et l'avènement d'un nouvel imām, al-Azīz. En 977, le gouverneur kūtamien de Tripoli est appelé au Caire et Bulkīn prend possession de la ville qu'il confie à certain Yahyā b. Khalīfa al-Milyāni, avant de le virer quelques mois plus tard pour le remplacer d'un de ses affranchis, Tamçulāt b. Bakkār, qui lui était très proche et qui commandait Būna (Annāba) jusqu'alors. Il estera en poste là-bas plus de 20 ans. En 979, deux des fils de ses fils, Kabbāb et Magnīn, s'enfuient de la prison où il les avaient jetés pour Dieu seul sait quelle raison et se réfugient auprès du Calife au Caire. Celui-ci plaide leur cause et leur obtient le pardon de Bulkīn à contre-coeur.

                                C'est à ce moment là que le Zirīde de decide enfin à lancer une nouvelle grande campagne contre les Zanāta dans l'O. algérien et au Maroc. Il charge d'abord son fils préféré et futur sucesseur, al-Mançūr, d'effectuer son tout premier voyage à Qayrawān où le jeune prince va résider un temps avant de rentrer à Achīr, tandis qu'il prenait lui-même la tête des armées Sanhāja à destination de l'O. ... où il va passer les dernières années de sa vie ...

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                                Dernière modification par Harrachi78, 27 novembre 2022, 01h43.
                                "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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