La question sahraouie oppose le Maroc à son allié américain
LE MONDE | 17.04.2013 à 13h08 Par Isabelle Mandraud
Les relations entre le Maroc et les Etats-Unis se sont subitement rafraîchies, au point que l'opération militaire conjointe African Lion – 1 400 militaires américains étaient attendus en avril à Agadir pour des exercices communs – a été suspendue. Révélée mardi 16 avril par le site marocain Lakome, cette information n'a pas été commentée à Rabat, mais confirmée par Washington, selon l'Agence France-Presse.
Elle intervient après la présentation au Groupe des amis du Sahara occidental (Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie, France et Espagne) d'un projet de résolution rédigé par Susan Rice, ambassadrice américaine à l'ONU, qui prévoit pour la première fois d'étendre aux droits de l'homme le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso).
Le texte, où figure l'instauration d'un mécanisme de surveillance et de compte-rendu des droits de l'homme dans la partie du Sahara dominée par le Maroc, mais aussi dans les camps de réfugiés de Tindouf contrôlés par le Front Polisario sur le territoire algérien, a pris de court le petit cercle des "amis". "Les Américains n'ont prévenu personne, c'est une mauvaise manière faite aux Marocains", proteste un diplomate français.
PARIS SE TROUVE DANS UNE POSITION DÉLICATE
Allié traditionnel du Maroc, Paris se trouve dans une position délicate : impossible pour la France, qui n'a pas utilisé seule son droit de veto à l'ONU depuis 1976, de s'opposer à une résolution sur les droits de l'homme. "On ne bloquera pas, c'est une question entre le Maroc et les Etats-Unis", élude avec mauvaise humeur ce diplomate.
La résolution pour le renouvellement annuel du mandat de la Minurso, installée depuis 1991 au Sahara occidental où perdure l'un des derniers conflits post-coloniaux, devrait être adoptée le 25 avril après la présentation, le 22, au Conseil de sécurité, du rapport de Christopher Ross, l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU. Or, dans un discours introductif au rapport, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, entrouvre la porte à l'adoption d'un volet droits de l'homme de la Minurso en qualifiant d'"urgente", "la nécessité d'une surveillance indépendante, impartiale, globale et soutenue de la situation des droits de l'homme au Sahara".
Evoquée à plusieurs reprises par le passé par ses partisans, dont le Royaume-Uni, qui soulignent que toutes les missions onusiennes depuis les années 1990 comportent ce volet droits de l'homme, cette hypothèse a toujours été repoussée devant l'hostilité farouche du Maroc qui y voit une atteinte à sa "souveraineté nationale".
VOLONTÉ D'AFFICHER UNE UNION NATIONALE SACRÉE
Lundi, une réunion de crise s'est tenue au palais de Mohammed VI en présence des conseillers du roi, du chef du gouvernement Abdelillah Benkirane, des chefs de partis politiques et de plusieurs membres du gouvernement. La présence de ces derniers, pourtant toujours tenus à distance de ce dossier piloté par le palais, notamment par Fouad Ali El Himma, un proche du roi, en dit long sur la volonté d'afficher une union nationale sacrée. Et sur la colère de Rabat.
"La partialité de ce type de démarche unilatérale et sans consultation préalable, en terme de contenu, de contexte et de procédé, ne peut que susciter incompréhension et rejet", a fait savoir le Maroc dans un communiqué diffusé après la réunion consacrée, selon les termes officiels, aux "derniers développements concernant la question nationale au sein des Nations unies, et plus particulièrement certaines initiatives tendant à dénaturer le mandat de la Minurso".
A aucun moment, les Etats-Unis, chargés par le jeu des alternances de rédiger la future résolution onusienne, ne sont mentionnés. Mais Rabat rejette "catégoriquement ces initiatives". Mardi, le ministre de la communication Moustapha El Khalfi, est revenu à la charge. Une telle démarche, a-t-il déclaré, "ne peut que favoriser les manœuvres des ennemis de l'intégrité territoriale du royaume, qui ne cessent d'instrumentaliser la question des droits de l'homme".
"CELA VA CHANGER BEAUCOUP DE CHOSES POUR LA MINURSO"
Furieux, le Maroc, qui met en avant les "efforts" qu'il a récemment consentis, notamment en accueillant Juan Mendez, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, a le sentiment d'avoir été trahi par un de ses meilleurs alliés régionaux dans la lutte sécuritaire. Mais plusieurs sources occidentales rappellent aussi la maladresse du royaume qui, mécontent du précédent rapport de M. Ross, avait retiré sa "confiance" en mai 2012 à l'émissaire de Ban Ki-moon, avant de faire marche arrière.
Présenté en septembre 2012, un autre rapport sévère sur la situation au Sahara occidental de la Fondation Kennedy, considérée proche de l'administration démocrate américaine, aurait aussi pesé dans le revirement des Etats-Unis. "Cela va changer beaucoup de choses pour la Minurso qui pourra recevoir les plaintes et faire des rapports", se réjouit Mohamed El Moutawakil, membre du bureau exécutif du Codesa, un collectif de militants sahraouis des droits de l'homme.
"Le problème, poursuit-il, c'est la France qui a toujours été contre, mais il faut soutenir ce type d'initiative dans une région fragile où la démocratie est totalement menacée par des groupes terroristes." Dans une lettre rendue publique mercredi, Human Rights Watch presse les membres du Conseil de sécurité de "mettre fin à cette situation anormale" qui prive la Minurso d'un volet droits de l'homme.
LeMonde
LE MONDE | 17.04.2013 à 13h08 Par Isabelle Mandraud
Les relations entre le Maroc et les Etats-Unis se sont subitement rafraîchies, au point que l'opération militaire conjointe African Lion – 1 400 militaires américains étaient attendus en avril à Agadir pour des exercices communs – a été suspendue. Révélée mardi 16 avril par le site marocain Lakome, cette information n'a pas été commentée à Rabat, mais confirmée par Washington, selon l'Agence France-Presse.
Elle intervient après la présentation au Groupe des amis du Sahara occidental (Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie, France et Espagne) d'un projet de résolution rédigé par Susan Rice, ambassadrice américaine à l'ONU, qui prévoit pour la première fois d'étendre aux droits de l'homme le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso).
Le texte, où figure l'instauration d'un mécanisme de surveillance et de compte-rendu des droits de l'homme dans la partie du Sahara dominée par le Maroc, mais aussi dans les camps de réfugiés de Tindouf contrôlés par le Front Polisario sur le territoire algérien, a pris de court le petit cercle des "amis". "Les Américains n'ont prévenu personne, c'est une mauvaise manière faite aux Marocains", proteste un diplomate français.
PARIS SE TROUVE DANS UNE POSITION DÉLICATE
Allié traditionnel du Maroc, Paris se trouve dans une position délicate : impossible pour la France, qui n'a pas utilisé seule son droit de veto à l'ONU depuis 1976, de s'opposer à une résolution sur les droits de l'homme. "On ne bloquera pas, c'est une question entre le Maroc et les Etats-Unis", élude avec mauvaise humeur ce diplomate.
La résolution pour le renouvellement annuel du mandat de la Minurso, installée depuis 1991 au Sahara occidental où perdure l'un des derniers conflits post-coloniaux, devrait être adoptée le 25 avril après la présentation, le 22, au Conseil de sécurité, du rapport de Christopher Ross, l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU. Or, dans un discours introductif au rapport, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, entrouvre la porte à l'adoption d'un volet droits de l'homme de la Minurso en qualifiant d'"urgente", "la nécessité d'une surveillance indépendante, impartiale, globale et soutenue de la situation des droits de l'homme au Sahara".
Evoquée à plusieurs reprises par le passé par ses partisans, dont le Royaume-Uni, qui soulignent que toutes les missions onusiennes depuis les années 1990 comportent ce volet droits de l'homme, cette hypothèse a toujours été repoussée devant l'hostilité farouche du Maroc qui y voit une atteinte à sa "souveraineté nationale".
VOLONTÉ D'AFFICHER UNE UNION NATIONALE SACRÉE
Lundi, une réunion de crise s'est tenue au palais de Mohammed VI en présence des conseillers du roi, du chef du gouvernement Abdelillah Benkirane, des chefs de partis politiques et de plusieurs membres du gouvernement. La présence de ces derniers, pourtant toujours tenus à distance de ce dossier piloté par le palais, notamment par Fouad Ali El Himma, un proche du roi, en dit long sur la volonté d'afficher une union nationale sacrée. Et sur la colère de Rabat.
"La partialité de ce type de démarche unilatérale et sans consultation préalable, en terme de contenu, de contexte et de procédé, ne peut que susciter incompréhension et rejet", a fait savoir le Maroc dans un communiqué diffusé après la réunion consacrée, selon les termes officiels, aux "derniers développements concernant la question nationale au sein des Nations unies, et plus particulièrement certaines initiatives tendant à dénaturer le mandat de la Minurso".
A aucun moment, les Etats-Unis, chargés par le jeu des alternances de rédiger la future résolution onusienne, ne sont mentionnés. Mais Rabat rejette "catégoriquement ces initiatives". Mardi, le ministre de la communication Moustapha El Khalfi, est revenu à la charge. Une telle démarche, a-t-il déclaré, "ne peut que favoriser les manœuvres des ennemis de l'intégrité territoriale du royaume, qui ne cessent d'instrumentaliser la question des droits de l'homme".
"CELA VA CHANGER BEAUCOUP DE CHOSES POUR LA MINURSO"
Furieux, le Maroc, qui met en avant les "efforts" qu'il a récemment consentis, notamment en accueillant Juan Mendez, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, a le sentiment d'avoir été trahi par un de ses meilleurs alliés régionaux dans la lutte sécuritaire. Mais plusieurs sources occidentales rappellent aussi la maladresse du royaume qui, mécontent du précédent rapport de M. Ross, avait retiré sa "confiance" en mai 2012 à l'émissaire de Ban Ki-moon, avant de faire marche arrière.
Présenté en septembre 2012, un autre rapport sévère sur la situation au Sahara occidental de la Fondation Kennedy, considérée proche de l'administration démocrate américaine, aurait aussi pesé dans le revirement des Etats-Unis. "Cela va changer beaucoup de choses pour la Minurso qui pourra recevoir les plaintes et faire des rapports", se réjouit Mohamed El Moutawakil, membre du bureau exécutif du Codesa, un collectif de militants sahraouis des droits de l'homme.
"Le problème, poursuit-il, c'est la France qui a toujours été contre, mais il faut soutenir ce type d'initiative dans une région fragile où la démocratie est totalement menacée par des groupes terroristes." Dans une lettre rendue publique mercredi, Human Rights Watch presse les membres du Conseil de sécurité de "mettre fin à cette situation anormale" qui prive la Minurso d'un volet droits de l'homme.
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