Accueil > MULTIMEDIA > Blogs de mauvais goût

Blogs de mauvais goût

samedi 9 avril 2005, par nassim

Carnet de route ou journal intime, le blog fédère des millions d’internautes dans le monde. En s’invitant dans le milieu lycéen, ce nouveau type de publication a provoqué quelques dérapages et des renvois. Explication du phénomène.

Depuis le début du mois de mars 2005, de nombreuses exclusions définitives se sont multipliées à l’encontre de jeunes lycéens accusés de manque de respect à l’encontre de leurs professeurs ou camarades de classe. On leur reproche un langage ordurier ou des propos diffamatoires publiés sur internet par l’intermédiaire de blogs. Ainsi, le collège Teilhard-de-Chardin, à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, vient de renvoyer un élève, au demeurant brillant, pour avoir injurié ses « petits péteux » de camarades et publié la photographie d’un professeur accompagnée de commentaires outranciers. Le 10 mars, le collège Henri-Matisse, à Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d’Oise, appliquait la même sanction à l’encontre de trois élèves qui avaient insulté des professeurs sur leur blog. Une semaine plus tard, mêmes causes et mêmes effets pour trois élèves du collège privé Saint-Martin, à Amiens, responsables de caricatures et de diffamation envers plusieurs professeurs.

Le blog, ou weblog (contraction de « web » et de « log » qui signifie journal), apparaît vers la fin des années 90. Il s’agit d’un journal en ligne semblable à un site internet de construction sommaire. Il est disponible en mode public ou privé, accessible et actualisable en temps réel par PC mais aussi par téléphone portable ou assistant personnel. Il profite d’outils de publication dynamique pour automatiser la gestion, ce qui explique une partie de son succès, l’utilisation ne requérant aucune connaissance. Une nouvelle génération de sites, composés essentiellement d’actualités ou de billets, publiés de façon régulière et classés par ordre chronologique. L’univers de la page personnelle associé à celui du forum de discussion, mêlant réflexions, humeurs ou simple besoin de s’exprimer à propos du quotidien. Tribune d’expression mais aussi espace collaboratif, le blog permet de partager avec ses amis, sa famille ou même au sein de l’entreprise, textes, photos, musiques, vidéos et liens hypertextes menant à d’autres blogs ou pages web.

Le moteur de recherche Technorati recense près de 8 300 000 blogs dans le monde et presque 1 milliard de liens. Selon David Sifry, son fondateur, de 30 000 à 40 000 nouveaux blogs apparaissent chaque jour. La taille de la « blogosphère » doublerait tous les cinq mois.

De la page perso pour présenter les plus belles photos de son chien aux revues de presse spécialisées, le blog apparaît comme un élément incontournable de l’information en ligne. Aux Etats-Unis, 27% des internautes consultent les blogs. Un chiffre qui a explosé en 2004, notamment lors de l’élection présidentielle où 9% des internautes américains fréquentaient les blogs politiques (source Pew Internet & American Life Project). En France, les partisans du non et du oui à la Constitution européenne font campagne à coups de blogs (www.oui-et-non.com). Il existe de nombreux carnets web thématiques consacrés à des sujets précis, parfois pointus. Ils sont l’oeuvre de passionnés ou de spécialistes publiant à titre de hobby et touchent des domaines aussi divers que l’enseignement, les technologies ou la pêche à la mouche.

2 000 « skyblogs » apparaissent chaque jour
C’est dans le monde adolescent que le phénomène prend toute sa dimension. Confident, journal intime ou manifeste, le blog trace les évolutions des jeunes et délivre impressions et humeurs sur le même modèle que la messagerie instantanée. En décembre 2002, la radio Skyrock ouvre une plate-forme de blogs destinée aux jeunes. Après deux ans d’essor par le seul biais du bouche-à-oreille, la radio revendique 10% des adolescents français et 1,4 million de blogs actifs. 2 000 « skyblogs » apparaissent chaque jour, et jusqu’à 400 000 photos et textes sont mis en ligne quotidiennement.

Essentiellement constitués de photos personnelles et de messages de type SMS (les skyblogs sont d’ailleurs réactualisables par SMS), ces journaux en ligne développent de façon moderne et interactive toute la dialectique et les problèmes inhérents au monde adolescent. Ainsi les quelques dérapages apparus au mois de mars dans les collèges français semblent-ils dérisoires en comparaison du nombre de blogs mis en ligne. Les élèves exclus, qui avaient tous adopté la plate-forme interactive de Skyrock, n’ont fait qu’exprimer des considérations propres à leur âge. Si le blog ne doit pas être mis à l’index, il convient alors de rappeler aux jeunes générations les limites du virtuel : la loi s’applique aussi pour les blogs. Les propos injurieux sont interdits.

La direction de Skyrock n’hésite pas à supprimer un site qu’elle juge inacceptable. Mieux vaut garder la situation sous contrôle lorsque l’on sait que chaque blog dispose d’un emplacement pour une bannière de publicité. La radio annonce 4 millions de recettes pour l’année 2004, soit 15% de son chiffre d’affaires global. Un score qui pourrait, d’après son PDG, passer à 50% d’ici à cinq ans. Détenteur de 10% des blogs mondiaux, Skyrock peut envisager l’avenir sereinement. Devant l’ampleur du phénomène, les poids lourds du web assurent leurs arrières. Google a racheté Bloggers. com, un site de mise en ligne de blogs ; Microsoft propose MSN Spaces pour la publication des carnets web ; enfin Yahoo se lance dans le blogging en introduisant Yahoo 360, un service de publication de blogs destiné à ses 165 millions d’utilisateurs enregistrés.

Le blog reste un formidable outil pour quiconque désire s’exprimer ou recueillir des informations hors des circuits classiques. Si le phénomène souffre de débordements marginaux, il le doit plus à son ampleur qu’à sa nature. Selon la DUI (Délégation interministérielle aux usages de l’internet), plus d’un élève sur deux dans les collèges et lycées participent à un blog. Un enseignement à méditer pour adopter une attitude responsable et pédagogique face à ce nouveau raz de marée et ne pas brider la promesse initiale de l’outil internet : un moyen de communication interactif, contributif... et impertinent.

Par François Delétraz, Martine Moreau et Pascal Grandmaison, lefigaro.fr