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“Le journal” de Mouloud Feraoun

mardi 15 mars 2005, par nassim

“Comme si une giclée de balles imbéciles pouvait l’avoir arraché de notre vie, sous prétexte qu’elle l’avait stupidement rayé du paysage...”, avait dit Mouloud Mammeri, quand l’OAS voulait faire taire le plus prometteur des écrivains algériens en l’assassinant le 15 mars 1962, créant plutôt le mythe et la légende.

Dans la préface de son Journal édité au Seuil, Emmanuel Roblès, ami de Mouloud Feraoun, relate les derniers instants vécus par l’écrivain algérien : “Dans la matinée du 15 mars 1962, à El Biar, sur les hauteurs d’Alger, Mouloud Feraoun participait en sa qualité d’inspecteur des centres sociaux à une séance de travail dans l’un des baraquements du domaine où l’on avait installé la direction de ce service.

Peu après 11 heures, des hommes armés pénétrèrent dans la salle, ordonnèrent aux assistants de se placer, bras levés, le long des murs. La fouille achevée, ils appelèrent sept noms. L’une des personnes désignées était absente. Parmi les six autres figurait Feraoun. D’un ton plein d’aisance, le chef des assassins assura qu’il ne leur fera aucun mal, qu’il s’agissait simplement d’enregistrer une déclaration au magnétophone. On crut à une “émission pirate” de l’OAS. En file indienne, les six victimes furent conduites jusqu’à l’angle de deux bâtiments où attendaient d’autres individus en armes. Ceux-ci leur retirèrent leurs papiers d’identité. Ensuite, ce fut le massacre. La poitrine broyée par une rafale de fusil-mitrailleur, Feraoun tomba le dernier. son corps bascula par-dessus celui de son ami Ould Aoudia.”
Puis, s’interrogeant plus loin, il se dit : “il m’est difficile de parler de lui à présent qu’il n’est plus ! Et d’ailleurs, quel portrait vaudrait mieux que celui qui surgit de ces pages ?” Et ces pages écrites à partir de 1955 vont s’interrompre brutalement le 14 mars 1962, car le lendemain, Feraoun est assassiné. Ces pages constituent donc l’essentiel de son Journal paru à titre posthume en 1962 aux éditions du Seuil. Par précaution, Mouloud Feraoun écrivit son journal sur des cahiers d’écolier qu’il mêlait aux cahiers de ses élèves car, vivant sous la menace de perquisitions, il confia ceux qu’il jugeait compromettants à ses amis. Le Journal, qui reste avant tout un document autobiographique, est aussi un récit ou une chronique quotidienne qui nous replonge dans ces années dures de la colonisation et de la lutte armée.

Le témoignage de Feraoun qui, dans un style soutenu, a retracé des faits, des évènements, ses jugements sur la guerre, sa description quotidienne de la souffrance, rapportés fidèlement et dans les détails fait de ce journal un document historique qui aide à mieux cerner une époque importante dans l’histoire de l’Algérie, une époque dissimulée encore aujourd’hui sous certains zones d’ombre tant la restitution et l’écriture honnête de l’histoire de ce pays. notamment une partie de cette période ne s’est pas encore faite en toute impartialité.

Feraoun, conscient de l’acte de témoigner comme de l’acte d’écrire, écrit en 1957 justement dans ce journal : “Ceux qui ont souffert, ceux qui sont morts pourraient dire des choses et des choses. J’ai voulu timidement, explique-t-il, en dire un peu à leur manière. Et ce que j’en dis, c’est de tout cœur, avec ce que je peux avoir de discernement et de conscience.” Le Journal ne se distingue pas en réalité des autres œuvres de Feraoun écrites toutes dans un style propre à l’auteur avec douceur, certes, mais force des mots.

Le thème cher à Feraoun, sa Kabylie, son Algérie et l’amour des siens même s’il écrit sous le poids de la tristesse, quand il ne voit pas d’issue à toute cette misère et souffrance qu’endure le peuple. “Maintenant, j’ai compris. Inutile d’aller plus loin. Je peux mourir aujourd’hui, être fusillé demain : je sais que j’appartiens à un peuple digne qui est grand et restera grand.”

Par Nassira Belloula, liberte-algerie.com