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La liberté culturelle dans un monde diversifié (I)

mardi 17 août 2004, par Hassiba

Comment la nouvelle Constitution de l’Irak satisfera-t-elle les demandes de juste représentation des chiites et des Kurdes ?

Parmi les langues parlées en Afghanistan, quelles sont celles que la nouvelle Constitution devra reconnaître comme langues officielles de l’Etat - et combien d’entre elles ? Comment la Cour fédérale du Nigeria procédera-t-le face à une décision de justice basée sur la charia sanctionnant l’adultère par la mort ? Le Parlement français approuvera-t-il la proposition d’interdiction du foulard et d’autres symboles religieux dans les écoles publiques ? Les Hispano-américains aux Etats-Unis résisteront-ils à l’assimilation au sein de la culture américaine dominante ? Y aura-t-il un accord de paix mettant fin aux combats en Côte d’Ivoire ? Le Président bolivien démissionnera-t-il à la suite de la montée des protestations des populations autochtones ? Les pourparlers de paix visant à mettre un terme au conflit tamoul-cinghalais au Sri Lanka n’aboutiront-ils jamais ? Voici juste quelques gros titres de ce derniers mois. Gérer la diversité culturelle est l’un des défis fondamentaux de notre époque.

Longtemps considérés comme menaçant l’harmonie sociale, de tels choix - portant sur la reconnaissance et la conciliation des différentes appartenances ethniques, religions, langues et valeurs - sont une caractéristique incontournable du paysage politique du XXIe siècle.

Dirigeants et théoriciens politiques de tous bords ont plaidé contre la reconnaissance explicite des identités culturelles, qu’elles soient ethniques, religieuses, linguistiques ou raciales.

Le résultat, le plus souvent, a été la suppression des identités culturelles, parfois brutalement, au titre de politiques étatiques - par le biais de persécutions religieuses et de nettoyages ethniques, mais également par l’exclusion quotidienne et la discrimination économique, sociale et politique.

Aujourd’hui, la nouveauté réside dans la montée de revendications identitaires. Dans des contextes radicalement différents et de nombreuses et différentes manières - depuis les populations autochtones en Amérique latine jusqu’aux minorités religieuses en Asie du Sud, en passant par les minorités ethniques des Balkans et d’Afrique et les immigrés en Europe occidentale - les individus se mobilisent à nouveau autour d’anciennes doléances, à partir de critères ethniques, religieux, raciaux et culturels, en exigeant que leurs identités soient reconnues, appréciées et accueillies par la société dans son ensemble. Victimes de discrimination et de marginalisation au regard des opportunités sociales, économiques et politiques, ils exigent aussi une justice sociale. Autre fait nouveau, la montée des mouvements coercitifs qui menacent la liberté culturelle. Et dans cette ère de mondialisation, une nouvelle catégorie de renvendications et d’exigences politiques est née d’individus, de communautés et de pays qui sentent que leurs cultures locales sont en passe d’être balayées. Ils veulent conserver leur diversité dans un monde globalisé.
Pourquoi ces mouvements aujourd’hui ? Ils ne sont pas isolés. Ils font partie d’un processus historique de changement social, de luttes pour la liberté culturelle, et de nouvelles frontières dans l’avancée des libertés humaines et de la démocratie. Ils sont impulsés et façonnés par l’expansion de la démocratie, qui leur donne davantage d’espace politique pour protester, et par l’avancée de la mondialisation, qui crée de nouveaux réseaux d’alliances et pose de nouveaux défis.

La liberté culturelle est un élément essentiel du développement humain, parce que pouvoir choisir son identité - qui l’on est - sans perdre le respect d’autrui ou être exclu d’autres choix est important pour mener une vie épanouie. Les individus veulent être libres de pratiquer leur religion ouvertement, de parler leur langue, de vivre leurs traditions ethniques ou religieuses, sans crainte du ridicule, du châtiment ou de voir leurs chances s’amoindrir. Les individus veulent être libres de prendre part à la société sans avoir à se défaire des ancrages culturels qu’ils ont choisis. C’est une idée simple, mais profondément dérangeante.

Les Etats sont confrontés au défi urgent de répondre à ces demandes. Bien gérée, une plus grande renconnaissance des identités enrichira la diversité culturelle dans nos sociétés, et de ce fait la vie des individus. Mais ce n’est pas sans risque majeur.

Mal gérées, ou pas gérées du tout, ces luttes au sujet de l’identité culturelle peuvent rapidement devenir l’une des plus grandes sources d’instabilité à l’intérieur des Etats et entre eux - et par là même déclencher un conflit qui fasse régresser le développement. Les revendications identitaires qui polarisent les individus et les groupes créent des lignes de fracture entre le « nous » et le « eux ». La méfiance et la haine grandissantes menacent la paix, le développement et les libertés humaines. L’année dernière seulement, la violence ethnique a détruit des centaines de foyers et de mosquées au Kosovo et en Serbie. Les attentats terroristes à la bombe dans un train en Espagne ont tué près de 200 personnes. La violence sectaire a causé la mort de milliers de musulmans et a chassé des milliers d’autres de chez eux dans le Gujarat et ailleurs en Inde, qui prend pourtant fait et cause pour la conciliation culturelle. Une série de crimes haineux dirigés contre les immigrés a ébranlé la foi des Norvégiens dans leur engagement infaillible envers la tolérance.

Les luttes identitaires peuvent également conduire à des politiques régressives et xénophobes qui retardent le développement humain, elles peuvent encourager un repli conservateur et un rejet du changement, empêchant ainsi un souffle d’idées et d’individus qui apportent avec eux des valeurs cosmopolites, des connaissances et des qualifications qui font avancer le développement. Gérer la diversité et respecter les identités culturelles ne sont pas des défis concernant seulement quelques « Etats multiethniques ».

Presque aucun pays n’est entièrement homogène. Les quasi 200 pays du monde contiennent près de 5 000 groupes ethniques. Les deux tiers ont au moins une minorité de taille significative - un groupe ethnique ou religieux représentant au moins 10% de la population.
Simultanément, le rythme des migrations internationales s’est accéléré, entraînant des effets surprenants sur certains pays et certaines villes.

Près de la moitié de la population de Toronto est née en dehors des frontières canadiennes. Et les individus nés à l’étranger sont beaucoup plus nombreux que les immigrés du siècle dernier à conserver des liens étroits avec leur pays d’origine. D’une manière ou d’une autre, chaque pays est aujourd’hui une société multiculturelle, comprenant des groupes ethniques, religieux ou linguistiques qui ont des liens communs avec leurs patrimoines, cultures, va leurs et modes de vie respectifs.

La diversité culturelle est là pour rester - et pour s’épanouir. Les Etats doivent trouver les manières de forger l’unité nationale au milieu de cette diversité. Le monde, toujours plus interdépendant en termes économiques, ne peut fonctionner que si les individus respectent la diversité et bâtissent l’unité grâce à des liens communs d’humanité. Dans cet âge de la mondialisation, plus aucun Etat ni la communauté internationale ne peuvent ignorer les demandes de reconnaissance culturelle. Et les confrontations relatives à la culture et l’identité sont susceptibles de s’accroître - la facilité à communiquer et à voyager a rapproché le monde et changé le paysage de la diversité culturelle, et l’expansion de la démocratie, des droits de l’homme et des nouveaux réseaux mondiaux a donné davantage de moyens aux individus pour se mobiliser autour d’une cause, insister pour avoir une réponse, et l’obtenir.

Cinq mythes brisés.

Les politiques reconnaissant les identités culturelles et favorisant le développement de la diversité ne sont pas source de fragmentation, de conflit ou d’autoritarisme, et n’affaiblissent pas le développement. De telles politiques sont à la fois viables et nécessaires, car c’est souvent la suppression des groupes caractérisés par leur culture qui conduit à des tensions.

Ce rapport plaide en faveur du respect de la diversité et de l’établissement de sociétés plus intégratrices grâce à des politiques qui prenant explicitement en compte les différences culturelles - en d’autres termes des politiques multiculturelles. Pourquoi de nombreuses identités culturelles ont-elles été pendant si longtemps supprimées ou ignorées ? L’une des raisons est que beaucoup de gens estiment souhaitable dans l’absolu de permettre à la diversité de s’épanouir, mais qu’en pratiquer cela peut affaiblir l’Etat, déboucher sur des conflits et retarder le développement. Dans cette perspective, la meilleure approche de la diversité est l’assimilation autour d’une norme nationale unique, ce qui peut mener à la suppression des identités culturelles. Cependant le rapport soutient que ce ne sont pas des prémices - ce sont des mythes. Il estime en effet que le recours aux politiques multiculturelles n’est pas seulement souhaitable, mais également viable et nécessaire.
Sans cela, les problèmes potentiels que l’on attribue à la diversité peuvent devenir des prophéties autoréalisatrices.

Mythe 1 : Les identités ethniques des individus font concurrence à leur attachement à l’Etat, il faut donc trouver un compromis entre la reconnaissance de la diversité et l’unité de l’Etat.
Ce n’est pas le cas. Les individus peuvent avoir, et ont, des identités multiples qui sont complémentaires - appartenance ethnique, langue, religion et race, de même que citoyenneté. L’identité n’est pas non plus un jeu à somme nulle. Il n’y a nul besoin incontournable de choisir entre l’unité étatique et la reconnaissance des différences culturelles. Il est important pour les individus d’avoir un sentiment d’identité et d’appartenance à un groupe partageant les mêmes valeurs et autres liens culturels. Mais chaque individu peut s’identifier avec de nombreux groupes différents.( A suivre)

Source : Résumé du rapport mondial sur le
développement humain 2004, La Nouvelle République