Accueil > SPORTS > Jean-Marc Mormeck prépare ses succès dans un camp baroque

Jean-Marc Mormeck prépare ses succès dans un camp baroque

lundi 4 avril 2005, par Hassiba

Tout le fait rire, Jean-Marc Mormeck. Les bons comme les mauvais coups.

Le plus souvent, c’est l’émerveillement qui provoque son hilarité, lorsqu’il voit se réaliser un à un ses rêves d’enfance ­ il est né le 6 mars 1972, à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) ­ comme samedi 2 avril, à Worcester (Massachusetts), où il s’est emparé du double titre mondial des lourds-légers pour le compte de la WBA, dont il était déjà détenteur, et de la WBC. C’est sa 28e victoire, obtenue aux points, à l’unanimité des juges.

C’est parfois l’étonnement, face aux surprises que lui réserve son parcours, ou ses propres erreurs, naïvetés et déceptions qui le font marrer, mais toujours d’un timbre soyeux, clair et tendre, à l’exact opposé des coups qu’il porte à ses adversaires. Wayne Braithwaite, son dernier adversaire pourrait en témoigner : le Guyanais est descendu du ring le visage tuméfié, après avoir encaissé sa première défaite en 22 combats.

"J’avais dit que je m’entraînais pour cela, et j’étais prêt", a humblement déclaré le champion du monde. Jean-Marc Mormeck s’est en effet préparé consciencieusement sous les conseils avisés de Don King. Le promoteur "aux cheveux en l’air" est un homme attentif aux intérêts de ses poulains. C’est pour les mettre au vert dans les meilleures conditions qu’il a créé son camp d’entraînement dans l’Ohio, où Jean-Marc Mormeck a effectué deux séjours, en octobre 2004 et en mars.

Parvenu sur place, entre les évocatrices localités d’Orwell et de Champion, à une centaine de kilomètres au sud-est de Cleveland, on pourrait croire à une erreur de navigation. Un panneau prêche bien "King’s Training Camp, Camp of the Champs", mais, de loin comme de près, le site semble déserté depuis longtemps, bien que son accès soit surveillée par deux guerriers. Baroquement juchés sur des colonnes hellénisantes, ils sont muets comme des carpes. A leur droite, devant les bâtisses, un discobole de marbre et un dragon de pierre menacent. Pétrifiant, mais pas âme qui vive.

C’est de ce décor inquiétant que surgit un homme, tête dodelinant et coiffée d’une toque aux bordures bleues, enveloppé dans un tablier à moitié blanc, la démarche incertaine sous le soleil d’un après-midi d’automne. Neveu de Don King en personne, Derrick Thomson n’a jamais fait de boxe, mais, à l’image du portrait de Dorian Gray, il semble avoir absorbé une bonne partie des coups reçus par les pugilistes qui séjournent ici. "On est au milieu de nulle part, admet le cuisinier, mais c’est très beau."

"Jean-Marc est un bon gars", assure Derrick, dont le père était cuisinier de Muhammad Ali, tout en préparant le repas du soir qui se prend ici à 17 h 30 tapantes. "Il y a onze boxeurs en ce moment, mais il pourrait y en avoir vingt. Ils font des stages de deux ou trois semaines, avant leurs combats. Mike -Tyson- est venu s’entraîner ici", articule-t-il, la voix couverte par les ronflements de l’énorme ventilateur, les croassements de la machine à fabriquer la glace, et la radio, une clarinette 100 Realistic patinée d’une belle pellicule de graisse.

CELLULES MONACALES
L’heure du dîner approchant, le camp s’anime, quelques boxeurs apparaissent, l’air impatient, devant ce qui sera leurs quartiers. A l’intérieur, deux athlètes jouent au billard tandis que trois autres, engloutis dans leur canapé, semblent médusés devant un écran où Harry Potter fait des siennes. Aux murs, des rafales de photos montrent Don King en compagnie des plus grands champions. Ali et Tyson ont eu les préférences du décorateur. Camouflée dans le fond, une porte donne accès aux chambres.

Véritables cellules monacales, leur seule fantaisie consiste en un tableau paysager que le premier coup d’oeil permet d’apparenter à l’école dissuasive du milieu du XXe siècle : quelques secondes de contemplation suffisent à précipiter l’esthète aventureux dans une irrémédiable déprime. Mais personne n’est ici pour rigoler, comme le stipule, malgré son encre délavée, un panneau affiché à l’entrée du couloir : "camp provisoirement fermé au public ; pas de visiteurs (hommes ou femmes) dans les chambres ; drogues interdites sous peine d’expulsion ; pas de nourriture dans les chambres".

Au bout du couloir, les deux salles d’entraînement possèdent un ring chacune, dominés par deux hallucinantes cuirasses de chevalier, hautes de trois mètres. Encore plus impressionnante, l’approximative statue de Mike Tyson semble mettre au défi les stagiaires de l’imiter et d’oublier les cordes effilochées et la constellation de taches de sang séché qui maculent les tapis.

C’est probablement dans ce camp d’Orwell que Jean-Marc Mormeck reviendra préparer son prochain grand défi, celui qui pourrait le conduire à détenir les ceintures des trois fédérations, WBA, WBC et IBF, de la catégorie des lourds-légers, avant de s’attaquer à celle des lourds, sur les traces du prestigieux Evander Holyfield.

Par Jean-Louis Aragon, lemonde.fr