francobebere
C’est une question complexe mais pertinente. Le ‘comment’ est important, mais l’implémentation ne serait pas efficace sans l’engagement de toute la nation. Je pense que chaque pays doit donner la priorité à ses propres intérêts économiques et socio-culturels (i.e. favoriser l’approche realpolitik, et je pense que l’échec du pan-Arabisme ; vision politique fondée sur des idéaux, et l’expérience du FIS, vision politique fondée sur un fantasme nostalgique de ressusciter un passé très lointain devraient servir de leçon dans cet égard). Il y a un énorme travail de fond qui doit s’effectuer au niveau socio-culturel pour préparer le terrain au politique.
Je vais me contenter de donner quelques facteurs qui me semblent être pertinents à la question:
- Il faut distinguer entre laïcité (une idéologie fondamentalement hostile à tout ce qui relève du religieux) et sécularisation (une méthodologie d’organisation des pouvoirs). Ces deux termes ont connu des usages différents et leur promulgation en des modèles ou principes politiques a donné des systèmes différents à cause de la nature polysémique de ces mots. Mais d’un autre côté, ça démontre que chaque société a des besoins de sécularisation différents qui façonnent sa conceptualisation de ces mots et la société musulmane n’est pas immune à ce besoin.
- Il faut aussi distinguer entre Islam (terme à connotation religieuse) et Islamicité (terme à connotation politique). Aussi, le terme hérésie ne doit pas figurer dans le glossaire politique islamique puisque c’est un terme religieux.
- Le fait qu’il n’y ait jamais eu de processus interne de sécularisation dans le monde islamique ne veut pas nécessairement dire que des formes de sécularisation développées ailleurs ne sont pas pertinentes au monde musulman ou qu’il n’existe pas des impératives de sécularisation dans le contexte moderne.
- Ce serait une erreur que de laisser ce genre de travail de conception aux fuqaha, c’est un travail de nature intellectuelle qui dépasse le domaine d’expertise des fuqaha (versés principalement dans la tradition) mais ne les exclue pas complètement sans pour autant leur donner le droit de veto.
- Etre faqih ne devrait pas être une condition pour accéder au pouvoir, en fait le mieux serait de séparer la jurisprudence de l’exécutif.
- Il est crucial de traduire les principes islamiques de gouvernance en une sorte de constitution ou une Bill of Rights en adoptant un langage séculier qui fait aussi appel aux sciences séculières. Beaucoup de concepts politiques modernes en besoin d’être traduits selon des principes islamiques : eg. liberté individuelle/ droits civils (pas dans le sens esclave/ homme libre mais par rapport au collectif et à l’Etat), liberté d’expression, citoyenneté, pluralisme etc. De même, les concepts politiques particuliers à l’Islam qui datent de l’aire médiévale doivent être traduits dans le contexte moderne (eg. dhimmitude, ridda, jizya, moubaya3a etc.).
- La liberté de penser et de s’exprimer doit être un droit reconnu politiquement puisque c’est un principe inviolable de la foi musulmane. Aucune restriction ne devrait être appliquée à la liberté de penser.
- Prendre conscience du fait que l’Islam dispose aussi d’un clergé (emprise du traditionnel sur l’intellectuel/ rationnel) même s’il n’y a pas d’institution ecclésiastique équivalente à l’Eglise et que ce clergé à travers le déploiement de l’histoire, a fini par acquérir une tutelle exclusive sur la pensée arabo-musulmane (et même la pensée scientifique). Cet état de choses a contribué (au moins en partie) à l’incrustation d’un mode cognitif pré-moderne dans l'esprit arabe, un mode régi par le surnaturel et dominé par les miracles, les théories de complot, le fatalisme plus qu’il n’est gouverné par la raison.
- Valoriser le patrimoine islamique philosophique (eg. admettre qu’Ibn Rushd avait raison quand il assigna la primauté à la preuve démonstrative (Burhan – un concept Coranique par excellence), la plus haute forme de certitude, sur la dialectique et la rhétorique – un principe en or du point de vue politique par rapport au religieux).
- Considérer les sciences traditionnelles religieuses sur un pied égal avec les sciences séculières modernes (eg. sociologie de la religion, psychologie de la religion, histoire des religions, sciences politiques etc.)
- L’Etat islamique ne doit en aucun cas se proclamer gardien de la foi (gardien des frontières à l’intérieur desquelles la liberté de croire et pratiquer est garantie mais pas policier de la foi). Ceci pourrait sembler évident, mais la réalité des mouvements islamistes modernes laisse entendre le contraire. L’Islam est venu pour réformer, il ne faut donc pas confondre conservatisme avec Islam ou ‘préservation de l’Islam/ la foi’.
Je vais m’en tenir là mais il y a certainement d’autres facteurs, ma liste n’est donc certainement pas exhaustive.
j'aimerais savoir comment selon vous, pourrions nous (algériens, mais plus généralement arabes et musulmans) accèder à des sociétés sécularisées quand tout dans les sources islamiques poussent au mélange entre religion et politique.
Je vais me contenter de donner quelques facteurs qui me semblent être pertinents à la question:
- Il faut distinguer entre laïcité (une idéologie fondamentalement hostile à tout ce qui relève du religieux) et sécularisation (une méthodologie d’organisation des pouvoirs). Ces deux termes ont connu des usages différents et leur promulgation en des modèles ou principes politiques a donné des systèmes différents à cause de la nature polysémique de ces mots. Mais d’un autre côté, ça démontre que chaque société a des besoins de sécularisation différents qui façonnent sa conceptualisation de ces mots et la société musulmane n’est pas immune à ce besoin.
- Il faut aussi distinguer entre Islam (terme à connotation religieuse) et Islamicité (terme à connotation politique). Aussi, le terme hérésie ne doit pas figurer dans le glossaire politique islamique puisque c’est un terme religieux.
- Le fait qu’il n’y ait jamais eu de processus interne de sécularisation dans le monde islamique ne veut pas nécessairement dire que des formes de sécularisation développées ailleurs ne sont pas pertinentes au monde musulman ou qu’il n’existe pas des impératives de sécularisation dans le contexte moderne.
- Ce serait une erreur que de laisser ce genre de travail de conception aux fuqaha, c’est un travail de nature intellectuelle qui dépasse le domaine d’expertise des fuqaha (versés principalement dans la tradition) mais ne les exclue pas complètement sans pour autant leur donner le droit de veto.
- Etre faqih ne devrait pas être une condition pour accéder au pouvoir, en fait le mieux serait de séparer la jurisprudence de l’exécutif.
- Il est crucial de traduire les principes islamiques de gouvernance en une sorte de constitution ou une Bill of Rights en adoptant un langage séculier qui fait aussi appel aux sciences séculières. Beaucoup de concepts politiques modernes en besoin d’être traduits selon des principes islamiques : eg. liberté individuelle/ droits civils (pas dans le sens esclave/ homme libre mais par rapport au collectif et à l’Etat), liberté d’expression, citoyenneté, pluralisme etc. De même, les concepts politiques particuliers à l’Islam qui datent de l’aire médiévale doivent être traduits dans le contexte moderne (eg. dhimmitude, ridda, jizya, moubaya3a etc.).
- La liberté de penser et de s’exprimer doit être un droit reconnu politiquement puisque c’est un principe inviolable de la foi musulmane. Aucune restriction ne devrait être appliquée à la liberté de penser.
- Prendre conscience du fait que l’Islam dispose aussi d’un clergé (emprise du traditionnel sur l’intellectuel/ rationnel) même s’il n’y a pas d’institution ecclésiastique équivalente à l’Eglise et que ce clergé à travers le déploiement de l’histoire, a fini par acquérir une tutelle exclusive sur la pensée arabo-musulmane (et même la pensée scientifique). Cet état de choses a contribué (au moins en partie) à l’incrustation d’un mode cognitif pré-moderne dans l'esprit arabe, un mode régi par le surnaturel et dominé par les miracles, les théories de complot, le fatalisme plus qu’il n’est gouverné par la raison.
- Valoriser le patrimoine islamique philosophique (eg. admettre qu’Ibn Rushd avait raison quand il assigna la primauté à la preuve démonstrative (Burhan – un concept Coranique par excellence), la plus haute forme de certitude, sur la dialectique et la rhétorique – un principe en or du point de vue politique par rapport au religieux).
- Considérer les sciences traditionnelles religieuses sur un pied égal avec les sciences séculières modernes (eg. sociologie de la religion, psychologie de la religion, histoire des religions, sciences politiques etc.)
- L’Etat islamique ne doit en aucun cas se proclamer gardien de la foi (gardien des frontières à l’intérieur desquelles la liberté de croire et pratiquer est garantie mais pas policier de la foi). Ceci pourrait sembler évident, mais la réalité des mouvements islamistes modernes laisse entendre le contraire. L’Islam est venu pour réformer, il ne faut donc pas confondre conservatisme avec Islam ou ‘préservation de l’Islam/ la foi’.
Je vais m’en tenir là mais il y a certainement d’autres facteurs, ma liste n’est donc certainement pas exhaustive.

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