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Entretien avec Pierre Péan, auteur de Main basse sur Alger

mercredi 16 mars 2005, par Stanislas

La Nouvelle République : Où en êtes-vous avec l’affaire de La Face cachée du Monde dont vous êtes le coauteur ?

Pierre Péan : Comme vous le savez peut-être, la justice française a proposé une médiation que nous avons acceptée. Non pas par peur, mais par la nécessité de se dégager d’une affaire lourde à supporter. Figurez-vous, nous avions en tout treize procès. Cela dit, quand on écrit un livre, on s’y investit longtemps à l’avance. Aussi, on a eu beau essayer, Philippe Cohen et moi, de mettre côte à côte nos épaules, mais cela n’a pas suffi à en faire un mur. Face à une batterie de dix avocats, une puissance du verbe, ainsi qu’une demande d’indemnisation évaluée à 2,5 millions d’euros, nous avons opté pour la médiation.

Des regrets ?

Pas du tout ! Ma seule satisfaction aujourd’hui est qu’il suffit de lire le journal Le Monde pour s’apercevoir que la direction a changé. Ce qui veut dire, d’une certaine manière, que nous ne devions pas avoir totalement tort.

Cette fois, vous insinuez que les ancêtres du Baron Ernest-Antoine Seillière, l’actuel patron du Medef, aurait largement profité de la « razzia » d’Alger. Parlez nous- en...

En effet, je m’attache à raconter dans ce livre l’hypothèse forte selon laquelle la maison Seillière aurait fait cadeau d’un fleuron de la sidérurgie française les Forges du Creusot à Adolphe Schneider qui était leur représentant à Alger au moment de la conquête. J’en suis arrivé à la conclusion que cette gratification était destinée à le remercier. Cela peut donner, par ailleurs, une idée des profits engrangés.

Comment le patron des patrons français a-t-il réagi ?

M. Seillière m’a reçu courtoisement au cours d’un entretien d’une heure et demie durant lequel je lui ai révélé ce que je m’apprêtais à écrire. Il m’a affirmé qu’il n’était pas au courant de cette histoire et que par conséquent il ne la démentait point. Il ajoutera sur le ton de la plaisanterie : « Si jamais vous trouvez de l’or, n’oubliez pas de ma faire signe ! ». Je dois ajouter que ce n’est pas lui l’exécuteur testamentaire. Le hasard a voulu qu’au moment où je faisais le livre et le publiais, la maison Plon, mon éditeur, venait d’être rachetée par le groupe Vandel dont dépend la maison Seillière. Comme je dois préciser que le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde avait également pour ancêtre Alexandre de Laborde, député de la Seine et principal opposant à la conquête d’Alger.

Comment se portent les ventes du livre ?

Je ne peux pas dire pour le moment que c’est un succès de librairie. Cela dit, les chiffres ne sont pas catastrophiques. Puis, je vais le dire quand même : le livre se vend assez bien.

Même en l’absence d’une grande médiatisation ?

C’est vrai, ce livre n’a pas eu les faveurs de beaucoup de médias en France.

Et ce n’est sûrement pas Le Monde qui en fera la promotion, n’est-ce pas ?

(Rires) Non, je ne pense pas.
A quoi est dû, selon vous, ce « non-événement » ?
Je ne sais pas. Mais parmi les quelques journalistes que j’ai eu à rencontrer en France autour de ce livre, il y avait Jean-Pierre El Kabbach dont la première question fut presque une apostrophe : « Voulez-vous remettre en cause les relations franco-algériennes ? Vous positionnez-vous contre la France ? »

Et que lui avez-vous répondu ?

Que la vérité n’est jamais agressive. Que c’est la vérité, c’est tout ! Que je ne voulais en aucune manière nuire aux relations franco-algériennes. Au contraire, je suis là pour témoigner qu’il existe, aujourd’hui, en France, une volonté forte d’apurer le passé et de renouer avec l’Algérie. C’est ma nette impression.

Propos recueillis par A. Abdelghafour, www.lanouvellerepublique.com