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Entretien avec Ridley Scott

mardi 3 mai 2005, par nassim

Après le succès de Gladiator, Ridley Scott récidive avec Kingdom of Heaven, un film sur les croisades.

Où en était le projet de Kingdom of Heaven le 11 septembre 2001 ?

Je venais de finir Black Hawk Down,

Ridley Scott

j’étais à New York pour montrer le film chez Sony à la presse. A ce moment-là, j’avais très envie de tourner un scénario de William Monahan, Tripoli, qui raconte la première intervention américaine au Proche-Orient, au temps de Thomas Jefferson, contre le bey de Tripoli, qui pratiquait la piraterie. C’était presque prêt, j’avais Russell Crowe, la Fox. Et puis j’ai commencé à dire à William Monahan que j’étais fasciné par l’idée de faire un film dans lequel il serait question de chevalerie, parce que j’étais fasciné par le code chevaleresque. C’est un intérêt qui remonte à l’époque où je regardais les films de Kurosawa, dans lesquels le code des samouraïs était un impératif absolu. Le souvenir du Septième Sceau, de La Source de Bergman m’ont aussi donné confiance pour rester au premier degré, sans cynisme, c’est si facile d’être cynique.

Mais parler de chevalerie n’implique pas forcément de traiter des croisades ?

Dix ans plus tôt, on m’avait proposé les croisades, d’une manière plus hollywoodienne, dans la lignée de Conan le Barbare. Ce n’était pas du tout pour parler de politique et de religion, qui ne sont qu’une seule et même chose. J’ai toujours pensé que les croisades avaient été adoucies par le romantisme. Si l’on voit les gravures de Gustave Doré, ce sont des images romantiques d’atrocités. Des deux côtés d’ailleurs, les musulmans sont montrés comme de nobles guerriers, mais ils commettent autant d’horreurs que leurs adversaires, sous les oripeaux de la religion. Je me suis dit que je ne voulais pas prendre ce chemin-là.

William Monahan m’a dit qu’il était passionné par les croisades et qu’à son avis l’une des périodes les plus intéressantes était la courte paix qui a régné entre la deuxième et la troisième croisade, du fait des deux dirigeants de ce temps, Baudouin le roi lépreux et le sultan Saladin. Il fallait introduire des personnages qui mettaient en question l’attitude conciliatrice des souverains, des gens qui de nos jours sont considérés comme des exaltés, les mollahs ou l’équivalent des chrétiens fondamentalistes, les templiers, qui n’étaient pas seulement de fervents croyants mais des fous qui s’appuyaient sur l’aide de Dieu pour gagner leurs batailles. Ce qui a donné l’une des pires défaites des armées chrétiennes, à Hattin. Et contre ça, on a un homme très raisonnable, très pragmatique, qui n’engage pas le combat sans s’assurer de son approvisionnement en eau.

Pendant que vous écriviez, ce qui se passait dans le monde recoupait votre sujet. Saddam Hussein se présentait comme un descendant de Saladin. Quelle influence les événements ont-ils eue sur votre scénario ?

Aucune. Nous avons eu très vite une première version du scénario. Nous avons pris des éléments historiques, nous les avons arrangés : comme l’envoi des médecins de Saladin pour soigner le roi lépreux, qui a eu lieu plus tôt dans la vie de Baudouin IV.

Et une fois le scénario terminé, vos producteurs ­ entre autres la Fox ­ ne se sont-ils pas alarmés de voir un film qui présentait un dirigeant arabe sous un jour aussi favorable ?

Il n’en a jamais été question, l’histoire était équilibrée sans être artificielle, tout le monde reconnaît l’importance de Saladin. Il y avait une certaine nervosité, en raison de ce qui se passait dans le monde. Et effectivement j’ai eu peur que nous n’y arrivions jamais, au moment du déclenchement de la deuxième guerre du Golfe. Mais le studio a continué à financer le développement du scénario... C’est toujours difficile de mélanger des films à grand spectacle avec un sous-texte lié au contexte de la réalité politique et religieuse. C’est casse- gueule.

Mais je connais bien le Maroc. J’y avais déjà travaillé pour Gladiator et Black Hawk Down. Et puis j’ai des relations avec le roi Mohammed VI. Il nous a donné des assurances quant à la sécurité du tournage. Oliver Stone était au Maroc pour tourner Alexandre, au moment des attentats de Casablanca en mai 2003. Le roi a réagi très rapidement, Dieu sait comment.

Vous lui avez fait lire le scénario ?

Oui. Il est aussi fasciné par le cinéma que l’était son père.

Quel effet voudriez-vous que le film ait sur les spectateurs ?

Qu’il désamorce. Que les gens prennent en compte l’élégance morale de Saladin, qu’elle les surprenne. C’est tout à fait la personnalité de Ghassan Massoud (l’acteur syrien qui joue l’empereur), quelqu’un de très juste, qui n’aurait jamais accepté le rôle s’il ne s’y était pas retrouvé.

Des films aussi différents que Kinsey ou Fahrenheit 9/11 ont déclenché les foudres de la droite religieuse américaine, vous vous attendez à un phénomène de cet ordre ?

Oui, plus que de la part des musulmans. Nous avons fait un film si équilibré. Je déteste l’expression "politiquement correct" , mais en fait c’est que nous avons réussi. C’est un équilibre qui vient de l’histoire, qui n’est pas là parce que nous nous y sommes efforcés à tout prix.

Propos recueillis par Thomas Sotinel, lemonde.fr