Abdellahi Elmokhtar, ancien officier d'artillerie du Polisario, "j'ai été une machine à tuer"
Fraternité Matin (Abidjan)
INTERVIEW
1 Mars 2007
Publié sur le web le 2 Mars 2007
Ernest Aka Simon à Dakhla
Abidjan
Comment avez-vous été enrôlé dans le Polisario?
Créé en en 1973, le Polisario avait pour ambition de libérer le Sahara qui combattait les colons espagnols parce que ceux-ci voulaient créer au Maroc une province espagnole, le 6ème pays arabe du Maghreb.
Dans les années 1976, j'avais entre 16 et 17 ans. Etre révolutionnaire, pour les jeunes Sahraouis de cette époque, c'était la mode. Notre idole était Che Guevara, le maquisard cubain. Quand des représentants sont venus de l'Algérie pour me proposer le Polisario, je n'ai pas hésité.
Quels étaient leurs arguments?
Ils disaient qu'ils voulaient une issue sur l'Océan atlantique, à travers le Sahara marocain pour exporter leur mine de fer. Se disant les plus forts du Maghreb, ils devaient créer des obstacles aux Marocains par la guérilla. Entre 1989 et 1990, leur message a tellement pris qu'ils avaient réussi à recruter au Polisario quelque 12 000 hommes.
Que faisiez-vous exactement au Polisario?
Après une formation en Algérie de 1979 à 1985, j'étais instructeur d'artillerie au Polisario avant de passer officier militaire de 1984 à 1992. Avec les hommes sous mon commandement, je m'occupais d'exploration militaire. La nuit, nous venions dans le camp marocain pour ramasser des mines et faire la reconnaissance des lieux que nous attaquions à l'aube. J'étais une machine à tuer.
Pouvez-vous nous parler de la vie que vous meniez dans les camps du Polisario?
La vie n'était pas agréable. Des combattants actifs, pour un oui ou pour un non, étaient mis en taule, s'ils n'étaient pas exécutés. En 1988, mon épouse, une militante très convaincue du Polisario, et celle d'Omar Hadrami, l'un des fondateurs de ce mouvement, ont mené un mouvement de contestation dans un campement, qui porte de nom de Dakhla, pour des autorisations qu'il fallait avoir afin d'aller d'un campement à un autre. Mal leur en prit. Elles seront jetées en prison pendant 20 jours.
A partir de quand le mouvement a-t-il connu un essoufflement?
En 1982-1983, le Polisario a commencé à marquer des signes d'essoufflement. La raison était simple. Les enfants des combattants, envoyés faire des études à Cuba, une fois revenus dans les camps, n'avaient pas la même vision que nous autres des maquisards.Voyant venir cette déviation, les responsables militaires du Polisario décidèrent à partir de 1985 de reformer l'armée. Cette restructuration touchera même l'aile politique à la fin de 1988. Une porte ouverte sera alors aménagée du côté de la Mauritanie pour laisser sortir, volontairement, des camps Polisario ceux qui en exprimaient le désir.
Pourquoi avez-vous quitté le Polisario?
Après 14 ans de tuerie, je me suis rendu compte que le projet du Polisario n'était autre qu'un leurre. Puisque dirigé par des parrains tapis dans l'ombre quelque part en Algérie.
La preuve, même aujourd'hui les visites des responsables de l'ONU dans le camp de Tindouf sont précédées de celles des émissaires algériens qui intimident les habitants. De façon à faire d'eux des béni- oui-oui, favorables aux positions politiques du Polisario.
Déjà en 1988, certains combattants avaient compris la supercherie. Cela avait d'ailleurs entraîné un soulèvement entre les pro et les anti-algériens à l'intérieur du camp de Tindouf.
Par ailleurs, Mohamed Abdelaziz, originaire de Marrakech, le chef du Polisario, beau-fils de l'ancien maire algérien de Tindouf, n'est pas représentatif des autochtones des Saharaouis. Ces populations dont l'avenir se trouve dans l'Etat marocain, avec le projet d'autonomie.
Vous souvenez-vous de votre fuite du Polisario?
En septembre 1992, j'avais demandé une permission à mes supérieurs, afin que mon épouse puisse regagner sa famille en Mauritanie. Quelques jours après, j'ai également pris une permission, arguant que je devais aller chercher ma femme.
Avez-vous nourri la réflexion avant de tenter cette désertion?
J'étais convaincu qu'au Polisario nous n'avions pas d'atouts pour fonder véritablement un pays. La cohabitation pouvant laisser place à une guerre civile dans les camps.
Arrivé donc en Mauritanie, je suis rentré au Maroc grâce à la miséricorde du Roi Hassan II. Au Maroc, je suis avec ma famille. Ma femme, qui a fait des études d'infirmière d'Etat à Cuba, travaille aujourd'hui à l'hôpital Hassan II. Je vis paisiblement à Dakhla où je préside l'ONG Nature Initiative.
Que fait votre ONG ?
Moi, le sanguinaire du Polisario, il y a quelques années, je suis devenu un humaniste. Je m'occupe de la protection de 200 phoques moines, et de quelques gazelles dorcas menacés de disparition à cause du braconnage. A cet effet, nous avons signé des accords de partenariat avec des ONG allemandes, compte tenu de nos difficultés de financement, du fait de l'environnement au Sahara qui empêche des gouvernements européens de nous apporter de l'aide internationale.
Fini donc le Polisario
Le Polisario, pour moi, c'est du passé. Je pense qu'il en sera ainsi pour tous les Sahraouis quand le projet d'autonomie prendra forme.
L'histoire se passe dans un camp du Polisario. Un détenu âgé, au cours d'un rêve, entre habillé en blanc à Laâyoune, après avoir fui les affres des camps de Tindouf.
Le lendemain, il ose raconter son songe. Informé, le chef de la cellule, composée de 11 personnes, saisit le Commissaire politique. L'homme est puni. Motif: «il est interdit de diffuser des rêves sans autorisation du Commissaire».
Le droit de circulation est une autre paire de manches. Celui qui ne le respecte pas est jeté en prison, souvent dans les camps de concentration. Où il est quasi impossible de recouvrer la liberté.
Fraternité Matin (Abidjan)
INTERVIEW
1 Mars 2007
Publié sur le web le 2 Mars 2007
Ernest Aka Simon à Dakhla
Abidjan
Comment avez-vous été enrôlé dans le Polisario?
Créé en en 1973, le Polisario avait pour ambition de libérer le Sahara qui combattait les colons espagnols parce que ceux-ci voulaient créer au Maroc une province espagnole, le 6ème pays arabe du Maghreb.
Dans les années 1976, j'avais entre 16 et 17 ans. Etre révolutionnaire, pour les jeunes Sahraouis de cette époque, c'était la mode. Notre idole était Che Guevara, le maquisard cubain. Quand des représentants sont venus de l'Algérie pour me proposer le Polisario, je n'ai pas hésité.
Quels étaient leurs arguments?
Ils disaient qu'ils voulaient une issue sur l'Océan atlantique, à travers le Sahara marocain pour exporter leur mine de fer. Se disant les plus forts du Maghreb, ils devaient créer des obstacles aux Marocains par la guérilla. Entre 1989 et 1990, leur message a tellement pris qu'ils avaient réussi à recruter au Polisario quelque 12 000 hommes.
Que faisiez-vous exactement au Polisario?
Après une formation en Algérie de 1979 à 1985, j'étais instructeur d'artillerie au Polisario avant de passer officier militaire de 1984 à 1992. Avec les hommes sous mon commandement, je m'occupais d'exploration militaire. La nuit, nous venions dans le camp marocain pour ramasser des mines et faire la reconnaissance des lieux que nous attaquions à l'aube. J'étais une machine à tuer.
Pouvez-vous nous parler de la vie que vous meniez dans les camps du Polisario?
La vie n'était pas agréable. Des combattants actifs, pour un oui ou pour un non, étaient mis en taule, s'ils n'étaient pas exécutés. En 1988, mon épouse, une militante très convaincue du Polisario, et celle d'Omar Hadrami, l'un des fondateurs de ce mouvement, ont mené un mouvement de contestation dans un campement, qui porte de nom de Dakhla, pour des autorisations qu'il fallait avoir afin d'aller d'un campement à un autre. Mal leur en prit. Elles seront jetées en prison pendant 20 jours.
A partir de quand le mouvement a-t-il connu un essoufflement?
En 1982-1983, le Polisario a commencé à marquer des signes d'essoufflement. La raison était simple. Les enfants des combattants, envoyés faire des études à Cuba, une fois revenus dans les camps, n'avaient pas la même vision que nous autres des maquisards.Voyant venir cette déviation, les responsables militaires du Polisario décidèrent à partir de 1985 de reformer l'armée. Cette restructuration touchera même l'aile politique à la fin de 1988. Une porte ouverte sera alors aménagée du côté de la Mauritanie pour laisser sortir, volontairement, des camps Polisario ceux qui en exprimaient le désir.
Pourquoi avez-vous quitté le Polisario?
Après 14 ans de tuerie, je me suis rendu compte que le projet du Polisario n'était autre qu'un leurre. Puisque dirigé par des parrains tapis dans l'ombre quelque part en Algérie.
La preuve, même aujourd'hui les visites des responsables de l'ONU dans le camp de Tindouf sont précédées de celles des émissaires algériens qui intimident les habitants. De façon à faire d'eux des béni- oui-oui, favorables aux positions politiques du Polisario.
Déjà en 1988, certains combattants avaient compris la supercherie. Cela avait d'ailleurs entraîné un soulèvement entre les pro et les anti-algériens à l'intérieur du camp de Tindouf.
Par ailleurs, Mohamed Abdelaziz, originaire de Marrakech, le chef du Polisario, beau-fils de l'ancien maire algérien de Tindouf, n'est pas représentatif des autochtones des Saharaouis. Ces populations dont l'avenir se trouve dans l'Etat marocain, avec le projet d'autonomie.
Vous souvenez-vous de votre fuite du Polisario?
En septembre 1992, j'avais demandé une permission à mes supérieurs, afin que mon épouse puisse regagner sa famille en Mauritanie. Quelques jours après, j'ai également pris une permission, arguant que je devais aller chercher ma femme.
Avez-vous nourri la réflexion avant de tenter cette désertion?
J'étais convaincu qu'au Polisario nous n'avions pas d'atouts pour fonder véritablement un pays. La cohabitation pouvant laisser place à une guerre civile dans les camps.
Arrivé donc en Mauritanie, je suis rentré au Maroc grâce à la miséricorde du Roi Hassan II. Au Maroc, je suis avec ma famille. Ma femme, qui a fait des études d'infirmière d'Etat à Cuba, travaille aujourd'hui à l'hôpital Hassan II. Je vis paisiblement à Dakhla où je préside l'ONG Nature Initiative.
Que fait votre ONG ?
Moi, le sanguinaire du Polisario, il y a quelques années, je suis devenu un humaniste. Je m'occupe de la protection de 200 phoques moines, et de quelques gazelles dorcas menacés de disparition à cause du braconnage. A cet effet, nous avons signé des accords de partenariat avec des ONG allemandes, compte tenu de nos difficultés de financement, du fait de l'environnement au Sahara qui empêche des gouvernements européens de nous apporter de l'aide internationale.
Fini donc le Polisario
Le Polisario, pour moi, c'est du passé. Je pense qu'il en sera ainsi pour tous les Sahraouis quand le projet d'autonomie prendra forme.
L'histoire se passe dans un camp du Polisario. Un détenu âgé, au cours d'un rêve, entre habillé en blanc à Laâyoune, après avoir fui les affres des camps de Tindouf.
Le lendemain, il ose raconter son songe. Informé, le chef de la cellule, composée de 11 personnes, saisit le Commissaire politique. L'homme est puni. Motif: «il est interdit de diffuser des rêves sans autorisation du Commissaire».
Le droit de circulation est une autre paire de manches. Celui qui ne le respecte pas est jeté en prison, souvent dans les camps de concentration. Où il est quasi impossible de recouvrer la liberté.
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