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Le culte des saints en terre d’islam

dimanche 22 août 2004, par Hassiba

Cela remonte au temps de nos grands parents qui vivaient selon des principes très rigides tant sur le plan religieux que moral.

Mais si la rigueur dans le domaine de la foi était générale, il y avait quelque dérogation comme celle qui touchait à la vie des saints, les uns parce qu’ils avaient donné la preuve de leur ferveur religieuse, les autres pour leur pouvoir magique de guérir ou de conseiller à bon escient.

Du vivant de nos ancêtres, la misère et l’ignorance avaient fait leur petit bonhomme de chemin ; il fallait apprendre à résister aux pires épreuves provoquées par les disettes, les épidémies, les luttes intestines. Et pour peu que le nécessaire vînt à manquer, ils priaient Dieu de leur venir en aide, mais ils allaient consulter les saints marabouts dans l’espoir d’avoir quelque soutien en tant que fervents pratiquants, récitant plusieurs fois dans la journée la profession de foi très significative : « Il n’y a de dieu que Dieu, Mohammed est Son prophète ». Même l’expression « Il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints » a dû être inventée il y a de cela des siècles par quelqu’un qui ne croyait qu’en Dieu et qui a fait une expérience malheureuse de saints.

Au fil des siècles, les gens sont restés attachés aux saints parce qu’ils les ont crus capables d’intercéder en leur faveur auprès du Tout-Puissant ou de leur procurer le nécessaire pour faire face à des situations éprouvantes.
On disait de certains qu’ils pouvaient même prédire l’avenir, ce qui explique pourquoi on vénérait les uns par rapport aux autres.

Saints, sages ou cheikhs ?
Du temps où notre société vivait traditionnellement au sens plein du terme, les appellations sages, saints et cheikhs se confondaient sous le prétexte que toutes ces fonctions pouvaient être cumulées par un homme. On peut citer le cas d’un instituteur francophone du 19e siècle qui fut à la fois maître d’école coloniale à classe unique, imam de village, sage qu’on consultait souvent pour des litiges entre familles ou entre frères prêts à l’affrontement pour des questions liées à l’héritage.

A la différence des saints, vivants ou morts, pour qui on vouait une vénération exagérée et à qui on donnait sans compter, le cheikh ne se faisait pas payer, et n’acceptait aucun don ou obole venant de qui que ce fût.
Les maîtres d’écoles coraniques ont dirigé des prières, fait des discours religieux, donné des Fatiha à l’occasion d’événements heureux ou malheureux, servi de guides spirituels et de juges habiles, pleinement mérité l’appellation de cheikhs ; ils ne se sont pas occupés seulement de l’enseignement du Coran. Ils étaient pourtant de conditions de vie précaire. N’ayant jamais bénéficié d’un salaire décent, le maître d’école coranique a toujours été pris en charge par la population pour laquelle il s’est dévoué. Aussi, la tradition a voulu que chacun l’invite à venir manger et à lui donner une sadaqa en fonction de ses moyens.

En plus du rôle qu’ils avaient de transmettre le Coran à des enfants, la plupart de ces cheikhs ont rempli de nobles missions et ont eu des parcours honorables qui leur ont valu d’être admirés au point de mériter un mausolée après la mort. Ce qui est arrivé à un pèlerin tunisien qui a été élevé au rang de saint pour avoir créé une palmeraie dans le sud désertique, et ce, en y plantant des noyaux de dattes qu’il avait ramenés d’Arabie. Et que dire de Nasredine Dinet, peintre célèbre d’origine parisienne, arrivé sous le nom d’Etienne Dinet, au 19e siècle, qui s’est converti à l’islam après avoir été subjugué par la religion musulmane et le Sud algérien. Il mourut à Boussaâda après son pèlerinage aux lieux saints de l’islam. L’ayant considéré comme l’un des siens, la population de cette ville du Sud décida de lui ériger un tombeau à la mesure de ses convictions.

Le saint au sens spécifique
du mot

Ce sont généralement des hommes ou des femmes d’envergure considérable par leur propreté morale, leur ascèse, leur puritanisme et leurs qualités humaines. La plupart d’entre eux connaissaient parfaitement le Coran et tenaient à son application dans la conduite de chaque musulman. Les écrivains étrangers se sont intéressés à ces hommes et femmes de cette trempe pour leur prestige auprès des populations, leur capacité à pouvoir mobiliser des masses et leur baraka.

Dermenghem range les saints en deux catégories : les saints du peuple de caractère folklorique et les saints des lettrés, sujets des hagiographies. Avant d’aborder leurs miracles ainsi que leurs charismes, facteurs de classification en Rijal Essalihine, il parle de leur grâce, pratique des vertus, ascèse qui leur permettent d’accéder à la sainteté et de se rapprocher de Dieu. Dermenghem n’oublie pas de parler de la corrélation qui lie le saint aux lieux qui lui appartiennent comme les sources, les grottes, les arbres que la croyance populaire sacralise au point d’en faire des objets de culte. Parmi les saints vénérés, on a cité les plus connus comme Sidi Boumediène de Tlemcen, Lalla Mimouna la Marocaine Sidi Bennour de Bouzaréah, Sidi M’hamed et Sidi Abderrahmane d’Alger, Lalla Zaynab. Et que de milliers d’autres repartis à travers les pays maghrébins.

Maintenant, avec la nouvelle mentalité qui a beaucoup baigné dans les problèmes religieux d’aujourd’hui, les défis du 21e siècle, ces saints ou la plupart d’entre eux voient l’écrasante majorité des gens leur tourner le dos. Mais du temps où ils jouissaient d’une grande considération, ils avaient du prestige par leurs sanctuaires et les rites qui y étaient pratiqués. On venait de partout pour leur apporter une ouaâda, les consulter, apporter la preuve du contrat de fidélité au maqam. Quelques-uns d’entre eux avaient même créé des soirées de chants religieux, prières ; cela se passait généralement le jeudi après un bon couscous, symbole d’union et de convivialité. Même après la mort du saint, les lieux restent ouverts à tous et les activités rituelles s’y poursuivent.

A des périodes précises de l’année, des journées d’offrandes sont organisées aux sanctuaires des saints comme cela se passe à Sidi Abderrahmane ou à Djeddi Menguellat, près d’Aïn El Hammam.
Autour des mines d’une maison habitée vers le 16e et 17e siècle par un saint venu de Saguia El Hamra, tout un village se mobilise une fois dans l’année, en été, pour offrir un couscous garni de viande de mouton ou de chameau sacrifié sur les lieux de la cérémonie rituelle.

Quelques anecdotes
en rapport avec les saints

Il s’agit d’histoires authentiques qui ont fait partie du vécu collectif. Elles sont d’autant plus intéressantes qu’elles entrent dans le répertoire populaire qui reflète un état d’esprit, une réalité sociale, des traditions. Chez nous, l’histoire véhiculée par l’oralité jusqu’à une certaine époque doit être récupérée à partir des récits populaires de différents types, y compris dans leur forme chantée.

Leur analyse révèle une forte récurrence de personnages mystérieux, voire mystiques ou invisibles, mais présents de manière permanente dans l’imaginaire de tous.
Le cousin de notre belle-sœur rapporte des souvenirs poignants d’un enfant qui a vécu dans les pires privations en qualité de garçon unique. C’était la misère générale et à ce manque s’ajoutaient pour lui les nombreuses interdictions qu’on lui avait imposées. On le couvait comme la poule fait à ses poussins. Les parents n’avaient pas encore compris que pour son épanouissement, un enfant avait besoin de s’amuser avec d’autres enfants de son âge.
« Un jour, raconte-t-il, alors que je n’avais que quatre ans, je donnais des signes d’un garçon anormal : fatigue générale, manque d’appétit et comme la moralité infantile était forte à l’époque, mon semblant de maladie avait provoqué la panique auprès des miens. Et sans trop tarder, mon père et ma mère me conduisaient auprès d’un saint réputé pour son pouvoir magique de guérir et qui vivait dans un petit village à quelques kilomètres en contrebas du nôtre. Aussi, on jugea utile de partir à l’aurore pour arriver chez lui les premiers. Et sitôt arrivés, nous fûmes reçus dans une salle de consultation tapissée de nattes. Mon père et ma mère m’avaient fait asseoir entre eux et faisant face au vieux cheikh qu’à des dizaines de kilomètres à la ronde on a vénéré pour ses qualités morales et spirituelles, ainsi que pour sa sagesse immense. Etant donné mon âge, je ne pouvais comprendre les propos échangés, mais j’écoutais dans un silence religieux. Les soins avaient donc consisté en des paroles de bénédiction et de recommandations. »

Les saints, qui sont généralement issus de familles maraboutiques, gardent encore des siècles après leur mort la même réputation et la même considération que de leur vivant auprès des populations.
Un témoin, aujourd’hui vieillard, se souvent bien des années de son enfance au cours desquelles les habitants de sa région n’avaient jamais cessé de se rendre au mausolée d’un saint.

C’était par processions qu’ils y allaient. Chacun croyait dur comme fer que si on voulait que la ziara fût suivie d’effet, il fallait donner une ouaâda en nature ou en espèces, puis passer dans le sanctuaire sur les murs duquel étaient suspendus burnous, gandoura, autres vêtements du saint décédé cinquante ans auparavant. Chaque visiteur devait passer devant chaque vêtement pour s’en frotter le visage, comme le voulait la croyance.

On a beaucoup de récits de ce genre, mais il est impossible que nous les relations en totalité. Nous nous contentons cependant de rappeler ce qui s’est passé une fois sur la voie de chemin de fer allant vers Bouira. On ne sait pas en quelle année. Les uns affirment que cela s’est produit au début des voyages en train, probablement à la fin du 19e siècle en Algérie ou au début du 20e. Peu importe, car un jour, le train s’est arrêté subitement pour une raison inexpliquée au milieu de la nature. Le mécanicien descend de sa locomotive, cherche à trouver la cause de la panne, puis essaye de le faire redémarrer, mais vainement.
On ne savait pas qu’à côté de la voie ferrée, un homme est descendu tranquillement de son wagon pour aller faire sa prière dans un coin d’herbe. Et lorsqu’il eut fini, il regagna sa place et c’est à ce moment-là que la machine se remit en marche d’elle-même. A partir de ce jour, on créa une gare ferroviaire à cet endroit, transformé peu après en village, puis en cité urbaine. On ne sait pas s’il s’agit d’Aomar ou de Kadiria. Tout le monde en a parlé et la merveilleuse anecdote est restée gravée dans les mémoires.
Tels ont été les nombreux saints et la croyance de nos populations maghrébines qui ont beaucoup aimé le pèlerinage aux mausolées et les zaouïas dont les grands chefs, créateurs des lieux, font encore l’objet de vénération ; certains ont même fondé des confréries religieuses. C’est pour toutes ces raisons qu’on a voulu perpétuer leur mémoire par la construction de sanctuaires.

Par A. Boumediène, La Nouvelle République