Accueil > CULTURE > Da l’Mulud ou la quête identitaire

Da l’Mulud ou la quête identitaire

dimanche 27 février 2005, par Hassiba

Dès la parution, en 1952, de son premier roman, La colline oubliée, récompensé par le prix des Quatre jurés, une critique violemment hostile, émanant de militants nationalistes, accueillait le livre.

Cette attitude dénotait le poids des préjugés de ces nationalistes, qui ont accueilli dans la négation et l’intolérance, notamment le premier livre d’Assia Djebar, ainsi que celui de Mouloud Feraoun.

Plusieurs de ces auteurs, notamment Kateb Yacine ou Mohamed Dib, devenus aujourd’hui des classiques de la littérature algérienne et des écrivains universels, ont partagé la même destinée, faite de brimade, d’expropriation identitaire, d’exil, de privation et d’indifférence. L’attitude des nationalistes qui, dès 1954, criaient à la “traîtrise”, au “régionalisme” ou encore à “l’assimilation” allaient justement augurer d’une conduite assez atypique de nos gouvernés. Mouloud Mammeri a toujours incarné l’homme tranquille, serein, un sage aussi tant par son travail minutieux et assidu que par sa force de caractère.

Mouloud Mammeri initié à la littérature grecque et latine est arrivé à l’écriture après un long cheminement, bien qu’il n’envisageait pas une carrière de romancier. Il disait à ce propos : “Je ne me vois pas fabriquer des romans à la chaîne.” D’où, sans doute, une œuvre littéraire qualitativement importante, quatre romans, deux pièces de théâtre, deux recueils de contes pour enfants, en trente-quatre ans.

Cela s’explique aussi par la vision réaliste qu’il avait de son métier de romancier, lui qui, réfutant la littérature de commande, disait : “Je me refuse à être l’esclave de l’événement. Je ne me résous à écrire réellement que lorsque j’ai quelque chose à dire (...)” et d’ajouter un peu plus loin : “Il faut aller à l’essentiel du destin des hommes, sans nécessairement fuir les drames quotidiens qui en constituent l’essentiel des évènements.” Et ses quatre œuvres majeures marquent chacune une période cruciale de l’histoire de l’Algérie : avec La colline oubliée, l’enfance et l’adolescence sur fond de colonisation, Le sommeil du juste, les prémices de la guerre, L’opium et le bâton, la guerre de libération (portée à l’écran en 1974), puis La traversée, écrite dix-sept ans après sa trilogie, l’Après-indépendance.
Mouloud Mammeri a été également à la tête de l’Union des écrivains algériens, fondée en 1963, et il revient, en 1989, sur les raisons de son départ de cette union, en déclarant dans Horizons du 23 janvier 1989 : “Le jour où on est venu nous signifier que nous étions une organisation de masse, j’ai quitté l’Union [...] Comment peut-on enfermer, comme des moutons dans un parc, des hommes et des femmes qui ont chacun un visage, un nom, un cœur ?”

Mouloud Mammeri, à travers la thématique d’une quête savante de l’identité et d’un déchirement entre deux univers, souhaitait rétablir l’amazighité dans l’espace culturel national. Cet immense engagement était perceptible dans le cheminement logique de son parcours, vu que, dès 1974, suite aux Isefra de Si Mohand u M’hand (Maspéro, 1969), auxquels il fallait une base transcriptive, Mammeri élabore La grammaire kabyle, entièrement rédigée en berbère pour, ensuite, être traduite en langue française. Attaché au passé et aux profondes valeurs ancestrales et universelles, par son souci d’être utile aux mœurs, il entreprendra, par la suite, d’autres travaux à caractère anthropologique et linguistique dans le cadre de son travail dans le Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques (Crape) à Alger, qu’il a dirigé entre 1969 et 1979.

Frappé par les similitudes et la parenté entre les cultures kabyle, mozabite et chaouie des Aurès, Mouloud Mammeri va tenter de retrouver les origines spécifiques des populations des ksour du Gourara, en se forçant de recueillir et de reconstituer, durant huit ans, en parcourant les régions du Gourara, visitant ksour et foggaras et arrivant jusqu’au cœur de l’erg occidental, un précieux document sur cette culture ancestrale en perdition en recueillant témoignages, contes et, surtout, cette poésie transmise oralement. Le nom de Mouloud Mammeri reste aussi étroitement lié au Printemps berbère. Pour rappel, il a suffi d’une interdiction, en avril 1980, de la tenue d’une conférence sur la culture amazigh par Mammeri pour provoquer justement le Printemps berbère.

Biographie
 1917 : naissance de Mouloud Mammeri
 1938 : publication d’une série d’articles sur la société berbère dans la revue marocaine Aguedal.
 1940 : démobilisation du front de la Seconde Guerre mondiale. Il poursuit ses études entamées au Maroc au lycée Louis-Gouraud à l’ex-lycée Bugeaud (Émir-Abdelkader) et prépare l’École normale supérieure.
 1947 : enseignant à Médéa, puis à Ben Aknoun (Alger), après avoir réussi le professorat de lettres.
 1952 : publication de La colline oubliée chez Plon
 1953 : prix des Quatre jurés
 1955 : publication du Sommeil du juste (Plon).
 1957 : ciblé par l’armée coloniale, il se réfugie au Maroc.
 1965 : L’opium et le bâton (Sned)
 1969-1980 : il dirige le Centre national de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnologiques, le Crape
 1974 : il élabore sa grammaire berbère qui sera rééditée chez Bouchène en 1992
 1980 : parution de Poèmes kabyles anciens à l’origine du Printemps berbère de Kabylie
 1982 : il fonde à Paris le Centre d’études et de recherches amazighes, le Cedam, et crée la célèbre revue Awal
 1988 : il reçoit le titre de docteur honoris causa à l’université de la Sorbonne, à Paris. Avant sa mort accidentelle, il accorde un long entretien à Tahar Djaout sur l’écriture comme espace identitaire
 1989 : décès de Mouloud Mammeri, victime d’un accident de la circulation, de retour d’Oujda
 1991 : création du prix annuel Mouloud-Mammeri par la Fédération des associations culturelles

Par Nassira Belloula , liberté-algerie.com