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Lunes impaires de Chawki Amari

jeudi 21 octobre 2004, par Hassiba

C’est l’un des chroniqueurs les plus brillants de sa génération. Yassir Benmiloud parti depuis longtemps de l’autre côté de la mer, rejoint ces dernières années par Sid Ahmed Semiane, Chawki Amari fait cavalier seul dans un champ médiatique schizophrène, coincé entre génuflexions politiques et compromissions commerciales.

Multiple, Chawki Amari est d’abord géologue, une option qu’il abandonne pour mieux scruter les hommes.
Caricaturiste, une aventure dont on retient une sombre histoire de linge sale qui lui valut la prison l’été de l’an 1996, d’où il revint avec une série de reportages saisissants sur les conditions carcérales à Serkadji.
Nouvelliste, il a déjà publié De bonnes nouvelles d’Algérie, un recueil entre noir et polar, paru en 1998 chez Baleine en France, pas encore parvenu chez nous.
Chroniqueur de talent, il est aujourd’hui lisible les jours ouvrables au « POINT ZERO », à la dernière page du journal El Watan. Un exercice quotidien qui fait lire le journal dans le sens inverse de l’ordre des pages. Une occasion non préméditée de prendre l’information à rebrousse-poil et de déranger l’ordre. Du samedi au mercredi, Chawki Amari ausculte la « normalité » d’une société « trizophrène » (le néologisme lui appartient) et l’autisme d’un pouvoir contre lequel seule l’horloge biologique peut gagner.

Pour cet automne, le plaisir de le lire sera plus complet, avec la parution aux éditions Chihab d’un recueil de textes, chroniques et nouvelles. Intitulé Lunes impaires, ce livre compte des histoires inédites et d’autres déjà parues et remastérisées pour l’occasion.En huit chapitres, introduits par des citations inventées d’auteurs imaginaires mais ayant pu exister (toute ressemblance avec des personnes vivantes n’est que pure coïncidence), l’auteur passe allègrement de la réalité à la fiction, du vraisemblable à l’extraordinaire, la frontière étant ici très poreuse entre le normal et le surnaturel, le physique et le métaphysique.

Donnant son titre à l’ouvrage, la séquence consacrée au mois sacré, qui élève le ramadhan au rang de véritable personnage, illustre brillamment, dans un aller-retour incessant entre spiritualité et absurde, la quête d’une normalité finalement impossible. Ce journal « spécial » ramadhan, avec ses contes extraordinaires et leçons particulières, constitue assurément la partie la plus « spirituelle » du recueil de Amari.

Autre feuilleton -genre particulièrement affectionné par l’auteur-, autres mœurs, Chawki Amari maquille la gravité et la tendresse sous des couches d’humour et de dérision, dans Quelques destins sans avenir. On y rencontrera notamment l’improbable couple Achour et Achoura, le très célibataire Mokhtar le Bègue, on ne découvrira pas les circonstances de la mort mystérieuse de Naïm Anonyme, mais rien ne nous sera caché du destin automobile de Mohamed ZH. Plus loin, plus cinématographique, il nous prend à contre-pied et nous coupe le souffle avec Souk El Khemis, histoire de dire que la vie n’est pas un film en cinémascope.

Rien de plus jubilatoire, en revanche, dans un pays où le quotidien ressemble souvent à un scénario pour film de science-fiction, que cette histoire de Happiz Seventiz ou le retour de Houari Boumediene.

Comme on dégustera avec bonheur les aventures imaginaires de Ahmed Tagalamentag. Enfin, la plus fine pour la route, Un café au supercafé ou les conséquences douloureuses d’un message virtuel, d’un expéditeur virtuel, dans un cybercafé à Tazmalt. Il n’y a, bien sûr, pas plus de morale dans cette histoire qu’en politique.

Par Yasmina Belkacem, La Tribune