une compile des ras-le-bol des femmes face aux remarques sexistes. Petit florilège de la muflerie ordinaire.
Il y a «la nouvelle» qui est compétente mais n’a «pas beaucoup de nénés» ;
le directeur de thèse qui sermonne sa doctorante : «Si c’est pour faire des enfants et ne pas s’en occuper, ça ne sert à rien»
un patron qui se sent encerclé par des salariées enceintes : «Je vais investir dans la ligature de trompes.»
Une employée du service bricolage d’un grand magasin à qui les clients demandent d’aller chercher un collègue «homme». Bien sûr, on parle aussi vêtements (pas chiffons). La jupe ?
A une jeune femme en stage dans un cabinet de conseil renommé, que son patron emmène à un rendez-vous, on reproche de l’avoir oubliée : «Oui, bah, tu aurais quand même pu mettre une jupe, au moins ça nous aurait aidés.»
A des thésardes, une chercheuse conseille de la laisser au placard le jour de leur oral : «Demain, évitez de mettre des jupes devant les membres du jury, ça pourrait mal passer.»
Des histoires comme ça, fragments du sexisme ordinaire, il y en a des milliers, balancées sur un site créé à dessein. Evidemment, tout le monde n’a pas forcément le réflexe de se jeter sur son clavier pour raconter son énervement
Mais, à lire, c’est très instructif. Et depuis sa création, il y a moins d’un an, le site, 1,2 million de visites (et 400 000 visiteurs uniques). Avec des pics de fréquentation, comme le 8 mars, journée des femmes, où 30 000 connexions ont été enregistrées.
Une dizaine de bénévoles d’Osez le féminisme, un mouvement créé il y a deux ans par des moins de 30 ans, d’abord dévolu à l’égalité professionnelle. «On était parties d’un ras-le-bol rencontré dans nos expériences du monde du travail, se souvient Magali De Haas, 26 ans, attachée territoriale. Mais très vite, les autres thèmes ont débordé.» Maternité, corps, responsabilités, langage, éducation. On y voit souvent émerger deux figures : la belle-mère et le patron.
Ces féministes revendiquent «une nouvelle méthode de militantisme» où l’humour n’est pas exclu. «C’est vrai qu’on touche plus largement qu’en faisant une "diff" au micro», convient Thalia Breton, 25 ans. Mais «l’engouement» les a étonnées. Le succès est tel qu’elles préparent un livre qui sortira le 19 mai (1). «En lisant les autres sur le site, on s’identifie, explique Julie Muret, 32 ans, documentaliste, qui a compilé des messages pour le livre. On identifie aussi plus facilement le sexisme. On ne se dit plus "c’est normal", mais : "c’est abuser".» Pour les trois féministes, ce ne sont pas que des anecdotes. «Chacune part d’une petite expérience personnelle mais se rend compte qu’on est des dizaines, des milliers, renchérit Thalia Breton. C’est alimenté par des individus, mais c’est une expérience partagée.» De post en post, «on voit une globalité qui montre la persistance de la domination masculine dans notre société», analyse Magali De Haas. «On est toutes concernées», disent-elles. Chacune des trois jeunes femmes a un jour balancé une histoire : «Ça fait du bien». Elles parlent de «double injonction» : «Il faut gérer sa carrière, partir tard, se sacrifier», puis vient le «revers de la médaille»,«on arrive trop tard à la crèche ou, à 30 ans, on nous reproche de ne pas encore avoir d’enfant». Parfois, les remarques sont plus insidieuses, et «intériorisées». Etalé sur un site, tout prend sens : «Vu le nombre de posts, le sexisme n’est pas un détail», conclut Julie Muret.
Un espace de parole. «Un peu comme les groupes non mixtes des années 70. Les femmes ont toujours recherché ce genre d’espace, où elles sont incitées à parler, remarque Magali De Haas. Internet donne cette possibilité-là.» Le succès, le besoin parfois compulsif, ou exutoire, de raconter, est-ce le signe que l’entourage n’entend pas ? Attentives, rodées, prêtes à déminer, les filles d’Osez le féminisme ont l’habitude de débriefer entre elles. Elles savent sourire de ces moments de colère : quand on leur demande «Mademoiselle ou madame ?», quand la famille leur fait comprendre que leur rôle est de s’occuper de leur conjoint, quand les collègues font des commentaires graveleux. «C’est vrai qu’entre nous, on en parle tout le temps.» Mais, ajoutent-elles, «certaines femmes ne savent peut-être pas vers qui se tourner». Les premiers commentaires très «masculinistes» avaient tendance à minimiser, se souviennent les trois militantes : «Tu exagères»,«ton cas n’est pas représentatif»,«c’est de l’humour», etc. Depuis, les commentaires ont été fermés. Extraits choisis.
Scènes de la vie professionnelle
«Je suis professeur dans une université. La semaine dernière, nous recevions des collègues d’une autre université. Le directeur du laboratoire nous présente, en commençant par mon collègue : "Le professeur Philippe X" (qui a un an de plus que moi), puis en vient à moi : "Et Isabelle." Tout court.»
«Aujourd’hui, grosse réunion de travail. Mon boss m’annonce qu’il me laisse la mener car je maîtrise le sujet. Tout le monde s’assoit, et moi, toute fière, je m’apprête à parler quand l’homme assis à côté de moi me dit : "Vous serez bien mignonne, vous nous ferez bien un p’tit café, mademoiselle ?", chose qu’il n’aurait jamais osé dire à un homme en costard-cravate bien sûr… Résultat : j’ai fait le café et ils ont commencé la réunion sans moi…»
«Jeune élue municipale en 2008, je prends possession de mon bureau en mairie. Un autre nouvel élu passe devant ma porte ouverte et me demande où il peut trouver des enveloppes. Lorsque je lui réponds qu’il doit s’adresser au secrétariat, il a un temps de pause signifiant son incompréhension : une jeune femme dans un bureau est forcément une secrétaire, et non une élue… Il s’est excusé depuis, et moi, je ferme la porte de mon bureau.»
Scènes de la vie conjugale
«J’inscris mon fils à l’école maternelle. La directrice me fait remarquer que comme il ira à la garderie jusqu’à 18 h 30, "ça va lui faire des longues journées". Je ne pourrais pas venir le chercher à 16 h 30 ? Je lui réponds que non, finissant à 17 h 30, avec une heure de transport. Elle soupire. J’ajoute que son père ne pourra pas davantage, qu’il aurait le même problème d’horaires et de transport, mais elle me coupe : "Ah non, mais je me doute bien que le papa ne pourra pas."»
«Il y a quelques semaines, je faisais les magasins avec mon ami. Il se décide finalement pour un pull avec du cachemire dedans. Au moment de passer à la caisse, la vendeuse, pleine de bonne volonté, m’explique comment JE dois laver et repasser le pull de mon copain.»
«Mon chéri a élevé sa fille seul pendant sept ans. Quand on a décidé d’habiter ensemble, ma belle-mère m’a demandé si je lui repassais ses chemises… Mais comment faisait-il avant ? Eh bien, il les repassait lui-même ! Et il fait ça très bien.»
«Premier jour d’adaptation à la crèche pour ma fille de 2 ans. La puéricultrice lui montre les jouets et lui tend un mini-fer à repasser : "Tiens, pour faire comme maman."»
Scènes du quotidien
«Je pars en ville voir une copine. Avec ma petite R5, je trouve une place dans un mouchoir de poche. Je commence mon créneau et y parviens sans difficulté. Et là, un mec en 4x4, bien sûr, s’arrête pour, je vous le donne en mille, me féliciter et applaudir l’exploit que je viens de réaliser, à savoir garer ma voiture sans pour autant avoir un phallus entre les jambes… Je l’ai gentiment assaisonné avec des noms d’oiseaux.»
«Au restaurant avec mon amoureux, un vrai florilège. JE prends une bière en apéritif, mais c’est devant LUI qu’on la pose. JE demande la carte des vins, mais c’est à LUI qu’on la tend. JE choisis le vin, mais c’est à LUI qu’on le fait goûter (alors qu’il n’y connaît rien). JE demande l’addition, mais c’est devant LUI qu’on la pose. JE paie le repas et LUI se paie un regard en biais… "Il la laisse payer, quel goujat !"»
«Je suis ingénieure dans une grosse entreprise, et mon copain travaille dans une crèche. Pourquoi est-ce que cela fait rire à chaque fois ?»
Libé.fr
Il y a «la nouvelle» qui est compétente mais n’a «pas beaucoup de nénés» ;
le directeur de thèse qui sermonne sa doctorante : «Si c’est pour faire des enfants et ne pas s’en occuper, ça ne sert à rien»
un patron qui se sent encerclé par des salariées enceintes : «Je vais investir dans la ligature de trompes.»
Une employée du service bricolage d’un grand magasin à qui les clients demandent d’aller chercher un collègue «homme». Bien sûr, on parle aussi vêtements (pas chiffons). La jupe ?
A une jeune femme en stage dans un cabinet de conseil renommé, que son patron emmène à un rendez-vous, on reproche de l’avoir oubliée : «Oui, bah, tu aurais quand même pu mettre une jupe, au moins ça nous aurait aidés.»
A des thésardes, une chercheuse conseille de la laisser au placard le jour de leur oral : «Demain, évitez de mettre des jupes devant les membres du jury, ça pourrait mal passer.»
Des histoires comme ça, fragments du sexisme ordinaire, il y en a des milliers, balancées sur un site créé à dessein. Evidemment, tout le monde n’a pas forcément le réflexe de se jeter sur son clavier pour raconter son énervement
Mais, à lire, c’est très instructif. Et depuis sa création, il y a moins d’un an, le site, 1,2 million de visites (et 400 000 visiteurs uniques). Avec des pics de fréquentation, comme le 8 mars, journée des femmes, où 30 000 connexions ont été enregistrées.
Une dizaine de bénévoles d’Osez le féminisme, un mouvement créé il y a deux ans par des moins de 30 ans, d’abord dévolu à l’égalité professionnelle. «On était parties d’un ras-le-bol rencontré dans nos expériences du monde du travail, se souvient Magali De Haas, 26 ans, attachée territoriale. Mais très vite, les autres thèmes ont débordé.» Maternité, corps, responsabilités, langage, éducation. On y voit souvent émerger deux figures : la belle-mère et le patron.
Ces féministes revendiquent «une nouvelle méthode de militantisme» où l’humour n’est pas exclu. «C’est vrai qu’on touche plus largement qu’en faisant une "diff" au micro», convient Thalia Breton, 25 ans. Mais «l’engouement» les a étonnées. Le succès est tel qu’elles préparent un livre qui sortira le 19 mai (1). «En lisant les autres sur le site, on s’identifie, explique Julie Muret, 32 ans, documentaliste, qui a compilé des messages pour le livre. On identifie aussi plus facilement le sexisme. On ne se dit plus "c’est normal", mais : "c’est abuser".» Pour les trois féministes, ce ne sont pas que des anecdotes. «Chacune part d’une petite expérience personnelle mais se rend compte qu’on est des dizaines, des milliers, renchérit Thalia Breton. C’est alimenté par des individus, mais c’est une expérience partagée.» De post en post, «on voit une globalité qui montre la persistance de la domination masculine dans notre société», analyse Magali De Haas. «On est toutes concernées», disent-elles. Chacune des trois jeunes femmes a un jour balancé une histoire : «Ça fait du bien». Elles parlent de «double injonction» : «Il faut gérer sa carrière, partir tard, se sacrifier», puis vient le «revers de la médaille»,«on arrive trop tard à la crèche ou, à 30 ans, on nous reproche de ne pas encore avoir d’enfant». Parfois, les remarques sont plus insidieuses, et «intériorisées». Etalé sur un site, tout prend sens : «Vu le nombre de posts, le sexisme n’est pas un détail», conclut Julie Muret.
Un espace de parole. «Un peu comme les groupes non mixtes des années 70. Les femmes ont toujours recherché ce genre d’espace, où elles sont incitées à parler, remarque Magali De Haas. Internet donne cette possibilité-là.» Le succès, le besoin parfois compulsif, ou exutoire, de raconter, est-ce le signe que l’entourage n’entend pas ? Attentives, rodées, prêtes à déminer, les filles d’Osez le féminisme ont l’habitude de débriefer entre elles. Elles savent sourire de ces moments de colère : quand on leur demande «Mademoiselle ou madame ?», quand la famille leur fait comprendre que leur rôle est de s’occuper de leur conjoint, quand les collègues font des commentaires graveleux. «C’est vrai qu’entre nous, on en parle tout le temps.» Mais, ajoutent-elles, «certaines femmes ne savent peut-être pas vers qui se tourner». Les premiers commentaires très «masculinistes» avaient tendance à minimiser, se souviennent les trois militantes : «Tu exagères»,«ton cas n’est pas représentatif»,«c’est de l’humour», etc. Depuis, les commentaires ont été fermés. Extraits choisis.
Scènes de la vie professionnelle
«Je suis professeur dans une université. La semaine dernière, nous recevions des collègues d’une autre université. Le directeur du laboratoire nous présente, en commençant par mon collègue : "Le professeur Philippe X" (qui a un an de plus que moi), puis en vient à moi : "Et Isabelle." Tout court.»
«Aujourd’hui, grosse réunion de travail. Mon boss m’annonce qu’il me laisse la mener car je maîtrise le sujet. Tout le monde s’assoit, et moi, toute fière, je m’apprête à parler quand l’homme assis à côté de moi me dit : "Vous serez bien mignonne, vous nous ferez bien un p’tit café, mademoiselle ?", chose qu’il n’aurait jamais osé dire à un homme en costard-cravate bien sûr… Résultat : j’ai fait le café et ils ont commencé la réunion sans moi…»
«Jeune élue municipale en 2008, je prends possession de mon bureau en mairie. Un autre nouvel élu passe devant ma porte ouverte et me demande où il peut trouver des enveloppes. Lorsque je lui réponds qu’il doit s’adresser au secrétariat, il a un temps de pause signifiant son incompréhension : une jeune femme dans un bureau est forcément une secrétaire, et non une élue… Il s’est excusé depuis, et moi, je ferme la porte de mon bureau.»
Scènes de la vie conjugale
«J’inscris mon fils à l’école maternelle. La directrice me fait remarquer que comme il ira à la garderie jusqu’à 18 h 30, "ça va lui faire des longues journées". Je ne pourrais pas venir le chercher à 16 h 30 ? Je lui réponds que non, finissant à 17 h 30, avec une heure de transport. Elle soupire. J’ajoute que son père ne pourra pas davantage, qu’il aurait le même problème d’horaires et de transport, mais elle me coupe : "Ah non, mais je me doute bien que le papa ne pourra pas."»
«Il y a quelques semaines, je faisais les magasins avec mon ami. Il se décide finalement pour un pull avec du cachemire dedans. Au moment de passer à la caisse, la vendeuse, pleine de bonne volonté, m’explique comment JE dois laver et repasser le pull de mon copain.»
«Mon chéri a élevé sa fille seul pendant sept ans. Quand on a décidé d’habiter ensemble, ma belle-mère m’a demandé si je lui repassais ses chemises… Mais comment faisait-il avant ? Eh bien, il les repassait lui-même ! Et il fait ça très bien.»
«Premier jour d’adaptation à la crèche pour ma fille de 2 ans. La puéricultrice lui montre les jouets et lui tend un mini-fer à repasser : "Tiens, pour faire comme maman."»
Scènes du quotidien
«Je pars en ville voir une copine. Avec ma petite R5, je trouve une place dans un mouchoir de poche. Je commence mon créneau et y parviens sans difficulté. Et là, un mec en 4x4, bien sûr, s’arrête pour, je vous le donne en mille, me féliciter et applaudir l’exploit que je viens de réaliser, à savoir garer ma voiture sans pour autant avoir un phallus entre les jambes… Je l’ai gentiment assaisonné avec des noms d’oiseaux.»
«Au restaurant avec mon amoureux, un vrai florilège. JE prends une bière en apéritif, mais c’est devant LUI qu’on la pose. JE demande la carte des vins, mais c’est à LUI qu’on la tend. JE choisis le vin, mais c’est à LUI qu’on le fait goûter (alors qu’il n’y connaît rien). JE demande l’addition, mais c’est devant LUI qu’on la pose. JE paie le repas et LUI se paie un regard en biais… "Il la laisse payer, quel goujat !"»
«Je suis ingénieure dans une grosse entreprise, et mon copain travaille dans une crèche. Pourquoi est-ce que cela fait rire à chaque fois ?»
Libé.fr
Commentaire