5. Cartes géographiques
La nature toute spéciale du bled siba révèle son importance dans le cadre
des relations internationales. Même si, pendant des années ou pendant un
siècle, le Makhzen n'a exercé aucune autorité dans un territoire du bled siba,
ce territoire reste toujours considéré par les Puissances européennes comme
étant de juresous l'autorité du Sultan. Au fond les Puissances considèrent les
territoires du bled siba comme des zones réservées à l'influence de l'autorité
chérifienne. C'est cette reconnaissance internationale qui permet de parler
d'une souveraineté, qui n'est presque jamais exercée.
Cette caractéristique du bled siba justifie l'importance à accorder aux
cartes géographiques, qui montrent quelle était l'opinion internationale de
l'époque sur les frontières reconnues à l'Empire marocain. Elle a pour
conséquence de limiter la possibilité, pour les Puissances, d'occuper certains
territoires et d'obliger ces Puissances à les considérer comme inclus dans le
devoir de respecter l'intégrité de l'Empire chérifien (acte d'Algésiras du 7 avril
1906; déclaration franco-espagnole du 3 octobre 1904).
La Cour a disposé d'une importante documentation cartographique fournie
par le Gouvernement espagnol, conformément à la demande de l'Assemblée
générale de soumettre à la Cour tous renseignements et documents
pouvant servir à élucider les questions posées. Dans l'annexe B-1 on trouve
quarante-quatre cartes datées de 1630 à 1887 et éditées en France, en
Angleterre, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne, en Autriche et en Amérique
du Nord. Dans l'annexe B-2, il y a encore six autres cartes éditées en
France et en Allemagne. Ainsi que je l'ai dit, ces cartes décrivent la frontière
sud du Maroc comme longeant divers caps et rivières du bled siba, mais ne la
1 C'est-à-dire non de facto, mais de jure ou à titre de zone d'influence légitime de
l'autorité du Sultan.
* 11 est à noter que le cap Juby, bien qu'il soit au-delà du Draa, est au nord du
parallèle 27" 40' et plus loin encore de l'oued Sakiet El Hamra. Le Sultan soutenait
contre la Grande-Bretagne que le district dépendait de son autorité, mais il avouait n'y
posséder « pas le plus petit pouvoir de contrôle » (Miège, op. cit., III, p. 305).
portent jamais au-delà de l'oued Draa, ce qui coïncide avec les témoignages
écrits de l'époque.
Sur la carte V de l'annexe B-2, tirée de Die Deutsche Handelsexpedition
1886 par le Dr R. Jannasch, Berlin, 1887, on remarque clairement les
anciennes frontières du Maroc (alte Grenze von Marokko), établies sur l'Atlas,
et les frontières des territoires se trouvant dans une situation de dépendance
envers le Sultan (Grenze derjenigen Lander, welche zum Sultan von Marokko
im Abhangigkeits-Verhaltniss stehen, c'est-à-dire le bled siba), lesquelles
suivent l'oued Draa.
Les limites du pays du Sous se voient sur la carte XI (ann. B-2), tirée de
l'oeuvre de R. Montagne, Les Berbères et le Makhzen dans le sud du Maroc.
Elles vont du Haut Atlas jusqu'à l'oued Draa 1.
L'importance des cartes géographiques comme preuve des limites entre
Etats est évidente et elle semble décisive lorsque les témoignages coïncident.
En l'espèce les cartes montrent bien que la communauté internationale
considérait l'oued Draa comme la limite sud du Maroc. Les connaissances et
l'objectivité des auteurs de cartes de l'Afrique ne sont pas douteuses. Il est vrai
qu'il y avait à l'intérieur de l'Afrique une terra incognita, mais la situation des
territoires près des côtes était bien connue. Les intérêts commerciaux et
politiques à l'égard de ces régions étaient considérables et les informations
des navigateurs, commerçants et voyageurs étaient continuelles.
6. Liens historiques avec le Maroc
Le fait que le Maroc ait affirmé des droits de souveraineté sur le Sahara
occidental appelait l'examen, comme question de fait, de la façon dont ces
droits ont été acquis et de leur maintien éventuel au moment de la colonisation.
Le Maroc, auteur de la revendication, devait donc établir à la satisfaction
de la Cour à quel moment et par quels moyens l'Empire marocain a acquis le
Sahara occidental. Est-ce par voie de conquête?
Y a-t-il eu une vraie
debellatiodes tribus du Sahara? Est-ce par voie de cession? Par quels traités?
Est-ce par voie d'occupation? Le Sahara était-il terra nullius?
S'agissant de savoir s'il y a eu une intégration du Sahara occidental, il faut
voir comment le Maroc en a pris possession. Il faut que la possession ait été
effective et qu'elle n'ait été ni transitoire ni temporaire. Il ne suffit pas d'un
Trout reproduit les cartes de Renou de 1844 et du ministère français de la guerre de
1848 (op. cit., p. 478-481). Dans la carte de Renou, on voit les limites de 1'Etat de Sidi
Hicham. On trouve aussi des références à 1'Etat de Sidi Hicham et à la région des
« Maures indépendants »dans les cartes XXIII-XXIX, XXXIVet XLII (1830-1887) de
I'annexe B-1 des informations et documents présentés par le Gouvernement espagnol.
La seule carte fournie par le Maroc (en premier lieu dans son livre de documents)
a pu induire en erreur, car elle ne signale pas la frontière marocaine, mais une limite
entre les zones française et espagnole passant par le cap Blanc, ce qui se retrouve dans
une autre édition de la même carte produite par le Gouvernement espagnol et dans une
carte accompagnant le rapport des autorités françaises du Sénégal de 1891 et délimitant
la « sphère d'influence française » et le « protectorat espagnol » (documents
complémentaires présentés par le Gouvernement espagnol, ann. B-2, cartes 1 et IX).
vague animus possidendi, d'un « droit de voisinage » ou d'une appartenance
comme celle du Maroc au Dar el Islam.
Dans l'hypothèse où l'une des incursions des Marocains en territoire
saharien aurait été considérée comme une prise de possession d'un territoire
sans maître ou comme une conquête, il fallait examiner si le retrait des forces
marocaines avait eu l'effet juridique d'un abandon. Selon le point de vue le
plus raïsonnable, il y a abandon lorsque 1'Etat envahisseur n'a pas établi dans
le territoire une administration rendant effective la continuité de son occupation
et assurant l'intégration du territoire dans son organisation étatique. On
doit en outre prouver cette intégration ab extra en montrant que I'Etat
acquéreur était responsable envers les au,tres Etats des faits des autorités et
habitants du territoire 1.
La colonisation espagnole s'est faite dans la période critique sans opposition
marocaine, que ce fût de la part de l'armée ou du gouvernement. Cela
peut expliquer que le Maroc ait tenu à dire à la Cour que « le fait historique
n'est autre chose en ce qui le concerne que l'existence multiséculaire de 1'Etat
marocain exerçant une possession immémoriale au Sahara occidental » et
qu'il ait ajouté que « le Maroc peut se prévaloir de l'exercice plusieurs fois
séculaire et historiquement démontré de la souveraineté au Sahara occidental
» et qu'«au moment de la colonisation espagnole le Maroc est
considéré comme le possesseur immémorial par la communauté internationale
La nature toute spéciale du bled siba révèle son importance dans le cadre
des relations internationales. Même si, pendant des années ou pendant un
siècle, le Makhzen n'a exercé aucune autorité dans un territoire du bled siba,
ce territoire reste toujours considéré par les Puissances européennes comme
étant de juresous l'autorité du Sultan. Au fond les Puissances considèrent les
territoires du bled siba comme des zones réservées à l'influence de l'autorité
chérifienne. C'est cette reconnaissance internationale qui permet de parler
d'une souveraineté, qui n'est presque jamais exercée.
Cette caractéristique du bled siba justifie l'importance à accorder aux
cartes géographiques, qui montrent quelle était l'opinion internationale de
l'époque sur les frontières reconnues à l'Empire marocain. Elle a pour
conséquence de limiter la possibilité, pour les Puissances, d'occuper certains
territoires et d'obliger ces Puissances à les considérer comme inclus dans le
devoir de respecter l'intégrité de l'Empire chérifien (acte d'Algésiras du 7 avril
1906; déclaration franco-espagnole du 3 octobre 1904).
La Cour a disposé d'une importante documentation cartographique fournie
par le Gouvernement espagnol, conformément à la demande de l'Assemblée
générale de soumettre à la Cour tous renseignements et documents
pouvant servir à élucider les questions posées. Dans l'annexe B-1 on trouve
quarante-quatre cartes datées de 1630 à 1887 et éditées en France, en
Angleterre, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne, en Autriche et en Amérique
du Nord. Dans l'annexe B-2, il y a encore six autres cartes éditées en
France et en Allemagne. Ainsi que je l'ai dit, ces cartes décrivent la frontière
sud du Maroc comme longeant divers caps et rivières du bled siba, mais ne la
1 C'est-à-dire non de facto, mais de jure ou à titre de zone d'influence légitime de
l'autorité du Sultan.
* 11 est à noter que le cap Juby, bien qu'il soit au-delà du Draa, est au nord du
parallèle 27" 40' et plus loin encore de l'oued Sakiet El Hamra. Le Sultan soutenait
contre la Grande-Bretagne que le district dépendait de son autorité, mais il avouait n'y
posséder « pas le plus petit pouvoir de contrôle » (Miège, op. cit., III, p. 305).
portent jamais au-delà de l'oued Draa, ce qui coïncide avec les témoignages
écrits de l'époque.
Sur la carte V de l'annexe B-2, tirée de Die Deutsche Handelsexpedition
1886 par le Dr R. Jannasch, Berlin, 1887, on remarque clairement les
anciennes frontières du Maroc (alte Grenze von Marokko), établies sur l'Atlas,
et les frontières des territoires se trouvant dans une situation de dépendance
envers le Sultan (Grenze derjenigen Lander, welche zum Sultan von Marokko
im Abhangigkeits-Verhaltniss stehen, c'est-à-dire le bled siba), lesquelles
suivent l'oued Draa.
Les limites du pays du Sous se voient sur la carte XI (ann. B-2), tirée de
l'oeuvre de R. Montagne, Les Berbères et le Makhzen dans le sud du Maroc.
Elles vont du Haut Atlas jusqu'à l'oued Draa 1.
L'importance des cartes géographiques comme preuve des limites entre
Etats est évidente et elle semble décisive lorsque les témoignages coïncident.
En l'espèce les cartes montrent bien que la communauté internationale
considérait l'oued Draa comme la limite sud du Maroc. Les connaissances et
l'objectivité des auteurs de cartes de l'Afrique ne sont pas douteuses. Il est vrai
qu'il y avait à l'intérieur de l'Afrique une terra incognita, mais la situation des
territoires près des côtes était bien connue. Les intérêts commerciaux et
politiques à l'égard de ces régions étaient considérables et les informations
des navigateurs, commerçants et voyageurs étaient continuelles.
6. Liens historiques avec le Maroc
Le fait que le Maroc ait affirmé des droits de souveraineté sur le Sahara
occidental appelait l'examen, comme question de fait, de la façon dont ces
droits ont été acquis et de leur maintien éventuel au moment de la colonisation.
Le Maroc, auteur de la revendication, devait donc établir à la satisfaction
de la Cour à quel moment et par quels moyens l'Empire marocain a acquis le
Sahara occidental. Est-ce par voie de conquête?
Y a-t-il eu une vraie
debellatiodes tribus du Sahara? Est-ce par voie de cession? Par quels traités?
Est-ce par voie d'occupation? Le Sahara était-il terra nullius?
S'agissant de savoir s'il y a eu une intégration du Sahara occidental, il faut
voir comment le Maroc en a pris possession. Il faut que la possession ait été
effective et qu'elle n'ait été ni transitoire ni temporaire. Il ne suffit pas d'un
Trout reproduit les cartes de Renou de 1844 et du ministère français de la guerre de
1848 (op. cit., p. 478-481). Dans la carte de Renou, on voit les limites de 1'Etat de Sidi
Hicham. On trouve aussi des références à 1'Etat de Sidi Hicham et à la région des
« Maures indépendants »dans les cartes XXIII-XXIX, XXXIVet XLII (1830-1887) de
I'annexe B-1 des informations et documents présentés par le Gouvernement espagnol.
La seule carte fournie par le Maroc (en premier lieu dans son livre de documents)
a pu induire en erreur, car elle ne signale pas la frontière marocaine, mais une limite
entre les zones française et espagnole passant par le cap Blanc, ce qui se retrouve dans
une autre édition de la même carte produite par le Gouvernement espagnol et dans une
carte accompagnant le rapport des autorités françaises du Sénégal de 1891 et délimitant
la « sphère d'influence française » et le « protectorat espagnol » (documents
complémentaires présentés par le Gouvernement espagnol, ann. B-2, cartes 1 et IX).
vague animus possidendi, d'un « droit de voisinage » ou d'une appartenance
comme celle du Maroc au Dar el Islam.
Dans l'hypothèse où l'une des incursions des Marocains en territoire
saharien aurait été considérée comme une prise de possession d'un territoire
sans maître ou comme une conquête, il fallait examiner si le retrait des forces
marocaines avait eu l'effet juridique d'un abandon. Selon le point de vue le
plus raïsonnable, il y a abandon lorsque 1'Etat envahisseur n'a pas établi dans
le territoire une administration rendant effective la continuité de son occupation
et assurant l'intégration du territoire dans son organisation étatique. On
doit en outre prouver cette intégration ab extra en montrant que I'Etat
acquéreur était responsable envers les au,tres Etats des faits des autorités et
habitants du territoire 1.
La colonisation espagnole s'est faite dans la période critique sans opposition
marocaine, que ce fût de la part de l'armée ou du gouvernement. Cela
peut expliquer que le Maroc ait tenu à dire à la Cour que « le fait historique
n'est autre chose en ce qui le concerne que l'existence multiséculaire de 1'Etat
marocain exerçant une possession immémoriale au Sahara occidental » et
qu'il ait ajouté que « le Maroc peut se prévaloir de l'exercice plusieurs fois
séculaire et historiquement démontré de la souveraineté au Sahara occidental
» et qu'«au moment de la colonisation espagnole le Maroc est
considéré comme le possesseur immémorial par la communauté internationale
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