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La liberté culturelle dans un monde diversifié (IV)

dimanche 22 août 2004, par Hassiba

On ne pourra élargir les libertés culturelles qu’au moyen de politiques explicites visant à remédier aux restrictions en matière de liberté culturelle, donc des politiques multiculturelles

Pour ce faire, la Constitution des Etats, leurs lois et leurs institutions doivent reconnaître les différences culturelles. Les Etats doivent également élaborer des politiques garantissant que les intérêts des groupes particuliers - qu’il s’agisse de minorités ou de majorités historiquement marginalisées - ne soient ni ignorés ni supplantés par la majorité ou les groupes dominants. Et ils doivent le faire de sorte à ne pas contredire les autres objectifs et stratégies de développement humain, comme la consolidation de la démocratie, la construction d’un Etat compétent et la garantie de l’égalité des chances pour tous les citoyens. Ce n’est pas une tâche aisée, mais il y a beaucoup d’exemples de pays dans le monde qui innovent pour gérer la diversité culturelle. Le présent rapport se penche tout particulièrement sur cinq domaines politiques essentiels : la participation politique, la religion, l’accès à la justice, la langue et l’accès aux opportunités socioéconomiques.

Les politiques garantissant
la participation politique

Beaucoup de groupes marginalisés à travers l’histoire sont aujourd’hui encore exclus de tout véritable pouvoir politique et se sentent de ce fait souvent étrangers à l’Etat. Parfois, l’exclusion est due au manque de démocratie ou à la négation des droits politiques. Dans ce cas, la démocratisation constituerait une première étape essentielle. Cependant, cela ne suffit pas, car même lorsque les membres de minorités jouissent des mêmes droits politiques que les autres dans une démocratie, ils peuvent être considérablement sous-représentés ou mis en minorité, et ainsi considérer le gouvernement central comme étranger et opprimant. Il n’est pas surprenant que de nombreuses minorités s’opposent à toute autorité étrangère ou opprimante et cherchent à obtenir davantage de pouvoir politique. C’est pourquoi il est souvent nécessaire d’avoir une conception multiculturelle de la démocratie. Plusieurs nouveaux modèles naissants de démocratie multiculturelle prévoient des mécanismes efficaces de partage du pouvoir politique entre groupes culturellement divers. Ces types de dispositions de partage des pouvoirs sont essentiels pour garantir les droits des divers groupes culturels et minorités, et pour empêcher que ces droits soient violés, soit par l’imposition de la majorité, soit par la domination de l’élite politique au pouvoir.
Les réformes électorales ont résolu le problème de la sous- représentation chronique des Maoris en Nouvelle-Zélande. Avec l’introduction de la représentation proportionnelle à la place de la formule du tout au vainqueur, la représentation maorie est passée de 3% en 1993 à 16% lors des élections de 2002, ce qui correspond à leur proportion dans la population. Les sièges réservés et les quotas ont été essentiels pour assurer que les tribus et les castes répertoriées aient voix au chapitre en Inde et que les minorités ethniques soient représentées en Croatie. Les dispositions fédérales jouent un rôle important dans la manière d’aborder le partage du pouvoir. Si l’on considère la douzaine de pays ethniquement divers qui sont des démocraties de longue date, presque tous ont pris des dispositions fédérales asymétriques de sorte que les l’on n’a pas attribué les mêmes compétences à toutes les sous-entités de l’Etat fédéral. Cette approche répond de manière plus flexible aux besoins des différents groupes. Par exemple, le Sabah et le Sarawak ont un statut spécial en Malaisie, comme les Basques et 14 autres comunidades autonomes en Espagne et jouissent de compétences autonomes dans des domaines tels que l’éducation, la langue et la culture.

Certaines populations autochtones, comme les Inuits au Canada, ont également négocié l’obtention de territoires autonomes. L’enseignement à tirer est que de telles dispositions de partage des pouvoirs ont largement fait la preuve de leur efficacité à résoudre les tensions dans des pays historiquement confrontés à des mouvements sécessionnistes, comme en Espagne. Si elles sont mises en place assez tôt, dès que surgissent les tensions, ces dispositions peuvent prévenir la survenue d’un conflit violent.

Les politiques garantissant
la liberté religieuse

Beaucoup de minorités religieuses souffrent de diverses formes d’exclusion, parfois du fait de la suppression explicite de la liberté religieuse ou de discriminations perpétrées contre ce groupe, un problème particulièrement courant dans les pays non laïcs où il y a une religion d’Etat.

Mais dans d’autres cas, l’exclusion peut être moins directe ou souvent non intentionnée, comme lorsque le calendrier officiel ne reconnaît pas les jours fériés religieux d’une minorité. L’Inde célèbre officiellement 5 jours fériés hindous, mais également 4 jours fériés musulmans, 2 chrétiens, 1 bouddhiste, 1 jain et 1 sikh, car elle reconnaît la diversité de sa population. La France célèbre 11 jours fériés nationaux, 5 sont non confessionnels et la totalité des 6 jours fériés religieux commémorent des événements du calendrier chrétien, bien que 7% de la population soit musulmane et 1% juive. De minière similaire, les codes vestimentaires dans les institutions publiques peuvent entrer en conflit avec les tenues religieuses d’une minorité où les réglementations étatiques relatives au mariage et à la succession peuvent différer des règles fixées par les codes religieux. Ou encore, la répartition par zones peut entrer en contradiction avec les pratiques d’inhumation d’une minorité.
Ces types de conflits sont susceptibles de se produire même dans les Etats laïcs dotés de solides institutions démocratiques qui protègent les droits civils et politiques.

Etant donné l’importance considérable de la religion dans la définition des identités des individus, il n’est pas surprenant que les minorités religieuses se mobilisent souvent pour contester ces exclusions. Il n’est pas difficile de prendre en compte composer certaines pratiques religieuses, mais d’autres impliquent des choix difficiles et nécessitent des compromis. La France est aux prises avec la question de savoir si le port du foulard dans les écoles publiques viole les principes étatiques de laïcité et les valeurs démocratiques d’égalité des sexes que l’instruction publique entend transmettre. Le Nigeria s’interroge pour savoir si l’on peut entériner une décision d’un tribunal appliquant la charia dans une affaire d’adultère devrait être confirmée.

Ce qui est important du point de vue du développement humain
est d’élargir les libertés humaines et les droits de l’homme et de reconnaître l’égalité. Les Etats laïcs et démocratiques sont plus susceptibles de réaliser ces objectifs, dès lors que étant ceux l’Etat garantit de façon raisonnable les pratiques religieuses, qu’il considère toutes les religions sur un pied d’égalité et qu’il protège

les droits de l’homme.

Les politiques pour
le pluralisme juridique

Dans de nombreuses sociétés multiculturelles, les populations autochtones et les individus issus d’autres groupes culturels ont fait pression pour obtenir la reconnaissance de leurs systèmes juridiques traditionnels afin d’avoir accès à la justice. Par exemple, les Mayas au Guatemala ont été opprimés pendant des centaines d’années et le système juridique étatique est devenu partie intégrante de cette oppression.

Les communautés ont perdu confiance dans le système de l’Etat de droit parce qu’il n’a pas assuré la justice et qu’il était déconnecté de la société et de ses valeurs.
Plusieurs pays comme le Guatemala, l’Inde et l’Afrique du Sud, mettent au point des approches de pluralisme juridique reconnaissant de différentes manières le rôle des nonnes et institutions judiciaires des communautés. Les demandes en faveur du pluralisme juridique se heurtent à la résistance de ceux qui craignent qu’il ne sape le principe d’un système juridique unifié, ou qu’il n’encourage des pratiques traditionnelles contraires à la démocratie et aux droits de l’Homme. Certes, il y a des conflits, l’Afrique du Sud par exemple est en proie à un conflit entre les droits des femmes à la succession reconnus par la Constitution de l’Etat et rejetés par le droit coutumier. Les sociétés doivent savoir accepter de véritables compromis mais le pluralisme juridique n’exige pas que l’on adopte systématiquement toutes les pratiques traditionnelles. La culture évolue et la liberté culturelle n’est pas une défense automatique de la tradition.

La politique linguistique

La langue est souvent la question la plus disputée dans les Etats multiculturels. Certains pays ont essayé de supprimer les langues de certaines populations en qualifiant leur usage de subversif. Mais la source la plus fréquente d’exclusion généralisée, même dans les démocraties bien établies, est la politique de langue unique. Le choix d’une langue officielle, la langue d’instruction dans les écoles, la langue des débats législatifs et de la participation civique, la langue du commerce dresse des
barrières et modèle les avantages dont jouissent les individus dans la vie, qu’elle soit politique, sociale, économique ou culturelle. Au Malawi, la Constitution exige que tous les parlementaires parlent et lisent l’anglais. L’anglais et l’afrikaans sont toujours les langues utilisées de facto devant les tribunaux en Afrique du Sud, bien que neuf autres langues aient maintenant été officiellement reconnues.

Reconnaître une langue ne peut se réduire à en permettre l’usage. Cela symbolise le respect envers les individus qui la parlent et leur culture, ainsi que leur intégration pleine et entière dans la société.

L’Etat peut fermer les yeux sur la religion, mais il ne peut rester muet sur la question de la langue. Les citoyens ont besoin de communiquer pour avoir un sentiment d’appartenance, et le choix d’une langue officielle symbolise l’identité nationale. C’est pourquoi beaucoup d’Etats renâclent à reconnaître de multiples langues, même lorsqu’ils se font les champions des libertés civiles et politiques.

De nombreux pays concilient les objectifs jumeaux de l’unité et de la diversité en adoptant deux ou trois langues, en reconnaissant à la fois une langue nationale unificatrice et ces langues locales. Dans de nombreux pays colonisés, ceci a signifié reconnaître la langue de l’administration (comme le français ou l’anglais), la langue locale la plus largement usitée et une langue maternelle à l’échelon local. La Tanzani a encouragé l’utilisation du kiswahili et de l’anglais dans les écoles et au niveau du gouvernement. L’Inde a pratiqué une formule trilingue pendant des décennies ; les enfants reçoivent une instruction dans la langue officielle de leur Etat (bengali au Bengale occidental par exemple) et apprennent aussi les deux langues officielles du pays, l’hindi et l’anglais.

Les politiques socio-économiques

Les injustices socio-économiques et les inégalités en termes de revenus, d’éducation et de santé ont été la caractéristique déterminante de nombreuses sociétés multiethniques comportant des groupes marginalisés - Noirs en Afrique du Sud et populations autochtones au Guatemala et au Canada. Ces exclusions reflètent les profondes racines historiques de la conquête et de la colonisation, ainsi que les structures tenaces d’une hiérarchie, comme les systèmes de castes. Les politiques économiques et sociales qui favorisent l’équité sont essentielles pour remédier à ces inégalités. Il serait utile de rectifier les partis pris dans la répartition des dépenses publiques et que les services de base soient prioritairement conçus à l’intention des individus défavorisés en termes de santé et d’instruction, mais cela n’est pas suffisant.
Il est nécessaire d’avoir recours à des politiques multiculturelles qui prennent en compte les différences entre les groupes afin de réparer des injustices historiquement et socialement ancrées.

Par exemple, il ne serait pas suffisant de se contenter d’attribuer des ressources supplémentaires pour l’éducation des enfants des groupes autochtones, car ils sont désavantagés si toutes les écoles n’enseignent que dans la langue officielle. L’enseignement bilingue serait utile. Les revendications foncières - comme celles des populations autochtones sur les terres riches en minerais ou celles colonisées par les Blancs en Afrique australe - ne peuvent être résolues par des politiques qui élargissent les opportunités socio-économiques.( A suivre)

Résumé rapport mondial sur le développement humain 2004, La Nouvelle République