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Djamila Amzal : “Mon film est un appel au débat”

mercredi 23 juin 2004, par Hassiba

Djamila Amzal s’est particulièrement distinguée comme actrice dans les premières et très réussies productions de films amazighs, “La Montagne de Baya”, “La Colline oubliée” ou encore “Machahou”. Après une longue absence, la comédienne se lance dans la réalisation avec “Le Tuteur de madame la ministre”. Un film de 25 minutes qui a décroché lundi soir l’olivier d’or du 5e Festival du film amazigh.

Liberté : Pourquoi le tuteur de madame la ministre ?
Djamila Amzal : Ce titre aurait pu être quelque chose d’encore plus fort, le tuteur de madame la présidente de la république par exemple. C’est peu pour démontrer au travers les quelques images du film, la contradiction dans le statut et le pouvoir qu’a la femme algérienne et les lois auxquelles elle est soumise. Particulièrement, celui du tutorat et de l’obligation pour une femme d’avoir l’autorisation d’un tuteur afin de se marier. Donc, c’est juste pour souligner le côté contradictoire.

Pourquoi particulièrement une ministre ?
Comme je l’ai dit, ça aurait pu être une présidente. Rien n’empêche une femme algérienne d’être ministre ou présidente de la République, mais pour se marier, il lui faut un tuteur.
Si j’avais pris n’importe quelle autre femme, je n’aurais pas pu démontrer le décalage entre le pouvoir que peut avoir une femme algérienne, qui occupe des postes assez importants et sa condition et son statut de femme condamnée à rester mineure toute sa vie.
Dans le film, on rappelle à la ministre que de toute façon, elle doit être soumise à la loi comme toute autre femme. Ce n’est pas parce qu’elle est ministre qu’elle va échapper à la règle. Ça démontre l’absurdité de la chose.

Djamila Amzal a décidé de passer à la réalisation, qu’est-ce que ça fait de passer d’un côté à l’autre de la caméra ?
Ce n’est pas une idée qui vient du jour au lendemain, les choses mûrissent petit à petit. Moi, j’ai adoré jouer dans des films. J’ai fait deux films et le troisième, Si Mohand u M’hand, sortira incessamment et où j’ai eu une participation qui m’avait vraiment honorée. Je n’ai pas la prétention de considérer le tuteur de madame la ministre comme un film qui apporte quelque chose au cinéma sur le plan de la réalisation. Je l’ai fait surtout pour m’exprimer en tant que femme.
Il y a des gens qui ont la chance de s’exprimer par le biais de la poésie ou des discours. Pour moi, même ma voix se casse, si je me fâche un petit peu et je ne peux plus parler. C’est un sujet qui touche toutes les femmes, beaucoup d’entre elles se sont exprimées ; elles ont manifesté ou elles ont fait des colloques et des conférences. Ce tutorat s’appliquait même chez nos voisins Marocains, où il a été abrogé tout récemment.
Mon film est un appel au débat, une manière d’unir toutes les tentatives et les actions de lutte. Alors, pour ma part, j’ai décidé d’apporter ma contribution par l’image à laquelle je suis plus familière parce que je suis moi-même concernée ; c’est pourquoi, j’ai écrit une histoire qui n’est pas une fiction en soi, c’est une réalité tissée autour d’une sorte d’explication.

C’est donc le film de Djamila Amzal la femme, et non pas une prétention de cinéaste...
J’aimerais bien m’investir dans la réalisation, pourquoi pas, seulement le film je ne l’ai pas fait dans cet esprit, la preuve j’ai joué dans le film.

Quelle appréciation faites-vous de cette première expérience ?
Pour une première, les choses étaient un peu difficiles. Je ne me doutais pas de la difficulté de pouvoir me diriger moi-même, je demandais à tout le monde sur le plateau qu’est-ce qu’ils en pensent.
Qu’est-ce que je dois faire ? Je crois qu’un comédien a besoin d’être dirigé, autrement je ne ferai que refléter ce que je pense, moi, Djamila Amzal, et non pas en tant que quelqu’un qui livre un message destiné aux autres. Là, il y a risque de confusion entre la personne et la comédienne. En tant que débutante, je ne souhaiterais pas recommencer de sitôt. Au moins avoir un assistant réalisateur,c’était difficile !

Après deux films à succès, Djamila s’est éclipsée, qu’est-ce qui s’est passé ?
Je dirais que le cinéma algérien nous a oubliés, il n’y a pas eu de grosses productions. Je me suis retrouvée seule à Paris, chacun s’occupant de ses problèmes personnels.

Cela veut dire qu’il y a eu une régression dans le cinéma ?...
J’estime qu’il y a eu une stagnation du cinéma. Pour le festival du film amazigh, on a vu pendant cinq jours des films réalisés grâce à la volonté de jeunes qui veulent devenir réalisateurs. Hélas ! ces films sont faits avec des moyens très restreints et ça transparaît assez souvent. Je considère qu’il n’y a pas eu de production. Pour parler de cinéma, il y aurait dû avoir une continuité, au moins deux films par an. La colline oubliée, La montagne de Baya et Machahou sont sortis consécutivement sur trois années ; c’était de grosses productions, de beaux films et un très bon départ pour le cinéma d‘expression amazighe. mais, depuis 1997, il n’y a pas eu de suite. Là, on attend la sortie de Si Mohand u M’hand.

Que pensez-vous de toute la polémique qu’il y a autour de ce film ?
Je ne voudrais vraiment pas m’y mêler, ni la commenter.
Ce sont des choses qui arrivent. Il faut laisser les gens s’exprimer, chacun a ses raisons. Pourvu que ça ne déborde pas. Je suis comédienne, on m’a proposé un rôle, j’ai travaillé pendant une semaine et ça c’est bien passé dans des conditions normales. J’ai beaucoup aimé mon petit rôle dans le film.

Si on revient à Mme la ministre, comment s’est fait le choix du casting ?
C’était un choix très spontané. Parfois, on choisit ses comédiens et parfois c’est parce que c’est tout ce qu’on a entre les mains. Par moments, je rencontre des personnages et je me dis que celui-là aurait pu être le tuteur parfait, et celle-là la ministre idéale. J’avoue que j’étais très mal à l’aise dans la peau du personnage.

Des projets ?
J’espère, dans peu de temps, faire un documentaire sur l’émigration des jeunes Algériens qu’on oblige à partir et qui sont mal reçus là où ils vont. Des jeunes qui vivent le déchirement d’un exil involontaire. J’ai aussi un autre projet qui me tient à cœur et qui est en préparation sur les contes kabyles, qui sont des messages très forts, aussi bien pour les petits que pour les grands. C’est quelque chose qui me fascine. J’espère seulement ne pas avoir autant d’embûches que pour le premier film.

Le tuteur de Mme la ministre est loin d’être une dénonciation, car combien d’encre a déjà séché sur les pages de journaux et de livres, combien de colloques et débats ont été organisés pour dénoncer le code de la famille. C’est tout simplement le témoignage de l’âme brimée et de la dignité bafouée de Lila, une femme parmi toutes les autres. À travers quelques images de son histoire, nous assistons à l’humiliation infligée aux femmes depuis vingt ans par le code de la famille, qui les tient au rang de mineures à vie. Ce court métrage se veut donc comme un lien entre toutes les autres formes de luttes, menées jusqu’à aujourd’hui par des hommes et des femmes pour que l’absurde cesse de ronger notre société.

Par Wahiba Labrèche, Liberté