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Entretien avec le chanteur du châabi Ahmed Aïdoud dit Sbihi

jeudi 31 mars 2005, par Stanislas

Qui est cheikh Ahmed Aïdoud ?

Je m’appelle Ahmed Aïdoud et mon nom d’artiste est Sbihi. Je suis né en juillet 1937 à Missour, au Maroc. C’est dans mon pays natal que j’ai commencé à avoir ce penchant pour la musique, je devais avoir six ans. Mais à cette époque, nous étions très pauvres, je ne pouvais donc pas me permettre de posséder un instrument à cordes. Je me suis donc confectionné un tout seul avec une poêle et deux fils. Mon frère étant contre, je m’initiais à la musique le plus discrètement possible. A l’âge de 16 ans, j’ai rejoint l’un de mes frères qui s’était établi en France. C’est à cette époque que j’ai commencé à fréquenter les milieux d’artistes (mahchachate) et de temps à autre, je grattais sur un instrument, jusqu’au jour où j’ai pu me payer une vraie guitare. J’ai, à partir de ce moment, l’apprentissage au sens propre du mot. En 1962, je suis rentré au pays, en Algérie. J’ai fait des aller-retour entre Alger et Tlemcen et j’ai commencé à côtoyer les maîtres de cette région, tels que Mohamed Ben Sari, Mustapha Brixi et d’autres encore. C’est à partir de l’âge de 24 ou 25 ans que j’ai commencé à me sentir prêt à animer des soirées, tout en tenant compte du minimum d’expérience que j’ai acquise en fréquentant plusieurs professionnels du domaine.

Ce fut le début d’une carrière prometteuse...

Oui, j’ai commencé à être très sollicité pour l’animation de fêtes familiales. Depuis, j’ai même renoué le contact avec le maître El Anka qui m’a beaucoup appris. Et même si je n’ai pas fréquenté le conservatoire, je peux dire que je suis un de ses élèves. A cette époque, il y avait beaucoup d’animation et beaucoup d’artistes de talent. Pour ma part, je travaillais énormément. Je me souviens d’ailleurs qu’un jour, en 1969, à la salle El Mouggar, se déroulait un festival. Parmi les membres du jury figurait Mustapha Toumi. Quant au président de la commission d’appréciation, c’était cheikh El Anka. Inutile de vous dire que le niveau devait être élevé. Quelques années après ce festival, le maître m’a rendu visite à la maison, accompagné par Sid Ali Boucheraba. Ce dernier devait passer le récupérer plus tard. El Anka s’est installé et m’a dit qu’il ne savait pas que je jouais aussi bien. Je lui ai répondu que j’étais aussi poète et interprète. Il m’a alors demandé d’aller prendre mon instrument et de lui jouer quelque chose. Je ne vous cache pas que j’en ai rougi et tremblé. J’ai hésité au départ puis il m’a dit que c’était un ordre. Alors j’ai pris mon instrument et j’ai exécuté cet ordre tout en ayant un grand trac. Quand j’ai terminé, je me suis retiré en attendant qu’il me dise quelque chose. Il m’a félicité en me disant de continuer dans ce style. Ce que j’ai fait.

Est-ce que vous n’avez écrit que pour vous-même ou bien avez-vous écrit pour d’autres artistes ?

En premier lieu, c’était pour moi. Puis j’ai donné à des artistes qui m’ont sollicité et apprécié mes poèmes. Boudjemaâ El Ankis, par exemple, je lui ai écrit Ya temaâ, enregistrée à la télévision et à la radio. Il y a également Rachid Berkani qui a chanté Ya mendjit zayer, Aziouz Raïs pour qui j’ai écrit Ya qbih el hadra et d’autres encore. Toutes ces œuvres ont été enregistrées à la télévision et à la radio. Sinon, j’ai perdu deux registres de qçids, l’un à Oran et l’autre à Mostaganem. Mais j’ai encore quelques dizaines, en ma possession, de thèmes divers comme le djed ou le sentimental. Quand je parle de qçid, c’est bien de qçid qu’il s’agit et non pas de chansonnettes car ils durent entre 35 et 45 minutes et dans le pur parler
maghrébin.

Vous avez eu une riche carrière...

Je ne vous cache pas qu’au bout de trente années de carrière, j’ai dû abandonner à cause de ceux qui ont réduit le chaâbi à des chansonnettes. Quant aux responsables du domaine, ils nous ont tout simplement abandonnés. Pas de fêtes, pas de festivals. En dehors des festivals, c’est la mort à petit feu. Quant aux éditeurs, ils refusent d’éditer le vrai chaâbi. C’est pour toutes ces raisons que j’ai abandonné la scène.

En 2004, vous avez déclaré sur les ondes d’El Bahdja que vous seriez prêt à revenir si on vous le demandait. C’est toujours d’actualité ?

En 2004, j’ai été invité sur Radio El Bahdja en qualité de poète et non pas en tant qu’artiste interprète. Vous savez, j’aurai bientôt 70 ans et même si je reviens sur scène, je suis sûr de pouvoir donner encore beaucoup de choses. Mais ce que je refuse, c’est de me plier aux exigences des éditeurs, de la radio ou de la télévision. Je veux rester moi-même.

Un dernier mot pour clore cet entretien ?

Mon souhait, c’est que les responsables de la culture dans tous les domaines, y compris les éditeurs, se sentent concernés par la chose. Sinon, ce sera la catastrophe pour le chaâbi maghrébin, pour ne pas le limiter seulement à l’Algérois. Par ailleurs, nos artistes devraient se mobiliser et dépasser les querelles inutiles s’ils veulent aller de l’avant.

H. M. Kahina, lanouvellerepublique.com