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Les clandestins algériens et la menace chinoise en France

dimanche 20 mars 2005, par Stanislas

Quel est le dénominateur commun entre un commissaire de police, un diplomate du Quai d’Orsay et un clandestin algérien ? Chacun, à son niveau, fait la politique de l’immigration en France. Le premier réprime, le deuxième analyse le phénomène et le troisième tente de survivre en exploitant les failles du système.

Le téléphone sonne une dizaine de fois sans que personne ne réponde. Aux bureaux du Pool Emigration de la préfecture de Paris, le commissaire Beretti est débordé. Entre les piles de dossiers entassés sur son bureau, les portes qui claquent et les clandestins menottés dans les couloirs, ce policier spécialisé dans les affaires liées à l’immigration en France avoue d’emblée que son service est en sous-effectif « on est 230 au lieu d’être 500 » lâche, dépité, le commissaire Beretti.

L’allure débonnaire de cet amateur de polars cache mal le professionnalisme exacerbé de ce flic qui connaît les filières de l’immigration clandestine par coeur : « 90% des clandestins qu’on arrête n’ont pas de passeport. C’est un gros problème pour nous surtout que certains consulats ne daignent même pas nous répondre », explique-t-il. Et les Algériens ? Pour le patron du pool Emigration, il existe « une très bonne collaboration avec les autorités consulaires algériennes ». Comprenez par-là, que les diplomates algériens répondent assez rapidement sur le cas des clandestins qu’on leur présente, souvent des non Algériens, pour identification : « il y a des ambassades qui ne veulent même pas nous répondre et reconnaître leurs ressortissants, particulièrement l’Inde, l’Egypte, le Pakistan et la Chine ». Le casse-tête des policiers anti-immigration va de la garde à vue aux procédures de reconduite à la frontière qui demeurent problématiques, géré « sous une pression permanente », selon ce commissaire qui considère l’immigration algérienne comme étant la « moins dangereuse » du fait que les Algériens connaissant bien la France et préfèrent, de plus en plus, faire le parcours du combattant « légal » pour avoir des titres de séjour en règle que de franchir la ligne rouge de la clandestinité : « les filières de l’immigration clandestine ne sont pas rodées en Algérie car la demande est ailleurs. Des Balkans, par exemple, un clandestin peut payer 15.000 euros à un passeur pour se retrouver en France, chose que ne ferait pas un Maghrébin ».

Après la phase euphorique des années 80, où on recensait jusqu’à un million de visiteurs algériens par an en France, la politique française des visas et l’alignement sur les directives européennes de Schengen, en matière de circulation des personnes a, drastiquement et paradoxalement, fait diminuer le chiffre des Algériens en France. Et ceci même avec la montée de l’islamisme en Algérie : « on surveille les filières islamistes algériennes en France mais celles qui nous inquiètent actuellement viennent du Pakistan, du Bangladesh et du Maroc ». Le processus classique pour un clandestin est de se faire employer au noir dans des commerces tenus par des Maghrébins, de ce fait, le pool émigration exerce des pressions sur les gérants des petits commerces, tels que les boucheries, les bazars et les épiceries, pour qu’ils n’emploient pas de clandestins. Mais ce qui semble être l’inquiétude suprême des services de l’immigration sont les Chinois : « ils circulent en Europe avec la même identité. On estime à deux milliards d’euros par an l’argent qui est renvoyé en Chine par les commerçants chinois à Paris », fulmine le commissaire Beretti.

Dans son bureau modeste, M. Cire, un diplomate du Quai d’Orsay qui veut demeurer anonyme, connaît bien les filières de l’immigration. Oeil vif, ton pondéré et analyse méticuleuse, il observe depuis des années les tendances lourdes de l’immigration en France. Comme le policier de la préfecture, sa tasse de thé de ses derniers mois c’est la Chine : « on prévoit que dans moins de 10 ans, il y aura près de 100 millions de Chinois qui visiteront la France et on n’est pas prêt pour répondre à cette demande », avoue ce diplomate français qui présente la Chine comme la plus grande pourvoyeuse de l’immigration dans les prochaines années. Face à cette déferlante asiatique, les chiffres des Algériens résidant en France légalement, paraissent squelettiques : 560.000 Algériens résidents sur une population estimée à 2,5 millions dont font partie nos clandestins. Les Algériens ne semblent plus représenter une menace « Il n’y a aucune stratégie concernant les Algériens (...) Nous avons subi de manière directe les conséquences des conditions matérielles et sécuritaires qui prévalaient en Algérie durant les années 90 » explique M. Cire avec la chute des visas de presque 80% depuis 1986. Pour rétablir l’équilibre, le gouvernement français mise sur le futur traité d’amitié algéro-français. Pour les Algériens, la donne est bien simple : plus de visas. Même Jacques Chirac a été « ému », confie un autre diplomate, en entendant cela à Alger en mars 2003, scandé par des jeunes Algériens dans la rue. Cette « émotion » élysienne laisse pourtant de marbre les stratèges de l’immigration : « le risque qui nous fait peur est que si on ouvre trop, on aura 50% de jeunes Algériens qui débarqueront en espérant trouver l’Eldorado en France. Nous adoptons une politique raisonnée en la matière », explique M. Cire qui ajoute que : « sur le pacte d’amitié, c’est une vraie révolution pour nous car cela va permettre de dépasser les questions émotionnelles et épidermiques ».

Mais la relation algéro-française a changé depuis quelque temps sur ce dossier. Paris considère que la menace est « sub-saharienne » et que l’Algérie peut jouer un rôle décisif en la matière du moment qu’elle est devenue aussi « un abcès de fixation et un pays de transit ». Pour Alger, contrôler, encadrer et réguler ces flux d’immigrés sub-sahariens se déversant sur la France et l’Europe, nécessite des moyens financiers. La réponse française est sèche : « le problème sur ce dossier est que la France n’a pas d’argent à donner en la matière pour mandater des pays tiers comme l’Algérie pour traiter le problème localement. C’est de l’ordre du fantasme ». Pas de sous donc pour l’Algérie. Les Français travaillent pourtant sur des hypothèses alarmistes qui consistent à dire, selon M. Cire que : « nous voulons que les pays du Sud encadrent cette immigration, il est difficile de la contrôler comme le prouve Djanet qui est devenue une plaque tournante (...) Il existera en Algérie des zones grises d’immigration, avec des régions périphériques, des groupes terroristes qui vont encadrer ce flux et se servir en termes de recrues ». Le menace GSPC au Sahel est prise au sérieux et se nourrit des filières du « trabendo » et de l’immigration clandestine dont les clandestins sont des « proies faciles » dixit le Quai d’Orsay.

Kader n’a pourtant pas l’air d’une proie. Comme tous les clandestins algériens en France, il se sait quelque part « traqué » mais n’en fait pas une obsession. C’est dans un bar branché à La Bastille qu’on le rencontre.

L’endroit est grouillant de touristes, garantie de l’anonymat. On s’attend à voir un Algérien rasant les murs et habillé sobrement comme un passe-muraille. Pas le style de Kader. Tee-shirt Doce Guabana, blouson Chevignon, jean patte d’eph, petite chaîne où pend un crucifix en argent ! Kader peut facilement passer pour un Italien ou un Grec : « si tu fais l’Arabe, c’est là où tu te fais prendre. Il faut être cool. Le seul papier que je trimbale sur moi, c’est la carte orange ». Kader, originaire d’Alger, ne semble pas vivre l’angoisse du clandestin : « ils sont bons l’USMA, cette année. Les Chenaoua ne vont rien gagner encore », se désole ce supporter du Mouloudia d’Alger. Parlons papiers, Kader en a ! Une carte d’identité française bidon achetée 300 euros lors de son arrivée, il y a 2 ans, un faux passeport belge qu’un copain lui a ramené de Londres, volé sur l’Eurostar et même un carte de sécurité sociale. Kader jongle avec les procédures. Il touche sous diverses identités le RMI, les Assedic et veut même toucher les allocations familiales : Sarkozy nous a coupé les vannes. C’est devenu dur de suivre la procédure légale. Il faut avoir des connaissances et même les vrais papiers sont devenus difficiles à acheter », explique-t-il. De quoi vit-il ? Avec Kader, il ne faut pas parler de vol mais de débrouille. Il a travaillé parfois sur des marchés de banlieues et « trafiquote » actuellement sur les portables haut standing qu’il revend à 50 euros pièce. Il en envoie une quinzaine par mois à Alger : « c’est devenu difficile. Les Français ne trouvent pas de boulot, alors encore moins les Algériens en règle.

Paris, c’est devenu trop chaud. Les mecs, ils partent à Londres ». Les clandestins algériens ne jurent que par la capitale britannique avec ses petits jobs faciles, ses contrôles de police inexistants et les petites combines bancaires. Pour beaucoup, Paris est devenue une capitale de « transit », comme Alger l’est devenue pour les Sud-Sahariens. L’immigration semble être une vague qui remonte inexorablement vers le Nord.

Flic, politique ou clandestin sont pourtant d’accord sur une chose : l’immigration clandestine est de moins en moins liée à la recherche du travail. Pourtant, à en croire, les diplomates français en charge du dossier : « les migrants légaux algériens sont les bienvenus, mais les clandestins dehors ! » Ce qui est certain c’est que la France, vis-à-vis de l’Algérie, n’aura pas de politique de quotas. A l’inverse, rien ne dit que les Algériens substitueront la France par une autre destination.

Mounir. B www.quotien-oran.com