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Pierre Bourdieu photographie l’Algérie

mercredi 16 mars 2005, par nassim

Le sociologue Pierre Bourdieu se servait de ses clichés pour ses théories. Exposition sur l’Algérie.

Le diable est dans les détails. Ces fragments de réalité qui ne frappent pas les esprits des badauds, mais qui, à la fin des années 50, n’ont pas échappé au jeune Pierre Bourdieu alors qu’il foule la terre algérienne déchirée par la violence de la guerre de libération. Le chercheur décide de prendre des photos. « Une façon d’essayer d’affronter le choc d’une réalité écrasante », écrira-t-il plus tard.

Après les avoir utilisées comme supports d’étude, il les met dans un carton. Elles y resteront quarante ans. Entre-temps, le sociologue aura la carrière fulgurante autant que controversée que l’on sait. Mais peu de personnes s’intéresseront, de son vivant, à ses clichés algériens.

Ceux-ci témoignent pourtant de la naissance de ses théories du monde social. Et marquent le début de l’intérêt de Bourdieu pour le terrain. Après avoir été montrées à l’Institut du monde arabe à Paris, certaines de ces images font aujourd’hui l’objet d’une exposition au Centre de la photographie, à la Maison des arts du Grütli.

Dérives de la politique colonialiste

L’une d’elles montre un village de huttes, au tracé géométrique. A travers cette photo, Pierre Bourdieu dévoile la volonté colonialiste de détruire les traditions rurales. Il s’agit pour les Français de discipliner les populations des montagnes, relativement épargnées jusqu’alors, en les regroupant et en leur imposant un ordre, une discipline de l’espace. Une autre montre une femme voilée pilotant une sorte de vespa dans les rues d’Alger. Le choc de la tradition et de la modernité.

L’Algérie de 1958 à 1961 durant la guerre de libération. © P. Bourideu

Franz Schultheis, professeur de sociologie à l’Université de Genève, a été le collègue et l’ami de longue date du célèbre sociologue décédé en janvier 2002. C’est lui qui a logiquement pris la présidence de la toute nouvelle Fondation Pierre Bourdieu, officiellement inaugurée samedi dernier lors du vernissage de l’exposition du Centre de la photographie. « Pierre Bourdieu m’avait confié ses photos.

Mais il avait quelque appréhension à les exposer au public : il ne voulait pas être taxé de « faire l’artiste ». En même temps, il avait un rapport très affectif avec ces images qui reflétaient une période clé de sa vie et racontaient la relation très forte qu’il entretenait avec l’Algérie. Il les regardait souvent, comme on regarde un trésor. »

Le professeur genevois souligne aussi la chaleur qui se dégage de ces clichés. « Le regard y est moins tranchant, presque affectif, contrairement à sa plume qui pouvait souvent être très pointue. »

Lorsqu’il arrive en Algérie, Bourdieu est un jeune normalien, agrégé de philosophie et très parisien. Il y délaissera la philosophie pour devenir un sociologue ethnologue autodidacte. En 1960, il écrit son livre Sociologie de l’Algérie. Et le combat politique commence.

Mais cette expérience sera aussi pour lui un moyen de se réconcilier avec ses origines paysannes de la région béarnaise. « Le regard d’ethnologue compréhensif que j’ai pris sur l’Algérie, j’ai pu le prendre sur moi-même, sur les gens de mon pays, sur mes parents, sur l’accent de mon père, de ma mère, et récupérer tout ça sans drame, ce qui est un des grands problèmes de tous les intellectuels déracinés... »

Par linn levy, tdg.ch


Pierre Bourdieu en Algérie, un photographe de circonstance , jusqu’au 9 avril au Centre de la photographie, 16, rue Général-Dufour.
Un livre réunit les contributions d’étdiants et d’enseignants ayant participé à un séminaire de recherche de 3e cycle sur Pierre Bourdieu.
Pour contacter la Fondation Pierre Bourdieu à Genève : www.espacesse.org