Accueil > CULTURE > Hommage à Jean Rouch

Hommage à Jean Rouch

Le cinéaste et anthropologue de l’Afrique n’est plus

samedi 28 février 2004, par nassim

La mort de Jean Rouch ressemble à ses films. Ce cinéaste chercheur a trouvé la mort dans un banal accident de voiture, il y a quelques jours au Niger. Lui qui aimait, il y a cinquante ans, en pirogue descendre la boucle du fleuve Niger boucle sa vie en la terminant dans ce pays qu’il aimait tant. Jeune Parisien des années 20, fou de littérature et de science, amoureux du surréalisme, il débarque pour la première fois à Niamey, juste après la Seconde Guerre mondiale pour construire des ponts et des routes.

Cinéaste amateur, un authentique artisan en vérité, il filme tout ce qu’il voit. Petit à petit, le cinéma le gagne et il devient, quelques années plus tard, un réalisateur professionnel. D’artisan il devient artiste et, depuis, n’arrête pas de nous donner des films extraordinaires : plus de cent titres à son actif.

Nous sommes aujourd’hui émus et plein de tristesse car il n’y a pas plus difficile que de perdre un ami et aussi d’écrire sur lui après sa disparition. Pourtant dès le début des années 70, nos rapports avec Jean Rouch n’ont pas été faciles. Téméraire et un peu provocateur, nous avons, en effet, adopté le mot d’ordre d’un autre ami, cinéaste du Niger, Oumarou Ganda, lui aussi disparu depuis quelques années : « A chaque fois que je fais un film, je tue Jean Rouch. » Nous étions naïfs et défendions nos cinématographies naissantes coûte que coûte, vaille que vaille. Nous étions jaloux de nos indépendances fragiles et de nos créations balbutiantes. La vie, l’expérience allaient nous ramener à des positions plus justes et plus vraies. Nos nombreuses rencontres avec Jean Rouch à Alger, Paris, Niamey, Dakar, Ouagadougou, Tunis, nous ont aidés et nous ont permis de le découvrir, de le connaître et de l’apprécier. Tout d’abord et à la base, nous étions tous deux enfants de cinémathèque, enfants d’Henri Langlois. Ce dernier déploya toute sa force et son sens de l’amitié pour nous rapprocher.

Les films de Jean Rouch, leur intelligence et leur beauté firent le reste. Lui qui avait comme mot d’ordre, et comme ligne de conduite, cette définition de Nietzsche : « Nous avons besoin de l’art pour ne pas mourir de la vérité », nous impressionna et fit de nous un ami.

La rétrospective qu’organisera la Cinémathèque algérienne en son hommage dès la mi-mars : Les Maîtres fous (1954) ; Jaguar (1957) ; Moi un Noir (1959) ; La Pyramide humaine, Chronique d’un été (1961) ; La Punition (1963) ; La Chasse au lion à l’arc (1965) ; Petit à petit (1970), etc. permettra à un large public d’apprécier et d’aimer ses uvres. Jean Rouch, en effet, a déposé un grand nombre de ses films dans nos archives.

L’accident fatal qui lui coûta la vie la semaine dernière au Niger à l’âge de 86 ans n’est pas banal : Jean Rouch était en effet en compagnie de ses fidèles, Mustapha Allassane, un autre ami cinéaste du Niger : Aouré, Samba le Grand, La bague du roi Koda, Le retour de l’aventurier, F.V.V.A, Toula, la légende de l’eau et de l’acteur-assistant Damouré Zica qui le reçut le premier dès ses premiers pas en Afrique et ne le quitta plus jamais puisqu’il devint son assistant.

Nous sommes certains que Jean aura une dernière satisfaction en sachant ses amis sains et saufs. Jean Rouch, qui comprit très vite les dangers et les méfaits du colonialisme en Afrique, lui qui combattit le nazisme en Europe, que les Africains n’avaient nullement droit à la parole, passa une grande partie de sa vie à former des cinéastes sur notre continent et à leur mettre une caméra entre les mains : Omarou Ganda, Mustapaha Allassane (Niger) ; Désiré Ecaré, Thimiti Bassori (Côte d’Ivoire) ; Safi Faye (Sénégal) ; Traoré (Mali) et d’autres encore.
C’est Jean-Luc Godard qui s’inspira tant de Moi un Noir pour monter A bout de souffle, ce prophète avisé qui lui rend le plus bel hommage en avril 1959 déjà : « Rouch se met à suivre son ancien para, en travelling avant les jours d’espoir, et arrière, ceux d’amertume, à la recherche des filles, à la recherche du fric, à la recherche : le mot est lâché. Balthazar Claes moderne, Jean Rouch n’a pas volé son titre de carte de visite : chargé de recherche par le Musée de l’homme. »
« Existe-t-il une plus belle définition du cinéaste ? »

Boudjemâa Karèche, Le Matin