Annonce

Réduire
Aucune annonce.

«C’étaient des Irakiens en plastique»

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • #31
    :icon_cry: La guerre contre l’Irak: une histoire de femmes


    La guerre Us en Irak, dans l’Irak, contre l’Irak, est aussi une histoire de femmes. En 2003, l’Amérique se racontait l’histoire de l’Amérique dans le cas de Jessica Lynch, l’héroïne présumée. En 2004, l’Amérique veut éviter que l’histoire de l’Amérique ne soit réduite dans le cas de Lynndie England, la tortionnaire présumée.

    L’histoire de Jessica Lynch, soldate anonyme des forces de «Libération» de l’Irak, était si belle qu’elle tenta le diable, le Pentagone et même Hollywood. L’on ne pouvait pas trouver mieux pour illustrer l’héroïsme de l’armée américaine, son esprit de sacrifice et de résistance, son sens de l’image qui bouleverse et l’esprit de corps qui anime les siens, incapables de «laisser tomber» un camarade de guerre, en pleine guerre. «Brothers in arms» et «born in USA». Capturée par les «Barbares», Jessica s’est battue comme dans une film. Toute seule, dans le noir. Jusqu’aux dernières balles. «Elle s’est battue jusqu’au bout, elle ne voulait pas être prise vivante» selon le Washington Post du 03 avril 2003. L’épopée de la propagande Us raconta comment cette jeune femme, exemplaire, de 19 ans, «même blessée par plusieurs balles et voyant plusieurs des soldats de son unité mourir autour d’elle (...) continuait à tirer sur les Irakiens». Le tableau est enrichi par une dernière touche: Jessica était «de surcroît poignardée mortellement dans le dos». Quelques jours d’angoisse plus tard, le jeune femme, promise à la carrière d’un symbole vivant, est découverte dans un hôpital irakien, sauvée en direct par une unité d’élite, accompagnée d’un cameraman pour immortaliser le film, puis transportée vers un hôpital allemand, hors des frontières de la barbarie, rapatriée dans les applaudissements et généreusement offerte à la machine des journaux Us pour gonfler le moral des troupes, et faire un peu mieux, par son seul cas, que les discours explicatifs de la Maison Blanche. Jessica servit ainsi mieux l’Amérique avec ses égratignures, qu’elle ne le fit avec ses armes et ses balles à blanc sur des Irakiens en carton. Le scénario était tellement parfait, massivement mythique, superbement servi par les coïncidences et si près de la nature d’une manipulation numérique, que l’on se sentit obligé de le corriger par quelques détails «réalistes», un peu plus tard. Les scénaristes avaient peut-être deviné que le ciment ne se mange pas, même s’il s’agit de celui d’une copie conforme de la statue de la liberté. C’est pour cette raison que la seconde version de l’histoire de Jessica avait été légèrement modifiée: c’est un Irakien exemplaire, un avocat de Nassiriya, qui avait «aidé» à sauver Jessica. Dans le mythe, il y avait encore une petite place pour le bon Irakien de service, le petit ami de Tarzan, l’enfant d’Indiana Jones, le robot de cuisine de Sky Walker. C’est le jeune Mohammed, conforme au stéréotype, qui fit l’essentiel dans le rôle du guide local de la jungle obscure. C’est lui qui identifia l’héroïne dans un hôpital où elle avait été abandonnée. C’est lui qui sourit dans la photo finale.

    Jessica arriva aux Etats-Unis, bien des jours après sa propre histoire. Elle fut désossée entre les remerciements officiels, les projets de film, les dizaines d’entretiens et les milliers de photos dans la formidable machine du virtuel qui sert de réel aux Américains. L’on raconte qu’elle tenta bien de corriger quelques détails du film, mais peine perdue. Son propre père précisa vainement que sa fille n’avait pas été blessée par balle. Et qu’en guise de palmarès de blessures de guerre, elle ne souffrait que d’une entorse à la cheville. Qu’elle n’avait pas été «bien nourrie certes mais que personne ne l’avait torturée». Peine perdue aussi. L’Amérique n’a pas pour rien marché sur la lune un jour. Dans ce genre de situation, Jessica devait sourire et faire des signes de la main de derrière la vitrine. Le reste ne la concerne pas. Le reste était qu’il fallait, coûte que coûte, offrir à l’Amérique profonde, celle juchée entre Walt Disney et les «reality’s Show», quoi manger pour faire passer les cadavres de la guerre et les aigreurs de la bonne conscience que peuvent provoquer les cadavres des civils irakiens.

    Jessica fut utilisée à fond comme une arme de propagande massive, avant que l’on passe à Halliburton et à plus sérieux qu’une carte postale dont personne ne parle aujourd’hui.

    Une année après, c’est une autre femme qui agite l’Amérique en agitant l’Irak et le monde arabe. Lynndie England est américaine comme Jessica Lynch. Lynndie England est soldate en Irak comme Jessica Lynch. Lynndie England est jeune et est issue d’un milieu populaire comme Jessica Lynch. La différence est que, cette fois-ci, c’est une jeune américaine qui a le mauvais rôle. C’est elle qui torture des prisonniers. C’est elle qui pose aux côtés de leurs corps nus et qui tire sur la laisse quelques Irakiens sans nom, ni trace dans le réel. Lynndie blesse et n’a pas été blessée. Lynndie tire la laisse et personne ne lui tire dessus. Lynndie n’a pas de trace de coups de couteau dans le dos, mais c’est elle qui en donna sur le dos de l’Amérique. Lynndie n’a pas été délivrée en direct mais a été surprise en flagrant délit de nazisme en différé. Des mois et des semaines après ses fameuses séances à Abou Gharib. Le scandale est si énorme et l’atteinte au cinéma politique américain, si catastrophique que la machine de la propagande est presque aux abois. Tout est bon pour sauver la brebis ou la juger publiquement pour, au moins, sauver ce qui reste de l’Amérique. Le processus est maintenant inversé lorsqu’on pense à la «méthode Jessica». Cette fois-ci l’on court après le plus petit détail vrai pour effacer la grosse évidence. L’origine populaire de Lynndie est présentée presque comme une «excuse» qui explique sa sous-formation, sa sous-instruction en matière de droits de l’Homme et sa sous-conscience qui lui fit croire que l’on peut confondre des peluches avec des êtres vivants. Ce n’est pas la faute de Lynndie car «elle a travaillé dans un abattoir de poulets en Virginie occidentale». Ce n’est pas sa faute car elle n’a que 21 ans. Elle n’est pas vraiment coupable car, explique son avocat, il ne s’agissait pas de sévices mais de «mises en scène de sévices». «Ce sont des photos pour des opérations psychologiques», ajoutent-ils, lui et l’Amérique. La première classe originaire de Fort Ashby, «n’était pas au bon endroit, au bon moment», selon sa mère. Inculpée, jugée ou punie Lynndie England ne va pas être oubliée par les Arabes.

    Dans le cas de Jessica, les Arabes avaient été forcés de regarder un film. Dans le cas de Lynndie England, ils sont forcés d’avaler un bobard. Dans les deux cas, ils voient la même arnaque.

    Jessica et Lynndie sont soeurs jumelles et jouent le rôle d’une seule Amérique. Jessica et Lynndie se ressemblent. Pas sur l’échelle des valeurs. Ni sur celle des actes. Ni sur celle de la morale. Mais dans le casier des accessoires de cinéma. Ce que les Arabes voient, c’est que Jessica a été gonflée pour ressembler à un symbole et Lynndie réduite pour être confondue avec un bouc émissaire miniature pour les mêmes besoins. Ces besoins qui ne sont pas ceux de la vérité, ni de la réparation, ni des Irakiens, ni des Arabes.

    Jessica et Lynndie ont fait de la guerre contre l’Irak une histoire de femmes. Et les histoires de femmes sont ce qui se rapproche, parfois, le plus de la vérité. :icon_redface:


    In le Quotidien d'Oran

    Commentaire

    Chargement...
    X