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La femme et les droits de l’homme en droit algérien (2)

mercredi 9 mars 2005, par Stanislas

En plus des inégalités subies lors de la conclusion du mariage, durant le mariage et à l’occasion de sa rupture, la femme va connaître d’autres préjudices et d’autres infériorités quant aux conséquences du divorce :

L’épouse titulaire du droit de garde des enfants ne bénéficie pas automatiquement du domicile conjugal dont l’attribution à l’épouse est subordonnée à des conditions restrictives, notamment la possession de l’époux de plus d’un logement et l’absence pour l’épouse d’un parent capable et disposé à l’héberger. La crise du logement en Algérie fait que ces deux conditions se réunissent qu’exceptionnellement par ailleurs, une règle jurisprudentielle ajoute une autre condition d’un nombre minimal de deux enfants à garde.

L’exigence combinée de ces conditions engendre le fait que dans la quasi-totalité des cas, la femme perd le droit au domicile conjugal et même son droit au maintien dans les lieux (en cas de location). Les enfants subissent souvent avec leur mère le destin de sans logis décent ou sans domicile fixe. Cependant il faut signaler qu’un effort d’interprétation ici et là a conduit certains tribunaux à obliger le père à s’acquitter des frais de loyer du domicile habité par son ex-épouse et ses enfants, mais cette règle n’est pas automatiquement appliquée par tous les tribunaux et ce, en l’absence (à notre connaissance) d’un arrêt de principe de la Cour suprême.

Les prérogatives de la femme titulaire du droit de garde des enfants se limitent à leur entretien (logement, nourriture, soins) tout autre engagement ou prise de décision les concernant reste l’apanage du père. Le juge peut seulement dans deux cas précis - abandon de famille par le père ou disparition de celui-ci - autoriser la mère à signer certains documents à caractère scolaire ou social. Ainsi, une mère ne peut prendre des engagements et des décisions concernant ses enfants dont elle a la garde qu’avec une autorisation du juge.

En outre, cette autorisation ne peut être donnée que pour les décisions relatives à la situation de l’enfant sur le territoire national. En aucun cas la mère n’est habilitée à signer quelque chose concernant les enfants pour leurs déplacements en dehors du pays. En aucun cas aussi on ne peut emmener ses enfants en voyage en dehors du pays sauf autorisation expresse de leur père ou du juge ou une autre autorité judiciaire. Le père au cas où il est titulaire du droit de garde ne connaît pas ce genre de restrictions.

Le problème des restrictions des prérogatives des mères qui gardent les enfants se pose avec une particulière acuité pour les couples mixtes, en cas où la mère de nationalité non algérienne et résidant à l’étranger voudrait, pour une raison ou pour une autre, se déplacer avec ses enfants à l’étranger. Il semble que cela soit impossible sans une autorisation, et peu probable du reste, du père. Il y a quelques années, des citoyennes françaises mariées à des Algériens ont été confrontées à un problème de ce genre et ont observé un sit-in devant l’ambassade de France, afin que celle-ci intervienne auprès des autorités algériennes pour débloquer leur situation. Leurs époux refusaient d’autoriser leurs enfants, venus en Algérie dans le cadre du droit de visite, à retourner en France.

L’intervention des autorités judiciaires algériennes était très difficile à obtenir, en raison des règles « impératives d’ordre public » contenues dans le code de la famille. La crise a eu, on s’en souvient, une solution beaucoup plus diplomatique que juridique. La prééminence du droit du père se manifestera encore quand il s’agira du droit d’éducation.

(Nous utilisons à dessein la formule « droit d’éducation » et non « droit à l’éducation », la première nous semble plus appropriée). Tout en confiant la garde des enfants à la mère, le code de la famille prescrit à ce que ceux-ci (les enfants) soient élevés dans la religion du père alors que les instruments internationaux parlent de « religion des parents ». Droit des parents de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants, Déclaration universelle art 26.3. Liberté des parents de faire assurer l’éducation religieuse, morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions, Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, art 13.3, Pacte des droits civils et politiques, art 18.4.

Ainsi, la non-musulmane mariée à un musulman algérien sera frustrée dans tous les cas du droit d’éduquer ses enfants selon ses propres convictions. L’Algérie a promulgué depuis 1990 le droit du travail, de son économie de marché, législation moins protectrice des droits des travailleurs que celle existant auparavant et qui découlait d’une politique socialiste et sociale. L’ancienne législation octroyait à la travailleuse à l’occasion de la grossesse et de l’accouchement un congé de maternité et des heures d’allaitement après celui-ci. Les durées de ces congés étaient fixées par la loi et donc s’imposaient à l’employeur.

La nouvelle législature prévoit un congé de maternité sans en préciser la durée et omet complètement les heures d’allaitement. Il en découle que la durée du congé de maternité doit être fixée par les accords collectifs et négociés entre l’employeur et les représentants des travailleurs. Les rapports de force étant ce qu’ils sont dans le monde du travail, cette durée risque d’être réduite à l’extrême. Ce droit consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme (art 25.2) et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels (art 10.2) et qui était garanti et fixé devient tributaire, quant à sa durée, de l’existence d’un syndicat fort, engagé et féministe.

Les heures d’allaitement, quant à elles, ne sont même pas prévues par la nouvelle législation, leur bénéfice effectif pourra être arraché ou perdu lors des négociations collectives, c’est là un autre droit de la maternité, l’enfance a une aide et une assistance spéciale reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme (art 25.2) qui risque d’être violé et bafoué.

Lors des élections législatives organisées et annulées en 1992 et qui ont vu un triomphe des partis islamistes, un tollé et une vive polémique ont été provoqués par une circulaire du gouvernement, donc de caractère règlement et non législatif, qui autorisait l’époux à voter au nom de son ou ses épouses sans avoir à présenter une procuration.

Cette procédure n’assurait pas une liberté de vote pour les femmes et va donc à l’encontre de l’article 21.3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Elle n’assure pas non plus « une expression libre de la volonté des électeurs » conformément à l’article 25 b du Pacte des droits civils et politiques.

Cette circulaire a été considérée comme une atteinte au droit fondamental de l’individu de choisir librement ses représentants et portait aussi atteinte au principe d’égalité entre l’homme et la femme et limitait considérablement les droits politiques de l’épouse car l’absence de la procuration peut supposer l’absence de consentement de l’épouse à autoriser son époux à voter en son lieu et place. Par ailleurs aucune garantie n’est donnée quant au respect par l’époux de la volonté ou du choix politique de son épouse.

Il est courant et déjà grave qu’une égalité reconnue dans les textes soit compromise dans la pratique. Il est nettement plus dramatique lorsque l’inégalité est consacrée par les textes et lorsque l’infériorité de la femme est érigée en principe et ce qui inquiète davantage c’est la reconnaissance de la légitimité de ce statut inégal par les femmes elles-mêmes et son admission comme découlant de la nature des choses. La culture en ces lieux n’a pas préparé les femmes à la contestation surtout de ce qui vient sous le cachet religieux (tel le code de la famille)

Ce qui révolte beaucoup plus dans cette offense permanente et institutionnelle de la féminité, c’est l’acceptation de l’inégalité par les femmes, non pas comme une situation à combattre et à transformer, mais comme un état naturel dans lequel il faut se complaire.

Mes cheveux se dressent de colère et d’indignation lorsque j’entends une femme défendre le code de la famille et s’opposer à son abrogation ou du moins à sa réforme (femmes contre femmes).

Ce qui inquiète et révolte, c’est beaucoup moins la cruauté du bourreau que la passivité de la victime.

Par Nasr Eddine Lezzar, quotidien-oran.com