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Bruce Willis, père sévère

samedi 23 avril 2005, par nassim

Fraîchement élevé au rang de chevalier des arts et des lettres, Bruce Willis est à l’affiche du trépidant "Otage", dans lequel il incarne un médiateur de la police dont la propre fille a été enlevée. Entretien avec un homme qui, dans la fiction comme dans la réalité, prend son rôle de père très au sérieux.

Il arrive sans crier gare, l’oeil cerné par les heures de vol que lui a imposées son voyage depuis Los Angeles, un petit bonnet de pêcheur d’Islande vissé sur son crâne rasé.

Bruce Willis.

On se dit qu’on n’est pas bien loti. Le sauveur du monde, le surhomme intégral a l’air fatigué. Affamé aussi. On lui commande presto un suprême de poulet, quelques lichettes de saumon fumé et un petit bol de mesclun vert tendre. Il faut des vitamines au héros. Lorsqu’on est admis à pénétrer dans le saint des saints, suite 304 au Bristol, ce n’est pas McClane, le pompier indestructible de Piège de cristal, 58 minutes pour vivre ou Une journée en enfer qui vous reçoit, encore moins le malfrat séducteur de Bandits, et décidément pas l’étrange personnage de Sixième sens ou Incassable. Juste un grand gaillard à la mine grave qui parle d’une voix lente et basse.

Bruce Willis est un caméléon qui s’adapte tant à ses rôles qu’il peine parfois à en sortir. Ainsi tire-t-il goulûment sur des gauloises blondes qu’on est allé lui chercher à sa demande. Et lorsqu’on s’étonne de voir un Américain fumer comme une cheminée, il précise qu’il se prépare à tourner 16 Blocks, de Richard Donner, où son personnage est accro à l’herbe à Nicot et qu’il ne saurait l’interpréter sans s’en être mis plein les poumons. « Les acteurs qui n’ont pas l’habitude et tirent sur leur clope comme des demoiselles à l’heure du thé, je trouve ça ridicule », dit-il en précisant que dès le dernier coup de manivelle, il laissera tomber les cibiches.

Ainsi arbore-t-il pour les mêmes raisons professionnelles l’air pensif et pénétré du médiateur qu’il incarne dans Otage. Pour ce film du Français Florent Siri, Bruce Willis s’est glissé dans la peau de Jeff Talley, un négociateur de la police qui a abandonné sa carrière à la suite d’une bavure et se voit contraint de reprendre du service. Simultanément, les deux enfants d’un riche comptable sont retenus par trois jeunes cinglés, et la propre fille de Talley et son ex-femme sont enlevées par de mystérieux ravisseurs. Les deux histoires sont liées. Notre homme est ligoté. Il traîne encore ses chaînes sur le canapé du Bristol. On a préparé des questions diverses et variées sur la vraie vie du vaillant flic. On les remballe à la hâte. Aujourd’hui, par la faute d’Otage, Willis est un père de famille concerné par l’éducation des enfants, les siens (Rummer, Scout La Rue et Tallulah, les trois filles qu’il a eues avec l’actrice Demi Moore) et ceux du monde entier. Selon lui, tout le malheur de l’univers vient de l’éducation.

S’il était président des Etats-Unis d’Amérique, l’un des rares acteurs à n’avoir pas fait campagne contre George Bush serait bien en peine de trouver une parade à la montée de la délinquance des jeunes. « Ce n’est pas le boulot de l’Etat, dit-il, sombre. C’est celui des pères qui devraient savoir rester chez eux pour apprendre la vie à leurs rejetons. » Supprimerait-il les armes dont sont truffés les foyers américains ? Certes non. « Détenir une arme, chez nous, est garanti par la Constitution, martèle-t-il d’une voix lasse. Si vous changez une règle, vous devez les changer toutes et vous basculez dans l’anarchie. Ce ne sont pas les fusils qui tuent mais les gens qui sont derrière. A nous d’apprendre à nos petits à ne pas s’en servir. » Devant ce discours « pacifiste », on lui fait remarquer qu’Otage charrie son lot d’hémoglobine et de folie meurtière, que Sin City (qui sera présenté au prochain Festival de Cannes) est adapté d’une bande dessinée plutôt gore et que de tels exemples pourraient donner des idées à de jeunes cerveaux à l’abandon. Là encore, il n’est pas d’accord. « Ne venez pas me dire que les films sont responsables de la délinquance. Le public est intelligent. Il sait parfaitement faire la différence entre la fiction et la réalité, les cadavres du journal télévisé (qu’il ne regarde plus depuis la première guerre du Golfe et interdit à ses enfants) et ceux des séries ou des films. Prenez l’Afrique, récite-t-il sur un ton monocorde, au Rwanda, ni les Hutus ni les Tutsis n’ont de télévision. Ça ne les empêche pas de se massacrer depuis des lustres car on leur a appris dès leur plus jeune âge à haïr la tribu voisine et à tuer. Si les parents prennent le temps d’apprendre à leurs petits l’amour plutôt que la haine, le monde changera peut-être. »

Retour sur les images, avec la surprise, pour les spectateurs, de découvrir dans ce dernier film, que la fille aînée de Bruce joue à l’écran le rôle qu’elle a dans la vie. On voit le père et la fille échanger des tendresses sur le mode inimitable qu’engendre l’adolescence. Bruce Willis, producteur du film, n’a pas imposé la jeune fille qui s’est soumise, comme les autres candidates, aux lois de l’audition. Et il est fier, le papa ? Agréablement étonné. « Elle a fait un bon boulot », dit-il encore sobrement. Mais encore ? Encouragera-t-il ses enfants à suivre le même chemin que lui ? « Elle feront ce qu’elles veulent. Si le cinéma les tente, je les aiderai. Je leur ai toujours expliqué qu’il était dommage d’avoir un travail qui rapporte juste de l’argent et qu’il fallait s’efforcer de trouver quelque chose que l’on aime et que l’on ferait même gratuitement. » Chiche ?

Par Valérie Lejeune, lefigaro.fr