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L’Algérie se souvient de Mohamed Dib

lundi 2 mai 2005, par nassim

C’est dans ces lieux chargés d’histoire, El-Mechouar, témoin de huit siècles d’une civilisation arabo-musulmane, édifié en 1145 et où les rois de Tlemcen tenaient conseil avec leurs ministres que, la fondation Mohamed Dib a installé ses quartiers.

En se promenant à Tlemcen,

Mohamed Dib, né à Tlemcen, Algérie.

certains lieux accrochent, l’histoire est là, l’énergie inspiratrice de Mohamed Dib également. Des murs défraîchis, rougis et imposants, surgit Dar Sbitar affectionnée et emblématique, le départ et le commencement d’une écriture qui ne cessera, quarante ans durant, de séduire, d’interpeller, d’inquiéter, de sublimer et de nourrir. On sent l’attachement de Dib à sa ville natale, on part sur les traces de ses pas, à travers une enfance riche et foisonnante, et Omar, le petit être miséreux et révolté, nous pousse à pénétrer un univers fait et défait au gré d’une littérature évolutive, un univers où la quête du soi, l’amour fou, la fascination par la folie et la mort tissent perpétuellement, sur la tête des personnages de Dib, des parcours sinueux. Dib avait fait de ces thèmes et d’autres, comme l’envoûtement par la mer, l’appel du désert, l’errance à travers les civilisations et les grands carrefours l’essentiel de sa créativité. Selon Jean Déjeux, le spécialiste de la littérature maghrébine et algérienne, Dib s’est démarqué des autres écrivains de sa génération, qui n’avaient pas la même préoccupation que lui. Feraoun allait dans la continuité, récusant les changements, s’imposant d’emblée comme le témoin de sa société et de son temps chez Dib, écrivit ce dernier.

Au contraire, tout appelle à une révolution. Ses efforts tendent vers la “naissance d’une nation”. Dib expliquait, en 1957, que, pour lui, traduire la société qui l’entourait constituait plus qu’un témoignage, “car nous vivons le drame commun” et plus loin, “il nous semble qu’un contrat nous lie à notre peuple”. Ainsi, dans ses premières œuvres, Dib a voulu rendre, en tant que romancier, la vérité historique qu’il avait vue et vécue. Sa trilogie met à nu une nation dynamique en gestation. Expulsé d’Algérie, en 1959, après la parution de la Grande Maison suivie de L’Incendie, Dib s’installe en France, puis part à travers le monde, surtout l’Europe, et à travers de nouvelles découvertes et émotions qui donneront de la dimension à ses écrits, tout en accentuant la rupture.

Ce passage d’un lieu de résidence à un autre, ainsi que l’éloignement ont eu un effet libérateur sur Dib qui passe avec Qui se souvient de la mer ?, paru en 1962, vers une littérature moderne et universelle, mais changent variablement aussi les certitudes de l’écrivain. Celui-ci, qui s’exprimait jusque-là dans un fait réaliste, va en s’interrogeant, car ressentant les difficultés d’un réel diversifié. Conscient de ce changement, Dib écrivit justement en postface dans Qui se souvient de la mer ? : “La brusque conscience que j’avais prise à ce moment-là du caractère illimité de l’horreur et, en même temps, de son usure extrêmement rapide est, sans aucun doute, à l’origine de cette écriture de pressentiment et de vision...” Avec ce changement, Dib marque sa rupture également avec les autres écrivains maghrébins, car il reste le seul à avoir une écriture évolutive.

À propos de son travail, Dib ne croit pas aux génies accidentels, mais plutôt à un travail acharné. “Je recommence jusqu’à dix fois un manuscrit avant de l’envoyer à mon éditeur”, écrivit-il. Puis, il y a aussi les influences subies, bien que Dib ne croie pas tellement aux influences, il a toutefois beaucoup lu Faulkner, Steinbeck, Racine, Stendhal, et spécialement Virginia Woolf par qui, dira Dib, il sera venu au roman. Dib est aussi un conteur hors pair qui a su se nourrir du folklore locale ; contes et légendes populaires grâce notamment au poète populaire tlemcénien Si Abdellah Abou-Bekr d’où Baba Fekrane et L’histoire du chat qui boude ou encore Salem et le sorcier des contes, édités pour la plupart à la Farandole. Dib, qui a commencé sa carrière par la poésie,Véga publié en 1947, d’une influence surréaliste, restera durant toute sa vie poète même en écrivant des romans : “Je suis essentiellement poète et c’est de la poésie que je suis venu au roman, et non l’inverse.” Dib, fondateur de la littérature algérienne, épris de fraternité croyant en l’homme, a laissé une œuvre majeure. Il s’est éteint le 2 mai 2003.

Par Nassira Belloula, liberte-algerie.com