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Au coeur d’une Zaouia en Kabylie

dimanche 13 mars 2005, par Salim

En Kabylie, les terrains vierges et isolés sont toujours en contrebas vers les rivières ou parfois les contreforts de montagnes qui moutonnent à l’infini.

Pour atteindre la célèbre zaouïa de Sid-Ali Moussa, il faut descendre un kilomètre de route jusqu’au village bien nommé d’Izawiyen (les gens de la zaouia). Il est modestement peuplé de 660 personnes. Chacun reconnait en Sidi-Ahmed Benyoucef venu du Maroc au 8e siècle de l’hégire l’ancêtre. Il aurait eu quatre enfants contrairement à son taleb Sidi -Ali Ou Moussa sans descendance. Etrangement, on semble, vénérer davantage le second. Leurs mausolées ou les catafalques, le décor, l’espace sont quasi identiques loin l’un de l’autre il suffit de faire un tour à la zaouia où repose le premier pour tomber sur la tombe du second. Autour de son mausolée, le cimetière du village. " Il n’y a que les marabouts qui enterrent ici. Les quelques familles de « Kabyles » venues dans le temps pour se mettre au service des premiers n’ont pas le doit". Les relations matrimoniales, nous explique M. Taleb Ali un responsable de l’association qui gère la zaouia, sont inexistantes entre les uns et les autres".

Cet interdit qui n’a plus cours dans d’autres régions est toujours vivace. Il ne s’agit pas de le déplorer, encore de le dénoncer mais de le constater.
Aujourd’hui la zouia n’a plus sa réputation d’antan où le nombre des talebs dépassait 100. Dans ses mémoires - (des noms et des lieux - Casbah-éditions- 1998-p.218) Mostefa Lacheref écrivit : "A propos de ces départs pour les zaouias du Djurdjura ou les élèves passaient plusieurs années à s’initier aux disciplines religieuses notamment le droit malékite, selon Sidi Khlil et les jurisconsultes maghrébins, je découvris des poèmes mnémotechniques que ces jeunes arabophones des Haut-Plateaux et du Tell apprenaient par cœur dans le but de se familiariser avec un vocabulaire kabyle fonctionnel susceptible de les aider à se reconnaître dans ce nouveau milieu". On reconnaît là, écrit encore le fils de Sidi-Aissa, l’esprit réaliste, le bon sens populaire et paysan des lettrés de zaouias qui ont fait la légitime fierté du Maghreb par leur connaissance avertie des hommes et des lieux. Parmi les 23 élèves qui suivent les cours, plus de la moitié viennent de Boussaâda, Médéa, Mila, Bordj Bou-Arreridj ou Tébessa. Cette année, nous avons quelques élèves de Kabylie » mais contrairement au passé, cette filière d’enseignement qui à terme, procure un emploi d’Imam est boudée.

« J’ai fait des tournées, j’ai expliqué, reconnaît Seddouki Hadj Ali vice-président de l’Association, mais nos jeunes refusent ou hésitent ». Naguère, pourtant beaucoup y compris quelques femmes à Izawiyen étaient des imams, ou tout au moins apprenaient le Coran. Le grand-père de Hadj Ali a officié à Bouira et le cheikh Moh Ouali un de ses proches à la grande mosquée d’Alger dans les années 40. Les attraits ne manquent pas pourtant. Il suffit d’avoir le niveau de 7e AF. « Les pensionnaires sont logés, nourris. Quand ils rentrent chez eux, le voyage est pris en charge, les frais de soins aussi quand ils tombent malades ». Ils ont 2 à 5 ans pour apprendre le Coran. Avec ce bagage et d’autres notions théologiques, ils peuvent alors passer le concours d’accès aux instituts islamiques ».

Au delà de ces missions traditionnelles,la zaouia s’est surtout ouverte sur la société. Certains des 17 membres de l’association (dont 6 suppléants) tous issus du village d’Izawiyen évoquent avec amertume l’époque du parti unique où le FLN désignait un membre par village pour gérer la zaouia. « Quand nous sommes arrivés après 1990, raconte l’un d’eux, il y’ avait 17 salariés. Le nombre de talebs descendait jusqu’à moins de 10 ». Le pire, c’est qu’un tel lieu témoin des soubresauts de l’histoire-(les Turcs l’auraient reconstruit au début du 18e siècle) quand ils surent s’attacher les marabouts lors de leurs conquêtes contrariées du massif de Djurdjura est sans archives a disparu ou a été pillé. Dans la bibliothèque, don de l’ambassadeur de Belgique qui s’était rendu sur place, quelques vieux et rares manuscrits attendent des déchiffreurs.

On regarde plutôt vers l’avenir. Un labo de langues est en voie d’installation. Don du ministère de la Formation et de la Culture dont on est fier d’évoquer la titulaire, (les cousins et les proches y résident toujours à Izawiyen), il permettra d’initier les élèves au français et à Tamazight. Dans une aile de la zaouia agrandie dans les années 80, une salle où les garçons ou filles, à raison de 100 DA par mois, s’initient à la saisie. 4 groupes de huit personnes y poursuivent déjà les cours depuis deux ans. La bibliothécaire et l’enseignant sont payés par l’association. Cette dernière qui récolte aussi les aumônes et dons des visiteurs qui viennent d’un peu partout (6 à 10 millions de centimes par mois) offrent des denrées alimentaires aux pauvres de la commune lors du Ramadhan, des fêtes. Ils seraient plus consistants que ceux de l’APC. On tient à nous montrer une écurie. Il n’y avait cette fois-ci que deux moutons.

« On les égorge pour les talebs et les visiteurs ou on les vend », nous dit M. Taleb, ancien travailleur de l’ENAD. Des petits bouts de tissu accrochés aux tombes des saints, des bougies allumées témoignent du passage de visiteurs qui viennent ici demander l’intercession de ces pieux auprès du Puissant. Un coin (Takhalwit) est réservé à la méditation. De cette pièce exigue, un petit trou sert à retirer une pincée de terre que tout visiteur pourrait emporter et garder en guise de baraka.. Mais on nourrit un projet plus « révolutionnaire ». Pourquoi pas des ateliers de coiffure pour les filles nombreuses à chercher du travail ? « C’est difficile de faire avaler ça, reconnaît un jeune. C’est une région très conservatrice (un soûlard est soumis à une amende de 1500 DA). Déjà que l’opposition est vive pour un atelier de couture ». Dans une pièce, 4 métiers à tisser offerts par la wilaya de Tizi-Ouzou et 10 machines à coudre attendent d’être utilisées.

Le prix de la témérité

L’arch de Sid-Ali Oumoussa a beaucoup souffert du terrorisme. La forêt d’El Madj et la route sinueuse dangereuse et réputée pour ses faux-barrages qui mène vers Boghni est toute proche. « Avant 95 raconte un habitant, des groupes armés circulaient au vu et au su de tous. Ils interdisaient la cigarette, les jeux. Ce n’étaient pas des enfants du pays. A part 3 ou 4 qui recherchés à Alger se sont repliés ici ». A la mi-95, la zaouia elle-même fut dévalisée, la literie, une 404 bâchée et 30 millions de cts furent emportés par les terroristes. « Nous avons alors fermé la zaouia durant trois ans. Les terroristes avaient un groupe de complices dont le responsable originaire de Bordj-Menaïel avait pris le maquis « se souvient un autre habitant. « Juste après les élections de 95, nous n’en pouvions plus. Nous nous mîmes alors à les rechercher avec des hâches et des armes blanches ajoute-t-il ».

Le village a payé cher cette témérité. 7 travailleurs de la Cotitex de Draâ Ben-Khedda ont été tués à leur retour du travail. Un gardien de prison aussi, près de 20 personnes sont mortes. Habiter Sid-Ali Oumoussa était très risqué et valait l’excursion. Ce temps semble très lointain et les villageois s’apprêtent à aller ramasser leurs olives sans grande appréhension. Le chômage touche nombre de jeunes. Beaucoup vivent en clandestins en France. La majorité à Izawiyen sont des commerçants ambulants qui font les marchés. Mais, il est un commerce singulier qui a enrichi beaucoup de familles. C’est celui du tabac à chiquer au point qu’un village voisin d’Iziwiyeen a été affublé du surnom des « Bentichikou ». Des commerçants de Sétif ramènent les feuilles à moudre au Souk Letnine. Rachetées, elles sont mélangées à de la cendre obtenue après avoir brûlé et moulu des écorces de figuiers. Elles adoucissent le produit et garantissent semble-t-il sa qualité. Le repas modeste qui nous fût servi en guise de bienvenue et d’au revoir était autrement et heureusement plus appétissant.

Par R. Hammoudi, horizons-dz.com