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L’eau, défi du troisième millénaire

jeudi 2 septembre 2004, par Hassiba

L’eau pourrait devenir, d’ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole. L’or bleu pourrait alors se transformer en pomme de discorde à l’échelle planétaire.

Au XXIe siècle, l’eau sera la première cause des tensions internationales, affirment certains experts. Actuellement, les contentieux sur les ressources en eau sont nombreux dans le monde, notamment au Nord et au Sud de l’Afrique, au Proche-Orient et en Amérique centrale.

L’Égypte, entièrement tributaire du Nil, doit néanmoins partager les ressources du fleuve avec dix autres Etats, notamment avec l’Ethiopie où le Nil bleu prend sa source, et avec le Soudan où le fleuve serpente avant de déboucher sur le territoire égyptien. L’Irak et la Syrie sont tous les deux à la merci de la Turquie, où les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l’Euphrate, prennent leur source. Avec l’essor démographique et l’accroissement des besoins en eau, les problèmes risquent de se compliquer. Certains experts sont alarmistes pour le XXIe siècle. D’autres en revanche pensent que la gestion commune de l’eau pourrait être un facteur de pacification. Ils mettent en avant des exemples étonnants de coopération. L’Inde et le Pakistan, au plus fort de la guerre qui les opposait dans les années 1960, n’ont jamais interrompu le financement des travaux d’aménagement qu’ils menaient en commun sur le fleuve Indus. Au cours des cinquante dernières années, on ne s’est battu que 37 fois pour l’eau, dont 27 concernaient Israël et la Syrie, à propos du Jourdain et du Yarmouk. Durant les cinquante dernières années toujours, 1800 litiges sur l’eau ont été recensés, concernant les 261 bassins fluviaux existant dans le monde. Les deux tiers se sont réglés dans le cadre d’une coopération. Les incidents sérieux se sont limités à 80% à des menaces verbales de chefs d’Etat.

Selon les experts, il serait stratégiquement absurde de se battre pour l’eau. On ne peut accroître ses réserves en faisant la guerre à son voisin. Sauf si l’on décide de s’emparer de toutes ses réserves en eau et de vider le territoire de ses habitants. Néanmoins, l’eau a déjà servi d’arme de guerre. Pendant la guerre du Golfe en 1991, l’Irak a détruit la plupart des usines de dessalement du Koweït et la coalition alliée a pris pour cible les infrastructures sanitaires et d’approvisionnement en eau de Baghdad. Mais il faut distinguer l’eau « arme de guerre » de l’eau « source de conflit ». Le géographe américain Aaron Wolf estime que les craintes d’une guerre de l’eau viennent des incertitudes de l’après-guerre froide. La question de la sécurité environnementale avait alors été envisagée, et la pénurie de ressource en eau considérée comme un enjeu stratégique. Mais, selon Aaron Wolf, les experts n’ont pas saisi la subtilité des tensions générées par l’or bleu. Wolf affirme que l’eau inciterait les Etats à coopérer. Le Tigre et l’Euphrate sont considérés comme une poudrière. La Turquie sans doute l’Etat le plus puissant de la région, pourrait consolider ses intérêts au détriment de l’Irak et de la Syrie... Or, en 1991, les pays occidentaux ont demandé à la Turquie de bloquer le cours de l’Euphrate vers l’Irak, et Ankara leur a répondu : « Vous pouvez utiliser notre espace aérien et nos bases pour bombarder l’Irak mais nous ne leur couperons pas l’eau ». La coopération contre la guerre de l’or bleu...

Il faut y croire, car au XXIe siècle, l’eau vaudra cher, très cher... Et contrairement aux épices ou aux métaux précieux, on ne pourra jamais se priver de cette richesse.

Soif sur Terre
La planète a la bouche sèche. Sur Terre, plus d’un habitant sur six n’a pas la chance de pouvoir tourner un robinet et profiter de l’eau courante, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Pis, aujourd’hui, 1,2 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable.

En 2050, ils seront deux fois plus nombreux. L’eau douce, vitale à la survie humaine, ne représente que 3% des eaux du globe. Si l’on exclut celle immobilisée dans les glaciers, les calottes polaires et les aquifères profonds, il reste à la disposition des êtres vivants 1% des eaux douces accessibles des lacs, de l’atmosphère, des fleuves et des rivières. Or sans eau, pas de développement. Et cet or bleu se raréfie... Lorsqu’on examine les bilans des spécialistes, on est en droit d’avoir peur. Depuis un demi-siècle, l’explosion démographique des pays du Sud a entraîné une diminution des trois quarts de la quantité d’eau dont dispose un Africain et une réduction de 65% pour un habitant de l’Asie ou de l’Amérique du Sud. Les différences de consommations font frémir : un Américain utilise quotidiennement 600 litres d’eau, un Européen en use la moitié et un Africain se contente de 20 fois moins. La qualité de l’eau est un problème récurent. Plus de trois milliards de personnes utilisent une eau non traitée. Chaque année, plus de 5 millions de personnes meurent de maladies hydriques.

Actuellement 83% de la population mondiale ont accès à l’eau courante non-contaminée. Mais en Afrique subsaharienne, 42% de la population, soit 288 millions de personnes, ne bénéficient pas encore de canalisations. Le problème se pose tout aussi gravement pour la Chine (303 millions de personnes) et l’Asie du sud (234 millions).Le défi de l’accès à l’eau, pour tous, existe également en terme d’accès à des sanitaires. Plus de 2,6 milliards de personnes dans le monde ne jouissent pas d’installations sanitaires convenables. La mort de 4000 enfants par jour en est la première conséquence. Les objectifs du millénaire définis en 2000 par l’ONU visaient, d’ici à 2015, à favoriser l’installation de canalisations en eau potable et en toilettes hygiéniques. Mais en 2015, compte tenu de l’augmentation de la population, 800 millions de personnes seront encore privées d’accès à l’eau courante. La solution, selon les experts serait d’investir 11 milliards de dollars supplémentaires par an dans le projet. « Il pourrait en résulter une baisse de 10% des cas de maladies diarrhéiques, à l’origine du décès de 1,8 million de personnes par an » affirme-t-on à l’ONU.

En Asie et en Afrique, l’accès à l’eau est perturbé par une urbanisation anarchique et rapide. Les plus pauvres sont repoussés dans les campagnes, et 500 millions de citadins manquent actuellement d’installations sanitaires adéquates. Ils y a plus de 2 milliards de personnes à en souffrir dans les zones rurales, dont la moitié habite en Inde et en Chine. Sans gestion globale, l’eau va progressivement devenir une denrée rare. Elle se transforme en luxe. Quoi de plus contradictoire pour une ressource indispensable à la survie humaine.

Le désert avance...
3600 millions d’hectares soit 70% des terres arides dans le monde sont touchées par la désertification. La poursuite de la déforestation, les changements climatiques et l’intensification des productions agricoles industrielles (qui comptent pour 70% de la consommation en eau) devraient engendrer d’ici 30 ans de graves pénuries pour les trois cinquièmes des êtres humains. L’agriculture absorbe les deux tiers de la consommation mondiale d’eau, mais elle doit compter avec l’intense concurrence des villes, de l’industrie et du tourisme, particulièrement dans les pays du Sud. Une spécialiste, Sandra Postel, affirme que « la rareté croissante de l’eau douce est actuellement un obstacle majeur à la production alimentaire et à la stabilité sociale », et elle observe que « l’Egypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, qui manquent d’eau, importent d’ores et déjà plus du tiers de leurs céréales ».

La mer à boire
Les trois quarts de la surface de la Terre sont recouverts d’eau salée. Les réservoirs inépuisables de la planète bleue font rêver. Pourrait-on rendre les océans potables ? Et s’il était possible de transformer cette eau salée en eau douce ? Alors que l’on s’inquiète des conséquences d’une pénurie d’eau douce, le problème serait tout simplement résolu.

Dessaler l’eau de mer et la rendre buvable, c’est aujourd’hui possible. Certains systèmes ont même atteint le stade industriel. Il existe notamment deux procédés : la distillation et l’osmose inverse. La distillation consiste à évaporer l’eau de mer, soit en utilisant la chaleur des rayons solaires, soit en la chauffant dans une chaudière. Il suffit alors de condenser la vapeur d’eau ainsi obtenue pour obtenir une eau douce consommable. L’osmose inverse nécessite, quant à elle, de traiter au préalable l’eau de mer en la filtrant et en la désinfectant afin de la débarrasser des éléments en suspension et des micro-organismes qu’elle contient. Puis, on applique à cette eau salée une pression suffisante pour la faire passer à travers une membrane semi-perméable, seules les molécules d’eau traversent la membrane, produisant ainsi une eau douce potable. Néanmoins, ces systèmes coûtent cher et les installations sont peu rentables : les quantités d’énergie nécessaires au chauffage ou à la compression de l’eau sont trop élevées, et les volumes d’eau douce produits sont trop faibles. Seuls certains pays ne disposant que de faibles ressources en eau mais suffisamment riches, comme le Koweït et l’Arabie-Saoudite, utilisent le dessalement de l’eau de mer pour produire l’eau douce. Les chercheurs élaborent de nouvelles solutions, car l’enjeu est de taille. Des évaporateurs dits à « multiples effets » ont ainsi été développés. Ils visent à limiter la dépense énergétique des systèmes existants en utilisant la chaleur produite lors de la condensation de la vapeur d’eau pour évaporer l’eau de mer. Mais ces systèmes nécessitent la présence d’un personnel qualifié. Des modifications ont donc été apportées. Ces nouveaux systèmes sont peu coûteux, modulable, simples à installer et à entretenir, et capables de produire, à un moindre coût énergétique, de 20 à 30 litres d’eau douce à partir de 100 litres d’eau de mer. Une solution intéressante pour les pays dont le budget ne permet pas de régler une addition salée

L’emprise croissante du secteur privé
Riccardo Petrella, économiste et politicologue, est l’un des fondateurs du Comité international pour un contrat mondial de l’eau. Selon lui, l’or bleu est l’objet de la convoitise du secteur privé à l’échelle mondiale.

L’un des grands enjeux de cette décennie, d’après cet économiste, est de stopper la mainmise des entreprises transnationales sur une ressource à laquelle chacun devrait avoir droit. Il faut « réinventer les biens publics et communs », suggère-t-il. Il affirme que depuis 10 ans, les transnationales de l’eau assistées de la Banque mondiale ont soigneusement orchestré une stratégie d’affaires qui leur assurerait la mainmise sur l’eau.

Ainsi, en 2001 a eu lieu la Conférence internationale sur l’eau des Nations unies à Bonn. Malgré les oppositions montantes de la part d’ONG réunies autour du Comité international pour le contrat mondial de l’eau et la mise en garde de l’Allemagne contre les risques encourus d’une privatisation accrue de l’eau, le Global Water Partnership a fait adopter le bien-fondé du partenariat public/privé. Le marché pourrait-il permettre de fixer le « prix juste » de l’eau, par un équilibre naturel entre l’offre et la demande ?Certainement, et un coût élevé permettrait d’éviter le gaspillage. Mais en 1977, la conférence des Nations unies de Mar del Plata proclamait : « Tout le monde a le droit d’accéder à l’eau potable en quantité et en qualité égales pour ses besoins essentiels ». En aucun cas, le prix de l’eau ne devrait devenir une forme de chantage pour la survie d’une population.

Par François Cardona, El Watan