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En Israël, « pas d’Arabes pas de buts ! »

jeudi 31 mars 2005, par Hassiba

Le but égalisateur contre la France, mercredi, comme celui contre l’Irlande, samedi, ont été marqués par des Arabes israéliens . Ce dont se régalent les journaux et un député .

Le nul (1-1) obtenu hier, à l’arraché, par les Israéliens devant les Français à Ramat-Gan, en éliminatoires du Mondial de foot 2006, avait une double charge explosive. Sportive, d’abord, surtout pour la France qui doute désormais d’accéder à la phase finale et pour Israël, qui l’espère toujours. Et politique, bien sûr, tant les relations entre les deux pays sont plus compliquées que les réflexions à l’emporte-pièce de Fabien Barthez.
Néanmoins, la charge la plus significative - et la plus belle - aura été ailleurs. Le but qui a libéré les Israéliens, hier soir, à la 83e minute, a été expédié dans les filets, de la tête, par Walid Badir. Tout comme celui qui a permis aux « bleu-blanc » de revenir, face aux Irlandais, dimanche dernier, à la 90e, était d’un boulet d’Abbas Souan. Le premier joue au Maccabi Haïfa, le second à Sakhnine. Tous deux sont des Arabes israéliens. Le premier évite, en général, d’évoquer son appartenance ; le second s’en prévaut, qui a dédié son but « à tous, afin que Pourim (fête juive, ndlr) soit un peu plus joyeuse. Ça suffit de parler de Juifs et d’Arabes, nous sommes un seul pays et nous sommes tous ensemble. » Tout comme son club, « arabe » lui aussi, qui se flatte d’offrir à « tout l’Etat d’Israël un exemple de coexistence fraternelle en faisant jouer musulmans, juifs et chrétiens. »

Comble du symbole : la rencontre se déroulait le « Jour de la Terre », commémoré par les Arabes israéliens, depuis des incidents sanglants qui ont marqué, en 1976, des manifestations contre les confiscations de terres par l’administration israélienne et qui laissèrent deux morts dans la ville. C’est à Sakhnine qu’est né ce « Jour de la terre », ville de 23.000 habitants, ou le taux de chômage (17 %) est l’un des plus forts d’Israël.

« Pas d’Arabes, pas de buts », s’est empressé de lancer, aussitôt après l’exploit de Badir, le député arabe Ahmad Tibi. Scénario de rêve pour l’un des députés les plus opiniâtres de la Knesset : les Arabes sauvent Israël. Encore sa formule est-elle un pastiche amer de celle des ultra-nationalistes : « Pas d’Arabes, pas d’attentats ! » « Peut-être est-il temps maintenant d’installer un réseau d’égouts dans nos villages non reconnus ? », a ajouté Ahmad Tibi. Et de glisser : « Heureusement que le plan de transfert d’Avigdor Lieberman (politicien d’extrême droite, ndlr) n’a pas été appliqué la semaine dernière, sinon Israël aurait perdu les deux matches. » La presse israélienne l’a presque entendu. Les journaux populaires rivalisent de bonnes intentions et de jeux de mots : « La semaine de l’égalisation » (ou « de l’égalité »), titre Maariv. « Ça valait le coup ! » (qui signifie aussi : « Il était égal »), clame Yédiot Aharonot, et même « La soirée de Badir » (qui peut se lire « Badir l’Arabe »).

L’égalité, c’est ce que revendiquent la majorité des citoyens arabes d’Israël. La récente nomination d’Oscar Abourazzek comme directeur général du ministère de l’Intérieur est la plus haute fonction jamais atteinte par un Arabe israélien. C’est un signe. Mais non une révolution. Les simples citoyens attendent des équipements, la baisse du chômage, un traitement égal à l’embauche. Et la fin de la méfiance de leurs concitoyens juifs à leur égard.

Au plan sportif, la réalité est proche : samedi, en championnat, le très nationaliste Bétar accueille Sakhnine, à Jérusalem. Les rencontres entre ces deux équipes offrent une débauche d’insultes et de coups et blessures. « Accueillez-les avec des fleurs plutôt qu’avec vos habituels “Mort aux Arabes” », suggèrent les éditorialistes.

Par JEAN-LUC ALLOUCHE, liberation.fr