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Béjaïa, la perle de l’Afrique du nord ternie

jeudi 28 avril 2005, par nassim

Le subconscient populaire garde à nos jours une image hautement religieuse de la ville de Béjaïa en souvenir de son rayonnement médiéval où de nombreux savants musulmans et érudits religieux, d’Orient et d’Andalousie, dont le célèbre auteur de la Mouqadima, avaient choisi de s’y établir.

Autrefois, la capitale des Hammadites faisait, en effet, office de destination initiatique pour de nombreux « pèlerins » qui venaient des quatre coins du pays. Le motif mystique a certes enregistré un net recul, mais tous les visiteurs de la cité observent toujours le rituel obligé de la virée sur le mont Gouraya, notamment pour la vue panoramique qui y embrasse la baie, de bout en bout.

Sur le parcours initiatique des ancêtres

« Bougie jouait et joue encore un rôle d’importance dans l’Islam », témoigne le dernier maire français de la ville, Jacques Augarde (1947-1962), qui rapporte dans un document publié en 1999 : « Les gens qui n’avaient pas les moyens de se rendre à la Mecque pouvaient obtenir le titre de demi-hadji s’ils faisaient un ou plusieurs pèlerinages au pied du Gouraya ; aussi, pour acquérir ce titre, affluaient sur la grande place de la prière des milliers de musulmans venus des douars voisins et même des kheïmas sahariennes. » Pendant leur séjour, les fidèles visitaient, souvent en groupe, les lieux saints, avec des drapeaux multicolores et des flambeaux. Ils se rendaient auprès des tombes les plus célèbres parmi les quatre-vingt-dix-neuf vénérées dans la médina, « la plus intellectuelle avec Tlemcen », ajoute Augarde avec nostalgie.

De nombreuses escales figurent au programme de ce rituel : le recueillement à la mosquée de Sidi Soufi auprès duquel se trouve aussi le tombeau vénéré de Sidi Boumedienne, la ziara du mausolée de Yemma Gouraya et de sa sœur Yamna, la prière collective au centre de la cité devant la dernière demeure de Lalla Fatima (aujourd’hui recouverte par le tissu urbain), un détour sur les koubas de Sidi Touati, de Sidi Aderrahmane, de Sidi Betroumi, de l’Amimoun de Sidi M’hand Amokrane, de Sidi Abdelkader (gardien des mers), de Sidi Yahia, de Sidi Aïssa (gardien des forêts), dans la vallée des singes, les restes de Sidi Abdelhak...Les moins présents dans l’esprit des dévoués étaient enterrés au bois sacré (bosquet surplombant le quartier Soummari), et seules les vieilles personnes pieuses savaient le chemin conduisant aux sépultures, se souviennent encore les vieux. Mais parmi toutes ces haltes, le clou du rituel demeure l’ascension vers le sommet du Gouraya qui reste à nos jours l’une des principales attractions « mystico-touristiques » de la ville de Béjaïa.

La symbolique de l’ascension vers l’Eternel

« Plus on monte, moins la végétation est vigoureuse, jusqu’à ce que finalement seule la forêt de broussailles couvre les sommets les plus hauts. On atteint une sorte de large vallée perchée, au milieu de laquelle se trouve une construction basse et étendue qui entoure une ferme carrée : c’est un pénitencier militaire. Il semble impossible que de si belles collines avec une vue si magnifique puissent être un lieu de proscription », écrit l’archiduc d’Autriche, Louis Salvator de Habsbourg (artiste, aventurier, homme de lettres et passionné de la nature) qui échoua à Béjaïa en l’an 1897, en raison d’avaries dues à la collision de son yacht avec un autre navire. Subjugué par la beauté du site, il y séjourna pendant des mois et réalisa de nombreuses gravures qui illustreront ensuite son célèbre ouvrage, au titre élogieux : Bougie, la perle de l’Afrique du Nord. Bâti initialement par les Espagnols, Fort Gouraya fut, en effet, remanié ensuite par les Français pour servir de prison. Le fort est situé à 672 m au sommet du mont du même nom. Sa position stratégique et la splendeur du paysage qu’il offre à son visiteur en ont fait un lieu de pèlerinage très fréquenté.

Un pèlerinage autrefois mystique évoqué par Habsbourg en ces termes : « Si la Mecque est le lieu de la plus haute vénération parce que l’on trouve le tombeau de Mohammed, Bougie en est presque l’égale à cause des milliers de saints qui sont enterrés dans le bois sacré de Djebel Khalifa. » De nos jours, des dizaines de milliers (voire plus) de visiteurs se rendent à chaque saison estivale sur ce site, le préféré de tous les randonneurs et de tous les promeneurs de la ville de Béjaïa.

Son potentiel touristique engendrera, à coup sûr, des plus-values si l’ont vient à la réfection du fort et l’aménagement de la route y menant et de services d’accompagnement à proximité. Proposé au classement le 10/7/2000, Fort Gouraya fait aujourd’hui l’objet d’une exploitation illicite à but lucratif, tandis qu’une végétation sauvage envahit ses parois en attendant sa mise en valeur par les pouvoirs publics pour une exploitation adéquate. La commission « Aménagement du territoire » de l’APW a préconisé récemment la réalisation d’une ligne de téléphérique pour la desserte de la vieille ville et du plateau de Gouraya où l’on propose aussi l’implantation d’un parc d’attractions et des aires de jeux récréatifs. Pour le moment, ce n’est rien qu’une proposition qui fait rêver, tout de même, les jeunes de la cité des Hammadites.

Par Kamel Amghar, latribune-online.com