Frictions tribales ou soulèvement populaire contre la direction du front ? Fait divers ou sauvage répression d'une manifestation pro-marocaine à Tindouf ? Retour sur une semaine où les machines propagandistes ont fonctionné à plein régime.
Répression sauvage, massacre à huis clos, torture et séquestration… Tindouf a rarement autant suscité l'intérêt des médias officiels marocains. Selon ces derniers, de violents affrontements entre citoyens sahraouis et forces de l'ordre du Polisario auraient éclaté le mardi 30 mai et se poursuivraient lorsque nous écrivons ces lignes. Selon ces
mêmes médias officiels, il y aurait plusieurs dizaines de blessés, peut-être même des morts. “Un soulèvement populaire et spontané, une rébellion contre la direction du Front”, lit-on sur une dépêche de la MAP. Sur les colonnes de certains quotidiens, on a même pu lire que des manifestants ont scandé des slogans à la gloire de Mohammed VI et brandi des drapeaux marocains au cœur des camps de Tindouf.
Côté Polisario, c'est évidemment un tout autre son de cloche. Dans un premier temps, les officiels du Front ont commencé par tout nier. Selon eux, “il ne se passe rien à Tindouf. Du moins, rien d'exceptionnel à signaler”. Quelques jours plus tard, ces mêmes officiels sont sortis de leur réserve pour affirmer qu'il s'agit “d'un simple fait divers grossi par la machine propagandiste marocaine et non d'un soulèvement populaire”. Dans un communiqué, le Polisario est même allé jusqu'à demander à une commission onusienne de se déplacer sur place, pour les besoins d'une éventuelle enquête.
Les raisons d'un black out
Entre les deux versions, forcément partielles et partiales, silence radio. La presse espagnole, traditionnellement avide d'informations provenant du Sahara occidental ou de Tindouf, n'a tout simplement pas traité le sujet. Omission ? Choix éditorial ? Sensibilité politique ? “C'est un peu tout ça à la fois, explique un journaliste espagnol. Mais c'est avant tout l'absence d'une source fiable et indépendante. Même les communications avec Tindouf ont été coupées”. D'autant plus, ajoute Réda Taoujni, militant associatif marocain installé en Espagne, “qu'il s'agit d'une information en défaveur du Front et donc très sensible à traiter en terre ibérique”. Même la prestigieuse agence de presse française AFP, s'est contentée de diffuser deux dépêches édulcorées provenant (appréciez l'équilibre) des bureaux des agences de Rabat et Alger.
Bref, ce qui s'est passé (ou ce qui se passe encore) à Tindouf relève du mystère. “Il ne faut pas oublier que Tindouf est un territoire quadrillé par les militaires algériens, c'est une zone d'exception où tout le monde n'est pas libre de circuler. Il ne faut surtout pas s'attendre à ce que les caméras du monde entier débarquent là-bas pour nous dire ce qui se passe. Tindouf n'est pas Laâyoune”, explique, sourire en coin, un observateur sahraoui. Une chose est sûre cependant, il y a bien eu des confrontations violentes au camp 27 février, non loin de Tindouf. C'est ce que les officiels du front appellent “un fait divers”. Il y a bien eu des interpellations massives mais la majorité des détenus, dit-on, a été libérée le mardi 6 juin. Aujourd'hui, des témoignages recoupés de Sahraouis installés au Maroc et en Espagne permettent de retracer une trame des événements. Avec beaucoup de conditionnels cependant …
Le film des événements
Tout commence le mardi 30 mai. Un notable de la tribu des Ayaycha (une fraction des Rguibat) est interpellé par le service de sécurité à Tindouf. Sans raison valable dit-on côté marocain, “parce qu'il faisait du trafic de cigarettes et de produits alimentaires depuis longue date”, selon un membre du Polisario. En tout cas, le bonhomme sera sérieusement malmené par les services de sécurité. Il sera même transporté à l'hôpital, “dans des conditions inhumaines”, si l'on croit la version marocaine. “Il a commencé par insulter les policiers qui l'ont battu par la suite”, affirme un sympathisant du Front, installé à Laâyoune. Problème, le notable en question est aussi un grand responsable sécuritaire dans les camps. Sa famille, nombreuse et influente, prend son interpellation et le traitement qui lui a été réservé comme un affront. Elle proteste énergiquement devant le siège de police avant d'être refoulée par les forces de l'ordre. Elle se dirige ensuite vers le siège du secrétariat général du Polisario où réside Mohamed Abdelaziz.
Que s'est-il passé à ce stade ? Le président du Front (qui ne porte pas les Ayaycha dans son cœur) les a-t-il réellement insultés ? Mystère. Toujours est-il que, quelques instants plus tard, les manifestants se sont dirigés vers le tribunal qui devait juger leur proche et l'ont mis sans dessus dessous. “Nous avons incendié le tribunal en entier et détruit une voiture de police avant qu'on vienne nous embarquer violemment et sans épargner les femmes et les enfants”, témoigne un membre des Ayaycha, joint par satellite, par la télévision régionale de Laâyoune, dans la soirée de mardi. Dans son témoignage, ce dernier dénonce le siège imposé par les forces de sécurité du Polisario autour du camp 27 février et des localités avoisinantes comme Al Mahbas. Le témoin anonyme finira par appeler tous les notables des tribus des camps de Tindouf à intervenir auprès de Mohamed Abdelaziz pour la libération des membres de sa famille (une vingtaine qu'il a tous cités nommément dans son témoignage). Ce qui fait dire à Mahjoub Salek, responsable de Khat Achahid, que l'affaire est plus tribale que politique. Et les slogans à la gloire de Mohammed VI dans ce cas ? Les drapeaux marocains ont-ils réellement été brandis à Tindouf ? Aucune source n'a pu le confirmer. “C'est très peu probable, affirme un observateur local. Cela équivaudrait à considérer le Polisario comme une démocratie qui tolère la liberté d'opinion. Tout le monde, même les sympathisants du Front, savent que ce n'est pas vrai”.
Le lendemain, soit dans la journée de mercredi, les communications téléphoniques avec Tindouf sont coupées. Les familles sahraouies marocaines, habituées à joindre leurs proches de l'est par téléphone, n'arrivent plus à le faire. C'est à ce moment que la propagande officielle marocaine reprend le relais. Pêle-mêle, le Maroc demande l'ouverture d'une enquête internationale sur les événements de Tindouf, appelle la communauté internationale à protéger ses citoyens séquestrés dans les camps algériens… Voilà de quoi rappeler, à s'y méprendre, les communiqués du Polisario diffusés à la suite des escarmouches qui arrivent, de temps à autre, à Laâyoune. Finalement, ce n'est que dans la journée du mardi 6 juin que toutes les personnes détenues lors de ces “événements” ont été libérées. Certaines, rapportent quelques sources, sont déterminées à manifester leur colère le 9 juin prochain, quant au traitement qui leur a été infligé. La célébration de la journée du martyr implique généralement la présence de plusieurs organisations et médias internationaux.
Résultat des courses : ce qui s'est passé à Tindouf est peut-être un fait divers. Mais il y a eu assez de violence et de répression mises en oeuvre pour que les officiels marocains en fassent “une affaire”. Le Polisario aurait fait pareil. Nuance cependant, les manifestations étaient peut-être dirigées contre la direction du Polisario, mais à aucun moment, il n'est apparu que les manifestants soutenaient le Maroc. Cela dénote en tout cas un changement de stratégie côté marocain : on garde un œil sur ce qui se passe à Tindouf et on s'alarme de la moindre friction. Le Polisario n'a plus le monopole de la propagande.
Source TELQUEL
Répression sauvage, massacre à huis clos, torture et séquestration… Tindouf a rarement autant suscité l'intérêt des médias officiels marocains. Selon ces derniers, de violents affrontements entre citoyens sahraouis et forces de l'ordre du Polisario auraient éclaté le mardi 30 mai et se poursuivraient lorsque nous écrivons ces lignes. Selon ces
mêmes médias officiels, il y aurait plusieurs dizaines de blessés, peut-être même des morts. “Un soulèvement populaire et spontané, une rébellion contre la direction du Front”, lit-on sur une dépêche de la MAP. Sur les colonnes de certains quotidiens, on a même pu lire que des manifestants ont scandé des slogans à la gloire de Mohammed VI et brandi des drapeaux marocains au cœur des camps de Tindouf.
Côté Polisario, c'est évidemment un tout autre son de cloche. Dans un premier temps, les officiels du Front ont commencé par tout nier. Selon eux, “il ne se passe rien à Tindouf. Du moins, rien d'exceptionnel à signaler”. Quelques jours plus tard, ces mêmes officiels sont sortis de leur réserve pour affirmer qu'il s'agit “d'un simple fait divers grossi par la machine propagandiste marocaine et non d'un soulèvement populaire”. Dans un communiqué, le Polisario est même allé jusqu'à demander à une commission onusienne de se déplacer sur place, pour les besoins d'une éventuelle enquête.
Les raisons d'un black out
Entre les deux versions, forcément partielles et partiales, silence radio. La presse espagnole, traditionnellement avide d'informations provenant du Sahara occidental ou de Tindouf, n'a tout simplement pas traité le sujet. Omission ? Choix éditorial ? Sensibilité politique ? “C'est un peu tout ça à la fois, explique un journaliste espagnol. Mais c'est avant tout l'absence d'une source fiable et indépendante. Même les communications avec Tindouf ont été coupées”. D'autant plus, ajoute Réda Taoujni, militant associatif marocain installé en Espagne, “qu'il s'agit d'une information en défaveur du Front et donc très sensible à traiter en terre ibérique”. Même la prestigieuse agence de presse française AFP, s'est contentée de diffuser deux dépêches édulcorées provenant (appréciez l'équilibre) des bureaux des agences de Rabat et Alger.
Bref, ce qui s'est passé (ou ce qui se passe encore) à Tindouf relève du mystère. “Il ne faut pas oublier que Tindouf est un territoire quadrillé par les militaires algériens, c'est une zone d'exception où tout le monde n'est pas libre de circuler. Il ne faut surtout pas s'attendre à ce que les caméras du monde entier débarquent là-bas pour nous dire ce qui se passe. Tindouf n'est pas Laâyoune”, explique, sourire en coin, un observateur sahraoui. Une chose est sûre cependant, il y a bien eu des confrontations violentes au camp 27 février, non loin de Tindouf. C'est ce que les officiels du front appellent “un fait divers”. Il y a bien eu des interpellations massives mais la majorité des détenus, dit-on, a été libérée le mardi 6 juin. Aujourd'hui, des témoignages recoupés de Sahraouis installés au Maroc et en Espagne permettent de retracer une trame des événements. Avec beaucoup de conditionnels cependant …
Le film des événements
Tout commence le mardi 30 mai. Un notable de la tribu des Ayaycha (une fraction des Rguibat) est interpellé par le service de sécurité à Tindouf. Sans raison valable dit-on côté marocain, “parce qu'il faisait du trafic de cigarettes et de produits alimentaires depuis longue date”, selon un membre du Polisario. En tout cas, le bonhomme sera sérieusement malmené par les services de sécurité. Il sera même transporté à l'hôpital, “dans des conditions inhumaines”, si l'on croit la version marocaine. “Il a commencé par insulter les policiers qui l'ont battu par la suite”, affirme un sympathisant du Front, installé à Laâyoune. Problème, le notable en question est aussi un grand responsable sécuritaire dans les camps. Sa famille, nombreuse et influente, prend son interpellation et le traitement qui lui a été réservé comme un affront. Elle proteste énergiquement devant le siège de police avant d'être refoulée par les forces de l'ordre. Elle se dirige ensuite vers le siège du secrétariat général du Polisario où réside Mohamed Abdelaziz.
Que s'est-il passé à ce stade ? Le président du Front (qui ne porte pas les Ayaycha dans son cœur) les a-t-il réellement insultés ? Mystère. Toujours est-il que, quelques instants plus tard, les manifestants se sont dirigés vers le tribunal qui devait juger leur proche et l'ont mis sans dessus dessous. “Nous avons incendié le tribunal en entier et détruit une voiture de police avant qu'on vienne nous embarquer violemment et sans épargner les femmes et les enfants”, témoigne un membre des Ayaycha, joint par satellite, par la télévision régionale de Laâyoune, dans la soirée de mardi. Dans son témoignage, ce dernier dénonce le siège imposé par les forces de sécurité du Polisario autour du camp 27 février et des localités avoisinantes comme Al Mahbas. Le témoin anonyme finira par appeler tous les notables des tribus des camps de Tindouf à intervenir auprès de Mohamed Abdelaziz pour la libération des membres de sa famille (une vingtaine qu'il a tous cités nommément dans son témoignage). Ce qui fait dire à Mahjoub Salek, responsable de Khat Achahid, que l'affaire est plus tribale que politique. Et les slogans à la gloire de Mohammed VI dans ce cas ? Les drapeaux marocains ont-ils réellement été brandis à Tindouf ? Aucune source n'a pu le confirmer. “C'est très peu probable, affirme un observateur local. Cela équivaudrait à considérer le Polisario comme une démocratie qui tolère la liberté d'opinion. Tout le monde, même les sympathisants du Front, savent que ce n'est pas vrai”.
Le lendemain, soit dans la journée de mercredi, les communications téléphoniques avec Tindouf sont coupées. Les familles sahraouies marocaines, habituées à joindre leurs proches de l'est par téléphone, n'arrivent plus à le faire. C'est à ce moment que la propagande officielle marocaine reprend le relais. Pêle-mêle, le Maroc demande l'ouverture d'une enquête internationale sur les événements de Tindouf, appelle la communauté internationale à protéger ses citoyens séquestrés dans les camps algériens… Voilà de quoi rappeler, à s'y méprendre, les communiqués du Polisario diffusés à la suite des escarmouches qui arrivent, de temps à autre, à Laâyoune. Finalement, ce n'est que dans la journée du mardi 6 juin que toutes les personnes détenues lors de ces “événements” ont été libérées. Certaines, rapportent quelques sources, sont déterminées à manifester leur colère le 9 juin prochain, quant au traitement qui leur a été infligé. La célébration de la journée du martyr implique généralement la présence de plusieurs organisations et médias internationaux.
Résultat des courses : ce qui s'est passé à Tindouf est peut-être un fait divers. Mais il y a eu assez de violence et de répression mises en oeuvre pour que les officiels marocains en fassent “une affaire”. Le Polisario aurait fait pareil. Nuance cependant, les manifestations étaient peut-être dirigées contre la direction du Polisario, mais à aucun moment, il n'est apparu que les manifestants soutenaient le Maroc. Cela dénote en tout cas un changement de stratégie côté marocain : on garde un œil sur ce qui se passe à Tindouf et on s'alarme de la moindre friction. Le Polisario n'a plus le monopole de la propagande.
Source TELQUEL
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