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La recherche scientifique en Algérie : État critique et perspectives (I)

samedi 18 septembre 2004, par Hassiba

Evoquer la recherche scientifique, c’est avant tout saisir ses enjeux stratégiques et faire ressortir son apport dans le processus du développement humain.

C’est aussi faire part du statut sociologique de l’activité et définir la contribution de tous les acteurs, y compris celle de l’Etat, des autres institutions privées et des ONG pour la prise en charge des besoins de celle-ci et trouver les moyens adéquats d’exploiter les outputs de l’activité de la recherche et, par voie de conséquence, faire de la valorisation des résultats une véritable politique nationale à l’instar des politiques scientifiques des pays en voie de développement vers la société électronique.

De ce fait, la recherche scientifique s’adapte aux nécessités multidimensionnelles de la société pour parer à ses besoins, voire en créer d’autres pour les satisfaire ultérieurement et atteindre l’élan indispensable aux différentes étapes de l’évolution humaine. C’est ainsi que l’on rencontre parfois des domaines de recherche très pointus dans les pays développés mais totalement ingnorés par l’hémisphère sud du globe. Cela étant vérifiable par les caractéristiques des résultats de l’activité et surtout par la nature des publications et autres brevets d’invention déposés dans les institutions dédiées à la protection, l’exploitation et surtout à la diffusion de la documentation scientifique et technique.

C’est ainsi que les observateurs du développement de la science insistent sur la nécessite de trouver une alliance entre le pouvoir politique et la communauté scientifique afin de baliser le terrain de la valorisation et l’exploitation des résultats et surtout pouvoir aboutir à une véritable inscription sociale de la science comme recommandée par l’Unesco(1). Il n’est pas nécésssaire de s’attarder sur le rôle vital de la recherche au sein de la société, car c’est un investissement qui contribue efficacement au progrès de tous les axes stratégiques de la société, à savoir la prise en charge des besoins des entreprises et autres institutions de production des biens et des services, sans oublier les volets culturel et sociologique. Le rôle de la recherche est, aussi, visible dans l’amélioration des conditions de vie des sociétés avec un apport clair, effectif et surtout quantifiable dans tous les domaines humains. Mais cette dynamique sociologique est parfois affectée par des conditions parascientifiques et surtout par l’instrumentalisation temporelle et politique des régimes en place et surtout par la méconnaissance des gestionnaires de cette activité primordiale pour la société.

Constat et diagnostic scientifiques de l’Algérie
Dotée de plus d’une dizaine de centres de recherche et de plusieurs centaines d’unités au niveau des universités et autres instituts, l’Algérie n’arrive pas à ancrer une politique claire de la recherche scientifique, du fait de l’absence d’une véritable stratégie de programmes nationaux pour la promotion de l’activité intellectuelle en général et de la recherche en particulier et de planification pour la valorisation des résultats. Il faut signaler au passage que le terme générique de l’information scientifique et technique (IST) et le vocable de communication scientifique sont relègués à un plan secondaire alors que leur situation dans les pays développés est hissée au seuil de la souveraineté car ces pays ont saisi la plénitude de la contribution de la recherche dans le developpement et ont mis une politique d’approche pédagogique pour cette activité.

La situation de la recherche scientifique dans les pays sous-développés illustre clairement la négligence et le mépris pour ce secteur caractérisé par plusieurs aspects négatifs, notamment l’affectation de budgets dérisoires pour la recherche, l’absence quasi totale de fondations dédiées à la connaissance et à la valorisation des résultats de la recherche, le blocage administratif des carrières des chercheurs et enseignants, gestion administrative des bilans des institutions et autres infrastructures, désignation décrétaire des gestionnaires, sous-utilisation des potentialités existantes, etc. Le cas de l’Algérie n’est pas très différent des autres pays pauvres, nonobstant l’existence de tous les facteurs indispensables à l’expression scientifique de ses compétences, qui sont dans le meilleur des cas poussées à se reconvertir dans d’autres métiers plus valorisés sociologiquement ou forcés à l’exil inverse car trouvant le moyen de briller dans des domaines de pointe jadis monopolisés par les Occidentaux. Des milliers de chercheurs, cadres et autres compétences algériennes sont recrutés par des institutions étrangères de réputation et peuvent décrocher des contrats de travail selon leurs aspirations car ces pays ne font pas de politique de la science mais ont une politique pour la science, la connaissance et le savoir. Il n’y a pas de volonté politique pour l’essor d’une culture propre à la connaissance et au savoir.

D’un point de vue purement sociologique, on a l’impression que nos gouverneurs forment une population illettrée par le truchement de discours creux sans aucune envergure scientifique au lieu d’aspirer à gouverner une société savante qui puisse décoller avec le savoir et, par voie de conséquence, faciliter la gouvernance au pouvoir, au même moment, les enfants des gouvernants sont formés aux frais du contribuable à l’étranger dans les plus prestigieuses écoles et universités pendant des années. Sous prétexte de manque de moyens financiers, la recherche scientifique tous domaines confondus a été privée de documentation et de moyens techniques pendant des années. Cependant, les caisses de l’Etat sont remplies, des projets sont tout de suite inscrits pour le revêtement des trottoirs et le ravalement des immeubles de la capitale et des grandes villes de l’intérieur et confiés à des amateurs pour défigurer tout l’environnement, pour dire par la suite que l’Algérie est en crise financière. On est très loin des normes mondiales de la contribution de l’Etat dans le processus de vulgarisation et de socialisation scientifiques, alors pour la recherche scientifique, il ne faut surtout pas opérer des comparaisons. La société algérienne est apte à se prendre en charge du point de vue scientifique, car si les écoles privées existaient, la plupart des enfants seraient scolarisés au sein de ces structures au détriment des besoins primordiaux de la famille.

Le « décret » de la science
Le plus grand préjudice porté à la recherche scientifique en Algérie concerne inévitablement la nomination des gestionnaires du secteur par décret, ce qui engendre dans bien des cas la déperdition des compétences et l’exode des cerveaux vers des horizons qui respectent la notion du savoir et vers des sociétés qui garantissent un statut valorisant tant sur le plan matériel que culturel dans la mesure où il a accès aux sources informationnelles et peut vivre décemment de la vente de sa matière. Ce qui a donné naissance au transfert de technologie inverse sans que cela provoque une mise en place de la prise en charge de la substance grise du pays. Il est dès lors évident que l’on assiste à une hémorragie des valeurs algériennes, parfois avec la « bénédiction » des dirigeants des institutions nationales. Un gestionnaire, d’un prestigieux centre de recherche dans la capitale, a confié à des amis qu’il voulait avoir sous « sa coupe » des gens qui ne discutent pas ses décisions et ne l’encombrent pas avec des revendications scientifiques. Sans avoir l’intention d’inventorier toutes les carences de la recherche dans les pays sous-développés en général et en Algérie en particulier, il faut insister sur le caractère fonctionnel de l’activité de recherche et l’absence systématique d’une théorie scientifique du savoir adaptée aux besoins du développement.

Il y a un autre aspect qui caractérise le fonctionnement de l’activité scientifique et qui est fondamental à notre sens pour saisir toute la doctrine de cette théorie : c’est la création des chercheurs de « service » politique. Sinon y a-t-il une justification logique pour ne pas organiser un concours de recrutement de directeurs de centre, ou exiger un profil correspondant au poste selon les critères imposés par toute institution respectable au lieu de procéder à la désignation par instruction et décret intreposés ? En Algérie, un responsable du centre de recherche ou d’une quelconque entreprise peut être « fossilisé », s’il entretient les privilèges relationnels avec les coulisses du pouvoir et ne sera jamais inquiété, car le service rendu est synonyme de protection et de pouvoir. On ne peut s’empêcher, dans ce cas précis, de penser que l’encouragement du transfert de technologie inverse est indirectement stimulé par ce genre de comportement à l’endroit de la communauté scientifique établie en Algérie. Les responsables de la recherche sont maintenus au poste de gestionnaires et de directeurs par complaisance ce qui dédouane le laisser-aller enregistré dans le travail justifiant leur activité par des résultats ne dépassant pas le stade de théorie parfois mal calculée. C’est lors des visites programmées d’un ministre ou d’un responsable que le tiroir est utilisé pour démontrer la force intellectuelle des compétences pendant le laps de temps de la visite pour les remettre par la suite aux archives. C’est comme les hôpitaux qui s’habillent de la meilleure tenue à l’occasion de l’inspection ministrale où le malade bénificie de tous les égards y compris l’eau courante dans son robinet flambant neuf et l’enceinte peinte la veille du rendez-vous avec un nettoyage parfait et un engagement sans precèdent.

La tare du bilan administratif
Le bilan de la recherche scientifique en Algérie n’a jamais été fait à mon humble avis en termes d’évaluation des potentialités opérationnelles des activités de celle-ci, car le terme d’évaluation perd toute sa signification dans un processus scientifique perverti. A la fin de l’année, on se contente généralement de présenter un bilan administratif en grande pompe pour justifier l’exploitation du budget et reconduire un autre budget plus conséquent sans plus. Les comptes sont rendus à la tutelle sans passer par les instances compétentes d’évaluation, ce qui conforte le responsable dans la pérennité fonctionnelle et devenir par ces actes un carriériste scientifique. D’ailleurs, même les conseils scientifiques « ad hoc » se sont reconvertis à traiter des détails parascientifiques au lieu de demander les comptes de l’activité. La fin de l’exercice est systématique aux personnes qui veulent faire valoir l’hégémonie de la science sur l’aspect administratif du bilan. A-t-on fait le compte des budgets engloutis par ce secteur et s’est-on demandé ce que tout cela a profité à l’Algérie sur le double plan sociologique et économique au sens large du terme ?

Dans les pays développés, les assises de la recherche sont organisées périodiquement pour l’évaluation et l’identification précises des ressources humaines, matérielles et financières affectées à la recherche, à la définition des objectifs des programmes recherches gouvernementaux public et privés. Le point focal des assises, qui doit être mentionné à notre sens, concerne inévitablement l’identification de leur contribution aux finalités du développement et à la relation recherché avec ses partenaires économiques et cela selon un cahier des charges pour chaque centre ou unité de recherche dans lequel on peut trouver les détails, y compris le processus d’application des résultats et leur finalité (brevet, document, rapport,...). Aussi, il est très important de se demander pourquoi la science est totalement bloquée en Algérie, et le statut réclamé par la communauté scientifique ne fait pas référence à rendre des comptes, lorsque l’argent du contribuable est consommé de façon aléatoire et administrative. L’esprit revendicatif de la communauté scientifique est légitime, mais il faudrait que ce même statut responsabilise le chercheur envers la société à commencer par les gestionnaires de nos institutions scientifiques. Dans ce sens, il n’est pas du tout impossible de demander des bilans scientifiques pour rendre compte de la valorisation, ce qui pourrait constituer le maillon essentiel de déblocage des potentialités des compétences algériennes et, éventuellement, donner espoir aux exilés de contribuer au développement de l’activité par le changement de la mentalité beylikale et de rendre aux compétences leur véritable mission.

L’expérience de quelques pays a démontré que la valorisation de la recherche passe par l’implication des différents acteurs de la société qui donne les moyens mais exige des résultats et demande des comptes. L’impôt prélevé dans le cadre de la loi doit faire une justification palpable et non pas une prescription stéréotypée inscrite dans le bilan annuel des dépenses. En face de chaque dépense doit être justifié l’état d’avancement, car cela relève du contrôle des activités de la recherche qui doit en fin de compte s’inscrire dans le processus de la société. A titre d’exemple, des projets sont inscrits indéfiniment dans l’agenda de l’activité sans que cela bénéficie aux entreprises et autres institutions, il faut chercher ce qui peut être rentable au pays et non pas l’inverse, car en Algérie, on n’est pas encore au stade de créer le besoin de la science. On voudrait bien savoir combien de brevets sont exploités par nos entreprises en une décennie ? Sont-elles en mesure de connaître tous les brevets déposés à l’INAPI ? Ou préfèrent-elles importer le produit fini de l’étranger pour bénéficier de missions fantoches à l’étranger et bénéficier d’une commission sur le contrat ? Est-ce que les entreprises nationales ou privées sont en mesure de mettre le paquet financier pour exploiter ces brevets et mettre en place la machinerie nécessaire à sa mise en œuvre pour le rentabiliser à long terme ? Y a-t-il une procédure de communication claire en matière de veille technologique dans nos entreprises pour pister les innovations ou les chercheurs ? Quel est le rôle principal de l’activité documentaire dans nos institutions et nos centres de recherche ? Est-on arrivé au stade d’une informatisation systématique des activités de support à la recherche ? Quel est le cahier des charges des centres de recherche, ou doit-on toujours se contenter de la publication du décret de création ? Y a-t-il une évaluation périodique de la mission des centres de recherche et autres unités ? Y a-t-il un centre de recherche qui a été fermé car il a terminé sa mission définie dans le texte de création publié dans le Journal officiel ? On peut se poser une multitude de questions, mais le principal souci est de dire que le décret de création de nos institutions ne donne aucun droit de regard de la société sur les activités et les résultats de la recherche, même le Parlement, censé être une instance de régulation socioéconomique, n’est qu’un bureau d’ordre ou une boîte postale pour accuser réception des lois et textes réglementaires. (A suivre)

Par Lakhdar Ydroudj
Expert en communication et sondage, El Watan

Notes
 (1) - Unesco : World Conference on Science : Budapest-Hongrie, 26 juin - 1er juillet 1999. Les communications sont disponibles sur le site : http://www.unesco.org/science/wcs/meeting/eur paris social 98.htm€recherche Consulte me 27 mars 2004. Le parcours du site démontre qu’aucun scientifique algérien n’a pris part à ce colloque ! Mais on enregistre une forte participation des autres pays arabes et africains.
 (2) - Cette note est ajoutée après la lecture de l’aventure vécue par Mohamed Nacim Maâtallah : Retour des cadres exilés « Mes illusions et mes désillusions », Cf. El Watan 4-5-6 avril 2004. Le pire dans cette histoire concerne la négligence de nos représentations diplomatiques des projets gratuits soumis à l’Etat algérien dans divers domaines et qui peuvent être opérationnels au moment où celles des pays développés exerce un véritable « espionnage » économique, informationnel et industriel (veille technologique) et exploitent la moindre information au profit de leur pays et des entreprises, alors que les nôtres sont encore au stade de tourisme diplomatique aux frais du contribuable. Il faut dire que l’opinion exprimée par l’auteur est celle de la quasi-totalité de nos compatriotes exilés, mais le seul auquel je n’adhère pas concerne le fait que ces cadres exilés sont « exploités par les forces intelligentes » ; je dirais à ce sujet que les cadres exilés vendent leur matière grise à des entreprises qui achètent bien et qui payent le prix fort. Il s’agit en fin de compte d’une offre et d’une demande de marché.